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Prix EU

Emilie Andrieux, lauréate du prix Européen Jeunes Reporters d’Espoirs

By 14 mars 2024mars 26th, 2024No Comments

Tout juste diplômée en journalisme, Emilie met ici en avant des étudiants qui s’engagent dans le domaine de la santé mentale. Les meilleurs interlocuteurs des étudiants étant leurs camarades, une formation aux premiers secours en santé mentale dispensée à l’université leur permet de repérer les « signes de souffrances psychologiques » puis de « venir en aide à leurs pairs ».

Elle a reçu le troisième prix dans la catégorie « France » pour son reportage « Étudiants secouristes en santé mentale à l’Université de Bordeaux ».

A l’université de Bordeaux, on sensibilise les étudiants sur la santé mentale – Émilie Andrieux

À l’Université de Bordeaux, des étudiants deviennent secouristes en santé mentale. Mise en place depuis 2019, la formation aux Premiers secours en santé mentale (PSSM), sensibilise les élèves sur le sujet et leur apprend à repérer les signes de souffrances psychologiques pour venir en aide à leurs pairs.

En mars dernier, l’un de ses camarades s’est suicidé. À ce moment-là, Aude Poirier, vingt-trois ans, réalise l’importance de la prévention en santé mentale. « Il n’avait que dix-neuf ans, il faisait partie des meilleurs élèves, il avait des amis et pourtant, il n’allait pas bien », confie-t-elle, bouleversée. Cet événement pousse la jeune femme à suivre la formation aux Premiers secours en santé mentale proposée par l’Université de Bordeaux.

Venu d’Australie, le programme « Mental Health First Aid » (MHFA ou PSSM en français) a été déployé il y a cinq ans par le Ministère des Solidarités et de la Santé et par le Ministère de l’Enseignement supérieur. L’objectif est d’augmenter la connaissance en santé mentale des étudiants afin qu’ils soient capables d’agir face à une détresse psychique. Crée en 2001, son développement s’est accéléré avec la crise sanitaire qui a eu un effet négatif sur la santé mentale de la population.

« Les étudiants vont moins bien qu’avant la crise sanitaire »

Selon un rapport de la Commission européenne sur l’impact de la Covid-19 (2022), 50 % des 15-25 ans interrogés, estiment que la crise sanitaire a détérioré leur santé mentale. La Commission s’alarme également face à la hausse des états dépressifs et anxieux.

Même constat au niveau national. Selon le dernier rapport de Santé publique France (février 2023), la part des 18-24 ans touchée par la dépression a bondi de 80 % en quatre ans. Ainsi, plus d’un jeune sur cinq souffrirait de symptômes dépressifs. 

Pour Christophe Tzourio, épidémiologiste à l’Université de Bordeaux, « la Covid a laissé des traces. Les étudiants vont moins bien qu’avant la crise sanitaire ». Depuis septembre 2022, il mène avec d’autres chercheurs une étude comparée sur l’état de la santé mentale des étudiants avant et après la pandémie. 

Une formation aux Premiers secours pour aider les étudiants

C’est pour répondre au mal-être grandissant de la population estudiantine, que des pays européens comme l’Irlande, les Pays-Bas ou l’Allemagne déploient la formation en milieu universitaire. Lors du discours sur l’Etat de l’Union de 2022, l’Union européenne a promis d’agir en matière de santé mentale. Avec plus d’un milliard d’euros investi et près d’une vingtaine d’initiatives annoncées, l’Union européenne souhaite renforcer la prévention et investir dans la formation en santé mentale. 

En Allemagne, l’Université Friedrich Schiller a été la première à mettre en place le secourisme en santé mentale. L’Université forme non seulement les étudiants, mais aussi le personnel universitaire comme les professeurs et les agents administratifs.

En France, les formations dispensées à l’université attirent essentiellement des étudiants. Durant une formation, on compte généralement un membre du personnel pour dix élèves. Inspiré de la formation aux Premiers secours physiques, le programme destiné à former des   « étudiants secouristes », leur apprend à intervenir auprès d’une personne en souffrance, à lui apporter une première aide et à la rediriger vers des professionnels.

L’Université de Bordeaux est l’une des premières à s’être portée volontaire pour mettre en place ce dispositif. D’autres universités comme Pau ou Limoges se sont également engagées.

Pour y participer, les élèves doivent simplement s’inscrire au préalable. Tous les étudiants inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur français proposant ce programme, peuvent en bénéficier gratuitement. Organisé sur deux jours ou quatre demi-journées, il est dispensé par des professionnels de l’Espace Santé Étudiants des universités, eux-mêmes formés par l’association PSSM France. À Bordeaux, sept formateurs les organisent, dont des infirmières, des psychologues et un médecin.

