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« Ce que nous voulons faire, c’est bâtir un futur qui réintègre le vivant au plus près et au mieux. »

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A l’occasion de la 8e édition de l’Université de la Terre qui se tiendra les 14 & 15 mars prochains à l’UNESCO, nous avons interviewé Jacques Huybrechts, son fondateur. Présentant les enjeux abordés lors des conférences et tables rondes des deux jours, il revient sur la genèse de ce projet et sur l’importance qu’il accorde à fonder un modèle de société qui respecte le vivant.

Léa Varenne Jacques Huybrechts, qui êtes-vous ?

Jacques Huybrechts – Je me décris comme un entrepreneur engagé. J’ai toujours mis le projet économique que j’ai porté au service de mes valeurs. C’est notamment pour cette raison que j’ai fondé l’Université de la Terre, qui célèbrera ses 20 ans lors de l’édition des 14 et 15 mars 2025 à Paris. Le Parlement des Jeunes est un autre de mes projets, que j’ai lancé en 2021. Il se tient tous les 2 ans et ressemble à une convention citoyenne de la jeunesse, composée d’un panel représentatif avec lequel nous travaillons sur les principales préoccupations des jeunes.

Qu’est-ce qui vous anime ?

Améliorer la vie de cette planète, à la fois personnellement et collectivement, avec mon équipe et tous ceux que nous embarquons dans nos aventures. C’est peut-être très ambitieux mais j’ai toujours pensé qu’on pouvait associer activité professionnelle et contribution à une meilleure société. Je suis animé par le fait de concilier le projet de mon entreprise et les valeurs auxquelles je crois, qui sont alignées sur les enjeux économiques et humains.

Il y a 20 ans, vous avez décidé de fonder l’Université de la Terre. Quel était votre objectif ?

C’est un projet que j’ai écrit bien avant, en 1992, quand je finissais mes études. A cette date, il y a eu un grand sommet de la terre, le Sommet de Rio, et ça a été pour moi une révélation. A cette époque, je n’étais pas particulièrement engagé sur les sujets écologiques. C’est grâce à ce sommet que j’ai compris combien nous allions dans le mur – et même que nous étions déjà dans le mur sur un certain nombre de critères écologiques. Le GIEC n’avait pas encore déployé son travail sur les questions climatiques, mais il y avait toutes les pollutions que l’on connaît aujourd’hui et je me suis dit : « il faut qu’il y ait une prise de conscience sur ces enjeux-là ». C’est de là qu’est venue l’idée de créer une Université de la Terre, pour en apprendre plus sur ces enjeux, apprendre à vivre différemment et ainsi lutter contre les dégâts causés par les humains depuis des siècles. En 1992, c’était trop tôt, parce que ça intéressait peu de monde à l’époque. J’ai donc laissé le projet dans les cartons et il a fallu deux rencontres pour qu’il voit le jour : une avec l’UNESCO en 2004 – qui cherchait un projet pour 2005 sur les 60 ans des Nations Unies – et une avec le fondateur de Nature & Découverte, François Lemarchand, qui était notre premier partenaire à l’époque. Aujourd’hui, nous en sommes à la 8e édition en 20 ans, mais ça n’a vraiment grandi qu’à partir de 2015, avec la COP 21 pendant laquelle nous avons été intégrés à l’évènement public. Dès lors, les enjeux sont devenus de plus en plus prenants et urgents.

Quel est votre rôle dans tout ça ?

Je suis un peu le chef d’orchestre, en animant le projet dans toutes ses dimensions : financement, programme, mobilisation du public. Il faut aller chercher de nouveaux publics, des néophytes, sur le sujet. Je passe aussi beaucoup de temps sur la partie de communication, puisque nous sommes dans un monde d’information et de communication. Au-delà de l’Université de la Terre, l’idée est de faire monter les sujets dans les différentes sphères sociales. 

L’Université de la Terre 2025, Nature = Futur. Pourquoi ce thème ?

On voit bien que c’est une équation qui va être complexe à réaliser. Quand on parle de futur aujourd’hui, on valorise plutôt l’IA, le spatial, la transition numérique, et la nature est relayée à un 2e voire 3e plan. Il faut que le progrès intègre la question de la biodiversité et du vivant au cœur de son modèle dans les années à venir. Ces sujets ont été laissés de côté depuis la révolution industrielle, et nous arrivons au bout d’un modèle qui est prédateur et destructeur pour le vivant. Il devient urgent de réinventer un modèle dans lequel la nature a sa place. Ça ne signifie pas qu’il faut nier le progrès scientifique et technologique, qu’il faudrait opposer l’IA et le vivant. L’IA s’arrêtera peut-être avec la fin des ressources, qui fera que l’ère numérique va ralentir, mais il faut intégrer la nature au plus près de tous ces progrès, en prenant systématiquement le vivant en compte. C’est peut-être impossible de concilier les deux, je suis conscient de la complexité de cette question. Aujourd’hui nous ne pouvons pas dire aux 8 milliards d’êtres humains que nous allons arrêter le progrès scientifique et technologique et tout miser sur l’écologie. Mais ce que nous voulons faire, c’est bâtir un futur qui réintègre le vivant au plus près et au mieux.

Comment choisissez-vous les intervenants à l’Université de la Terre ?

C’est un processus qui prend plusieurs mois. Bien évidemment, les enjeux nous guident, et nous travaillons aussi avec tous nos partenaires et alliés, en interrogeant plusieurs parties prenantes. Je passe beaucoup de temps sur la programmation : je m’informe, je lis, je me nourris de tout ce que j’entends, de tout ce que je vois. J’essaye de voir un maximum de gens pour comprendre ce qu’ils font concrètement et ce qu’ils pourraient apporter. L’objectif est d’équilibrer entre les mondes scientifique, économique et politique. Par exemple, pour cette édition 2025, quelques élus locaux seront là pour illustrer le fait que la soutenabilité peut s’opérer sur le territoire à l’échelle locale. 

Parmi les nombreux thèmes abordés, il y a l’économie, la biodiversité et les médias. Ce sont des axes qui méritent d’être regardés de manière transdisciplinaire tant ils sont imbriqués. Comment faire pour qu’ils cohabitent mieux ?

Il faut recréer du lien entre les enjeux. Kate Raworth, grande figure qui sera présente, a inventé la théorie du donut, schéma qui montre les limites planétaires qu’il ne faut pas dépasser, et différents planchers humain et social en dessous desquels il ne faut pas aller. L’idée est de réencastrer l’économie dans la société, la société dans ses limites planétaires, et replacer chaque discipline par rapport à ces enjeux majeurs. C’est la première fois que l’humanité est en capacité de s’auto-détruire. Il ne faut pas oublier que nous sommes une espèce parmi d’autres qui va souffrir considérablement dans les années à venir. On peut choisir de n’en avoir rien à faire, en se disant que toutes les espèces vont disparaître et nous avec. Mais si on prend conscience que le vivant est important, et qu’on a envie de le protéger, je pense qu’il faut essayer de recréer du lien entre tous ces sujets. L’économie doit réintégrer la question du vivant et la question climatique, et les mettre en priorité. Et quand je dis « vivant », je parle aussi de la réconciliation de l’humain avec lui-même, car la dislocation sociale rend incompatible le lien avec toutes les autres formes de vie. 

Déjà en 2022, vous disiez que « notre défi collectif est d’ouvrir d’autres voies et un autre chapitre de la civilisation… ». Mais que faire face à la folie du monde qui nous détourne de notre but commun « redevenir terriens » comme vous le dites ?

Faire ce qu’on peut à son échelle, ce qui passe notamment par des changements de consommation. Choisir ce qu’on achète, ça nécessite une éducation, un effort, mais c’est un levier puissant pour changer la société. Le budget est parfois un frein, mais tout le monde peut avoir un impact. Aller dans la nature, comprendre le vivant, mieux le respecter, choisir ses déplacements… sont autant d’actions pour changer les choses. On peut agir par son vote aussi, bien évidement. Nous sommes dans une démocratie, préservons-la. On peut aussi rejoindre des ONG ou encore engager son entreprise dans des démarches de progrès. Il y a aujourd’hui un réseau de collectifs dans les entreprises, de salariés, de collaborateurs, qui essayent de faire bouger les lignes dans leur boîte. Et certains créent même leur propre structure avec une démarche d’impact très clairement annoncée.

Qu’est-ce que vous espérez des tables rondes et intervenant.e.s qui débattent ?

La vocation de l’Université de la Terre peut aussi se résumer ainsi : comprendre pour agir. Ce principe repose sur de l’information, de la précision, et donc un accompagnement de la connaissance pour aller un peu plus loin. Chacune et chacun de nos intervenants ont soit une expérience active sur ces sujets-là, soit des pistes d’actions. On leur demande donc d’être pragmatiques sur les solutions qui sont à disposition des citoyens ou des entreprises.

Qu’est-ce qu’il ressort de concret de l’Université de la Terre ?

