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« Le titre-restaurant, c’est un bel exemple du dialogue social français. Il faut développer cette culture du consensus » – Youssef Achour

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Youssef Achour est le président de la société coopérative UpCoop et du groupe Up dont il a gravi tous les échelons ces vingt-cinq dernières années. Patron engagé, élu par les salariés et porté par les valeurs de l’économie sociale et solidaire, il est aussi président de la CRESS Île-de-France (Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire). La Scop* qu’il dirige a rejoint Reporters d’Espoirs comme mécène au début de l’année 2024. Aussi, nous avons voulu l’interroger sur le groupe singulier qu’il dirige, et plus largement sur l’engagement des entreprises de France. Sans oublier de le questionner sur son rapport à l’information.


Tout le monde ou presque côtoie UpCoop au quotidien … mais sans véritablement le savoir. Le chèque déjeuner, c’est vous ! Et ça fait 60 ans que ça dure.

Effectivement, nous avons débuté avec la marque Chèque déjeuner en 1964, qui a démocratisé l’accès à la restauration du midi et permis aux salariés qui déjeunaient à l’extérieur de prendre un repas de qualité dans un lieu de leur choix. Le titre-restaurant, c’est un vrai exemple de ce que le dialogue social dans l’entreprise, entre salariés et direction, permet de construire. C’est le fruit d’un accord obtenu au terme d’une négociation constructive entre partenaires sociaux, et l’impact est positif pour tous. Pour les salariés c’est du pouvoir d’achat additionnel, puisque les entreprises prennent en charge 60% ou 50% de la valeur du titre et pour l’employeur, c’est un levier d’engagement, de cohésion, de qualité de vie au travail et de marque employeur. Nous en sommes très fiers, car le titre restaurant nous a permis de nous ancrer dès le début dans une mission d’intérêt général et d’utilité sociale auprès des entreprises.

Comment un tel produit a pu se mettre en place ?

C’est grâce à la coopération de tous les acteurs. Il faut d’abord un Etat volontaire, qui met en place des mesures incitatives pour que l’entreprise et les salariés trouvent un intérêt commun. Il faut donc des entreprises qui décident, dans le cadre du dialogue social, d’améliorer le pouvoir d’achat et la qualité de vie de leurs salariés. Il faut aussi des restaurateurs, bien entendu, qui accepteront le paiement via ce support. Et pour coordonner le tout, un tiers de confiance : c’est nous ! Notre rôle est d’assurer le bon fonctionnement de tout l’écosystème et des flux qui y transitent. Lorsque le restaurateur reçoit et accepte le titre restaurant, il a confiance car il sait qu’il sera remboursé.

Outre les titres restaurants, qu’y a-t-il derrière ce groupe ?

Désormais, avec la digitalisation du titre-restaurant, on est à 1,2 million d’utilisateurs chaque jour. Avec le temps, nous nous sommes diversifiés en déployant d’autres titres spéciaux de paiement destinés à de l’achat plaisir-cadeau comme UpCadhoc par exemple : longtemps, les entreprises offraient via leur comité d’entreprise des paniers-cadeaux présélectionnés. Maintenant, avec le titre UpCadhoc, le salarié achète le cadeau qu’il souhaite offrir, ce qui donne une plus grande liberté. Nous avons élargi le dispositif à d’autres secteurs, comme ceux de la culture, du sport, de la lecture et de l’action sociale.

Ce que l’on connait moins, c’est toute l’activité qui nous permet d’accompagner les pouvoirs publics, collectivités et associations dans le versement des aides sociales aux personnes les plus démunies par exemple, de manière ciblée et sécurisée. Et nous nous sommes aujourd’hui déployés dans 25 pays.

Il y a tout juste deux ans, vous appeliez, avec Biocoop, à la création d’un chèque alimentaire « qui permette aux plus démunis d’accéder à une alimentation de qualité tout en préservant leur liberté de choix dans la consommation ». Où en est-on ?

Cela fait des années qu’on travaille sur l’idée du chèque alimentaire. Selon nous, l’Etat doit donner à chacun la possibilité d’accéder à la société de consommation. On imaginait un produit qui serait commandé par les collectivités locales pour être distribué aux personnes en situation précaire ou fragile. L’idée est de répondre au droit fondamental à se nourrir, en laissant la liberté aux bénéficiaires d’acheter dans n’importe quel commerce, ce qui permet au passage d’éviter la stigmatisation des files d’attentes aux banques alimentaires. On a d’abord testé le dispositif à l’échelle locale, puis travaillé avec Biocoop pour l’élargir au plan national. Nous avons voulu montrer la faisabilité du dispositif, pour que le gouvernement s’en empare et le généralise – comme l’avait annoncé le Président de la République en 2022. Hélas, le ministère de l’économie et des finances a décidé d’enterrer ce dispositif. Pour UpCoop, les expérimentations locales continuent, notamment à Dijon, à Montreuil et dans le Gers, mais il n’y a plus – pour l’heure – l’ambition politique nationale que nous espérions.

Vous dirigez la plus grande SCOP – société coopérative et participative – de France. A l’heure où l’on parle de partage de la valeur, et d’augmentation des salaires face à l’inflation, c’est un modèle qui fait la différence pour les salariés ?

Nous sommes la plus grande SCOP de France en termes de chiffres d’affaires, avec près de 750 salariés- coopérateurs de l’entreprise. Ils participent au processus de gouvernance, à la prise de décision, élisent le conseil d’administration parmi leurs pairs et 45% du résultat leur est redistribué.

C’est un exercice complexe mais passionnant que de perpétrer ce modèle de groupe coopératif. Il faut une volonté et une vision politique. Il faut aussi faire cohabiter ceux qui n’ont pas les mêmes intérêts ni le même statut dans un même groupe composé au global de 3 250 salariés. En se développant à l’international, le groupe a repris des entreprises dont les salariés n’ont pas la culture coopérative. Prenez nos filiales dans les pays de l’Est par exemple : ces entreprises, marquées par leur histoire, ne tiennent pas à redevenir des coopératives car cela ne leur évoque pas que de bons souvenirs. Cela ne nous empêche pas de les inciter à développer à la fois la place du dialogue social et la concertation en invitant des salariés à participer à leur conseil d’administration. Là où il faut généralement 1000 salariés dans une entreprise pour que ces derniers soient représentés au Conseil d’Administration, chez nous, les salariés ont des représentants qui participent aux instances y compris dans nos petites filiales.

Se crée-t-il encore des SCOP et des coopératives aujourd’hui en France ? Encouragez-vous cette création ?

Oui, il se crée des coopératives et nous souhaitons qu’il y en ait davantage. Cela étant, être une coopérative signifie s’engager sur le principe « une personne égale une voix » à la place de « une action égale une voix ». C’est compliqué dans un monde imprégné d’une forte culture capitalistique, où c’est le capital financier qui détermine votre pouvoir de décision ou d’influence dans une entreprise.

Aussi je pense qu’il faut surtout tendre à poursuivre l’essaimage dans la société actuelle des valeurs coopératives et des valeurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), qui sont des valeurs de modernisation. Prenons quelques exemples : dans la plupart des entreprises, 90% à 95% des personnes ont des idées mais on ne les sollicite pas ; le principe de l’objectif individuel cultive la priorisation des intérêts personnels ; les salariés ne sont pas suffisamment associés aux décisions et intéressés au résultat collectif. Aujourd’hui, la jeune génération est en quête de sens. Les jeunes ont envie d’être associés au fonctionnement de l’entreprise, ils ont envie de plus de participatif. Je pense que cela va se développer ; il se trouve que les valeurs et pratiques historiques de l’ESS correspondent aux enjeux de la société actuelle et aux attentes des individus. Les résultats du Groupe Up témoignent que ces pratiques n‘altèrent en rien l’efficacité de l’entreprise.

