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Maëlle Widmann

« Le titre-restaurant, c’est un bel exemple du dialogue social français. Il faut développer cette culture du consensus » – Youssef Achour

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Youssef Achour est le président de la société coopérative UpCoop et du groupe Up dont il a gravi tous les échelons ces vingt-cinq dernières années. Patron engagé, élu par les salariés et porté par les valeurs de l’économie sociale et solidaire, il est aussi président de la CRESS Île-de-France (Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire). La Scop* qu’il dirige a rejoint Reporters d’Espoirs comme mécène au début de l’année 2024. Aussi, nous avons voulu l’interroger sur le groupe singulier qu’il dirige, et plus largement sur l’engagement des entreprises de France. Sans oublier de le questionner sur son rapport à l’information.


Tout le monde ou presque côtoie UpCoop au quotidien … mais sans véritablement le savoir. Le chèque déjeuner, c’est vous ! Et ça fait 60 ans que ça dure.

Effectivement, nous avons débuté avec la marque Chèque déjeuner en 1964, qui a démocratisé l’accès à la restauration du midi et permis aux salariés qui déjeunaient à l’extérieur de prendre un repas de qualité dans un lieu de leur choix. Le titre-restaurant, c’est un vrai exemple de ce que le dialogue social dans l’entreprise, entre salariés et direction, permet de construire. C’est le fruit d’un accord obtenu au terme d’une négociation constructive entre partenaires sociaux, et l’impact est positif pour tous. Pour les salariés c’est du pouvoir d’achat additionnel, puisque les entreprises prennent en charge 60% ou 50% de la valeur du titre et pour l’employeur, c’est un levier d’engagement, de cohésion, de qualité de vie au travail et de marque employeur. Nous en sommes très fiers, car le titre restaurant nous a permis de nous ancrer dès le début dans une mission d’intérêt général et d’utilité sociale auprès des entreprises.

Comment un tel produit a pu se mettre en place ?

C’est grâce à la coopération de tous les acteurs. Il faut d’abord un Etat volontaire, qui met en place des mesures incitatives pour que l’entreprise et les salariés trouvent un intérêt commun. Il faut donc des entreprises qui décident, dans le cadre du dialogue social, d’améliorer le pouvoir d’achat et la qualité de vie de leurs salariés. Il faut aussi des restaurateurs, bien entendu, qui accepteront le paiement via ce support. Et pour coordonner le tout, un tiers de confiance : c’est nous ! Notre rôle est d’assurer le bon fonctionnement de tout l’écosystème et des flux qui y transitent. Lorsque le restaurateur reçoit et accepte le titre restaurant, il a confiance car il sait qu’il sera remboursé.

Outre les titres restaurants, qu’y a-t-il derrière ce groupe ?

Désormais, avec la digitalisation du titre-restaurant, on est à 1,2 million d’utilisateurs chaque jour. Avec le temps, nous nous sommes diversifiés en déployant d’autres titres spéciaux de paiement destinés à de l’achat plaisir-cadeau comme UpCadhoc par exemple : longtemps, les entreprises offraient via leur comité d’entreprise des paniers-cadeaux présélectionnés. Maintenant, avec le titre UpCadhoc, le salarié achète le cadeau qu’il souhaite offrir, ce qui donne une plus grande liberté. Nous avons élargi le dispositif à d’autres secteurs, comme ceux de la culture, du sport, de la lecture et de l’action sociale.

Ce que l’on connait moins, c’est toute l’activité qui nous permet d’accompagner les pouvoirs publics, collectivités et associations dans le versement des aides sociales aux personnes les plus démunies par exemple, de manière ciblée et sécurisée. Et nous nous sommes aujourd’hui déployés dans 25 pays.

Il y a tout juste deux ans, vous appeliez, avec Biocoop, à la création d’un chèque alimentaire « qui permette aux plus démunis d’accéder à une alimentation de qualité tout en préservant leur liberté de choix dans la consommation ». Où en est-on ?

Cela fait des années qu’on travaille sur l’idée du chèque alimentaire. Selon nous, l’Etat doit donner à chacun la possibilité d’accéder à la société de consommation. On imaginait un produit qui serait commandé par les collectivités locales pour être distribué aux personnes en situation précaire ou fragile. L’idée est de répondre au droit fondamental à se nourrir, en laissant la liberté aux bénéficiaires d’acheter dans n’importe quel commerce, ce qui permet au passage d’éviter la stigmatisation des files d’attentes aux banques alimentaires. On a d’abord testé le dispositif à l’échelle locale, puis travaillé avec Biocoop pour l’élargir au plan national. Nous avons voulu montrer la faisabilité du dispositif, pour que le gouvernement s’en empare et le généralise – comme l’avait annoncé le Président de la République en 2022. Hélas, le ministère de l’économie et des finances a décidé d’enterrer ce dispositif. Pour UpCoop, les expérimentations locales continuent, notamment à Dijon, à Montreuil et dans le Gers, mais il n’y a plus – pour l’heure – l’ambition politique nationale que nous espérions.

Vous dirigez la plus grande SCOP – société coopérative et participative – de France. A l’heure où l’on parle de partage de la valeur, et d’augmentation des salaires face à l’inflation, c’est un modèle qui fait la différence pour les salariés ?

Nous sommes la plus grande SCOP de France en termes de chiffres d’affaires, avec près de 750 salariés- coopérateurs de l’entreprise. Ils participent au processus de gouvernance, à la prise de décision, élisent le conseil d’administration parmi leurs pairs et 45% du résultat leur est redistribué.