D’abord des transformations personnelles. De nombreux participants, dont des patrons de grands groupes, nous ont dit que l’Université de la Terre avait changé leur manière de voir le monde. En 2025, nous lançons également un mouvement pour que les citoyens se reconnectent au vivant et à la nature. Il repose sur trois piliers que sont l’équilibre personnel, physiologique et psychique. On y retrouvera les questions de l’alimentation, du mouvement et aussi la reconnexion à la nature qui est un facteur d’équilibre physique et psychique. Cette opération, baptisée « 1, 2, 3, dehors »,  a pour vocation de porter un message fort : prendre conscience du vivant, de la nature, de ce qui nous entoure, c’est essentiel à notre bien-être. Ça va prendre du temps de changer les comportements, d’engager les citoyens pour qu’ils aillent vers la nature, mais c’est une opération concrète qui doit aussi amener les citoyens à la protéger grâce à une meilleure connaissance de celle-ci.

Dans son article Sortir de la sidération : 20 actions à mettre en place, Bon Pote suggérait d’« inonder la zone de (non) merde » pour reprendre les termes. Il fait référence à la tactique d’extrême droite qui consiste en « flood the zone with shit », ce que l’on observe sur les réseaux sociaux. Comment cela peut aboutir ?

Je crois qu’il va falloir une forte mobilisation. Pour le moment, nous sommes atones, les forces de progrès social et écologique sont sidérées face à ce qui est en train de se passer. Il n’y a pas de mobilisation alors que de l’autre côté ça se mobilise très fortement. Il faut donc que l’activisme se mette en place. On peut tous être activistes à sa manière. La mobilisation, il y a quelques années, a été très forte sur le climat et là il ne se passe plus rien. Un des thèmes de l’Université de la Terre est la radicalité positive : par exemple, face à la loi agricole, il y a un peu de mobilisation mais elle est trop faible. On est sidérés mais je pense que ça va monter, il va falloir que ça monte. Il y a des échéances importantes électorales en France, au niveau local et national, donc il va falloir monter au front, il faut agir.

Propos recueillis pas Léa Varenne pour Reporters d’Espoirs

« Lutter contre la morosité ambiante face aux défis d’un avenir incertain est un sujet primordial auquel je suis heureuse de contribuer. » Corinne Denis, présidente de Reporters d’Espoirs

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Corinne Denis est la Présidente de Reporters d’Espoirs. Jeune retraitée, elle a mené toute sa carrière dans le monde des médias. D’abord documentaliste, puis journaliste, puis enquêtrice, elle a été pionnière dans la numérisation des médias, ce pourquoi les États Généraux de l’Information ont fait appel à elle alors qu’ils s’intéressent aux défis des plateformes et de l’IA. Engagée dans le milieu associatif en région Occitanie, elle nous raconte son parcours.

Documentaliste, journaliste, puis dirigeante : vous avez fait carrière dans les médias. Qu’est-ce qui vous y destinait ?

Rien ne m’y destinait. Je faisais des études de biochimie et génétique à Jussieu et pour financer ma maitrise, j’ai trouvé un petit job à la documentation de L’Express. D’abord documentaliste scientifique puis journaliste, j’ai abandonné la recherche pour l’enquête. Je suis restée 30 ans dans ce groupe, où j’ai fait mes classes de reporter, dirigé la documentation, créé le site internet et dirigé le service multimédia avant de terminer comme directrice générale adjointe. J’ai ensuite rejoint Lagardère Active où j’ai dirigé la filiale numérique du Groupe, Lagardère digital France, et la filiale qui gère le publicité du groupe. La filiale média de Lagardère regroupait à la belle époque, entre autre, Paris Match, Elle, Télé 7 jours, Voici, Europe 1, Virgin, Gulli ou encore Doctissimo.fr.

Vous avez été pionnière dans la mutation numérique des médias… un peu par hasard !

Quand je dirigeais le service documentation de l’Express, je cherchais des débouchés pour les archives. Une société américaine, Compuserve, voulait s’implanter en France. C’était un réseau internet privé, et donc payant , comme AOL, qui a demandé à deux journaux, L’Express et Le Monde, s’ils étaient intéressés à travailler à la mise en ligne des archives sur leur réseau. Christine Ockrent, qui était directrice de la rédaction de L’Express à cette époque, m’a laissé le champs libre pour travailler avec eux. Nous avons donc été les premiers en France avec Le Monde à mettre nos archives en ligne. Parallèlement, Internet se développait. Et en 1997, j’ai proposé de créer un site web hébergé chez les américains. Une idée qui semblait incongrue à la direction du journal, qui trouvait que le Minitel, au moins, rapportait un peu d’argent !

A l’occasion d’un changement d’actionnaire nous avons donc, avec le directeur technique de la rédaction, crée le site web de L’Express… en un week-end ! Et depuis je n’ai plus quitté le domaine du développement numérique des médias. Une aventure de 25 ans avec l’arrivée du mobile et des applications, puis les tablettes, les réseaux sociaux et l’IA. Une révolution pour le secteur des médias et leurs modèles économiques mais aussi un travail collectif entre médias, grâce notamment au GESTE, le groupement des éditeurs numériques, que j’ai présidé pendant 4 ans.

Plus récemment, en 2023-2024, vous avez été participé aux États Généraux de l’Information, comme membre du groupe de travail « Espace informationnel et innovation technologique ». Qu’en retenez-vous ?

Nous avons auditionné de nombreux chercheurs et spécialistes du numérique et de l’intelligence artificielle (IA), avant de rendre nos conclusions -8 propositions- au CESE devant la Ministre de la Culture Rachida Dati.

Parmi les sujets sur lesquels nous avons planché, il y a celui du partage de la valeur entre médias d’information et plateformes. Aujourd’hui, les médias voient leurs contenus repris par des plateformes, qui s’enrichissent grâce à eux en captant la publicité, mais ne leur reversent toujours pas les droits d’auteurs qu’elles devraient. La majorité de la publicité numérique est captée par les plateformes au détriment des médias d’information. Les différentes négociations notamment celle concernant ce qu’on appelle les « droits voisins », visant à essayer de faire payer les plateformes, n’ont pas comblé les espoirs des éditeurs. L’IA vient compliquer l’exercice : les plateformes entrainent leurs algorithmes grâce au contenu créé par les médias d’information. Là aussi, comment les faire payer pour cet usage ?

Aujourd’hui, avec l’instabilité politique, nous ne sommes pas sûrs que nos conclusions vont aboutir. Beaucoup s’adressent surtout à la Commission Européenne. Pour forcer les plateformes à bouger, l’appui de l’Europe est indispensable.

Jeune retraitée dans le Sud-Est de la France, vous multipliez désormais les engagements associatifs. Vous faire « actrice de solutions », c’est important pour vous ?

Ne travaillant plus, j’ai du temps et j’ai envie de le mettre à disposition des causes qui me tiennent à cœur. Il y en a plusieurs : Reporters d’Espoirs bien sûr, 60 000 Rebonds, dont je fais partie du Conseil d’Administration en région Occitanie, la station locale Radio Fuze, et enfin Prima Vera, association qui organise aux côtés des enseignants des rencontres pour les élèves de collèges et lycées avec des artistes, des journalistes, des personnalités.

Lorsque j’ai quitté Paris au moment du Covid, l’important pour moi était de m’insérer dans le tissu social de ma commune. Alors nous avons décidé à quelques-uns, de créer un café associatif, Collor’Café, une façon de redonner vie à un village qui n’a pas de magasins et où les gens ne se croisent pas. Ce café existe depuis trois ans et il fonctionne bien.

Je m’implique aussi beaucoup dans l’association 60 000 rebonds qui aide les entrepreneurs qui ont fait faillite à rebondir. Dans mon parcours professionnel, j’avais créé un fonds média à L’Express pour financer des start-up. Je me suis intéressée au profil de jeunes dont la passion est d’entreprendre. Et plusieurs start up étaient incubées chez Lagardère digital France. A Paris et dans le numérique,

les échecs commençaient à être valorisés dans les CV de jeunes entrepreneurs comme une expérience enrichissante. En arrivant dans ma nouvelle région, j’ai compris que le tabou de l’échec était loin d’être tombé : notre vision en France pose un vrai problème. Quand des entrepreneurs déposent leur bilan, ils n’ont souvent plus de ressources, pas de chômage et finissent souvent au banc de la société et écartés de leurs anciens réseaux.

Pourquoi Reporters d’Espoirs ?

Reporters d’Espoirs est l’association qui me rapproche le plus de mon métier, le monde des médias dont je me suis éloignée en partant en province. Reporters d’Espoirs est une façon de rester en lien avec mon secteur de prédilection de toujours. Lutter contre la morosité ambiante face aux défis d’un avenir incertain, donner aux gens l’envie d’agir, face au doute et au complotisme, c’est un sujet primordial auquel je suis heureuse de contribuer.

Propos recueillis par Léa Varenne/Reporters d’Espoirs.