Quel est votre rapport personnel à l’information et aux médias ? Comment vous informez-vous ?

J’écoute en permanence les informations. Mon réveil du matin, dès 6h, c’est la radio. Je commence en général par France Inter, avant de zapper sur d’autres chaînes, avec lesquelles je suis souvent en désaccord avec la ligne journalistique. C’est pour moi la seule façon de prendre le pouls des choses, d’entendre d’autres façons de penser les sujets de société. Avant, j’adorais dévorer la presse écrite. Avec la digitalisation, j’avoue avoir perdu l’habitude de la lire. C’est pourtant plus simple, plus accessible. Mais je ne prends plus le même plaisir qu’avec le papier. Il faut que je me réhabitue !

Vous qui avez fait des études d’économie et de finances, trouvez-vous que les médias sont suffisamment curieux d’économie et d’entreprise ?

Je trouve que les médias parlent de plus en plus d’économie, et traitent le sujet de mieux en mieux. Mais il y a trop souvent la recherche  d’alimenter un côté anxiogène des informations économiques ou sociales. Les médias ont une responsabilité énorme sur la santé mentale de la population. C’est plus facile de parler des trains qui arrivent en retard plutôt que des trains qui arrivent quotidiennement à l’heure. Prenez le sujet de l’intégration : on préfère parler des 20% d’échec plutôt que des 80% de réussite. C’est là que Reporters d’Espoirs est important ! Si on n’offre que de l’information anxiogène, on crée une société avec une vision réductrice et protectionniste du monde. C’est donc essentiel de mettre plus en avant ce qui fonctionne. Si tu ne crois plus en rien, tu te désintéresses de tout et tu n’exerces plus ta citoyenneté.

Propos recueillis par Gilles Vanderpooten et Maëlle Widmann/Reporters d’Espoirs.

*Société Coopérative et Participative

« Le lien social en France est riche, les gens sont prêts ! » – Mémona Hintermann-Afféjee & Tarik Ghezali

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Née à La Réunion, grand reporter ayant couvert de grands conflits mondiaux, ancienne membre du Conseil Supérieur de l’audiovisuel, Mémona Hintermann-Afféjee est aussi administratrice de Reporters d’Espoirs. Né en Algérie, « l’ingénieur du lien » Tarik Ghezali est fondateur de La Fabrique du Nous, à Marseille. L’un et l’autre s’accordent sur la nécessité de faire ensemble pour créer du lien. Voici en libre accès l’interview publiée dans la revue Reporters d’Espoirs n°1 « Ensemble, on va plus loin ! », toujours disponible sur notre site.


Vous vous êtes construit tous les deux sur la création de liens. Qu’est-ce qui dans votre histoire personnelle explique cela ?

Photo Julien Hintermann. DR.

Photo Julien Hintermann. DR.

 Mémona Hintermann-Afféjee. Sans doute la relation qui me lie à mes 11 frères et sœurs. Je suis née à La Réunion, dans une famille un peu en vrac, dans laquelle les plus grands s’occupaient des plus petits – situation que j’ai vue dans de nombreuses sociétés. C’est dans la fratrie que nous avons trouvé la solidité des sentiments, de la confiance, du partage, de la parole donnée… Et auprès des enseignants qui nous ont aidés à croire qu’une autre vie était possible. J’ai retrouvé ce climat de fratrie dans le champ du travail : pendant trente ans de reportages, je suis partie avec les mêmes collègues. On se construit comme on peut ! [Rires.]

Photo Silvio Santinone. DR.

Photo Silvio Santinone. DR.

Tarik Ghezali. Cela vient, je crois, en partie du fait que je suis né et que j’ai grandi en Algérie, un pays marqué par la guerre : guerre d’indépendance, puis guerre civile dans les années 1990. Arrivé en France, j’ai aussi été frappé de voir la richesse, la profondeur, la diversité des liens qui lient Algériens et Français, qu’ils soient immigrés, pieds-noirs, harkis… C’est un lien chargé à la fois de puissance et de souffrance. J’ai cet impératif de relier les deux rives dans le sang ! Pendant tout mon parcours, je n’ai pas cessé de créer du lien, de relier des mondes éloignés les uns des autres : les deux rives de la Méditerranée donc, mais aussi le business et la recherche, l’économique et le social, les quartiers riches et les quartiers pauvres, etc.

Comment mettez-vous en œuvre ce lien ?

M.H.-A. Je crois profondément que la solidité des liens peut compenser ce dont on a manqué d’un point de vue matériel. Aujourd’hui, je mesure combien il est important de rétablir ces territoires d’humanité. En tant que journaliste, membre du CSA ou dans mes engagements associatifs, je privilégie le « nous ». Et le lien, c’est l’ouvrage essentiel de nous tous. Les associations sont juste des relais, des passages de témoin.

T.G. Ce qui est naturel, c’est l’entre-soi. Le fait de faire des choses avec un autre qui ne nous ressemble pas ne va pas de soi. Pour lutter contre cette nature grégaire et nous inciter à faire ensemble, il faut de bonnes fées, des « ingénieurs du lien ». Le bonheur est dans le lien ! Ce n’est pas moi qui le dis, mais Harvard, à travers la plus longue étude sociale jamais menée sur cinq générations, depuis 1938 et toujours en cours. Les chercheurs ont suivi 800 personnes toute leur vie durant pour voir ce qui les rendait heureuses. Résultat : le facteur clé est la qualité des relations avec sa famille, sa communauté, etc.

Concrètement, qu’avez-vous mis en œuvre avec La Fabrique du Nous pour créer du lien ?

T.G. Dans les quartiers nord de Marseille, il n’y a pas assez de piscines publiques et les jeunes ne savent pas nager. Avec l’association Le Contact Club, nous avons sollicité des particuliers pour qu’ils nous donnent accès à leur piscine le temps de séances de natation avec maître-nageur. Nous avons créé un climat de confiance et le cadre pour autoriser les gestes humains, et ça marche très bien ! Une centaine de jeunes ont déjà eu accès à une vingtaine de piscines privées. Tout le monde est transformé : les jeunes sont touchés par cet élan de générosité et les particuliers sont ravis de voir des jeunes motivés auxquels ils ouvrent même leur carnet d’adresses. Il faut développer ça ! Autre exemple, « Le Grand bain » : plutôt que de jumeler les écoles de Marseille avec Hambourg ou Dakar, avec l’association CitizenCorps, nous avons rapproché dans le « faire » (sports, arts, patrimoine…) 100 élèves de cinq écoles primaires de quartiers riche, pauvre et bobo – trois entre-soi. Des mélanges au sein d’une même ville, c’est tout bête, il fallait juste essayer ! Les différences sociales ont beau s’exprimer, les enfants se mélangent très vite. Ville et rectorat sont partants pour élargir l’expérience.

M.H.-A. Dans ma vie de reporter et de femme engagée, j’ai constaté que la plupart des gens, même dans de mauvaises passes, peuvent s’en sortir. La main est là, prête à saisir la vôtre. Le lien social en France est riche, les gens sont prêts. La qualité de la vie en commun ne devrait pas faire obstacle. Ces derniers temps, on a l’impression que tout est devenu méchanceté, racisme, violence… Mais je crois que c’est encore possible. Il y a de l’amour ! Il faut montrer aux gens qu’on les aime, que l’on a de la considération pour eux. La colère des Gilets jaunes est née de ce manque de considération.

Vous en venez tous deux à l’idée que, dans une société individualiste, il faut redonner du sens et de la force à l’idée de « vibrer » ensemble.