C’est un exercice complexe mais passionnant que de perpétrer ce modèle de groupe coopératif. Il faut une volonté et une vision politique. Il faut aussi faire cohabiter ceux qui n’ont pas les mêmes intérêts ni le même statut dans un même groupe composé au global de 3 250 salariés. En se développant à l’international, le groupe a repris des entreprises dont les salariés n’ont pas la culture coopérative. Prenez nos filiales dans les pays de l’Est par exemple : ces entreprises, marquées par leur histoire, ne tiennent pas à redevenir des coopératives car cela ne leur évoque pas que de bons souvenirs. Cela ne nous empêche pas de les inciter à développer à la fois la place du dialogue social et la concertation en invitant des salariés à participer à leur conseil d’administration. Là où il faut généralement 1000 salariés dans une entreprise pour que ces derniers soient représentés au Conseil d’Administration, chez nous, les salariés ont des représentants qui participent aux instances y compris dans nos petites filiales.

Se crée-t-il encore des SCOP et des coopératives aujourd’hui en France ? Encouragez-vous cette création ?

Oui, il se crée des coopératives et nous souhaitons qu’il y en ait davantage. Cela étant, être une coopérative signifie s’engager sur le principe « une personne égale une voix » à la place de « une action égale une voix ». C’est compliqué dans un monde imprégné d’une forte culture capitalistique, où c’est le capital financier qui détermine votre pouvoir de décision ou d’influence dans une entreprise.

Aussi je pense qu’il faut surtout tendre à poursuivre l’essaimage dans la société actuelle des valeurs coopératives et des valeurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui sont des valeurs de modernisation. Prenons quelques exemples : dans la plupart des entreprises, 90% à 95% des personnes ont des idées mais on ne les sollicite pas ; le principe de l’objectif individuel cultive la priorisation des intérêts personnels ; les salariés ne sont pas suffisamment associés aux décisions et intéressés au résultat collectif. Aujourd’hui, la jeune génération est en quête de sens. Les jeunes ont envie d’être associés au fonctionnement de l’entreprise, ils ont envie de plus de participatif. Je pense que cela va se développer ; il se trouve que les valeurs et pratiques historiques de l’ESS correspondent aux enjeux de la société actuelle et aux attentes des individus. Les résultats du Groupe Up témoignent que ces pratiques n‘altèrent en rien l’efficacité de l’entreprise.

Quel est votre rapport personnel à l’information et aux médias ? Comment vous informez-vous ?

J’écoute en permanence les informations. Mon réveil du matin, dès 6h, c’est la radio. Je commence en général par France Inter, avant de zapper sur d’autres chaînes, avec lesquelles je suis souvent en désaccord avec la ligne journalistique. C’est pour moi la seule façon de prendre le pouls des choses, d’entendre d’autres façons de penser les sujets de société. Avant, j’adorais dévorer la presse écrite. Avec la digitalisation, j’avoue avoir perdu l’habitude de la lire. C’est pourtant plus simple, plus accessible. Mais je ne prends plus le même plaisir qu’avec le papier. Il faut que je me réhabitue !

Vous qui avez fait des études d’économie et de finances, trouvez-vous que les médias sont suffisamment curieux d’économie et d’entreprise ?

Je trouve que les médias parlent de plus en plus d’économie, et traitent le sujet de mieux en mieux. Mais il y a trop souvent la recherche  d’alimenter un côté anxiogène des informations économiques ou sociales. Les médias ont une responsabilité énorme sur la santé mentale de la population. C’est plus facile de parler des trains qui arrivent en retard plutôt que des trains qui arrivent quotidiennement à l’heure. Prenez le sujet de l’intégration : on préfère parler des 20% d’échec plutôt que des 80% de réussite. C’est là que Reporters d’Espoirs est important ! Si on n’offre que de l’information anxiogène, on crée une société avec une vision réductrice et protectionniste du monde. C’est donc essentiel de mettre plus en avant ce qui fonctionne. Si tu ne crois plus en rien, tu te désintéresses de tout et tu n’exerces plus ta citoyenneté.

Propos recueillis par Gilles Vanderpooten et Maëlle Widmann/Reporters d’Espoirs.

*Société Coopérative et Participative

Prix européen jeunes Reporters d’Espoirs : ne manquez pas notre webinaire d’information !

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Avis aux candidats du Prix européen jeunes Reporters d’Espoirs : nous vous invitons à un webinaire d’information le lundi 8 juillet à 18h pour un échange autour du Prix.

Au programme :

  • Présentation du Prix européen jeunes Reporters d’Espoirs
  • Temps d’échange avec questions / réponses
  • Témoignage d’une lauréate de l’édition 2023

Voici le lien du webinaire.

A bientôt !

L’équipe de Reporters d’Espoirs

Ce que candidater au prix Reporters d’Espoirs m’a appris – Pierre Terraz

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Pierre Terraz est un jeune journaliste indépendant, qui parcourt le monde pour couvrir les conflits, de la guerre en Ukraine à la guerre civile en Birmanie, en passant par la guerre entre Israël et le Hamas, ou le conflit kurde en Turquie du Sud-Est. Talentueux lauréat du Prix européen Jeunes Reporters d’Espoirs 2023, il a aussi remporté le prix de la fondation Varenne et la bourse Lagardère.


Comment as-tu pris connaissance du Prix Européen Jeunes Reporters d’Espoirs ?

Je cherchais sur internet des concours et bourses auxquels candidater. Je suis tombé dessus en tapant « prix jeune ».

Qu’est ce qui t’as donné envie de postuler à ce prix en particulier ?

