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« La nature est un berceau de spiritualité » – Brigitte Adès, grand reporter et cheffe du bureau britannique de la revue Politique Internationale

By 5 janvier 2024janvier 18th, 2024No Comments

Brigitte Adès est écrivaine et grand reporter. Cheffe du bureau britannique de la revue Politique Internationale, elle a interviewé de grands chefs d’Etat de Margaret Thatcher à Mikhaïl Gorbatchev. Habituée des plateaux de télévision où elle intervient sur les questions de politique étrangère, elle est aussi une grande amoureuse de la nature dont elle a fait son engagement.



Depuis toute petite, vous adorez la nature et ressentez un profond ancrage en présence d’arbres. D’où vous vient ce lien intrinsèque avec la nature ?

J’ai toujours éprouvé une affection pour la nature, un sentiment profondément ancré en moi. Ayant grandi à Paris, mes promenades d’enfant s’effectuaient sur une avenue aux arbres variés et magnifiques, et c’est au moment où j’ai séjourné dans le Midi que j’ai véritablement adoré la nature. Je me suis émerveillée devant des choses aussi petites que des pâquerettes, qui poussaient dans un ancien moulin à sel. En les examinant au plus près, j’ai réalisé que ces dernières étaient en réalité constituées d’une multitude de fleurs en une seule, ce qui m’a beaucoup intriguée. C’est à ce moment-là que j’ai pleinement saisi le génie de la nature.

Vous aviez hésité entre un parcours intellectuel et naturaliste. Cela a-t-il toujours une influence sur votre travail en tant que grand reporter ?

Lors de mes études à Oxford, j’ai croisé un jour un jardinier de mon collège, juste avant de passer mes examens. Je lui ai confié que j’aurais aimé suivre le même chemin que lui, mais il m’a répondu qu’il ne fallait pas regretter mes choix et qu’en accédant à des positions importantes, je pourrais me rendre utile et agir autrement, en faveur de la conservation.

D’ailleurs je l’ai pris au mot lorsque peu après, lors d’un entretien, j’ai demandé à Margaret Thatcher, alors Premier Ministre, si elle prenait au sérieux les enjeux climatiques. Elle m’a répondu : « Il faut laisser la terre comme nous l’avons trouvée. » Sa réponse était intéressante à la lumière de ce qui s’est passé depuis. Mais généralement lorsque je posais des questions aux chefs d’état sur le climat peu de journaux les intégraient à l’interview finale.

Finalement, après avoir exploré le domaine des relations internationales, j’ai décidé de consacrer une bonne partie de mon temps à cette passion initiale : l’étude de la nature et de la biodiversité. J’ai lu beaucoup d’auteurs traitant du sujet, tels que Rousseau, Goethe, Darwin ou Bachelard, qui ont captivé mon intérêt. Leurs écrits ont renforcé ma fascination pour le monde naturel et m’ont poussée à m’y plonger davantage.

Vous évoquez l’importance de cultiver une « gratitude » envers la nature.

La nature nous fournit l’air que nous respirons, et de nombreuses autres ressources vitales comme notre nourriture ou encore le café, le thé et le chocolat, et la plupart des médicaments, y compris le cannabis. Malheureusement, nous sommes souvent élevés en étant déconnectés de cette dépendance à la nature, ce qui entraîne une méconnaissance et une sous-estimation de son importance. L’existence de la vie sur Terre repose sur la symbiose, cette chaîne du vivant dont les interactions sont fondamentales.

Pourquoi cette symbiose dont vous parlez est-elle si importante pour notre survie ?

La symbiose est un mécanisme essentiel. Il s’agit d’une relation étroite et bénéfique entre différentes espèces, où chacune trouve un avantage dans cette association. Un exemple emblématique à l’origine de la vie sur Terre est celui des algues qui ont pu migrer des océans, et s’adapter à la terre grâce à la présence des champignons. Ils les ont empêchées de dessécher et leur ont permis de s’acclimater au milieu terrestre, tandis que les algues devenues plantes leur ont fourni le sucre qui les ont aidés à se développer. C’est grâce à cette interdépendance que la vie a pu prospérer. Nous devrions nous rappeler que nous aussi, êtres humains, faisons partie intégrante de cette symbiose et que tout dans la nature est interconnecté.

Qu’en est-il de la connexion entre l’homme et la nature au regard de la spiritualité ?