L’avenir s’entreprend au Parlement des jeunes

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Alizée Bossy et Victoria Levasseur restituent le travail de leur commission Ecologie devant l’assemblée réunie au Cese. Photo copyright Mary-Lou Mauricio/Parlement des jeunes.

Voix assurée, discours soigné, conviction chevillée au corps : sur scène, on sent bien qu’ils ne sont pas là par hasard. La scène, c’est l’hémicycle du Conseil économique social et environnemental (CESE), qui accueille à Paris la 2e édition du Parlement des jeunes. Eux, ce sont 170 jeunes de 16 à 24 ans, réunis pour se faire les porte-voix des propositions de la jeunesse.

Paul Chambellant/Reporters d’Espoirs

Devenue le temps d’un après-midi le théâtre d’une jeunesse qui se conjugue au pluriel, l’estrade agitée de l’hémicycle a vu défiler autant de formes d’engagement que de jeunes. Au terme de trois réunions de travail en distanciel, voilà qu’ils se retrouvent enfin, « en vrai », pour restituer leur expérience d’intelligence collective. L’audience se montre captivée par les dix thématiques explorées, du travail à l’autonomie financière en passant par le numérique, l’inclusion, l’écologie et la citoyenneté. Pour chacune, les jeunes ont émis des propositions : un dispositif d’accompagnement professionnel de chaque élève dès l’entrée en seconde ; un observatoire national des initiatives locales en santé pour mieux les reproduire à d’autres échelle ; ou encore une cellule d’engagement dans les lycées.

De jeunes « parlementaires »

Lycéens, étudiants, entrepreneurs, jeunes actifs… Ces « parlementaires », venus de tous horizons et régions de France, s’engagent chacun à leur manière. Et certains multiplient les casquettes : Medhi Faradji, conducteur de métro à la RATP, est aussi membre de la Convention nationale des jeunes d’Apprentis d’Auteuil et animateur radio depuis son enfance. « Ce qui me fait vibrer, c’est surtout la protection de l’enfance et particulièrement la vie privée des enfants placés », confie-t-il. 

« Changer les choses », un objectif que partagent volontiers Jade Soriano, étudiante et vice-présidente Environnement au Conseil des Jeunes Métropolitains d’Aix-Marseille-Provence, et Isaac Lefrançois, lycéen en classe de terminale à Paris. Tous deux sont porte-paroles de la commission Place des jeunes. Conscients de la difficulté de s’engager lorsqu’on est jeune, ils ont tenu à « faire autrement » en s’essayant au jeu de rôle sous les yeux attentifs de Prisca Thévenot, alors secrétaire d’État chargée de la jeunesse et du Service national universel.

Servir, c’est aussi donner de son temps et de sa personne. Ce principe anime à la fois Gaspard Florin, étudiant en droit à Nantes et arbitre de football, et Hugo Biolley, plus jeune maire de France élu en Ardèche. Si Gaspard souhaite « améliorer la vie du collectif » et a pu esquisser des réponses au problème du harcèlement scolaire au sein de la commission Education, Hugo voit l’engagement comme un don de soi : « l’engagement c’est faire pour les autres […] en politique, dans l’associatif, dans le monde économique… Ça va d’Emmaüs au club de foot du village ».

Soif d’entreprendre

Le monde économique a également répondu à l’appel du Parlement des jeunes, qui comprend plusieurs entrepreneurs. Pour Thomas Coudrey (Aix-en-Provence), co-porte-parole de la commission Santé et fondateur d’ITI Medics, l’entrepreneuriat se marie sans peine avec une « philosophie humaniste ». Plaçant la collecte et l’exploitation de « données de vie réelle » sommeil, activité physique, tension, température… – au cœur de la prise en charge des patients, sa start-up « conçoit des solutions innovantes » dans un esprit de médecine participative. Passionné par l’informatique depuis l’âge de 10 ans, Thomas affirme avoir « combiné cet amour pour la création, pour l’informatique, avec mon amour pour l’humanité, pour aider les gens, pour apporter de la valeur ». Convaincu qu’il n’y a pas « 36 000 solutions » pour faire naître un tel projet, il a décidé de créer son entreprise.

C’est ce même élan qu’a connu Justine Durochat (Lyon), co-animatrice du Parlement des jeunes. Ne se retrouvant pas dans les postes salariés, elle s’est « lancée dans l’entrepreneuriat […] dans l’intention de pouvoir aligner [s]es valeurs avec le développement d’un business ». Après avoir créé une éphémère entreprise sociale, Symbiotik, « qui consistait en un accompagnement [des équipes de plusieurs entreprises] sur les relations interpersonnelles, la prise de décision en collectif, […] avec des masterclass », elle est désormais « exploratrice engagée » avec Moving Ways et sillonne les routes d’Europe et d’Asie « à la rencontre d’organisations qui se transforment pour prendre soin du vivant ». La suite ? « Créer une boîte, mais à plusieurs ».

C’est que gérer seul sa propre activité si jeune constitue un chemin particulièrement sinueux. Mais très émancipateur : tous deux « partis de rien », Justine et Thomas ont su naviguer à travers les difficultés financières d’entreprises « pas du tout rentables » et apprennent en temps réel « l’écologie personnelle » pour ne pas s’oublier. Selon Thomas, « [l’entrepreneuriat] est une voie magnifique, […] une façon d’impacter le monde à travers un modèle économique ». Et Justine de conclure sur les bienfaits d’entreprendre : « un espace très enrichissant d’expérimentation et d’exploration qui s’ouvre aux jeunes ».

Une génération d’entrepreneurs d’avenir

Si l’on en doutait, cet échantillon vient confirmer l’idée suggérée par plusieurs études que les jeunes sont engagés – 50 % donneraient de leur temps au sein d’un organisme – et optimistes – 72 % seraient confiants quant à l’avenir. Un combo idéal pour Jacques Huybrechts, fondateur de la communauté Entrepreneurs d’avenir à l’origine de ce Parlement des jeunes. Pensé en réaction à la souffrance éprouvée par les plus jeunes durant la crise du Covid, il vise à « mobiliser la jeunesse sur ses enjeux », et a aujourd’hui pour ambition de « s’installer durablement dans la vie publique ». Derrière ces 170 jeunes sélectionnés via un appel à candidatures puis tirés au sort à l’été 2023, Jacques Huybrechts voit « l’incarnation même de l’espoir ». En trois mots ? Un « feu d’artifice » de nature à faire bouger les lignes et à s’associer aux décisions politiques.Ce ne sont pas les parlementaires qui le contrediront, définissant tour à tour leur génération comme « forte, combattante, ambitieuse, rêveuse, réaliste, belle, motivante, éclectique, optimiste », ou encore « porteuse d’espoirs ». Si tous ont une vision différente de l’engagement, leurs parcours témoignent souvent d’un manque de considération de la jeunesse qu’ils essaient, à leur échelle, de combattre. Cyril Batolo, de la commission Consommation, résume leur état d’esprit en reprenant à son compte les propos de l’anthropologue Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de jeunes conscients et engagés puisse changer le monde ».

[La chronique d’Eva Roque] Jeunesses de tous écrans, montrez vos visages !

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Comment est représentée la jeunesse française de ces trente dernières années sur nos écrans ?  Les récits fictionnés ou documentés reflètent-ils la diversité de cette classe d’âge ?

Eva Roque est journaliste culture et média. Vous la retrouvez sur les ondes de France Inter, dans la presse (Libération, La Tribune), comme à la télévision (C L’Hebdo sur France5). Elle chronique pour la Revue Reporters d’Espoirs dont est extrait cet article qui vous est offert gratuitement.

Xavier a débarqué à Barcelone avec un petit polo décontracté. A Bruxelles, Samy a opté pour le costume cravate, pendant que Vinz ou Maimouna ont bien du mal à quitter leur survêt dans leur banlieue parisienne. Un défilé de tenues aussi diverses que la jeunesse française s’étalant sur nos écrans.

En 2002, les héros et héroïnes de « l’Auberge espagnole » de Cédric Klapisch brillaient par leur insouciance et une forme de folie douce. Plus de vingt ans plus tard, le réalisateur imaginait une série – « Salade grecque » – mettant en scène les enfants de ses premiers personnages. Ils font toujours la fête, mais sont animés d’un certain sens politique, d’un désir de justice, incarnant au passage une grande partie des problématiques de la société française des années 2020, de la situation des réfugiés aux enjeux post #metoo. Klapisch ne revendique pas un regard sociologique mais en s’emparant du sujet de la jeunesse, il parvient à capter une époque. A nos confrères du magazine Première, il expliquait : « j’ai choisi de travailler avec de jeunes scénaristes qui ont nourri ma réflexion. Ensemble, on a écrit et fait le casting, en interrogeant la vision actuelle des jeunes européens. C’était un travail presque journalistique ».

La série ne connaîtra malheureusement pas le succès du film. A se demander si le cinéaste n’a pas réalisé une œuvre sur la jeunesse destinée aux adultes, plus qu’une fiction parlant de la jeunesse et pour la jeunesse.