J’avais déjà postulé l’année d’avant, mais je savais que mon article ne correspondait pas aux critères. Entre temps, j’ai réalisé mon reportage Morts sous X, qui me paraissait plus approprié pour postuler une deuxième fois. Le prix présente beaucoup d’avantages. La dotation est généreuse. De plus, il y a une richesse dans l’accompagnement. Lorsque j’ai présenté ma première version, on m’a conseillé de comparer la situation française avec celle d’autres pays pour intégrer la dimension européenne. C’est à partir de là que j’ai trouvé les solutions. J’ai remarqué que le nombre de morts inconnus en Belgique est beaucoup moins élevé qu’en France, et j’ai vu ce qui était mis en place pour lutter contre ce phénomène. Le prix a une visée pédagogique, ce qui est un réel avantage.

Surtout pour toi qui n’a pas fait d’école de journalisme, ça te permettait de te former en même temps ?

Oui, j’étais en RH [ressources humaines] au CELSA. Au moment de trouver un stage, j’ai postulé dans des rédactions parce que je ne voulais pas faire RH. J’ai été pris au service Culture du Figaro, puis à celui de Libération. L’accompagnement proposé permet aussi d’avoir un regard extérieur sur son travail, c’est formateur. J’ai vu une nette amélioration entre la première version de mon article et la deuxième. J’avais entendu parler du journalisme de solutions, mais avant cela je n’avais pas la méthode.

Quels autres bénéfices tires-tu de cette expérience ?

Le réseau est un autre avantage de ce prix. J’ai par exemple sympathisé durant la soirée de remise du prix avec le dessinateur Serge Bloch. On a échangé nos contacts, on s’est revu après. Il m’a présenté aussi à d’autres personnes. Ça crée du lien avec les gens du milieu.

Un conseil aux prochains candidats ?

Je les encourage vivement à lire les reportages de l’année précédente, ce qui, personnellement, m’a été fort utile pour mieux saisir ce qui était attendu.

 

Propos recueillis par Maëlle Widmann pour Reporters d’Espoirs

Christophe Agnus président du jury du 26e Prix Cap’Com de la presse et de l’information territoriale

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La coopérative Cap’Com lance en 2024 la 26ème édition de son prix de la presse et de l’information territoriale, qui récompense la publication d’une institution publique ou d’une collectivité. L’occasion de mettre en avant la qualité du travail des professionnels de la communication publique, et d’observer les tendances du secteur. L’évènement en ligne de remise du prix se tiendra le vendredi 28 juin.

Christophe Agnus, président du Grand Jury 2024

Cette année, le grand jury est présidé par Christophe Agnus, vice-président de Reporters d’Espoirs. Auteur, éditeur, journaliste, ex grand-reporter à L’Express, son expérience lui permettra d’avoir un regard acéré sur les publications de communication publique. Un jury pro et un jury étudiant sont également sollicités pour ce prix.

Le prix de la presse et de l’information territoriale se décline en sept catégories :

  • Prix du projet éditorial
  • Prix de la plume d’or
  • Prix de l’iconographie
  • Prix de la conception graphique
  • Prix de la Une
  • Prix es publications internes
  • Prix des petits poucets

Pour en savoir plus, la liste des nommés est publiée sur le site Cap’Com. Pour assister à l’évènement du 28 juin, l’inscription est gratuite.

21.06.2024 : Reporters d’Espoirs en conférence à l’Université Bayard

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L’Université Bayard, un lieu d’échange pour les salariés

Il y a plus de vingt ans, le groupe a créé l’Université de Bayard, ouvert à tous ses salariés. Une fois par mois, des ateliers, conférences ou rencontres ont lieu sur des grandes thématiques en lien avec l’entreprise. Cette initiative a pour ambition de tourner l’entreprise vers l’extérieur, en accueillant des chercheurs et spécialistes venant de différents horizons. Le 21 juin, c’est le vice-président de Reporters d’Espoirs, Christophe Agnus, qui animera une conférence sur le journalisme de solutions.

« Ces jeunes que nous formons à la science et aux technologies sont des graines de transformation des grandes écoles et entreprises. » – Gérald Peyroche   

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On répète à l’envie que les Français seraient mauvais en maths et en sciences… question de méthode ? Des initiatives originales témoignent qu’il est possible de faire aimer ces disciplines, y compris de personnes en difficulté scolaire. C’est le cas de l’Institut Villebon – Georges Charpak, étrangement méconnu (notamment des journalistes) qui, à condition que la curiosité et la motivation soient là, conduit 95% de ses étudiants vers une école d’ingénieur ou un master.  

Nous avons échangé avec Gérald Peyroche, professeur à l’ENS de Paris-Saclay, et directeur de l’Institut. Nous avons découvert l’initiative grâce à Chantal Monvois, qui de la direction de la Fondation Vinci pour la Cité à celle d’AgroParisTech en passant par les programmes de l’ONG de solidarité internationale GRET, est compagnonne de route de Reporters d’Espoirs depuis près de quinze ans.  


Qui sont les jeunes accueillis par votre Institut et qu’y trouvent-ils ?  

Ce sont des bacheliers, pour la plupart démotivés voire en rupture avec le parcours académique ou en situation de handicap, intéressés par les sciences mais peu à l’aise avec l’enseignement classique. Ils viennent à l’Institut pour préparer une Licence Sciences et Technologies en bénéficiant d’une pédagogie innovante.  

Nous demandons aux candidats de remplir un questionnaire qui porte sur leur motivation et leur appétence pour les sciences. Nous ne retenons pas ceux qui ont eu de trop bonnes notes au bac, pour nous concentrer sur notre mission : offrir à des jeunes d’une grande diversité la possibilité de dépasser les obstacles qui les freinent, en vue de poursuivre ensuite une formation scientifique en master ou en école d’ingénieur. 