T.G. Il faut changer le regard porté sur la femme voilée, les personnes en situation de handicap, les jeunes des quartiers… Il faut réapprendre à considérer les gens dans leur entièreté, au-delà de ces étiquettes identitaires qui font écran et masquent l’humanité des personnes. Par exemple, j’aime beaucoup le travail de l’association La Fabrique nomade, à Paris, qui aide des réfugiés à pratiquer leur artisanat. C’est dans l’intérêt des personnes concernées, bien sûr, mais aussi de l’économie française qui a besoin de ces compétences. Réfugié, ce n’est pas un métier ! Pour réussir à vivre ensemble, il faut commencer par faire ensemble. En France, le Baromètre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) observe que la confiance vis-à-vis des autres a baissé de 10 points en 10 ans. A contrario, le site leboncoin.fr, c’est 30 millions de personnes qui font des transactions, achètent, se font confiance sans se connaître avant.

Comment parvenir à décloisonner les univers ?

M. H.-A. Ma matrice, c’est la société créole, je ne peux pas me référer à un autre modèle. La Réunion est devenue française avant la Savoie ou Nice. À cause de l’esclavage, les communautés noires étaient obligées de faire vivre leur culture en cachette. Mais aujourd’hui, les fêtes de ces différentes communautés – qu’il s’agisse de célébrer le dieu chinois, l’Aïd ou la fin de l’esclavagisme – sont célébrées ensemble sur l’île ! Je pense que c’est l’école qui a permis cet universalisme. On aurait dû tous se tirer dans les pattes, s’enfoncer dans l’océan Indien, et pourtant, ça marche ! [Rires.] Au début des années 1980, la France a réussi là-bas ce qu’elle pourrait très bien incorporer à son bréviaire républicain partout sur le territoire. À La Réunion, nous avons fait de l’universalisme à partir de nos racines multiples. Inspirons-nous de ce qui marche ! Cette diversité est présente jusque dans les familles. Par exemple, mon frère est musulman. Et alors ? Nous avons trouvé un moyen de ne pas nous taper dessus et de vivre ensemble. Bien sûr, on aime la France. Mais à La Réunion, on se dit tous Créoles. La France a changé, je l’ai vue changer depuis mon arrivée dans les années 1970, et alors ? Est-ce qu’on continue à ne pas donner d’appartement ou de boulot à quelqu’un qui a un nom à consonance étrangère ? Les médias ont beaucoup de boulot à faire. À force de ne pas voir les problèmes, on finit par tourner en rond…

T.G. La Réunion porte bien son nom comme creuset d’un commun. Ce que vous dites de La Réunion résonne avec ce que l’on vit à Marseille. Nous avons une fierté d’être Marseillais. Cette ville est née il y a 2 600 ans de la rencontre de la princesse gauloise Gyptis et du marin grec Prôtis, soit, dès l’origine, deux altérités, sociale et culturelle. Marseille a connu plusieurs vagues d’immigrations, a accueilli de tout temps de nombreux exilés. Cette ville mêle communautarisme et universalisme, et ça marche ! La France a beaucoup changé. J’aime bien le travail de Jérôme Fourquet qui, dans L’Archipel français (Le Seuil, 2020), évoque la déchristianisation de la France. Les politiques ne racontent pas ça ! Pourtant, on aura avancé en France quand on acceptera que Mohamed est un prénom français, tout comme Tarik ou Mémona. Nous sommes la France !

Que reste-t-il à faire pour promouvoir la diversité dans les médias ?

M.H.-A. énormément de choses ! D’après le dernier rapport du régulateur, il n’y a pas de progression dans l’incarnation de cette France plurielle à la télévision. Il faut rappeler aux dirigeants de chaînes publiques qu’il faut davantage de diversité à l’antenne. La France bon teint qui s’affiche sur petit écran ne correspond plus à la réalité du pays. Le compte n’y est pas ! Il est urgent de mener des politiques publiques davantage conformes à la société française. Il faut que cette France soit incarnée, car les médias ont un impact social important, qui se traduit concrètement en matière d’emploi, de logement… Chacun doit faire un pas vers l’autre, pour ne pas prendre le risque de voir la société se ghettoïser.

T.G. Ça me fatigue que l’on mette constamment en exergue les différences, le « narcissisme des petites différences », alors que ce qui nous rassemble est nettement plus important. Dans les médias, la diversité d’origines est trop peu présente, tout comme la diversité d’opinions : on ne débat plus, on s’invective. J’aimerais beaucoup que Libération et Le Figaro organisent des débats de façon sereine sur des sujets clivants. À l’instar de My Country Talks, lancé par Zeit Online, qui permet à des individus qui n’ont pas les mêmes convictions de se rencontrer et de débattre. Cette initiative née en Allemagne a été reprise dans de nombreux pays. Les médias doivent permettre la confrontation sereine des opinions.

Qu’est-ce que les individus et la collectivité ont à gagner à faire ensemble ?

T.G. France Stratégie chiffre à 150 milliards sur vingt ans le coût des discriminations sur le marché du travail. Le déterminisme social coûte 10 milliards par an. On perd de l’argent à discriminer ! Et on en gagne à faire ensemble : à des parents des beaux quartiers marseillais qui doutent parfois de l’intérêt des initiatives que l’on met en place, je leur dis en les taquinant : « Il n’aura pas juste rencontré un Noir ou un Arabe, ton gamin, il sera aussi plus compétitif parce qu’il aura appréhendé des environnements plus complexes et plus incertains. » Les bons sentiments peuvent aller de pair avec de bons intérêts !

À quoi ressemblerait votre média idéal ?

M.H.-A. Il doit ressembler à la société. J’ai rencontré un patron de chaîne plus réaliste que les autres, Alain Weil, de Next Radio, qui convenait que la diversité, c’était bon pour le business !

T.G. À la revue Reporters d’Espoirs, bien évidemment ! [Rires.] Il faut inciter les médias à parler de ce qui marche. C’est super de mettre en avant des leaders, des superhéros qui changent le monde, mais on devrait aller au-delà et mettre en avant des citoyens lambda qui font des choses formidables pour inciter tous les autres à passer à l’acte. Avec une bande d’amis, nous avons à cette fin lancé #DenonceTesHeros. Les médias devraient aussi raconter des rencontres, car s’il n’y a pas de superhéros, il y a surtout de super rencontres qui amènent à des transformations réciproques. On ne fait rien tout seul, les médias devraient raconter cela. Quand ils interviewent un homme politique, un businessman, ils devraient parler de cela, des rencontres qui changent un parcours. Raconter cela, ça peut véritablement inciter à aller vers l’autre.

Quelle rencontre a changé votre vie ?

M.H.-A. La rencontre de gens simples la plupart du temps. Ma mère m’a vraiment impressionnée par son courage. Comme elle avait choisi de vivre en ménage avec un Indien, sa famille blanche l’a rejetée. Les plus grands de ses 11 enfants sont allés travailler pour nous nourrir et elle a cru que l’école ferait la différence. Elle ne savait ni lire ni écrire, mais elle m’a poussée à l’école. J’éprouve une admiration sans borne pour les femmes qui ont cru que l’école pouvait faire la différence pour leurs enfants.

T.G. Plein ! Une en particulier, et qui m’a nourri, c’est celle de Claude Alphandéry, un grand résistant, grand développeur de l’économie sociale et solidaire, et qui fêtera ses 100 ans cette année. Il a une pêche, une énergie, une jeunesse incroyables et continue de fourmiller de projets solidaires ! Claude a toujours fait avec d’autres. La preuve qu’il n’y a pas d’âge pour avoir une puissance créatrice. On devrait suivre cette voie.

Propos recueillis par Malika Souyah et Gilles Vanderpooten pour Reporters d’Espoirs

Ce que candidater au prix Reporters d’Espoirs m’a appris – Pierre Terraz

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Pierre Terraz est un jeune journaliste indépendant, qui parcourt le monde pour couvrir les conflits, de la guerre en Ukraine à la guerre civile en Birmanie, en passant par la guerre entre Israël et le Hamas, ou le conflit kurde en Turquie du Sud-Est. Talentueux lauréat du Prix européen Jeunes Reporters d’Espoirs 2023, il a aussi remporté le prix de la fondation Varenne et la bourse Lagardère.