Un écueil récurrent dans les fictions qui tentent pourtant de représenter avec justesse cette catégorie d’âge. Comme s’il fallait tout faire pour ne pas trahir ces jeunes et leurs idéaux. Une jeunesse plurielle : technocratique dans la série « Parlement » (épisodes disponibles en Replay ici), banlieusarde et révoltée dans « La Haine » ou « Divines », rurale et en recherche d’ascension sociale dans « La voie royale », amoureuse et passionnée dans « La vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche. La jeunesse devient alors un relais des thèmes sociétaux, offrant au passage une photographie de la France. La fiction s’accroche à la réalité, flirtant parfois avec le documentaire.

En matière de documentaire, il faut voir l’œuvre remarquable de Sébastien Lifshitz « Adolescentes » et ce travail au long cours qu’il effectue en filmant Emma et Anaïs, de leurs 13 ans à leur majorité. Ou encore « Samedi soir » de Benjamin Montel et Antonin Boutinard Rouelle qui nous immergent dans l’intimité de quatre groupes de jeunes adultes aux parcours si différents.

Et que dire du documentaire immensément poétique de Matthieu Bareyre « L’époque », une traversée nocturne dans le Paris d’après Charlie où il est question de bonheur, d’avenir, mais aussi de peurs et d’incertitudes.

Chaque fiction, chaque documentaire capture ainsi un instant. Un moment daté, ancré dans une géographique, dans une classe sociale aussi.

Contrairement à un autre genre cinématographique qui lui s’illustre par une forme d’intemporalité : les « teen-movies ». Comprenez les films d’adolescents évoquant avant tout les premières fois : premier baiser, premier coup de foudre, première expérience sexuelle… « La Boum », « Lol » ou encore « Les beaux gosses » usent de la comédie pour traiter ces sujets. Des films à voir et revoir, à transmettre à d’autres générations. Comme si ces œuvres ne vieillissaient pas et exposaient un visage éternel de notre jeunesse.

Dans toutes ces représentations plurielles, on pourrait regretter cependant le peu de films reflétant des personnes jeunes en situation de handicap. Alors on se réjouit de la série « Mental » se déroulant dans l’univers d’un service pédopsychiatrie, de « Lycée Toulouse-Lautrec » (TF1) narrant le quotidien d’un établissement accueillant des élèves en situation de handicap, de « Hors normes » d’Eric Toledano et Olivier Nakache qui n’hésitent pas à mettre en scène de jeunes autistes, ou encore du formidable « Patients » de Grand Corps Malade et Medhi Idir, plongée drôle et émouvante dans un centre de rééducation.

« Désespoir, amour, gaieté. Qui a ces trois roses enfoncées dans le cœur a la jeunesse pour lui, en lui, avec lui » écrivait Christian Bobin. Et si c’était cela que l’on attendait d’une œuvre sur nos écrans ?

Observatoire des Médias sur l’Écologie : quelle place pour les solutions aux crises environnementales dans le champ médiatique ? 

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 « 13 à 43 % : c’est la part du climato-scepticisme dans les pays de l’OCDE1 ». Ce constat préoccupant a poussé l’association Quota Climat à initier l’Observatoire des Médias sur l’Écologie. Le consortium d’associations et d’institutions porteuses de cette plateforme en ligne a pour cheval de bataille de « faire entrer l’urgence écologique dans l’agenda médiatique ». Lancé le 7 novembre 2024, cet outil produit des données accessibles à tous sur la couverture médiatique des crises environnementales et écologiques. Alors que la COP29 sur le climat vient de prendre fin à Bakou (Azerbaïdjan), Eva Morel, cofondatrice de l’association Quota Climat, nous a partagé les ambitions de l’Observatoire et son évaluation de la place des solutions dans les médias.

Pourquoi nous avons choisi ce sujet ? Reporters d’Espoirs a réalisé en 2020 une étude sur le traitement médiatique du climat. A l’époque, un tel outil n’existait pas : nous devions lire, visionner, écouter plusieurs milliers de sujets, « humainement ». L’OME va permettre d’automatiser en grande partie cela et libérer du temps pour l’analyse des données. Dans la lignée de notre Lab MédiasClimat, Reporters d’Espoirs va lancer un nouveau Lab thématique en 2025 et s’appuyer pour une partie de ses études sur l’outil utile et intéressant que représente l’OMÉ et auquel nous allons nous associer. A bientôt pour vous en dire plus !

Léa Varenne – L’Observatoire des médias sur l’écologie : de quoi s’agit-il ?

Eva Morel – L’OMÉ est issu du travail collaboratif de 4 associations – Quota Climat, Climat médias, Expertise Climat et Data For Good –, 2 entreprises – Média Tree et Eleven Stratégie – et le soutien de deux partenaires institutionnels – l’Agence de la transition écologique (Ademe) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Il a pour objectif de produire une donnée fiable, objective et la plus unique possible pour évaluer la quantité et la qualité des informations environnementales dans les médias. Nous avions pour ambition de rendre le résultat en open source et accès libre afin que tout le monde puisse le consulter à tout moment, que les médias puissent s’en servir pour améliorer leurs performances en continu, que les pouvoirs publics puissent utiliser des données dans le suivi de leurs politiques publiques – et éventuellement refondre certains dispositifs à la lumière de la disponibilité de cette donnée – et que les citoyens puissent se mobiliser pour faire pression sur les médias et les inciter à mieux et davantage en parler.

Quelle est votre ambition quant à l’utilisation de cet outil par les médias ?

Dès la conception de l’outil, nous avons tenu à embarquer les médias dans son utilisation et surtout la compréhension de ce que nous faisions. Nous avons procédé en 2 étapes : une réunion de présentation à mi-parcours pour qu’ils comprennent la méthodologie et prennent connaissance de l’initiative, puis des rendez-vous individuels avec ceux qui le souhaitaient pour présenter plus en détail la méthodologie. L’objectif est qu’ils acceptent l’existence de l’outil et qu’à partir du moment où ils la reconnaissent officiellement, ils puissent s’en servir pour piloter leurs performances sur ces sujets.

Les données de l’observatoire peuvent aussi être mobilisées pour interpeller les médias sur l’évolution de leur traitement de ces thématiques. Quota Climat le fait régulièrement, et récemment, Vert a publié un classement des médias qui parlent d’écologie. Une preuve parmi d’autres que les acteurs du domaine se sont approprié l’outil. 

A terme, l’idée est aussi de faire en sorte que les données s’uniformisent avec celles produites par les équipes data des différents médias. Aujourd’hui, dans le cadre des contrats d’objectifs et de moyens, ces derniers envoient à l’ARCOM un reporting annuel. Mais pour que les analyses soient facilitées, il est nécessaire que les données des médias et celles de l’ARCOM soient similaires, ce qui n’est pas toujours le cas.  C’est pourquoi nous aimerions que les directions de rédaction et directions des médias s’emparent des analyses produites par l’observatoire : cette plateforme leur permet d’aller très finement en granularité dans la compréhension de ce que fait leur média, en plus des options de comparaison, pouvant servir, à terme, d’outil de monitoring.

La COP 29 s’est tenue du 11 au 22 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan. Pendant cette période, avez-vous noté une progression dans la mise en lumière d’initiatives, de solutions sur le climat dans les programmes d’information ?

Ce mois-ci, nous avons remarqué une hausse du temps d’antenne global sur les questions de l’écologie. Chaque année, il y a deux grands moments médiatiques pour ces sujets : la COP et l’été (si on met de côté les évènements météorologiques extrêmes). 2024 fait exception du fait de la crise agricole pour laquelle le lien a été fait avec les questions environnementales. Cela a généré un pic d’informations sur le sujet, plutôt très négatif. Pour autant, on note une hausse de la mise en avant de solutions, certes timide mais nette, et c’est encourageant pour nous : cela signifie que l’on ne parle pas des COP uniquement sous le prisme du défaitisme ou du simple constat, mais aussi de la manière dont on pourrait adresser le problème. C’est davantage un signal faible qu’une vraie tendance observée sur les courbes de l’OMÉ, mais c’est très encourageant.

Comment en êtes-vous venus à évaluer le traitement médiatique des solutions face aux crises environnementales ? 

Pour nous, c’était indispensable de savoir dans quelles mesures les médias parlent des causes, conséquences, constats et solutions, car nous savons que la mise en action des différents maillons de la société se fait en ayant conscience des initiatives qui existent. C’est en diffusant des solutions de manière répétée que le message imprègne. A ce sujet, l’OMÉ met en lumière deux pratiques à faire évoluer : d’une part, ce sont avant tout les conséquences et le constat qui sont traités dans les médias. D’autre part, quand on parle de solutions, certaines thématiques sont oubliées, comme le bâtiment par exemple, qui est pourtant un levier important de transition. Grâce à l’observatoire, en prenant conscience de la carence d’information sur un sujet, les médias peuvent décider de produire un contenu original pour faire avancer la société.