L’Institut ne convient pas à tous les profils. Nous organisons donc des journées de recrutement où les candidats sont pris en main par nos étudiants actuels et vivent une épreuve sous forme d’atelier collectif, pour vérifier leur capacité à travailler avec les autres. Tout étudiant qui nous rejoint doit être ouvert, curieux et capable de travailler en groupe. Chaque étudiant peut et doit apporter quelque chose au collectif.  

En quoi les méthodes pédagogiques que vous créez sont-elles différentes, innovantes ?  

Le nom de l’institut provient du prix Nobel Georges Charpak. Ce physicien a mis au point une méthode d’enseignement appelé « la main à la pâte », qui propose une alternative à l’enseignement traditionnel. Elle préconise de commencer par le pratique pour aller vers le théorique. Cette méthode a été pensée pour les élèves de primaire et de collège, nous l’avons adaptée aux études supérieures comme ingrédient d’une formation inclusive. Un tiers de nos cours sont dispensés de cette manière.  

Autre exemple de notre manière d’innover : un cours de maths peut comporter trois modules, avec trois niveaux différents d’autonomie proposés aux étudiants. Cette méthode permet de ne pénaliser ni les plus faibles, ni les plus forts, car chacun avance à son rythme et choisit la méthode qui lui correspond. On constate que les étudiants sont plus performants dès lors qu’ils sont ainsi acteurs de l’enseignement. 

Nous suivons les travaux de chercheurs comme le physicien Julien Bobroff, enseignant à l’Université Paris Saclay, récompensé par le CNRS en 2022 pour son travail sur la médiation scientifique. Il a créé des collaborations étonnantes avec des designers pour expliquer la physique quantique. Nous examinons avec lui comment ce genre de méthode peut être repris dans un objectif pédagogique à l’Institut, pour ensuite les essaimer si elles fonctionnent.  

Vous défendez un modèle d’innovation frugale et peu couteux.   

Notre but est de faire de la recherche sur notre propre terrain, atypique et sur d’autres terrains de l’enseignement supérieur, afin de révéler des éléments applicables dans différents contextes.  

Pour cela, en 2019, l’Institut s’est doté d’un Centre d’Expérimentation Pédagogique, qui attire chaque année environ 150 acteurs. Le but est de tester des méthodes, et de les valider par la recherche. L’innovation pédagogique a la réputation de demander beaucoup de moyens techniques et financiers. Ici, on fait le pari de l’innovation pédagogique frugale : il faut que ce soit simple et peu couteux pour pouvoir s’implanter dans tous les contextes d’enseignements, même là où il n’y a pas beaucoup de moyens. Les innovations peuvent être reprises, il faut juste s’en emparer. 

Vous suivez de près chaque étudiant. Est-ce que cet encadrement est un gage de réussite ? 

En effet, tout ne se joue pas dans les salles de classe. Il y a par exemple une obligation d’entraide des étudiants qui fait que chacun peut se retrouver en position d’aidant ; l’équipe pédagogique est très engagée notamment pour lever d’éventuelles inquiétudes concernant l’insertion professionnelle ; un système de tutorat est dispensé par les étudiants des grandes écoles partenaires comme l’ENS Paris-Saclay, l’Institut d’optique graduate school, l’ENSTA, CentraleSupélec, l’Agro ParisTech  ou encore Polytechnique. De plus depuis 10 ans, 350 parrains et marraines issus des entreprises mécènes accompagnent les étudiants. Cette présence permet de dédramatiser l’angoisse professionnelle, et de mettre en avant l’importance de travailler telle ou telle compétence.  

L’objectif de nos étudiants est bien de poursuivre leurs études, poursuite qui se déroule dans des formats pédagogiques traditionnels auxquels nous les préparons, petit à petit, avec l’ensemble de ces acteurs.  

12 ans après la création de l’Institut, quels sont les accomplissements dont vous êtes le plus satisfait ? 

Nous avons accueilli et formé 300 étudiants, avons atteint la parité dans leur recrutement, les intégrons pleinement dans la démarche pédagogique et d’innovation de l’Institut. La diversité se traduit par leurs profils : 70% sont boursiers, 30% issus des filières technologiques, 20% en situation de handicap.  L’environnement que nous leur proposons est optimal : des promotions de petite taille, un hébergement sur le campus, un encadrement important.  

Nous constatons qu’ils ont pu développer leur confiance en eux, un niveau de créativité important, et ont en main des outils pour penser la science et son apport de manière multidisciplinaire. 95% de nos diplômés poursuivent leurs études, dont 77% dans des grandes écoles. 

Vos méthodes sont-elles diffusables à l’enseignement supérieur ? 

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que le modèle d’études supérieures ne correspond plus aux attentes des jeunes. Beaucoup de grandes écoles se sont engagées à réformer leur cursus. Les méthodes que nous expérimentons peuvent être essaimées chez elles. Ce n’est pas un hasard si de grandes écoles sont partenaires de l’Institut.  

Vous défendez l’idée que la diversité est un gage de performance pour les entreprises. Au-delà de l’usage abondant du terme « diversité » dans la communication et le débat public, concrètement, où en est-on ?  

Notre pari est de former des jeunes qui présentent une forte adaptabilité au monde de l’emploi, et qui vont aussi être des éléments de transformation dans les grandes écoles ou entreprises. Donc de former un cercle vertueux.  

