On répète à l’envie que les Français seraient mauvais en maths et en sciences… question de méthode ? Des initiatives originales témoignent qu’il est possible de faire aimer ces disciplines, y compris de personnes en difficulté scolaire. C’est le cas de l’Institut Villebon – Georges Charpak, étrangement méconnu (notamment des journalistes) qui, à condition que la curiosité et la motivation soient là, conduit 95% de ses étudiants vers une école d’ingénieur ou un master.
Nous avons échangé avec Gérald Peyroche, professeur à l’ENS de Paris-Saclay, et directeur de l’Institut. Nous avons découvert l’initiative grâce à Chantal Monvois, qui de la direction de la Fondation Vinci pour la Cité à celle d’AgroParisTech en passant par les programmes de l’ONG de solidarité internationale GRET, est compagnonne de route de Reporters d’Espoirs depuis près de quinze ans.
Qui sont les jeunes accueillis par votre Institut et qu’y trouvent-ils ?
Ce sont des bacheliers, pour la plupart démotivés voire en rupture avec le parcours académique ou en situation de handicap, intéressés par les sciences mais peu à l’aise avec l’enseignement classique. Ils viennent à l’Institut pour préparer une Licence Sciences et Technologies en bénéficiant d’une pédagogie innovante.
Nous demandons aux candidats de remplir un questionnaire qui porte sur leur motivation et leur appétence pour les sciences. Nous ne retenons pas ceux qui ont eu de trop bonnes notes au bac, pour nous concentrer sur notre mission : offrir à des jeunes d’une grande diversité la possibilité de dépasser les obstacles qui les freinent, en vue de poursuivre ensuite une formation scientifique en master ou en école d’ingénieur.
L’Institut ne convient pas à tous les profils. Nous organisons donc des journées de recrutement où les candidats sont pris en main par nos étudiants actuels et vivent une épreuve sous forme d’atelier collectif, pour vérifier leur capacité à travailler avec les autres. Tout étudiant qui nous rejoint doit être ouvert, curieux et capable de travailler en groupe. Chaque étudiant peut et doit apporter quelque chose au collectif.
En quoi les méthodes pédagogiques que vous créez sont-elles différentes, innovantes ?
Le nom de l’institut provient du prix Nobel Georges Charpak. Ce physicien a mis au point une méthode d’enseignement appelé « la main à la pâte », qui propose une alternative à l’enseignement traditionnel. Elle préconise de commencer par le pratique pour aller vers le théorique. Cette méthode a été pensée pour les élèves de primaire et de collège, nous l’avons adaptée aux études supérieures comme ingrédient d’une formation inclusive. Un tiers de nos cours sont dispensés de cette manière.
Autre exemple de notre manière d’innover : un cours de maths peut comporter trois modules, avec trois niveaux différents d’autonomie proposés aux étudiants. Cette méthode permet de ne pénaliser ni les plus faibles, ni les plus forts, car chacun avance à son rythme et choisit la méthode qui lui correspond. On constate que les étudiants sont plus performants dès lors qu’ils sont ainsi acteurs de l’enseignement.
Nous suivons les travaux de chercheurs comme le physicien Julien Bobroff, enseignant à l’Université Paris Saclay, récompensé par le CNRS en 2022 pour son travail sur la médiation scientifique. Il a créé des collaborations étonnantes avec des designers pour expliquer la physique quantique. Nous examinons avec lui comment ce genre de méthode peut être repris dans un objectif pédagogique à l’Institut, pour ensuite les essaimer si elles fonctionnent.
Vous défendez un modèle d’innovation frugale et peu couteux.
Notre but est de faire de la recherche sur notre propre terrain, atypique et sur d’autres terrains de l’enseignement supérieur, afin de révéler des éléments applicables dans différents contextes.
Pour cela, en 2019, l’Institut s’est doté d’un Centre d’Expérimentation Pédagogique, qui attire chaque année environ 150 acteurs. Le but est de tester des méthodes, et de les valider par la recherche. L’innovation pédagogique a la réputation de demander beaucoup de moyens techniques et financiers. Ici, on fait le pari de l’innovation pédagogique frugale : il faut que ce soit simple et peu couteux pour pouvoir s’implanter dans tous les contextes d’enseignements, même là où il n’y a pas beaucoup de moyens. Les innovations peuvent être reprises, il faut juste s’en emparer.
Vous suivez de près chaque étudiant. Est-ce que cet encadrement est un gage de réussite ?