Vous travaillez sur une proposition de loi pour un meilleur traitement médiatique des questions climatiques. Comment cela s’illustrerait ?

Un meilleur traitement médiatique est un traitement qui ne désinforme pas et qui parle de manière transverse des questions d’écologie. Par là, j’entends qu’il ne doit pas être abordé  uniquement dans des rubriques spécialisées, mais en faisant des liens avec d’autres thématiques qui sont intrinsèquement liées à l’évolution du climat, de la biodiversité et de l’état des ressources. Je pense par exemple aux domaines de la santé, de la géopolitique, de l’éducation ou encore de l’économie. Diffuser la question de l’écologie au sein de l’ensemble des rubriques met en lumière les liens qui existent entre toutes ces problématiques, Ce rapprochement est encore très souvent taxé d’être militant, déconnecté ou non adapté à l’angle principal du sujet, alors qu’il s’agit là d’un élément de compréhension indispensable à la prise de conscience de l’urgence environnementale.

C’est pourquoi dans la proposition de loi, nous soumettons entre autres deux axes clés concernant l’ARCOM : premièrement, la doter de compétences plus affûtées pour favoriser l’information environnementale dans les médias, et notamment sa qualité. Deuxièmement, nous voulons lui conférer la compétence d’instaurer un quota en période électorale, si elle le souhaite, pour parler davantage d’environnement. On constate que c’est le grand oublié, avec des enjeux chauds qui prennent le dessus, prédéterminés par des acteurs politiques. Nous suggérons aussi que l’Observatoire des Médias sur l’Écologie  soit inscrit dans la loi pour que l’outil soit pérennisé au-delà de nos efforts associatifs. Enfin, nous parlons de la question de la publicité, qui doit être prise en compte dans  la cohérence éditoriale. L’objectif est que la présence potentielle de greenwashing ou de nombreuses publicités défavorables à l’environnement puisse être progressivement encadrée et amenuisée.

Quel impact espérez-vous dans les médias grâce à cette loi ?

On constate aujourd’hui qu’un certain nombre de médias sont mieux-disant, avec une envie d’améliorer la qualité des contenus.  Mais ce n’est pas le cas pour tous : certains font preuve de plus en plus d’opposition idéologique aux notions d’écologie, même vis-à-vis de la science du climat, ce qui est très préoccupant. L’idée est donc de rehausser le standard pour qu’il y ait un socle minimum de qualité informationnelle qui transcende ces clivages éditoriaux et partisans, quel que soit le média consommé. Tout cela part d’un constat :  les médias ont la capacité d’informer des bulles d’audience pouvant être soumises à une information insuffisante, de mauvaise qualité voire à de la désinformation. Et ces pratiques ont un effet délétère sur la capacité du public à se former une opinion éclairée et à agir vis-à-vis du climat.

Le positionnement de Quota Climat et de l’observatoire n’est pas le même,. Entre la neutralité requise par l’outil qu’est l’OMÉ et l’activisme lié à vos activités d’association, où placez-vous le curseur ?

Pour nous c’est très simple : les données de l’observatoire sont produites avec la méthodologie la plus expertisée possible. Pour cela, nous nous entourons d’institutions, d’experts et d’autres structures qui n’ont pas forcément les mêmes intérêts que nous. Par contre, dans la manière de communiquer sur ces données, on se donne la possibilité d’avoir une liberté de parole. Ainsi, quand nous interpellons tel ou tel média, nous utilisons ces données expertisées dans un cadre qui peut être plus provocateur ou militant.

Propos recueillis par Léa Varenne/Reporters d’Espoirs

Pour découvrir l’Observatoire des Médias sur l’Écologie : https://observatoiremediaecologie.fr/

1 https://www.quotaclimat.org/

Lien utile :

https://vert.eco/archive/edition-speciale-chaleurs-actuelles

« Ce qui me plaît c’est d’avoir l’impression que nous sommes une équipe et que chacune et chacun apporte de soi »

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Crédits photo : Editions Marabout / Elodie Daguin

Journaliste indépendante spécialisée en sport et en société depuis 2012, Assia Hamdi collabore avec les magazines l’Équipe, Le Monde, Marie-Claire, Phosphore, ou encore Tennis Magazine… Lauréate du Prix Reporters d’Espoirs Sport & Innovation sociale 2024, elle nous livre son parcours et sa vision du journalisme de solutions.

Léa VarenneVoilà 13 ans que vous faites profession de journaliste. Qu’est-ce qui a motivé votre volonté d’exercer ce métier ?

Assia Hamdi – Les correspondants des journaux télé me faisaient rêver parce qu’ils étaient reporters à l’étranger, envoyés spéciaux : ce sont eux qui m’ont donné envie de faire ce métier, de découvrir le monde et le raconter. Au fil de mon parcours, ma vision a évolué, elle est devenue plus « terre à terre ». Au collège, j’ai commencé à apprécier écrire. J’aimais beaucoup l’idée de comprendre comment fonctionne un texte, comment fonctionnent les mots, comment choisir les bons, de jouer avec eux et avec le vocabulaire. En parallèle, j’ai développé une passion pour le sport que je pratiquais pas mal en dehors de l’école et que je regardais à la télé. Ces deux passions se sont combinées. Au fil des ans, l’envie de devenir journaliste dans le sport s’est précisée, jusqu’à devenir logique au moment de choisir mon orientation.

Vous exercez comme journaliste indépendante : est-ce par choix ou par la force des choses ?

Quand j’étais étudiante au CFPJ, j’ai effectué mon alternance au sein du média L’Étudiant en contrat de professionnalisation. L’Étudiant n’avait pas la possibilité de m’embaucher du fait d’une situation économique tendue, mais ils ont continué à me solliciter comme pigiste. D’une situation un peu subie, elle m’a finalement rendu service : ça m’a appris à être débrouillarde, démarcher toujours de nouvelles rédactions, diversifier les angles, développer une capacité à chercher de bons sujets et différentes façons de traiter un même sujet. De travailler, aussi, avec une diversité de médias, et de m’adapter au rythme particulier de la pige. J’ai ainsi appris à compter sur moi et à croire en moi. Aujourd’hui, j’aime partir d’une idée, d’un sujet, pour les proposer à tel ou tel média. Avec une constante toutefois : travailler sur le sport en l’abordant d’une manière sociétale.

Vous vous passionnez pour « la place du sport comme levier de société, la question de l’égalité dans le sport, mais aussi des femmes, du genre et des discriminations dans le sport et dans la société. » Vous contribuez à rendre visibles des histoires de résilience ou de personnes invisibilisées. Peut-on dire que le journalisme constructif est pleinement intégré à votre démarche journalistique ?

Je ne sais pas si dans tous les articles que j’ai écrit, j’ai été constructive ou pas, mais j’ai toujours eu la volonté de me sentir utile dans cette profession. Ce besoin motive le choix de mes sujets, et me permet de mieux les défendre dès lors qu’il s’agit de raconter une histoire qui peut inspirer d’autres personnes. Quand je tâche de mettre en valeur un projet, une initiative ou une cause, j’ai besoin d’y croire. Bien sûr, il m’arrive comme tout journaliste de traiter de sujets parce qu’il y a un besoin précis d’une rédaction, mais j’ai la chance de pouvoir la plupart du temps choisir mes propres sujets.

Vous avez postulé au Prix Reporters d’Espoirs de l’Innovation sociale : qu’est-ce qui vous y a motivée ?

Je suis tombée par hasard sur le site internet de Reporters d’Espoirs. Je connaissais le Prix de nom. Le thème donné cette année m’a immédiatement parlé. J’ai trouvé très intéressant de valoriser ainsi la thématique du sport mêlée à celle de l’innovation sociale. Car j’ai l’impression que dans le journalisme, le sport n’est pas forcément vu comme un vecteur social. J’ai trouvé encourageant que Reporters d’Espoirs reconnaisse le sport comme un outil d’innovation, et cela m’a poussé à candidater.

Que représente pour vous le fait d’être lauréate du Prix Reporters d’Espoirs ?

J’ai jeté un œil aux autres reportages en présélection et il y a une chose amusante : j’envisageais de traiter une des initiatives. Cela m’a fait plaisir de voir qu’autant d’initiatives sont mises en avant par notre profession et valorisées par votre association. D’autant que j’ai souvent l’impression que le sport est le vilain petit canard du journalisme : on va en parler en fin de journal, on a l’impression qu’il a une dimension futile dans notre société – même si les JO ont apporté du nouveau.

Je suis très fière et honorée d’être lauréate car ce Prix récompense toute une façon de traiter le sport. Hélas, des annonces ont été faites visant à limiter les heures supplémentaires de pratique sportive hebdomadaire dans certaines écoles alors qu’il s’agissait d’une mesure phare annoncée dans le cadre des JO. C’est inquiétant et cela donne une dimension encore plus forte et plus importante à notre travail et à cette nécessité de documenter le sport dans notre société. Je travaille sur l’héritage des JO et j’ai envie de continuer à faire en sorte que le sport ne soit pas oublié dans les années qui viennent.