Comment as-tu pris connaissance du Prix Européen Jeunes Reporters d’Espoirs ?

Je cherchais sur internet des concours et bourses auxquels candidater. Je suis tombé dessus en tapant « prix jeune ».

Qu’est ce qui t’as donné envie de postuler à ce prix en particulier ?

J’avais déjà postulé l’année d’avant, mais je savais que mon article ne correspondait pas aux critères. Entre temps, j’ai réalisé mon reportage Morts sous X, qui me paraissait plus approprié pour postuler une deuxième fois. Le prix présente beaucoup d’avantages. La dotation est généreuse. De plus, il y a une richesse dans l’accompagnement. Lorsque j’ai présenté ma première version, on m’a conseillé de comparer la situation française avec celle d’autres pays pour intégrer la dimension européenne. C’est à partir de là que j’ai trouvé les solutions. J’ai remarqué que le nombre de morts inconnus en Belgique est beaucoup moins élevé qu’en France, et j’ai vu ce qui était mis en place pour lutter contre ce phénomène. Le prix a une visée pédagogique, ce qui est un réel avantage.

Surtout pour toi qui n’a pas fait d’école de journalisme, ça te permettait de te former en même temps ?

Oui, j’étais en RH [ressources humaines] au CELSA. Au moment de trouver un stage, j’ai postulé dans des rédactions parce que je ne voulais pas faire RH. J’ai été pris au service Culture du Figaro, puis à celui de Libération. L’accompagnement proposé permet aussi d’avoir un regard extérieur sur son travail, c’est formateur. J’ai vu une nette amélioration entre la première version de mon article et la deuxième. J’avais entendu parler du journalisme de solutions, mais avant cela je n’avais pas la méthode.

Quels autres bénéfices tires-tu de cette expérience ?

Le réseau est un autre avantage de ce prix. J’ai par exemple sympathisé durant la soirée de remise du prix avec le dessinateur Serge Bloch. On a échangé nos contacts, on s’est revu après. Il m’a présenté aussi à d’autres personnes. Ça crée du lien avec les gens du milieu.

Un conseil aux prochains candidats ?

Je les encourage vivement à lire les reportages de l’année précédente, ce qui, personnellement, m’a été fort utile pour mieux saisir ce qui était attendu.

 

Propos recueillis par Maëlle Widmann pour Reporters d’Espoirs

« Ces jeunes que nous formons à la science et aux technologies sont des graines de transformation des grandes écoles et entreprises. » – Gérald Peyroche   

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On répète à l’envie que les Français seraient mauvais en maths et en sciences… question de méthode ? Des initiatives originales témoignent qu’il est possible de faire aimer ces disciplines, y compris de personnes en difficulté scolaire. C’est le cas de l’Institut Villebon – Georges Charpak, étrangement méconnu (notamment des journalistes) qui, à condition que la curiosité et la motivation soient là, conduit 95% de ses étudiants vers une école d’ingénieur ou un master.  

Nous avons échangé avec Gérald Peyroche, professeur à l’ENS de Paris-Saclay, et directeur de l’Institut. Nous avons découvert l’initiative grâce à Chantal Monvois, qui de la direction de la Fondation Vinci pour la Cité à celle d’AgroParisTech en passant par les programmes de l’ONG de solidarité internationale GRET, est compagnonne de route de Reporters d’Espoirs depuis près de quinze ans.  


Qui sont les jeunes accueillis par votre Institut et qu’y trouvent-ils ?  

Ce sont des bacheliers, pour la plupart démotivés voire en rupture avec le parcours académique ou en situation de handicap, intéressés par les sciences mais peu à l’aise avec l’enseignement classique. Ils viennent à l’Institut pour préparer une Licence Sciences et Technologies en bénéficiant d’une pédagogie innovante.  

Nous demandons aux candidats de remplir un questionnaire qui porte sur leur motivation et leur appétence pour les sciences. Nous ne retenons pas ceux qui ont eu de trop bonnes notes au bac, pour nous concentrer sur notre mission : offrir à des jeunes d’une grande diversité la possibilité de dépasser les obstacles qui les freinent, en vue de poursuivre ensuite une formation scientifique en master ou en école d’ingénieur. 

L’Institut ne convient pas à tous les profils. Nous organisons donc des journées de recrutement où les candidats sont pris en main par nos étudiants actuels et vivent une épreuve sous forme d’atelier collectif, pour vérifier leur capacité à travailler avec les autres. Tout étudiant qui nous rejoint doit être ouvert, curieux et capable de travailler en groupe. Chaque étudiant peut et doit apporter quelque chose au collectif.  

En quoi les méthodes pédagogiques que vous créez sont-elles différentes, innovantes ?  

Le nom de l’institut provient du prix Nobel Georges Charpak. Ce physicien a mis au point une méthode d’enseignement appelé « la main à la pâte », qui propose une alternative à l’enseignement traditionnel. Elle préconise de commencer par le pratique pour aller vers le théorique. Cette méthode a été pensée pour les élèves de primaire et de collège, nous l’avons adaptée aux études supérieures comme ingrédient d’une formation inclusive. Un tiers de nos cours sont dispensés de cette manière.  

Autre exemple de notre manière d’innover : un cours de maths peut comporter trois modules, avec trois niveaux différents d’autonomie proposés aux étudiants. Cette méthode permet de ne pénaliser ni les plus faibles, ni les plus forts, car chacun avance à son rythme et choisit la méthode qui lui correspond. On constate que les étudiants sont plus performants dès lors qu’ils sont ainsi acteurs de l’enseignement. 

Nous suivons les travaux de chercheurs comme le physicien Julien Bobroff, enseignant à l’Université Paris Saclay, récompensé par le CNRS en 2022 pour son travail sur la médiation scientifique. Il a créé des collaborations étonnantes avec des designers pour expliquer la physique quantique. Nous examinons avec lui comment ce genre de méthode peut être repris dans un objectif pédagogique à l’Institut, pour ensuite les essaimer si elles fonctionnent.  

Vous défendez un modèle d’innovation frugale et peu couteux.   

Notre but est de faire de la recherche sur notre propre terrain, atypique et sur d’autres terrains de l’enseignement supérieur, afin de révéler des éléments applicables dans différents contextes.  

Pour cela, en 2019, l’Institut s’est doté d’un Centre d’Expérimentation Pédagogique, qui attire chaque année environ 150 acteurs. Le but est de tester des méthodes, et de les valider par la recherche. L’innovation pédagogique a la réputation de demander beaucoup de moyens techniques et financiers. Ici, on fait le pari de l’innovation pédagogique frugale : il faut que ce soit simple et peu couteux pour pouvoir s’implanter dans tous les contextes d’enseignements, même là où il n’y a pas beaucoup de moyens. Les innovations peuvent être reprises, il faut juste s’en emparer. 

Vous suivez de près chaque étudiant. Est-ce que cet encadrement est un gage de réussite ? 

En effet, tout ne se joue pas dans les salles de classe. Il y a par exemple une obligation d’entraide des étudiants qui fait que chacun peut se retrouver en position d’aidant ; l’équipe pédagogique est très engagée notamment pour lever d’éventuelles inquiétudes concernant l’insertion professionnelle ; un système de tutorat est dispensé par les étudiants des grandes écoles partenaires comme l’ENS Paris-Saclay, l’Institut d’optique graduate school, l’ENSTA, CentraleSupélec, l’Agro ParisTech  ou encore Polytechnique. De plus depuis 10 ans, 350 parrains et marraines issus des entreprises mécènes accompagnent les étudiants. Cette présence permet de dédramatiser l’angoisse professionnelle, et de mettre en avant l’importance de travailler telle ou telle compétence.  