Certaines entreprises affichent un bon bilan social d’inclusion, mais on se rend compte que les personnes issues de la diversité sont souvent en bas de l’échelle. Notre but est, qu’au terme de leurs études, ces jeunes que nous formons soient capables de manager eux-mêmes d’autres personnes issues de la diversité. Or beaucoup d’entreprises n’ont pas de politique générale en la matière. Leurs actions sont souvent très fractionnées, les responsables RSE (Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise) ne se sentent pas assez entendus, et le sujet n’est pas inscrit dans la stratégie de l’entreprise. La focalisation sur les mesures écologiques a tendance à mettre le social de côté, or c’est bien les deux qu’il faut mener de front en pensant au long terme. L’Institut, « incubateur de talents » comme disent nos étudiants et nos mécènes, a une vraie fragilité économique en raison de ce contexte. Aussi nous devons continuer à démontrer aux entreprises que la diversité est source d’innovation et de performance pour elles.  

Concrètement, combien coûte votre formation et comment vous aider à poursuivre et amplifier votre action ? 

Les droits d’inscription sont ceux d’une licence universitaire conventionnelle – 170 euros par an, avec gratuité pour les boursiers et les boursières. Elle représente un coût global par étudiant d’environ 15 000 euros par an, ce qui est proche du coût d’un étudiant en IUT, et supérieur au cours moyen d’un étudiant en licence (11 000 euros environ). Le surcoût est compensé par le fort taux de réussite à la licence que nous obtenons : 75% en 3 ans, ce qui est deux fois supérieur à une licence classique. 

En 2023, 17,5 % de notre budget de fonctionnement provenait du financement des entreprises, le reste, soit 82,5%, provenant des établissements d’enseignement supérieur membres de notre groupement d’intérêt public. Pour soutenir le développement de la recherche et les capacités d’essaimage de l’Institut, nous devons porter la contribution du secteur privé à 50% à l’horizon 2027, soit 350 000 euros par an. J’appelle les entreprises qui veulent miser sur l’apport de la diversité et de la science à nous rejoindre ! 

 

Propos recueillis par Maëlle Widmann et Gilles Vanderpooten, Reporters d’Espoirs. 

ÉDITO – Résignés, “les jeunes” ? Pas plus que “les vieux” !

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Alors que 72 % des 18-24 ans se disent optimistes¹, leurs parents se chargent de se faire du mouron pour eux : 59 % sont pessimistes pour l’avenir de leur progéniture². La raison se trouve-t-elle du côté de l’amour filial ou de l’irrésistible élan de la jeunesse ? Consacrer une revue à la jeunesse nous est apparu comme un projet à la fois périlleux (tant elle est multiple, hétérogène, non « catégorisable ») et enthousiasmant.
L’orienter sur le malaise, la perte de repères ou encore le conflit générationnel ? L’actualité se charge déjà de nous les rappeler. Songer aux difficultés d’une jeunesse étudiante à se nourrir et se loger, aux traumatismes post-covid, à la difficulté à trouver un emploi, à l’éco-anxiété ? Bien sûr. Mais en s’intéressant aux actions qui permettent d’y faire face, de donner à voir une jeunesse qui prend l’initiative et de l’aider à se projeter dans l’avenir.

« Le pire n’est même pas certain », disait le dessinateur Voutch. Ce n’est pas Esther, l’adolescente croquée par Riad Sattouf à (re)découvrir dans ce numéro – parfois perplexe, parfois rêveuse, souvent joyeuse – qui va le démentir. Alors, nous sommes partis à la recherche des raisons concrètes, réelles et sérieuses de croire en demain, au regard d’une jeunesse créative, engagée, entreprenante… Et qui a bien le droit, aussi, de rêver et d’exercer son droit à l’insouciance ! C’est à un voyage à la rencontre d’initiatives qu’entreprennent des jeunes de tous horizons, au-dessus des idées fatales, que nous vous invitons.

“Et là ! C’est parti ! Toutes voiles dehors ! On y va ! Flanquez le grand foc !

Bigardez les sourdines ! Choucardez dans les flanquettes !

C’est parti ce voyage, cette aventure, tout est nouveau, tout est inconnu, tout est réinventé, tout recommence. 

La joie est là ! Tu l’entends pas ce tocsin qui bat dans ton corps gamin ?!

Tu l’entends pas ?! 

Mais ce voyage-là, tu peux le faire dedans, tu peux être ton propre chirurgien,

t’ouvrir à cœur ouvert !” 

Des chemins de nos belles et sereines campagnes aux confins tumultueux et remuants de nos villes, en passant par une parfois chaotique et créative France « périphérique » : bon voyage en compagnie de ces jeunesses multiples qui portent l’espoir !

Gilles Vanderpooten, Directeur de la rédaction de Reporters d’Espoirs

¹ 3e baromètre Les jeunes et l’entreprise, BVA/Macif/Fondation Jean Jaurès, décembre 2023.
² IPSOS-CESE, L’état de la France vu par les Français en 2023.
³ Edouard Baer, « L’inconnu commence là, au bas de la rue », émission « Plus Près De Toi », Radio Nova, 2018.

Festival du livre à Paris : La littérature au service de l’écologie, de la jeunesse et de la francophonie

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Du 12 au 14 avril 2024 s’est tenu le Festival du livre à Paris. Au total, 246 stands représentaient maisons d’édition et médias dans l’enceinte du Grand Palais éphémère. Les auteurs en dédicace accueillent depuis leurs estrades curieux et afficionados. C’est l’occasion pour toutes les générations de se retrouver pour flâner au milieu des étals de livres. Le public, au même titre que le beau temps, était au rendez-vous : le festival a accueilli 103 000 personnes tout au long du week-end. Le Québec, invité d’honneur, mettait en avant ses auteurs et maisons d’édition.