La nature est un berceau de spiritualité. Elle nous offre une source inépuisable d’enseignements et de réflexions sur notre place dans l’univers. Malheureusement, avec l’avènement du monothéisme, certaines croyances ont renforcé notre sentiment de supériorité sur la nature. Nous avons considéré que tout avait été créé pour nous, oubliant ainsi la valeur intrinsèque de chaque être vivant et notre dépendance à l’écosystème qui nous entoure. Cette vision faussée nous a conduits à une spiritualité détachée de la nature. Une sorte d’hubris nous pousse à nous considérer comme maîtres de l’univers, mettant en péril notre propre équilibre et celui de la planète. Revenir à une vision plus humble et respectueuse de la nature pourrait nous permettre de retrouver cette connexion et spiritualité essentielles.

Nos forêts approchent un point de rupture concernant leur absorption du CO2. Que faire pour les préserver ?

La nature a des ressources insoupçonnées puisque les plantes et les arbres existent depuis 450 millions d’années. Elle a trouvé des solutions pour survivre que nous ignorons et nous ne cherchons pas même à connaître, alors que nous serions bien avisés de nous en inspirer. Seulement il y a des règles de base pour préserver les écosystèmes. Les forêts diversifiées, avec une variété d’espèces interagissant entre elles, peuvent mieux s’adapter aux changements environnementaux et résister aux menaces   telles que les maladies et les ravageurs.

Il est donc primordial de favoriser un développement plus responsable, en préservant l’équilibre de la vie. Les monocultures, tout comme le remplacement des forêts primaires par des forêts de pins, sont des non sens écologiques. Il est également essentiel que tous les politiques s’emparent de cette question, car même de bonne volonté, les partis écologistes risquent de ne pas prendre en compte tous les paramètres pour la gestion d’un pays, dont l’écologie n’est qu’un volet.

Certes, il faut casser les modèles économiques classiques qui nous ont menés droit au mur. Même si c’est difficile, il faut faire fi des lobbies qui souhaitent maintenir des modèles industriels ou de consommation destructeurs pour l’environnement. Il en va de notre survie. Mais la croissance économique, si elle est menée de façon responsable est néanmoins indispensable. Les solutions existent, il faut les faire connaître et les mettre en pratique au plus vite. Et en ce sens des initiatives citoyennes restent aussi fondamentales. Tout le monde peut s’y mettre à son niveau. Mais la plupart des gens ne savent pas par où commencer.

Quelle vision de l’avenir souhaitez-vous partager à travers vos ouvrages et travaux journalistiques ?

Mon objectif est d’éveiller une prise de conscience collective sur notre dépendance à la nature et la nécessité de la protéger. J’aimerais que nous puissions rétablir notre connexion profonde avec la nature, reconnaître notre place dans le vivant et agir avec gratitude et respect envers elle. Avec des initiatives comme celles de la fondation Sumus, agir pour le vivant, à laquelle je participe activement, nous travaillons à bâtir un nouveau paradigme de société. En novembre 2023, nous avons organisé un événement inédit à Venise pour examiner les conditions d’un avenir régénératif plus généreux et paisible.

Nous avons fait venir des intervenants hors du commun qui tracent de nouveaux chemins, un chercheur d’eau qui trouve des millions de m3 parfois juste à 15 mètres de profondeur, un scientifique qui a révélé des propriétés inédites de l’eau, capable de régénérer l’agriculture, une productrice de jus de pommes qui a trouvé les bienfaits des fruits abîmés, une éducatrice qui, à travers le chant, a amélioré la vie de 3 millions d’enfants  boliviens, ou encore un agriculteur qui a présenté des exemples concrets de régénération des sols et de la forêt. Cette conférence qui s’est adressée à un public local et international était animée par des philosophes, des éducateurs, des chercheurs et des entrepreneurs partageant cette même vision.

Léonard de Vinci disait « Scrute la Nature, c’est ton futur ». Sa vision, exprimée il y a 500 ans, est plus que jamais d’actualité et il est grand temps de la mettre en œuvre !

Votre dernier ouvrage s’inscrit précisément dans cette conception.

Dans mon roman Les Voix de la Forêt, je retrace l’amitié entre un chamane kenyan et un botaniste anglais qui se rejoignent sur l’amour de la nature et échangent leurs savoirs. Ainsi je transmets des connaissances sur les plantes tout en tachant de divertir le lecteur par la fiction. Je pense qu’elle peut être très efficace pour faire changer les mentalités. Dans cet ouvrage, j’ai voulu démontrer que vivre en harmonie avec le vivant passe aussi par un changement de point de vue. L’Académie Française a récompensé ce livre par un Prix, témoignage que les choses bougent et que les initiatives ne passent pas toujours inaperçues.

Propos recueillis par Sixtine Guellec pour Reporters d’Espoirs

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