L’objectif de nos étudiants est bien de poursuivre leurs études, poursuite qui se déroule dans des formats pédagogiques traditionnels auxquels nous les préparons, petit à petit, avec l’ensemble de ces acteurs.  

12 ans après la création de l’Institut, quels sont les accomplissements dont vous êtes le plus satisfait ? 

Nous avons accueilli et formé 300 étudiants, avons atteint la parité dans leur recrutement, les intégrons pleinement dans la démarche pédagogique et d’innovation de l’Institut. La diversité se traduit par leurs profils : 70% sont boursiers, 30% issus des filières technologiques, 20% en situation de handicap.  L’environnement que nous leur proposons est optimal : des promotions de petite taille, un hébergement sur le campus, un encadrement important.  

Nous constatons qu’ils ont pu développer leur confiance en eux, un niveau de créativité important, et ont en main des outils pour penser la science et son apport de manière multidisciplinaire. 95% de nos diplômés poursuivent leurs études, dont 77% dans des grandes écoles. 

Vos méthodes sont-elles diffusables à l’enseignement supérieur ? 

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que le modèle d’études supérieures ne correspond plus aux attentes des jeunes. Beaucoup de grandes écoles se sont engagées à réformer leur cursus. Les méthodes que nous expérimentons peuvent être essaimées chez elles. Ce n’est pas un hasard si de grandes écoles sont partenaires de l’Institut.  

Vous défendez l’idée que la diversité est un gage de performance pour les entreprises. Au-delà de l’usage abondant du terme « diversité » dans la communication et le débat public, concrètement, où en est-on ?  

Notre pari est de former des jeunes qui présentent une forte adaptabilité au monde de l’emploi, et qui vont aussi être des éléments de transformation dans les grandes écoles ou entreprises. Donc de former un cercle vertueux.  

Certaines entreprises affichent un bon bilan social d’inclusion, mais on se rend compte que les personnes issues de la diversité sont souvent en bas de l’échelle. Notre but est, qu’au terme de leurs études, ces jeunes que nous formons soient capables de manager eux-mêmes d’autres personnes issues de la diversité. Or beaucoup d’entreprises n’ont pas de politique générale en la matière. Leurs actions sont souvent très fractionnées, les responsables RSE (Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise) ne se sentent pas assez entendus, et le sujet n’est pas inscrit dans la stratégie de l’entreprise. La focalisation sur les mesures écologiques a tendance à mettre le social de côté, or c’est bien les deux qu’il faut mener de front en pensant au long terme. L’Institut, « incubateur de talents » comme disent nos étudiants et nos mécènes, a une vraie fragilité économique en raison de ce contexte. Aussi nous devons continuer à démontrer aux entreprises que la diversité est source d’innovation et de performance pour elles.  

Concrètement, combien coûte votre formation et comment vous aider à poursuivre et amplifier votre action ? 

Les droits d’inscription sont ceux d’une licence universitaire conventionnelle – 170 euros par an, avec gratuité pour les boursiers et les boursières. Elle représente un coût global par étudiant d’environ 15 000 euros par an, ce qui est proche du coût d’un étudiant en IUT, et supérieur au cours moyen d’un étudiant en licence (11 000 euros environ). Le surcoût est compensé par le fort taux de réussite à la licence que nous obtenons : 75% en 3 ans, ce qui est deux fois supérieur à une licence classique. 

En 2023, 17,5 % de notre budget de fonctionnement provenait du financement des entreprises, le reste, soit 82,5%, provenant des établissements d’enseignement supérieur membres de notre groupement d’intérêt public. Pour soutenir le développement de la recherche et les capacités d’essaimage de l’Institut, nous devons porter la contribution du secteur privé à 50% à l’horizon 2027, soit 350 000 euros par an. J’appelle les entreprises qui veulent miser sur l’apport de la diversité et de la science à nous rejoindre ! 

 

Propos recueillis par Maëlle Widmann et Gilles Vanderpooten, Reporters d’Espoirs. 

« La littérature est un vecteur de protection de la langue française » Geneviève Pigeon, présidente de l’ANEL du Québec

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Geneviève Pigeon est présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec (ANEL) depuis septembre 2023. Editrice, elle enseigne également à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Jeudi 11 avril, elle a participé à l’inauguration du Festival du Livre de Paris, qui place le Québec en invité d’honneur.


Quel est votre rôle en tant que présidente de l’Association nationale des éditeurs de livres du Québec ?

C’est un rôle de représentation autant à l’extérieur qu’au sein même de l’association. Je suis appelée à rencontrer des organismes subventionnaires, des éditeurs, à me rendre à des salons du livre. J’ai également une représentation au sein de l’association. Je préside le conseil d’administration et les assemblées générales. Je représente les éditeurs à l’interne et à l’externe.

Que le Québec soit l’invité d’honneur du Festival du Livre de Paris cette année, est-ce important pour l’édition québécoise ?

Le Québec a déjà été invité il y a 25 ans au Festival du Livre de Paris. Cette année, c’est vraiment une étape importante car le Québec a un écosystème littéraire solide dans lequel les membres connaissent leurs codépendances. On arrive avec une littérature très mature et dynamique. Elle est portée non seulement par des éditeurs chevronnés, mais aussi par une nouvelle génération qui fonce. Cette nouvelle génération a décidé de ne pas tenir compte des obstacles et est déjà bien implantée dans l’Europe francophone. On a des propositions littéraires très contemporaines, avec des voix uniques.

Quels obstacles l’édition québécoise rencontre-t-elle ?

C’est une réponse très pragmatique mais il y a beaucoup d’obstacles à l’exportation. Par exemple, si un auteur est invité à un évènement en France la semaine prochaine, je dois envoyer 700 exemplaires à partir de Montréal. C’est matériellement impossible. En bateau, le temps d’expédition est trop long. En avion, le coût est beaucoup trop élevé. La seule solution serait d’avoir un entrepôt en Europe. Mais les livres qui ne circulent pas, ça ne sert à rien non plus. On pourrait aussi imaginer la création d’une deuxième maison d’édition en France, mais là aussi, il y a des obstacles d’impression. La difficulté réside également dans le contact. En France, vous avez beaucoup de librairies. Pour qu’un auteur se fasse connaître, il faut être sur le terrain, aller à leur rencontre. Donc depuis Montréal, c’est difficile !

La littérature francophone parvient-elle à se faire une place au Canada face à la langue anglaise ?

A l’exception du Québec, non. Il existe 1 million de francophones au Canada hors Québec, mais c’est un vaste territoire. Les francophones sont concentrés dans des zones spécifiques. La littérature franco-canadienne est peu lue étant donné le peu de gens qui parlent français.

Donc pour se développer, la littérature québécoise mise sur l’Europe ?

Oui, même si certains éditeurs estiment que le Canada leur suffit. Mais pour développer un nouveau marché, il faut se tourner vers l’Europe francophone qui représente un marché déjà saturé. Donc c’est dur de se faire sa place.

Quels sont les liens, collaborations ou échanges entre le monde de l’édition québécois et français ?

Il y en a beaucoup. Certains éditeurs font le choix de travailler avec des distributeurs français. D’autres, comme c’est mon cas, vendent des cessions de droits à des éditeurs français. On développe des partenariats très chouettes avec des maisons d’édition françaises qui vont être mieux placées pour développer une carrière ou un marché. On a par exemple la collection Talismans, chez Déspaysage, qui publie des ouvrages écrits par des personnes autochtones d’Amérique du Nord.

La francophonie a-t-elle de beaux jours devant elle au Québec ?