L’écologie en explosion de couleurs

Dans le studio de France Télévisions installé pour l’occasion, l’animateur belge Thierry Bellefroid (RTBF) reçoit l’auteur de bande dessinée Jérémie Moreau sur le thème « Penser, raconter et dessiner le vivant ». L’animateur décrit son style, fait de couleurs très vives, comme une « grammaire colorimétrique ». L’artiste évoque sa carrière, du fauve d’Or reçu à Angoulême à la découverte de Jean Giono : « Pour la première fois, j’avais l’impression de lire de l’écologie de façon incarnée, magique. ». La mission qu’il se donne ? « Apporter une nouvelle esthétique à l’écologie ». La représenter de manière artistique ne risque pas d’édulcorer le problème pense-t-il, mais au contraire de le rendre « plus fin, plus précis ». Utiliser des couleurs tape-à-l’œil est naturel : « Dans nos ascendances frugivores, on ne pouvait pas s’empêcher de foncer vers les couleurs les plus vives ». Ses dessins veulent aider le lecteur à changer de point de vue : redonner une conscience à la nature et cesser de l’objectiver. Ainsi, son album Le discours de la panthère offre une plongée dans la réflexion animale, étourneau comme bigorneau : « C’était très rafraichissant d’imaginer des histoires pour d’autres corps ». Et si Jérémie Moreau avait trouvé une manière de « donner envie d’écologie », que ne cessent d‘appeler de leurs vœux moult activistes en quête de « nouveaux récits » et de « nouvelles représentations » ?

Les voix mêlées des jeunes et des auteurs

Au même moment, un échange intergénérationnel se tient sur la scène « Bourdonnais ». La journaliste Florence Bouchy (Le Monde) est aux côtés de Denis Baronnet, qui présente l’ouvrage « Il faut enfin que je te dise… », au Seuil Jeunesse. Ce livre est le résultat d’un projet porté par l’association culturelle Le Labo des Histoires, qui anime des ateliers d’écriture dans les établissements scolaires. « On va là où la culture ne passe pas », explique-t-il. Armel Bouloulz, lycéenne, raconte le processus d’écriture de sa lettre, exercice auquel elle s’est adonnée dans ce cadre : « J’ai écrit à mon amie Blanche, car ma lettre fait référence au racisme intériorisé ». Ces ateliers veulent donner une liberté à des jeunes qui se sous-estiment. L’éditrice est convaincue qu’ « il faut changer notre regard sur la capacité des jeunes à écrire, il faut leur donner confiance. ». Un vrai défi pour Armel : « J’étais en quête d’identité pendant la période de l’atelier d’écriture. On doit lire nos textes devant tout le monde. Il faut oser partager ». L’entretien se termine par la lecture de la lettre d’une quinquagénaire qui s’adresse à son corps en alternant amour et haine. Preuve que la relation à son propre physique fait partie des thématiques qui traversent les générations.

« Et vive la littérature ! »

Voilà que notre attention se tourne vers le Pavillon Québécois. Les lettres bleues du mot « Québec » font face à la Tour Eiffel, en témoignage de l’amitié francophone. C’est l’heure de la cérémonie de remise du Prix France-Québec. « On devient écrivain parce qu’on a envie d’utiliser le langage pour faire du vivant », déclare le lauréat, Alain Beaulieu, récompensé pour son livre Le Refuge. Il remercie les associations régionales franco-québécoises, une cinquantaine réparties sur le territoire français. Le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, est venu en personne soutenir ce prix qui « contribue au rayonnement de la littérature québécoise au sein de l’hexagone ». La célébration de cette entente pour la francophonie se conclue par le discours de Michel Cotnoir. Le président de la Fédération France-Québec / Francophonie fait forte impression avec sa cravate imprimée de fleurs de lys. L’ADN du Festival du Livre est finalement résumé par le lauréat dans un enthousiaste « Et vive la littérature ! ».

Maëlle Widmann, pour Reporters d’Espoirs.

« La littérature est un vecteur de protection de la langue française » Geneviève Pigeon, présidente de l’ANEL du Québec

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Geneviève Pigeon est présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL) depuis septembre 2023. Editrice, elle enseigne également à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Jeudi 11 avril, elle a participé à l’inauguration du Festival du Livre de Paris, qui place le Québec en invité d’honneur.


Quel est votre rôle en tant que présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec ?

C’est un rôle de représentation autant à l’extérieur qu’au sein même de l’association. Je suis appelée à rencontrer des organismes subventionnaires, des éditeurs, à me rendre à des salons du livre. J’ai également une représentation au sein de l’association. Je préside le conseil d’administration et les assemblées générales. Je représente les éditeurs à l’interne et à l’externe.

Que le Québec soit l’invité d’honneur du Festival du Livre de Paris cette année, est-ce important pour l’édition québécoise ?

Le Québec a déjà été invité il y a 25 ans au Festival du Livre de Paris. Cette année, c’est vraiment une étape importante car le Québec a un écosystème littéraire solide dans lequel les membres connaissent leurs codépendances. On arrive avec une littérature très mature et dynamique. Elle est portée non seulement par des éditeurs chevronnés, mais aussi par une nouvelle génération qui fonce. Cette nouvelle génération a décidé de ne pas tenir compte des obstacles et est déjà bien implantée dans l’Europe francophone. On a des propositions littéraires très contemporaines, avec des voix uniques.

Quels obstacles l’édition québécoise rencontre-t-elle ?