En plus d’être journaliste spécialisée en sport et société, vous faites de l’éducation aux médias en intervenant dans des établissements scolaires. Pensez-vous que le journalisme de solutions puisse redonner aux jeunes confiance dans les médias ?

Totalement. Le journalisme de solutions appliqué au sport consiste à aller sur les territoires, que ce soit dans les banlieues où la pratique sportive est indispensable ou des zones en campagne, éloignées des grandes villes. 

Tout l’intérêt de notre métier réside dans le fait de donner la parole à des gens pour lesquels la pratique sportive apporte quelque chose, que ce soit des enfants issus de quartiers défavorisés ou des personnes atteintes d’une maladie. J’utilise beaucoup ce type d’exemples quand j’interviens dans des écoles.

Lorsque j’échange avec les jeunes dans les ateliers d’éducation aux médias, ils m’indiquent qu’ils lisent le journal de leur ville, donc ce qui les concerne en premier. Quand on leur parle de quelque chose à un niveau national, par exemple les JO, je pense que le plus intéressant est de les emmener sur une compétition ou les faire rencontrer un athlète sur son terrain d’entraînement. Ainsi, avec un collègue, j’ai mené l’an dernier un projet d’EMI avec le plongeur Gary Hunt qui se préparait aux JO et qui s’entraînait à Montreuil. Il est venu les rencontrer dans leur collège mais nous avons aussi emmené les jeunes assister à son entraînement et ils trouvaient ça exceptionnel de rencontrer un sportif, ils étaient émerveillés. Quand on casse les barrières comme ça, les jeunes peuvent vraiment sentir l’intérêt de notre profession : le journalisme ce n’est pas forcément aller à l’autre bout du monde, ça peut aussi se passer en bas de chez soi. Les collégiens avec lesquels j’échange m’apportent aussi beaucoup, ils me permettent de voir comment la perception de notre métier évolue.

Quelle est votre volonté profonde, en tant que journaliste, face aux défis que représentent les sujets que vous traitez ?

Si je parle du milieu du sport, la question de l’inclusion et de l’égalité me fait beaucoup échanger avec des associations, des personnes militantes, entraîneuses, entraîneurs, des sportives et sportifs, des enseignants aussi. Ce qui me plaît c’est d’avoir l’impression que nous sommes une équipe et que chacune et chacun apporte de soi.

Par exemple, je connais bien un enseignant à Aulnay-sous-Bois qui fait beaucoup de sensibilisation, en enseignement d’éducation physique, aux questions d’égalité entre les genres, égalité homme-femme, histoire du sport, lutte contre le racisme auprès de ses élèves. Ça fait des années que nous menons des projets ensemble. Quand je dois faire intervenir des professeurs dans certains articles je le sollicite, comme lorsque j’ai raconté son histoire en tant que porteur de la flamme olympique. Avec ses élèves, nous avons aussi réalisé un grand dossier sur les sports avec le magazine Phosphore. De la même manière, je vais me rendre dans l’une de ses classes pour réaliser des ateliers d’EMI où je parle de mon expérience de journaliste sur les JO.

C’est vraiment ce travail de long terme que j’apprécie, au contact d’acteurs locaux qui prennent leurs responsabilités en se disant qu’ils peuvent changer les choses à leur manière, et essayent de le faire.

Propos recueillis par Léa Varenne/Reporters dEspoirs

Couvrir journalistiquement la biodiversité : une multiplicité d’angles possibles

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La COP 16 touche bientôt à sa fin – le 1er novembre – et elle entend se solder par un accord important sur la préservation de la biodiversité. De nombreuses solutions existent en ce sens et une nécessité se manifeste de politiques publiques renforcées. Parler de biodiversité dans les médias, c’est aussi montrer comment la protéger et donner la parole à ceux qui en connaissent les enjeux.

Les aires protégées présentent un espoir car leur impact positif sur les écosystèmes a été démontré. Ces espaces sont des outils multi-facettes et rassemblent de nombreuses thématiques qu’elles soient sociales, économiques, environnementales…pouvant être traitées avec des approches très variées.

Biodiversité : Quels enjeux ?

Pour cette nouvelle COP, il ne s’agit pas de redéfinir des engagements mais plutôt pour les pays de « rendre effectives les actions, les interventions, les politiques publiques et les plans stratégiques qui sont mis en place pour atteindre les cibles de Kunming-Montréal », explique Joachim Claudet, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la durabilité des systèmes socio-écologiques côtiers et marins. Cela passe par l’intervention de nombreux acteurs, depuis la communauté scientifique jusqu’à l’écosystème médiatique. Médiatiquement, le sujet de la biodiversité se heurte souvent à la focalisation sur l’émerveillement suscité par « les baleines ou les pingouins ». « Il faut dépasser ce côté teddy bear-espèce emblématique et travailler à un niveau beaucoup plus systémique ». Selon le spécialiste, ce qui manque le plus est le relai de sujets a priori moins « séduisants » mais pour autant primordiaux. Une approche transdisciplinaire qui offre un traitement médiatique varié tout en exposant des solutions à l’extinction en masse de la biodiversité.

Une solution attestée : les aires protégées

Les aires protégées, qu’elles soient marines ou terrestres, « sont des périmètres, des espaces géographiquement définis, à l’intérieur desquels les usages humains sont interdits ou réglementés, selon le type d’usage et dont l’objectif principal est la conservation de la biodiversité » explique Joachim Claudet. Outils de gestion par zone, elles ont pour unique but la conservation de la biodiversité, des écosystèmes et espèces inhérentes. D’après le spécialiste, « montrer que les aires protégées sont un outil pour la durabilité est indispensable, que cette dernière soit environnementale, sociale ou économique ». Elles s’inscrivent sur le long terme et comportent des coûts – ne plus pouvoir pratiquer une activité dans le périmètre de l’aire protégée ou ne pouvoir la pratiquer que de manière différente – mais leurs bénéfices sont supérieurs. Le coût, pour les activités les plus extractives et impactantes, est plus fort au moment de la mise en place de l’aire protégée. Mais à moyen terme, l’aire sera bénéfique : si l’on prend l’exemple de la pêche, il y aura exportation de la biomasse, débordement et ensemencement de l’intérieur de l’aire vers l’extérieur, ce qui se traduira par des stocks de pêche accrus, des bénéfices pour la recherche et pour le tourisme. Conscients de cet impact positif à moyen-long terme, les Açores ont annoncé la protection de 30 % de leurs eaux afin de s’aligner aux objectifs de la COP 15 et de créer la plus grande aire marine protégée de l’Atlantique Nord, initiative qui prendra effet dans 9 mois. D’après le spécialiste, « il faut faire évoluer les pratiques » et cela passe par « une volonté politique, des politiques d’accompagnement ». Les politiques d’accompagnement et de compensation sont, dans ce cas, requises pour ne pas laisser seules les communautés territoriales et prendre le risque qu’elles proscrivent les logiques « perdant puis gagnant ». Les journalistes ont ainsi un rôle majeur à jouer pour expliciter les portfolios d’interventions et de transition vers la durabilité.

La géo-ingénierie et la technologie d’absorption de dioxyde de carbone : de nouvelles pistes à explorer et médiatiser ?

L’océan est source de solutions et d’innovations majeures : des écosystèmes côtiers en bonne santé peuvent aider à lutter contre les conséquences néfastes du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Ces écosystèmes font par exemple office de protection contre la hausse du niveau de la mer ou tampons entre polluants et milieu marin. Aussi les solutions inhérentes au milieu marin sont nombreuses et peuvent constituer des pistes particulièrement intéressantes à explorer dans le champ médiatique.

Par ailleurs de nouvelles technologies, en plein essor, permettent d’accroître la quantité de CO2 capturée et séquestrée par l’océan. « Ces technologies que l’on ne considère pas nécessairement mûres comportent un certain nombre de points d’attention puisque nous ne maîtrisons pas les externalités négatives qu’elles pourraient engendrer, si elles sont employées à de grandes échelles », renseigne Gauthier Carle, responsable plaidoyer de la Plateforme Océan & Climat. « Il est important de décarboner mais d’abord et avant tout de limiter les impacts écologiques et sociaux de ces solutions que certains promeuvent » ce qui nécessite d’accroître la recherche et de mieux suivre, comprendre et rapporter ces sujets. L’enjeu est également de documenter les avancées et d’en vérifier les mises en œuvre.

Journalistes, s’emparer des enjeux : quelle aide pour relayer l’information ?