Je dirais que oui. En ce qui concerne l’Amérique, c’est toujours fragile. On est entouré d’anglophones dans un marché mondial qui est très anglophile. Mais on observe un intérêt des Québécois pour la littérature locale. Ça demeure un portrait rassurant.

Comment préserver la langue française ?

La littérature est un vecteur de protection de la langue française. C’est peut-être la réflexion d’une francophone qui ne vient pas de France métropolitaine, mais je pense que pour la préserver, il faut accepter qu’elle soit vivante, qu’elle évolue, que les jeunes ne parlent pas comme leurs parents et leurs grands-parents.  En ce sens, la littérature permet à cette langue de bouger, voyager, rencontrer des lectorats différents qui vont apprendre de nouveaux vocabulaires.

Propos recueillis par Maëlle Widmann / Reporters d’Espoirs.

« Aider les jeunes à entreprendre dans l’économie sociale et solidaire », Denis Philippe

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A la rencontre de la Chambre Régionale des Entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire de la région PACA et de son président Denis Philippe, administrateur d’AESIO Mutuelle (entreprise mécène du Prix Reporters d’Espoirs)


Les verres s’entrechoquent, les discussions vont bon train dans le bistrot situé à quelques encablures du palais des ducs de Dijon où se déroulent les Journées de l’économie autrement. Nous rencontrons Denis Philippe qui, en fervent mutualiste, préside la Chambre Régionale des Entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) de la région PACA. Il aspire à ce que l’économie sociale et solidaire se donne davantage d’ambitions : au-delà des « petits chemins de traverse », il est temps qu’elle emprunte « le boulevard qui s’offre devant elle ». Le deuxième anniversaire du parcours dédié aux jeunes entrepreneurs de l’ESS en ce mois d’avril 2024 est l’occasion de revenir sur les avancées du secteur.

Exister politiquement : stop aux « pudeurs de gazelle » de l’ESS !

« ll faut que nous soyons, nous représentants et organisations de l’ESS, organisés et forts ». Il faut dire que cette branche particulière de l’économie, regroupant associations, coopératives, entreprises sociales, fondations et mutuelles, peine à prendre la mesure de son poids sur le territoire : jusqu’à 14% de l’emploi salarié privé, 10% du PIB et plus de 200 000 entreprises, sans compter les millions de bénévoles engagés dans le tissu associatif français. Rien qu’en région PACA, près de 17 000 structures assurent 10% de tous les emplois de la région. Il y a un « créneau à prendre » selon Denis Philippe, qui regrette la difficulté des grands acteurs de l’ESS à « faire ensemble » et les discours d’impuissance qui en découlent.

Pourtant le potentiel est là, dès lors qu’il y a un modèle économique viable pour ces entreprises dont la création vient avant tout « répondre à un besoin social ». Si l’argent n’est « pas un but mais un outil » nécessaire pour se développer en tant que structure, c’est aussi le nerf de la guerre pour un secteur qui peut revendiquer cinq banques coopératives d’ampleur à l’échelle nationale. Elles sont d’ailleurs majoritaires dans la banque de détail, celle de notre quotidien, représentant 60 % de l’activité. Denis Philippe en est convaincu : fédérer ne serait-ce que ces acteurs bancaires doit permettre à l’ESS d’exister politiquement et à ses dirigeants d’être, à la manière des cadres du MEDEF, reçus par le Président de la République et la Première Ministre – quitte à taper un peu du poing sur la table pour se faire entendre. Il regrette qu’aujourd’hui que les têtes de réseau de l’ESS rentrent d’abord « dans une logique de représentation, sans prendre de décision économique ni entamer de négociation politique ».

D’où vient alors ce blocage ? Aucun obstacle réel selon Denis Philippe, qui voit surtout un frein psychologique : « il existe une réserve là où d’autres ne s’embarrassent pas de pudeurs de gazelle » quant au marketing et à l’influence. C’est ce côté timoré qui perpétuerait les discours présentant l’ESS comme « différente », « moins visible », « gentillette »… à rebours d’entreprises « engagées » ou « à mission qui reprennent à leur compte des concepts inscrits dans les statuts et l’histoire de l’ESS et devenus tendance, observe-t-il. Aux acteurs de l’ESS de se réapproprier le sens de ces termes en communiquant mieux et plus largement sur leur capacité à rassembler, à incarner, à montrer.

Démontrer par l’exemple

Mettre en avant les réalisations de l’ESS en partant du terrain, de ce qui s’y fait de concret en termes de santé, d’alimentation, de restauration… C’est cela qui peut démontrer selon Denis Philippe la « pertinence du modèle mutualiste », à même de convaincre des élus mais aussi d’attirer les jeunes avec « des dispositifs qui donnent à voir ». Les jeunes certes cherchent du sens mais veulent tout autant « gagner leur vie comme tout le monde ». « Les beaux discours sur l’emploi et les valeurs de l’ESS ne suffisent pas à convaincre. Il faut montrer que l’ESS apporte des réponses aux questionnements des jeunes et devenir un tremplin pour leurs aspirations ». Son rêve ? Que, demain, des jeunes frappent à la porte de la CRESS avec une idée de projet à entreprendre, en demandant un accompagnement. C’est l’axe qu’il a développé en région PACA : la CRESS s’est associée à sept organisations (France Active, mouvement des Scop, intermade, Mouvement Associatif Sud Paca, Coorace Paca, Cros Région Sud, Têtes de l’Art) et a obtenu le soutien de la Banque Populaire Méditerranée, pour offrir aux entrepreneurs un parcours de 7 semaines leur permettant de booster leur projet, intitulé « Mon projet d’Entreprise ESS ». Il célèbre son 2e anniversaire en ce mois d’avril.

Aider les jeunes à entreprendre dans l’ESS : 150 entrepreneurs accompagnés en 2 ans en région PACA

En 2022 le parcours « développement » a accompagné 20 entreprises. Parmi elles, 60% ont déjà plus de 50 salariés, et 30% ont un objet de transition écologique. Quant aux entrepreneurs en phase de lancement, ils bénéficient d’un programme « création ». Nous avons interrogé trois d’entre eux.

Glenn Lenga, fondateur de Save my Shoes, en restaurant des baskets allonge leur cycle de vie et veut ainsi lutter contre la fast fashion et la surconsommation. Son entreprise a reçu l’agréement ESUS, qui permet de certifier la valeur solidaire d’une entreprise. « Ça prouve qu’elle a une utilité sociale et solidaire. Pour mes projets d’avenir, c’est bien d’avoir une reconnaissance publique », explique le jeune entrepreneur de 34 ans. Les trois mois d’accompagnement l’ont amené à comprendre l’intérêt de l’ESS : « on m’a donné des cartes pour mener à bien mon projet, et j’ai reçu beaucoup d’informations intéressantes que je mets en pratique tous les jours. Ça m’a conforté dans mon idée d’avoir une utilité à la fois économique, sociale et solidaire ».

Pour Ghislaine Bourillon, le parcours offert par la CRESS PACA a été l’opportunité de développer « une vision à 360 degrés ». Cette quinquagénaire a lancé la première filiale de recyclage de bijoux fantaisie : « je suis arrivée avec un projet original, et j’ai bénéficié d’une écoute et d’un accompagnement qui ont aidé à le concrétiser ». L’entrepreneuse insiste sur l’importance de prendre le temps pour mettre en place ce genre de projet : « Aujourd’hui, on est dans l’urgence de tout faire. Avec la CRESS, on retrouve cette ouverture sur le monde, on écoute et on comprend ».