C’est pour en apprendre plus sur la santé mentale et pouvoir venir en aide à ses camarades que Roger Ngonne, doctorant, participe à la formation. « L’une des doctorantes de première année ne va pas bien, je veux pouvoir l’aider. La thèse, c’est une période difficile », confie-t-il. Le jeune homme sait de quoi il parle. Il a frôlé le burn-out il y a un an et a réussi à s’en sortir grâce au sport.

Au tout début, le programme ciblait les doctorants, mais au fil du temps et pour répondre à la demande, l’Université de Bordeaux a ouvert la formation aux autres étudiants et au personnel universitaire. « Les étudiants sont une population particulièrement fragile, avec beaucoup de manifestations de troubles psychiques », explique Nadège Benhamou, infirmière et formatrice. Pour elle, il est essentiel de former le plus grand nombre d’élèves pour permettre une prise en charge plus rapide.

À la table de Roger, Aïda, étudiante en psychologie, attend beaucoup de ce stage. « C’est très utile, ça me servira à l’école, mais aussi plus tard au travail ». La tête plongée dans le manuel qu’on leur a distribué, elle scrute avec attention le planning. Au programme de ces deux jours, une formation théorique sur les différents troubles psychiques. Les troubles dépressifs, anxieux, psychotiques seront abordés. S’en suit une partie pratique avec des mises en situation. Cybèle, dix-neuf ans, a participé à la formation il y a quelques mois et a été marquée par la mise en scène sur le suicide. « C’était la partie la plus difficile, il fallait trouver les bons mots pour rassurer la personne, ça avait l’air réel », se rappelle l’étudiante en médecine.

À la fin des quinze heures de formation et une fois le certificat en poche, les étudiants connaissent par cœur le plan d’action PSSM. « C’est AERER, pour approcher, écouter, réconforter, encourager et renseigner », déclare avec assurance Cybèle.

« C’est une réussite »

Plusieurs études attestent de l’efficacité du programme « Mental Heath First Aid ». Une étude (Morgan, Ross & Reavley, 2018), comptant 5 000 participants issus de huit pays différents, met en évidence la bonne assimilation de la formation.

Ahn, participante, reconnaît les bénéfices du dispositif. « Je me sens prête à dispenser les premiers gestes de secours, je saurai comment réagir maintenant ». D’après une étude de PSSM France, 87 % des étudiants secouristes formés se sentent prêts à intervenir et à aider une personne en difficulté. Pour Caroline Jean-Pierre, Présidente de PSSM France, la formation améliore la confiance des étudiants dans leurs interactions avec les personnes ayant un problème de santé mentale.

A Bordeaux, près de 1 000 étudiants ont été formés. « Pour l’instant, c’est une réussite, beaucoup d’étudiants veulent y participer », détaille Florence Touchard, infirmière et coordinatrice du projet. C’est l’établissement qui compte le plus d’étudiants secouristes avec presque quatre-vingts formations organisées depuis 2019. Mais le déploiement n’est pas uniforme. Seuls cinquante-trois établissements de l’enseignement supérieur ont mis en place le programme.

« Ce ne sont pas des professionnels »

Sarah, étudiante en informatique, ne cache pas sa déception. C’est lors d’une conversation avec des amies, qu’elle entend parler de la formation. Enthousiaste, elle se renseigne, mais découvre que son école, située à Amiens, ne la propose pas. Même déconvenue pour Maria, étudiante Erasmus à la Sorbonne. Elle a essayé de s’inscrire cette année, en vain.   « Trop de monde, pas assez de place », résume amèrement la jeune femme. Elle espère désormais que son université à Madrid finira par proposer le programme.

Pour Ahn, le stage est trop court et ne permet pas d’aborder toutes les thématiques. Elle regrette de ne pas avoir parlé des automutilations et des troubles alimentaires. « On nous a donné un petit manuel à la fin, mais ce n’est pas aussi utile qu’une formation en temps réel », explique l’étudiante.

La Fédération des Associations Générales Étudiantes (FAGE), se dit favorable à la formation aux Premiers secours en santé mentale. « C’est une bonne initiative, ça sensibilise davantage les étudiants, mais ce ne sont pas des professionnels après deux jours, il ne faut pas qu’ils l’oublient », insiste Sarah Biche, vice-présidente innovation sociale à la FAGE. Pour elle, le principal danger, c’est qu’une personne en souffrance soit mal prise en charge ou que les secouristes absorbent une charge mentale qu’ils ne peuvent gérer. « Ils sont là pour écouter et rediriger, c’est déjà beaucoup ». Le mieux selon elle, serait de proposer des formations complémentaires pour que les étudiants continuent à se former.

L’association PSSM France rappelle toutefois sur son site internet que la formation ne se substitue pas à une prise en charge professionnelle. Le but est avant tout de faciliter le recours aux soins. Souhaitant déployer le secourisme en santé mentale, le gouvernement français s’est fixé l’objectif d’atteindre les 150 000 secouristes formés d’ici 2025.

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