En effet, tout ne se joue pas dans les salles de classe. Il y a par exemple une obligation d’entraide des étudiants qui fait que chacun peut se retrouver en position d’aidant ; l’équipe pédagogique est très engagée notamment pour lever d’éventuelles inquiétudes concernant l’insertion professionnelle ; un système de tutorat est dispensé par les étudiants des grandes écoles partenaires comme l’ENS Paris-Saclay, l’Institut d’optique graduate school, l’ENSTA, CentraleSupélec, l’Agro ParisTech ou encore Polytechnique. De plus depuis 10 ans, 350 parrains et marraines issus des entreprises mécènes accompagnent les étudiants. Cette présence permet de dédramatiser l’angoisse professionnelle, et de mettre en avant l’importance de travailler telle ou telle compétence.
L’objectif de nos étudiants est bien de poursuivre leurs études, poursuite qui se déroule dans des formats pédagogiques traditionnels auxquels nous les préparons, petit à petit, avec l’ensemble de ces acteurs.
12 ans après la création de l’Institut, quels sont les accomplissements dont vous êtes le plus satisfait ?
Nous avons accueilli et formé 300 étudiants, avons atteint la parité dans leur recrutement, les intégrons pleinement dans la démarche pédagogique et d’innovation de l’Institut. La diversité se traduit par leurs profils : 70% sont boursiers, 30% issus des filières technologiques, 20% en situation de handicap. L’environnement que nous leur proposons est optimal : des promotions de petite taille, un hébergement sur le campus, un encadrement important.
Nous constatons qu’ils ont pu développer leur confiance en eux, un niveau de créativité important, et ont en main des outils pour penser la science et son apport de manière multidisciplinaire. 95% de nos diplômés poursuivent leurs études, dont 77% dans des grandes écoles.
Vos méthodes sont-elles diffusables à l’enseignement supérieur ?
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que le modèle d’études supérieures ne correspond plus aux attentes des jeunes. Beaucoup de grandes écoles se sont engagées à réformer leur cursus. Les méthodes que nous expérimentons peuvent être essaimées chez elles. Ce n’est pas un hasard si de grandes écoles sont partenaires de l’Institut.
Vous défendez l’idée que la diversité est un gage de performance pour les entreprises. Au-delà de l’usage abondant du terme « diversité » dans la communication et le débat public, concrètement, où en est-on ?
Notre pari est de former des jeunes qui présentent une forte adaptabilité au monde de l’emploi, et qui vont aussi être des éléments de transformation dans les grandes écoles ou entreprises. Donc de former un cercle vertueux.
Certaines entreprises affichent un bon bilan social d’inclusion, mais on se rend compte que les personnes issues de la diversité sont souvent en bas de l’échelle. Notre but est, qu’au terme de leurs études, ces jeunes que nous formons soient capables de manager eux-mêmes d’autres personnes issues de la diversité. Or beaucoup d’entreprises n’ont pas de politique générale en la matière. Leurs actions sont souvent très fractionnées, les responsables RSE (Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise) ne se sentent pas assez entendus, et le sujet n’est pas inscrit dans la stratégie de l’entreprise. La focalisation sur les mesures écologiques a tendance à mettre le social de côté, or c’est bien les deux qu’il faut mener de front en pensant au long terme. L’Institut, « incubateur de talents » comme disent nos étudiants et nos mécènes, a une vraie fragilité économique en raison de ce contexte. Aussi nous devons continuer à démontrer aux entreprises que la diversité est source d’innovation et de performance pour elles.
Concrètement, combien coûte votre formation et comment vous aider à poursuivre et amplifier votre action ?
Les droits d’inscription sont ceux d’une licence universitaire conventionnelle – 170 euros par an, avec gratuité pour les boursiers et les boursières. Elle représente un coût global par étudiant d’environ 15 000 euros par an, ce qui est proche du coût d’un étudiant en IUT, et supérieur au cours moyen d’un étudiant en licence (11 000 euros environ). Le surcoût est compensé par le fort taux de réussite à la licence que nous obtenons : 75% en 3 ans, ce qui est deux fois supérieur à une licence classique.
En 2023, 17,5 % de notre budget de fonctionnement provenait du financement des entreprises, le reste, soit 82,5%, provenant des établissements d’enseignement supérieur membres de notre groupement d’intérêt public. Pour soutenir le développement de la recherche et les capacités d’essaimage de l’Institut, nous devons porter la contribution du secteur privé à 50% à l’horizon 2027, soit 350 000 euros par an. J’appelle les entreprises qui veulent miser sur l’apport de la diversité et de la science à nous rejoindre !
Propos recueillis par Maëlle Widmann et Gilles Vanderpooten, Reporters d’Espoirs.