Quant à Eddy Bonjean, il a pour projet de monter un restaurant dont les salariés seront des personnes en situation de handicap. Ce restaurateur a toujours été « sensible à l’ESS ». Il travaille depuis 13 ans dans le médico-social, et a pu avec l’accompagnement de la CRESS accéder à des compétences qui lui manquaient : « ce qui nous a vraiment aidé, c’est le montage des statuts, et la compréhension du côté fiscal par exemple. On a bénéficié d’un accompagnement sur les choses qu’on ne maîtrisait pas ». L’entrepreneur insiste également sur la visibilité qu’apporte ce parcours : « A la fin de l’accompagnement, mon projet a été repéré par France Travail. C’est pratique pour trouver des soutiens et des partenaires. »

Avant de se présenter devant une CRESS, encore faut-il connaître l’ESS et savoir de quoi il s’agit. Denis Philippe estime que « sa notoriété limitée au sein de la population découle d’un manque d’intérêt des journalistes pour un sujet qui, il faut le dire, ne déplace pas les foules ». Il est lucide : « sans coup de com’ – ou de gueule – seuls les journalistes véritablement intéressés par l’associatif font le déplacement ». Néanmoins, la CRESS PACA a déjà convaincu depuis 2022 150 entrepreneurs de rejoindre ses programmes d’accompagnement. Autant d’ambassadrices et d’ambassadeurs potentiels de l’économie sociale et solidaire auprès des journalistes.

Paul Chambellant et Maëlle Widmann

« Si on n’a pas les solutions à portée de main, on va les chercher » – Anna Mojzesz, directrice du programme MoHo4Young, et Sylvain Dhugues, lauréat

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Anna Mojzesz, 26 ans, est responsable de la communication du collectif MoHo basé à Caen et directrice du programme MoHo4Young, une communauté qui s’engage et récompense les projets associatifs portés par des jeunes pour un monde plus solidaire et durable. Sylvain Dhugues, 23 ans, est l’un des 14 lauréats de l’édition 2023. Son projet : sensibiliser au harcèlement scolaire et à la sédentarité à travers le sport. Dans cette interview croisée qui résonne avec le thème de la jeunesse que nous portons cette année à l’occasion du 20e anniversaire de Reporters d’Espoirs, tous deux détaillent leur activité et leur vision de l’engagement.

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Apprendre à s’informer, un enjeu citoyen – entretien avec Virginie Sassoon

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Virginie Sassoon est directrice adjointe du CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), docteure en sciences de l’information et de la communication, et experte de l’analyse des stéréotypes dans les médias. A l’occasion de la 35ème édition de la Semaine de la Presse et des Médias à l’Ecole qui se tient cette semaine, elle nous livre son point de vue sur la relation entre les jeunes et les médias.


Quel est votre rôle, Virginie ?

Je suis directrice adjointe du CLEMI depuis 4 ans, tout en étant dans l’organisation depuis presque 8 ans. Mon rôle est d’accompagner et de soutenir l’ensemble des projets. De faire le lien entre les enseignants, les chercheurs et les acteurs de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). Engagée sur les projets en coéducation entre les familles et les écoles, je suis à l’initiative de ressources pour les parents- l’univers de « La Famille Tout-Ecran »– ; j’accompagne des concours comme « Zéro cliché » qui lutte contre les stéréotypes de genre en permettant aux élèves de produire des vidéos, des podcasts ou des articles sur l’égalité filles-garçons. Enfin, je m’occupe de partenariats comme celui avec Reporters d’Espoirs.

Pourquoi vous être engagée au CLEMI ?

Au départ, je suis docteure en sciences de la communication et de l’information, ce qui m’a amenée à étudier le fonctionnement des médias et leur impact. J’ai été enseignante et ai fondé une association d’éducation aux images. Cela a mené à la création d’un festival de cinéma pour les enfants avec des ateliers pour qu’ils puissent créer leur propre film. Ayant un jour rencontré une coordinatrice du CLEMI de l’académie de Bordeaux, j’ai tout de suite trouvé l’organisation passionnante. La présence du CLEMI au niveau académique et national est une réelle force pour faire le lien entre l’école et les médias. Cela crée des passerelles pour comprendre la fabrication de l’information, ce qui est essentiel pour garder la démocratie vivante. Quand j’ai su que le CLEMI recrutait, je n’ai pas hésité une seule seconde !

Jeunes et actualité

Comment faire renouer les jeunes avec l’actualité ?

Je ne pense pas que les jeunes soient déconnectés de l’actualité. Ils ont leur propre actualité, qui n’est pas celle du monde des adultes, ni des médias dits traditionnels. Au CLEMI, on essaye de partir des pratiques informationnelles des jeunes pour faire des séances d’éducation aux médias qui soient adaptées à leurs réalités. On mise sur le « learning by doing ». En produisant l’information, les élèves se sentent beaucoup plus impliqués, et cela impacte aussi la manière dont ils la reçoivent. Ce cercle vertueux les rend plus éveillés et plus critiques sur la manière dont ils s’informent.

Quelles sont les projets que vous mettez en place pour y parvenir ?

Le CLEMI a plusieurs missions. Il forme environ 30 000 enseignants par an. On distribue des brochures pédagogiques. Cette année, le dossier de la Semaine de la Presse et des Médias s’intitule « l’info sur tous les fronts », et propose des activités et des analyses pour comprendre l’information en temps de guerre, les enjeux de l’IA, des défis écologiques mais aussi les enjeux liés au traitement médiatique du sport pour cette année olympique. Chaque année, ce dossier est diffusé à grande échelle et permet aux enseignants de réaliser des projets en EMI. On accompagne également la création de médias dans le cadre scolaire : des journaux, des web radios, des web TV, des comptes sur les réseaux sociaux pour des projets éducatifs. Le CLEMI a également la mission d’organiser des évènements, comme la Semaine de la Presse et des Médias à l’Ecole (SPME) qui concerne 4,5 millions d’élèves cette année. La SPME rassemble 1800 partenaires. On organise aussi des évènements comme le concours « Médiatik », le plus grand concours national de médias scolaires et « Zéro Cliché » que j’ai évoqué. La force du CLEMI, c’est son réseau. Des référents dans chaque académie interviennent dans les établissements pour accompagner les équipes éducatives.

Au-delà du CLEMI, des initiatives à saluer ?

France TV organise le Tour de France de l’EMI. Les enseignants participent pendant deux jours à des formations, des ateliers et des conférences avec des journalistes. C’est très riche car ça concerne tout le territoire. La Voix du Nord a lancé son média Ta Voix, qui accompagne des élèves de 13 à 17 ans dans la création d’articles et leur donne une grande visibilité. Plus généralement, je trouve intéressante la manière dont les titres de presse quotidienne régionale ouvrent leur espace pour l’expression des jeunes et leur donnent la parole. De la même manière, on pourrait citer les actions des antennes de Radio France, d’Arte, d’Europe 1, des titres de Bayard, de La croix, de TF1, avec les rencontres de l’info ou encore d’institution comme l’ARCOM…Avec M6 et Gulli, les jeunes choisissent eux-mêmes leurs sujets et les réalisent avec des professionnels. Les sujets sont ensuite diffusés sur les antennes, c’est gratifiant. Il faut saluer aussi tous les médias qui prennent le temps d’accueillir les jeunes et de leur montrer les coulisses de la fabrication de l’information, comme Sud-Ouest ou BFM.

Coopération avec Reporters d’Espoirs

Pouvez-vous expliquer l’initiative d’éducation des jeunes aux médias que nous menons ensemble, CLEMI et Reporters d’Espoirs ?