C’est une réponse très pragmatique mais il y a beaucoup d’obstacles à l’exportation. Par exemple, si un auteur est invité à un évènement en France la semaine prochaine, je dois envoyer 700 exemplaires à partir de Montréal. C’est matériellement impossible. En bateau, le temps d’expédition est trop long. En avion, le coût est beaucoup trop élevé. La seule solution serait d’avoir un entrepôt en Europe. Mais les livres qui ne circulent pas, ça ne sert à rien non plus. On pourrait aussi imaginer la création d’une deuxième maison d’édition en France, mais là aussi, il y a des obstacles d’impression. La difficulté réside également dans le contact. En France, vous avez beaucoup de librairies. Pour qu’un auteur se fasse connaître, il faut être sur le terrain, aller à leur rencontre. Donc depuis Montréal, c’est difficile !

La littérature francophone parvient-elle à se faire une place au Canada face à la langue anglaise ?

A l’exception du Québec, non. Il existe 1 million de francophones au Canada hors Québec, mais c’est un vaste territoire. Les francophones sont concentrés dans des zones spécifiques. La littérature franco-canadienne est peu lue étant donné le peu de gens qui parlent français.

Donc pour se développer, la littérature québécoise mise sur l’Europe ?

Oui, même si certains éditeurs estiment que le Canada leur suffit. Mais pour développer un nouveau marché, il faut se tourner vers l’Europe francophone qui représente un marché déjà saturé. Donc c’est dur de se faire sa place.

Quels sont les liens, collaborations ou échanges entre le monde de l’édition québécois et français ?

Il y en a beaucoup. Certains éditeurs font le choix de travailler avec des distributeurs français. D’autres, comme c’est mon cas, vendent des cessions de droits à des éditeurs français. On développe des partenariats très chouettes avec des maisons d’édition françaises qui vont être mieux placées pour développer une carrière ou un marché. On a par exemple la collection Talismans, chez Déspaysage, qui publie des ouvrages écrits par des personnes autochtones d’Amérique du Nord.

La francophonie a-t-elle de beaux jours devant elle au Québec ?

Je dirais que oui. En ce qui concerne l’Amérique, c’est toujours fragile. On est entouré d’anglophones dans un marché mondial qui est très anglophile. Mais on observe un intérêt des Québécois pour la littérature locale. Ça demeure un portrait rassurant.

Comment préserver la langue française ?

La littérature est un vecteur de protection de la langue française. C’est peut-être la réflexion d’une francophone qui ne vient pas de France métropolitaine, mais je pense que pour la préserver, il faut accepter qu’elle soit vivante, qu’elle évolue, que les jeunes ne parlent pas comme leurs parents et leurs grands-parents.  En ce sens, la littérature permet à cette langue de bouger, voyager, rencontrer des lectorats différents qui vont apprendre de nouveaux vocabulaires.

Propos recueillis par Maëlle Widmann / Reporters d’Espoirs.

« Aider les jeunes à entreprendre dans l’économie sociale et solidaire », Denis Philippe

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A la rencontre de la Chambre Régionale des Entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire de la région PACA et de son président Denis Philippe, administrateur d’AESIO Mutuelle (entreprise mécène du Prix Reporters d’Espoirs)


Les verres s’entrechoquent, les discussions vont bon train dans le bistrot situé à quelques encablures du palais des ducs de Dijon où se déroulent les Journées de l’économie autrement. Nous rencontrons Denis Philippe qui, en fervent mutualiste, préside la Chambre Régionale des Entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) de la région PACA. Il aspire à ce que l’économie sociale et solidaire se donne davantage d’ambitions : au-delà des « petits chemins de traverse », il est temps qu’elle emprunte « le boulevard qui s’offre devant elle ». Le deuxième anniversaire du parcours dédié aux jeunes entrepreneurs de l’ESS en ce mois d’avril 2024 est l’occasion de revenir sur les avancées du secteur.

Exister politiquement : stop aux « pudeurs de gazelle » de l’ESS !

« ll faut que nous soyons, nous représentants et organisations de l’ESS, organisés et forts ». Il faut dire que cette branche particulière de l’économie, regroupant associations, coopératives, entreprises sociales, fondations et mutuelles, peine à prendre la mesure de son poids sur le territoire : jusqu’à 14% de l’emploi salarié privé, 10% du PIB et plus de 200 000 entreprises, sans compter les millions de bénévoles engagés dans le tissu associatif français. Rien qu’en région PACA, près de 17 000 structures assurent 10% de tous les emplois de la région. Il y a un « créneau à prendre » selon Denis Philippe, qui regrette la difficulté des grands acteurs de l’ESS à « faire ensemble » et les discours d’impuissance qui en découlent.

Pourtant le potentiel est là, dès lors qu’il y a un modèle économique viable pour ces entreprises dont la création vient avant tout « répondre à un besoin social ». Si l’argent n’est « pas un but mais un outil » nécessaire pour se développer en tant que structure, c’est aussi le nerf de la guerre pour un secteur qui peut revendiquer cinq banques coopératives d’ampleur à l’échelle nationale. Elles sont d’ailleurs majoritaires dans la banque de détail, celle de notre quotidien, représentant 60 % de l’activité. Denis Philippe en est convaincu : fédérer ne serait-ce que ces acteurs bancaires doit permettre à l’ESS d’exister politiquement et à ses dirigeants d’être, à la manière des cadres du MEDEF, reçus par le Président de la République et la Première Ministre – quitte à taper un peu du poing sur la table pour se faire entendre. Il regrette qu’aujourd’hui que les têtes de réseau de l’ESS rentrent d’abord « dans une logique de représentation, sans prendre de décision économique ni entamer de négociation politique ».