Quels enjeux pour les professionnels des médias ? Le devoir d’information et la contribution à la médiation scientifique, bien sûr. L’urgence à communiquer le constat scientifique qui fait état du lien entre la crise du climat et l’érosion de la biodiversité, aussi. Mais il s’agit de ne pas traiter les sujets en silo. La biodiversité et le changement climatique étant des « composantes essentielles de notre économie », ils peuvent être abordés dans quelque sujet que ce soit – y compris au sujet des guerres et conflits ou du projet de loi de finance. Pour reprendre l’exemple des aires protégées, par exemple, « pour les journalistes économiques, explique Joachim Claudet, il s’agit de montrer les coûts engendrés par l’absence de création d’une aire protégée. Ces coûts et bénéfices peuvent être chiffrés de manière économique et sociale. »

Joachim Claudet résume : « le travail des journalistes passe par aider à porter à la connaissance du plus grand nombre trois aspects essentiels : l’urgence de mettre en place des changements transformateurs, la manière dont nous dépendons de l’environnement et enfin le fait que les solutions à mettre en œuvre ne peuvent pas être toutes gagnantes-gagnantes en maintenant les pratiques actuelles. Une transformation est indispensable sous peine de n’avoir finalement que des perdants ».

Sur qui les journalistes peuvent-ils s’appuyer ? « Suivre des organisations ressources, ONG, instituts de recherche. Certains réseaux peuvent mobiliser nombre d’acteurs et constituer un point focal pour les médias afin de les orienter et d’être à même de répondre à leurs questions » selon Gauthier Carle. Par exemple, la Plateforme Océan & Climat propose des fiches ressources sur les conséquences du changement climatique sur l’océan, sur la pêche et l’aquaculture dans le contexte du changement climatique, et publie un rapport mettant en avant un panel de solutions pour le climat et la biodiversité.

Léa Varenne

Pour aller plus loin

https://ocean-climate.org/wp-content/uploads/2021/06/Ocean-solutions-report.pdf

http://www.joachimclaudet.com/

https://ocean-climate.org/

Santé mentale chez les journalistes : Où se situent nos homologues d’outre-Atlantique ? Samuel Lamoureux répond.

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À l’occasion de la Journée internationale de la santé mentale, ce jeudi 10 octobre, nous avons voulu nous intéresser à la manière dont elle concerne particulièrement la profession journalistique, parfois mise à rude épreuve.  Nous avons questionné Samuel Lamoureux, chercheur et professeur canadien en communication au Département Sciences humaines, Lettres et Communication de l’Université TÉLUQ. Ses analyses portent sur le journalisme, les médias, les conditions de travail et la santé mentale des journalistes au Canada et dans le monde francophone. Tiraillée entre ses propres biais internes, la virulence de certains lecteurs mais aussi les situations qu’elle se doit de couvrir, la profession journalistique laisse peu de place au bien être psychologique des journalistes, dont la sphère intime est fortement impactée. Samuel Lamoureux préconise une réflexion personnelle par et pour les journalistes afin qu’ils puissent répondre avec justesse à leurs problèmes. Certaines actions mises en place outre-Atlantique peuvent inspirer une meilleure prise en charge de la santé mentale des journalistes en France.

Léa Varenne – En cherchant des contenus sur  la santé mentale des journalistes , il faut se rendre à l’évidence : voilà un sujet très peu abordé. Pourtant, il y a beaucoup à faire. Est-ce un tabou ?

Samuel Lamoureux – Il y a plusieurs raisons à cela. La première c’est parce qu’aller creuser ce sujet signifierait poser des questions dérangeantes pour la profession. La souffrance au travail qui peut aussi être nommée « stress chronique » est documentée au sein des salles de rédaction depuis longtemps. Par exemple, le syndicat de Radio Canada (service public équivalent de France Télévisions au Canada) a déjà réalisé des enquêtes internes sur la souffrance au travail, mais elles n’ont pas été rendues publiques. Il en était sorti que plus de 40% de journalistes déclaraient avoir déjà ressenti des symptômes de détresse psychologique, même plusieurs fois par an, du stress chronique, des insomnies, des dépressions, des burn-out…C’est quelque chose qui est documenté, mais pas rendu public, parce que ça voudrait dire qu’on pose des questions délicates. Pourquoi est-ce que les journalistes souffrent autant ? Quand on creuse, on soulève deux aspects qui ne sont pas évidents à aborder : d’une part, les méthodes de travail – notamment le rythme de production, avec parfois des pratiques ultra commerciales-, et d’autre part la réaction du public quand les journalistes expriment leurs difficultés. Je me souviens que sur Twitter, notamment, des lecteurs s’en sont beaucoup pris à certains journalistes en disant qu’ils n’avaient pas à se plaindre. Depuis ce temps-là, je sens qu’il y a moins de volonté de la part des journalistes de se montrer fragiles.

Pensez-vous que la manière dont ils traitent l’actualité – qui est majoritairement négative – affecte la santé mentale des journalistes qui y sont exposés en première ligne ?

Je ne sais pas si le problème est le fait qu’on traite l’actualité de manière négative ou si c’est plutôt qu’on la traite de manière extrêmement rapide en mode « breaking news ». On se concentre sur beaucoup de conflits que nous avons des difficultés à mettre en perspective. On voit juste des images de villes détruites, le monde qui brûle, des ouragans, etc. Pour moi, il n’y a pas de volonté particulière de la part des éditeurs de dire : « couvre des sujets négatifs ». C’est plutôt : « couvre l’actualité la plus chaude » ou « live tweet un événement ». Et quand vous voulez couvrir l’actualité chaude, souvent, le plus facile, c’est de suivre un événement négatif, une fusillade, un ouragan et de retweeter ce que d’autres font. C’est là que réside l’intérêt du journalisme de solutions : on ne peut pas juste suivre l’actualité chaude et retweeter. Il faut des textes plus longs qui expliquent davantage de choses. Quand on dit à un journaliste de couvrir les victimes d’un attentat, mais sans jamais mettre cela en perspective, sans jamais donner de solutions, c’est sûr que ça a un impact sur les professionnels de l’information, qu’ils travaillent de chez eux, ou qu’ils se rendent sur le terrain. Là, on peut parler de choc post-traumatique.

Pourriez-vous faire un état de la situation au Canada, et en France, en matière de santé mentale chez les journalistes et dans les salles de rédaction ? La santé mentale est-elle prise en compte dans ce domaine ? Notez-vous une différence entre le Canada et l’Union Européenne ?

Quand on parle de santé mentale, on parle de problèmes de burn-out, de surmenage, de dépression aussi.

J’ai lu un article dans Le Monde selon lequel 40% des jeunes journalistes français quittaient le métier et abandonnaient leur carte de presse après sept ans de métier. La question des pigistes représente un enjeu plus spécifique encore. Au Canada, il ne gagnent pas plus de 20 000 dollars par an, ce qui pose beaucoup des problèmes d’isolement et impacte toutes les sphères de la vie puisqu’il est impossible de payer un loyer avec un salaire si faible. Les journalistes se surmènent pour trouver d’autres sources de revenus qui peuvent générer des problèmes éthiques. Certains jeunes se tournent vers des métiers qui sont mal vus par la profession comme la publicité ; d’autres acceptent n’importe quelles conditions de travail, en ne comptant pas leurs heures. Et ça, en psychologie, « en faire plus avec moins », c’est littéralement la recette d’un surmenage. Ce cocktail de pression vient à la fois des supérieurs, et de l’auto-pression que se mettent les journalistes pour atteindre leurs objectifs. Comment penser à la santé mentale de quelqu’un si on le considère comme une unité interchangeable qui doit juste remplir son quota d’actualités, qui varie selon l’offre et la demande ? Cela constitue un cocktail toxique qui pousse beaucoup de personnes à quitter le métier.

L’agence de presse Reuters met à disposition des journalistes des formations en e-learning (sur le site *) sur le thème de la résilience et de la santé mentale. Voyez-vous d’autres initiatives en matière de prise en charge ?

Il existe un débat assez classique en sociologie : celui d’opposer l’individu et le collectif. C’est-à-dire se demander est-ce la faute de l’individu ou est-ce la faute du collectif ? Dans le premier cas il doit se débrouiller pour ajuster son comportement ; dans le deuxième cas il doit modifier son mode de fonctionnement.

Ce débat traverse le monde du journalisme. Beaucoup de gens disent que les journalistes ont des problèmes parce qu’ils se mettent trop de pression, et c’est en partie vrai. J’ai questionné des personnes travaillant dans les ressources humains qui me parlaient de techniques comme la méditation. Je ne suis pas du tout contre le fait d’apprendre à être plus zen dans sa vie et c’est important pour les personnes anxieuses d’apprendre à être moins anxieuses, mais le problème est plus large. Il y a un vrai problème de rapport au téléphone par exemple. Les journalistes sont trop connectés et il est important qu’ils réussissent à se mettre des barrières. Mais ce n’est pas une solution suffisante à mon goût parce qu’elle se contente de mettre l’accent sur l’individu qui doit apprendre à régler ses propres problèmes. On sous-entend ainsi que c’est peut-être la faute des individus s’ils sont malades parce que pas assez responsables, ou pas adaptés au rythme. Il y a des limites à dire aux gens qu’ils doivent juste s’adapter.