Avec Reporters d’Espoirs, notre collaboration est née d’une évidence. Nous avons des engagements communs pour transmettre aux plus jeunes une démarche citoyenne qui soit porteuse d’espoirs. Au sein du CLEMI, nous avons deux référentes expertes Caroline Fromont de l’académie de Lille et Elodie Gautier de l’académie de Créteil, déjà engagées dans des démarches de journalisme de solutions avec des enseignants. L’expertise de Reporters d’Espoirs en la matière est venue enrichir les démarches déjà existantes, et leur a donné de la visibilité. L’éducation aux médias s’accorde avec les principes du journalisme de solutions parce qu’il y a un besoin des enseignants de développer une approche constructive et porteuse d’espoirs dans le rapport à l’information pour leurs élèves. Plus globalement, ce partenariat avec Reporters d’Espoirs répond à une nécessité de résister à la fatigue informationnelle et à la morosité ambiante.

Vous œuvrez depuis plusieurs années à la lutte contre les fake news : n’est-ce pas un peu anxiogène pour la jeunesse ?

Très bonne question. Il y a dans l’éducation aux médias une ambition émancipatrice. L’actualité peut être extrêmement anxiogène, cette éducation sert à devenir plus actif dans ses pratiques informationnelles. Elle sert notamment à comprendre les logiques algorithmiques des réseaux sociaux qui ne profitent pas forcément à notre santé mentale. L’éducation aux médias permet aussi de développer un sens critique, c’est un cheminement qui n’agit pas de la même manière sur tout le monde, mais qui permet d’être plus éclairé dans notre rapport à l’information. Ça permet parfois de résister à cette fatigue, à cette anxiété, et de ne pas céder à l’infobésité.

Compléter votre approche par l’apprentissage du journalisme de solutions, est-ce une manière de leur donner des perspectives, de les aider à se projeter dans l’avenir ?

Oui, j’y crois complétement. Pour ne pas se décourager, on a besoin de regarder du côté de celles et ceux qui agissent, qui s’engagent, qui cherchent et qui parfois trouvent. Le journalisme de solutions, ce n’est pas dépeindre une société qui serait idéale, ou regarder le verre à moitié plein tout le temps. C’est une approche qui permet de retrouver un pouvoir d’agir qui est vital, et qui permet surtout de retrouver une confiance dans nos démocraties et dans notre rapport au collectif, à tous les niveaux.

Les jeunes à travers le prisme des médias

Comment jugez-vous le traitement médiatique qui est réservé aux jeunes ?

Même si ça n’englobe pas tous les médias, on peut déplorer les idées reçues sur le fait qu’ils soient tous complotistes, décérébrés ou encore des digital natives surconnectés. Il y a globalement un manque de nuances. « Les jeunes » est une expression qui ne veut pas dire grand-chose car la jeunesse est plurielle. Par exemple, ils s’informent différemment selon qu’ils vivent seuls ou chez leurs parents, selon leurs milieux socioculturels, leurs centres d’intérêts. Il y a une diversité et une complexité de la jeunesse qui n’est pas souvent représentée. Il faudrait leur ouvrir de l’espace, pour leur permettre de se définir eux-mêmes, et les outiller pour qu’ils puissent construire leur propre narratif.

Des émissions et programmes qui vous interpellent positivement ? Que vous recommandez aux jeunes ? Et à leurs parents ?

J’écoute beaucoup la radio, des podcasts et la presse écrite à laquelle j’accède maintenant en ligne. Je trouve que le plus important, c’est d’avoir du plaisir à s’informer. Quand s’informer devient une contrainte, crée de la déprime et de l’inquiétude, il faut agir. Cultiver sa curiosité, partager les contenus qui nous font réfléchir, aller vers des médias qui privilégient le temps long ou la profondeur, comme la revue l’Eléphant ou Le 1. La presse jeunesse avec les enfants est aussi très riche. Que ce soit Phosphore ou Okapi, il y a un souci de la contextualisation et une information conçue à hauteur d’enfants qui est précieuse pour donner le goût de l’info.

Propos recueillis par Maëlle Widmann pour Reporters d’Espoirs

« Reporters d’Espoirs a vraiment été une école » Anaïs Dedieu, salariée de l’association de 2016 à 2020

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Anaïs Dedieu, ancienne salariée de Reporters d’Espoirs, est désormais attachée de presse à la Fondation Auteuil. Elle revient sur son expérience au sein de notre association.

Quel a été ton parcours à Reporters d’Espoirs ?

Entrée chez Reporters d’Espoirs en janvier 2016 pour un service civique de 6 mois, je suis finalement restée en CDD, avant d’être embauchée en CDI. Je suis finalement restée quatre ans, jusqu’en avril 2020.

Quels étaient tes missions au sein de l’association ?

Membre au Lab, je réalisais des études qualitatives sur le climat et des cas pratiques sur des médias engagés dans le journalisme de solutions, sur Nice Matin par exemple. J’ai aussi travaillé sur des baromètres des journaux télévisés, mesurant la part consacrée aux solutions dans les reportages. J’ai beaucoup appris sur le paysage médiatique. Je me suis occupée des relations presse pendant la semaine La France des Solutions, et ai également travaillé à la fidélisation des quelque soixante partenaires média engagés dans cette opération. J’ai participé à l’organisation du Prix Reporters d’Espoirs, en tachant d’identifier des reportages couvrant des thématiques de société variées : culture, innovation sociale, environnement, etc.

Qu’as-tu retiré de ton expérience à Reporters D’Espoirs ?

C’est grâce à Reporters d’Espoirs que j’ai découvert les relations presse. C’est d’ailleurs mon métier actuel. Reporters d’Espoirs a été ma première expérience dans ce domaine. L’association m’a vraiment servie d’école. Durant mon service civique, j’étais en master de recherche, je travaillais sur l’impact médiatique et les modèles économiques, je faisais aussi des sciences sociales. Mon expérience au Lab m’a donc servi dans mes études. J’ai également compris que le journalisme de solutions pouvait être une piste pour des médias en difficulté. Le Tour des Reporters d’Espoirs et La France des solutions m’ont également beaucoup appris dans le domaine de l’évènementiel. Nous étions des artisans de l’organisation d’événements accueillant parfois plusieurs centaines de personnes. Ça demandait pas mal de polyvalence. Ça m’a aussi permis de créer mon petit réseau d’écoles et d’universités, puisque j’allais par exemple au CELSA pour parler du journalisme de solutions aux étudiants. J’ai même animé des conférences, des débats, et ai fait ma première télé sur TV5monde !

Quel a été ton parcours depuis ?

Reporters d’Espoirs m’a fait découvrir les relations presse et les relations publiques, et m’a appris à identifier des ambassadeurs et des personnalités. C’est grâce à cette expérience que j’ai su ce que je voulais faire, et Gilles m’a fait confiance. Il m’a beaucoup appris. J’ai également pu développer mon plaidoyer avec le journalisme de solutions. C’est d’ailleurs toujours ma ligne directrice aujourd’hui, et je la garderai tout au long de ma carrière en relations presse. Je me sers beaucoup du prisme des solutions, de l’impact, de l’apport concret de nos actions à la Fondation d’Auteuil, pour convaincre les journalistes avec qui je travaille. J’ai remarqué que les médias étaient généralement preneurs de ce genre d’approche. Il est certain qu’ils seront toujours attirés par les news sensationnalistes, mais la presse généraliste est toujours intéressée à montrer ce qui fonctionne. Ce qui leur manque, c’est justement de connaître les initiatives et de savoir quoi mettre en avant. En ce sens-là, Reporters d’Espoirs est une vraie pépite. C’est pour ça que je crois beaucoup en son action.

« La seule vérité qui vaille, c’est celle du terrain » – Christine Buhagiar, directrice régionale Europe à l’AFP et membre du jury du Prix européen du jeune reporter

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Christine Buhagiar est la directrice régionale Europe de l’Agence France-Presse (AFP). Passée précédemment par les services France, politique, économique, puis vidéo de l’AFP, elle a rejoint cette année le jury du Prix européen du jeune reporter d’espoirs. Elle évoque pour nous son expérience journalistique et son activité au sein de l’AFP.

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