D’où vient alors ce blocage ? Aucun obstacle réel selon Denis Philippe, qui voit surtout un frein psychologique : « il existe une réserve là où d’autres ne s’embarrassent pas de pudeurs de gazelle » quant au marketing et à l’influence. C’est ce côté timoré qui perpétuerait les discours présentant l’ESS comme « différente », « moins visible », « gentillette »… à rebours d’entreprises « engagées » ou « à mission qui reprennent à leur compte des concepts inscrits dans les statuts et l’histoire de l’ESS et devenus tendance, observe-t-il. Aux acteurs de l’ESS de se réapproprier le sens de ces termes en communiquant mieux et plus largement sur leur capacité à rassembler, à incarner, à montrer.

Démontrer par l’exemple

Mettre en avant les réalisations de l’ESS en partant du terrain, de ce qui s’y fait de concret en termes de santé, d’alimentation, de restauration… C’est cela qui peut démontrer selon Denis Philippe la « pertinence du modèle mutualiste », à même de convaincre des élus mais aussi d’attirer les jeunes avec « des dispositifs qui donnent à voir ». Les jeunes certes cherchent du sens mais veulent tout autant « gagner leur vie comme tout le monde ». « Les beaux discours sur l’emploi et les valeurs de l’ESS ne suffisent pas à convaincre. Il faut montrer que l’ESS apporte des réponses aux questionnements des jeunes et devenir un tremplin pour leurs aspirations ». Son rêve ? Que, demain, des jeunes frappent à la porte de la CRESS avec une idée de projet à entreprendre, en demandant un accompagnement. C’est l’axe qu’il a développé en région PACA : la CRESS s’est associée à sept organisations (France Active, mouvement des Scop, intermade, Mouvement Associatif Sud Paca, Coorace Paca, Cros Région Sud, Têtes de l’Art) et a obtenu le soutien de la Banque Populaire Méditerranée, pour offrir aux entrepreneurs un parcours de 7 semaines leur permettant de booster leur projet, intitulé « Mon projet d’Entreprise ESS ». Il célèbre son 2e anniversaire en ce mois d’avril.

Aider les jeunes à entreprendre dans l’ESS : 150 entrepreneurs accompagnés en 2 ans en région PACA

En 2022 le parcours « développement » a accompagné 20 entreprises. Parmi elles, 60% ont déjà plus de 50 salariés, et 30% ont un objet de transition écologique. Quant aux entrepreneurs en phase de lancement, ils bénéficient d’un programme « création ». Nous avons interrogé trois d’entre eux.

Glenn Lenga, fondateur de Save my Shoes, en restaurant des baskets allonge leur cycle de vie et veut ainsi lutter contre la fast fashion et la surconsommation. Son entreprise a reçu l’agréement ESUS, qui permet de certifier la valeur solidaire d’une entreprise. « Ça prouve qu’elle a une utilité sociale et solidaire. Pour mes projets d’avenir, c’est bien d’avoir une reconnaissance publique », explique le jeune entrepreneur de 34 ans. Les trois mois d’accompagnement l’ont amené à comprendre l’intérêt de l’ESS : « on m’a donné des cartes pour mener à bien mon projet, et j’ai reçu beaucoup d’informations intéressantes que je mets en pratique tous les jours. Ça m’a conforté dans mon idée d’avoir une utilité à la fois économique, sociale et solidaire ».

Pour Ghislaine Bourillon, le parcours offert par la CRESS PACA a été l’opportunité de développer « une vision à 360 degrés ». Cette quinquagénaire a lancé la première filiale de recyclage de bijoux fantaisie : « je suis arrivée avec un projet original, et j’ai bénéficié d’une écoute et d’un accompagnement qui ont aidé à le concrétiser ». L’entrepreneuse insiste sur l’importance de prendre le temps pour mettre en place ce genre de projet : « Aujourd’hui, on est dans l’urgence de tout faire. Avec la CRESS, on retrouve cette ouverture sur le monde, on écoute et on comprend ».

Quant à Eddy Bonjean, il a pour projet de monter un restaurant dont les salariés seront des personnes en situation de handicap. Ce restaurateur a toujours été « sensible à l’ESS ». Il travaille depuis 13 ans dans le médico-social, et a pu avec l’accompagnement de la CRESS accéder à des compétences qui lui manquaient : « ce qui nous a vraiment aidé, c’est le montage des statuts, et la compréhension du côté fiscal par exemple. On a bénéficié d’un accompagnement sur les choses qu’on ne maîtrisait pas ». L’entrepreneur insiste également sur la visibilité qu’apporte ce parcours : « A la fin de l’accompagnement, mon projet a été repéré par France Travail. C’est pratique pour trouver des soutiens et des partenaires. »

Avant de se présenter devant une CRESS, encore faut-il connaître l’ESS et savoir de quoi il s’agit. Denis Philippe estime que « sa notoriété limitée au sein de la population découle d’un manque d’intérêt des journalistes pour un sujet qui, il faut le dire, ne déplace pas les foules ». Il est lucide : « sans coup de com’ – ou de gueule – seuls les journalistes véritablement intéressés par l’associatif font le déplacement ». Néanmoins, la CRESS PACA a déjà convaincu depuis 2022 150 entrepreneurs de rejoindre ses programmes d’accompagnement. Autant d’ambassadrices et d’ambassadeurs potentiels de l’économie sociale et solidaire auprès des journalistes.

Paul Chambellant et Maëlle Widmann