Parfois, c’est le collectif lui-même qui est malade. Ces dernières années, beaucoup d’articles sont parus sur la toxicité des relations dans certaines rédactions, notamment envers les femmes. C’est présent au Canada comme en France et documenté dans le livre du sociologue français Jean-Marie Charon, Hier journalistes. Quand se pose la question du sexisme type « plafond de verre », le problème ne vient pas de l’individu. C’est le problème du collectif, donc, dans ce cas-là, on a besoin d’une réaction collective. Comment notre collectif peut-il s’améliorer ? Comment peut-on en finir avec les plafonds de verre ? Là, ça devient une réflexion collective, associative et qui parfois doit mener à des prises de parole publiques. Il y a quelques années, il y a eu le #MeToo Média, entre autres en Europe. Ça a été une libération de la parole.

Ainsi selon moi, il faut un bon dosage entre les deux solutions. D’un côté des solutions individuelles pour apaiser les gens anxieux et trop stressés et d’un autre côté, des solutions plus collectives.

Existe-t-il des formations dès les écoles de journalisme sur la manière de couvrir un sujet potentiellement anxiogène tout en préservant sa santé mentale ?

Créer ce genre de cours représente une préoccupation grandissante. Deux collègues, Matthew Persson et Dave Sieglin, ont créé une formation sur les traumatismes prodigués dans les écoles de journalisme. Dans leur rapport sur la santé mentale « Prenez soin de vous », leur constat en 2022 était qu’au Canada, 90 % des journalistes n’auraient pas eu de formation sur la santé mentale ou sur la gestion des traumatismes. Dans le cursus scolaire on enseigne plus le contraire, « Soyez endurcis, soyez comme Albert Londres, allez au bagne et écrivez vos articles, allez voir les horreurs, la guerre, et montrez-nous ce qu’il s’est passé ». On enseigne souvent la figure de journaliste-aventurier, qui doit absolument aller sur les terrains « chauds ».

Proposez-vous, dans vos travaux, de nouvelles stratégies de prise en charge des journalistes et acteurs des médias ?

Je suis beaucoup inspiré par le concept de « psychodynamique du travail ». Il a été popularisé en France par Christophe Dejours. Ce qui est dit dans cette approche-là c’est que, pour gagner la santé il faut augmenter son pouvoir d’agir et son pouvoir de décision. Je travaille avec l’Association des Journalistes Indépendants du Québec, et on organise beaucoup d’événements où les journalistes indépendants doivent eux-mêmes réfléchir, trouver des solutions à leur problème. Chaque mois, on organise des rencontres de socialisation où on essaie de discuter des principaux problèmes. Par exemple : beaucoup de pigistes avaient remarqué qu’un média en particulier mettait des mois à les payer, parfois six mois. Nous en avons discuté puis il y a eu des actions. Plusieurs personnes leur ont écrit sur Instagram, des rencontres ont été faites avec d’autres organisations, ce qui a conduit le média à changer ses pratiques : il a compris qu’il était préférable de payer ses pigistes sans délai.

Je pense qu’il faut créer des espaces de réflexion, de collaboration, où les journalistes peuvent énoncer leurs problèmes et trouver des moyens de les régler par la force de leur collectif. Certes je suis un expert mais ce n’est pas mon rôle en tant que tel de montrer aux gens comment vivre. Les gens sont assez intelligents pour trouver des solutions à leurs problèmes, parfois ils manquent simplement de temps et d’espace. Je pense qu’on doit faciliter les échanges dans la profession, et créer aussi des espaces où les journalistes n’ont pas peur d’avoir des représailles. Il y a des endroits où les langues peuvent se délier et ça peut être organisé par une association, par un syndicat, par les journalistes eux-mêmes. ■

Propos recueillis par Léa Varenne, chargée de veille et de rédaction à l’ONG Reporters d’Espoirs.

Sources

Rapport « Prenez soin de vous » : https://www.journalismforum.ca/rapport-prenez-soin

Article du Monde : https://www.lemonde.fr/comprendre-en-3-minutes/article/2023/11/05/pourquoi-autant-de-jeunes-journalistes-quittent-le-metier-au-bout-de-sept-ans-comprendre-en-trois-minutes_6198317_6176282.html

Boîte à outils (English content)

https://ijnet.org/en/toolkit/mental-health-and-journalism

https://www.mentalhealthreuters.com/introduction

Les États généraux de l’information aspirent à un « journalisme de solutions » : Reporters d’Espoirs met à disposition ses 20 ans d’expertise et d’actions concrètes

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Le mois dernier se tenait la restitution du plan d’action des États Généraux de l’Information au CESE à Paris. 15 propositions et 2 recommandations ont été présentées, adressées aux pouvoirs publics, en vue de soutenir la liberté d’expression et le pluralisme dans les médias. Des mesures concrètes sont proposées dans le rapport : propositions d’abrogation de lois, renforcement de l’éducation aux médias dans le milieu scolaire, éducation du public contre la désinformation, etc. Reporters d’Espoirs se réjouit que la démarche du journalisme de solutions -qu’elle a lancée en 2004 et qui fête cette année ses 20 ans- soit mentionnée à cinq reprises comme une réponse à l’info-anxiété et pour l’innovation éditoriale.

Tout simplement d’un journalisme « à spectre large », comme le décrit Serge Michel, ancien directeur de la rédaction du journal Le Monde. En complément des « 5W » – les cinq questions que se pose en général un journaliste lorsqu’il appréhende un nouveau sujet (qui, quoi, où, quand, pourquoi) – il s’agit d’en ajouter une 6e : « qu’est-ce qu’il se passe dans la société, des réponses à ce problème existent-elles ? ». En expliquant, dans la version la plus poussée, à la fois le problème et ses causes, l‘initiative, le processus de résolution qui l’a rendue possible, les résultats obtenus et les limites de l’initiative.

Une fierté française ? Cette démarche s’est structurée en France dès 2004, avec Reporters d’Espoirs, avant d’essaimer aux États-Unis, en Europe et dans le monde.

DÉCERNER DES PRIX POUR SOUTENIR LES DÉMARCHES JOURNALISTIQUES 

Le groupe de travail Citoyenneté, information et démocratie soulève à juste titre « La question de la protection de la population, notamment de la jeunesse, contre les excès de l’information (sous l’angle de la santé publique) » et propose que l‘« un des enjeux [soit] de promouvoir le « journalisme de solutions » en ne se limitant pas à soulever les problèmes, le cas échéant en le récompensant par des prix » (page 127 du rapport). En ce sens le Prix Reporters d’Espoirs a depuis 2004 distingué 160 lauréats pour leurs reportages de journalisme de solutions et leurs innovations éditoriales, au cours de 13 éditions saluant des productions écrites, audiovisuelles, des innovations éditoriales des médias régionaux, nationaux, européens et internationaux. Avec le recul, nous confirmons les vertus d’un Prix. Il a permis à des journalistes de défendre leur travail au sein de leur rédaction, de gagner en notoriété auprès du public, de maintenir ou développer leurs rubriques, de convaincre leur média de la pertinence du journalisme de solutions, etc.

RECENSER LA DIVERSITÉ DES SUJETS ET PRODUCTIONS POUR INSPIRER

Le rapport ajoute qu’« en matière de contenu, sans préjudice du principe de liberté éditoriale, la société devrait s’engager à favoriser une diversité dans les sujets abordés, à promouvoir une approche du « journalisme de solutions » ainsi qu’à garantir une représentativité de la population française dans ses intervenants » (page 130). Le journalisme de solutions offre en effet un « spectre large » en ce qu’il permet de compléter l’approche « conventionnelle » en y ajoutant un examen de réponses possibles à des problèmes écologiques, sociaux, économiques ou encore culturels. Le pratiquer, c’est l’opportunité de diversifier et d’enrichir les lignes éditoriales, de donner la parole à des personnes qui agissent sur le terrain, d’analyser et de diffuser la connaissance d’initiatives utiles à la société. Afin de valoriser les réalisations dans le domaine et d’accompagner les journalistes dans leur recherche de sujets et d’initiatives pour les illustrer, Reporters d’Espoirs répertorie au quotidien les productions éditoriales de journalisme de solutions : elle en compte actuellement plus de 7000 référencées dans ses bases (LePlus) et est en mesure d’en analyser la progression média par média. 

FORMER ET ÉDUQUER A L’INFORMATION ET SES IMPACTS

Enfin, il estime « souhaitable » « [La] généralisation [du journalisme de solutions], par le biais de la formation initiale des journalistes mais aussi de la formation continue au sein des organes de médias. » (page 160) Pour notamment « Renforcer, dans la formation des journalistes, la sensibilisation aux risques en santé mentale liés au caractère anxiogène de l’information » (page 162). Reporters d’Espoirs en est venu à la même conclusion. Aussi elle intervient tout au long de l’année dans les écoles de journalisme et au sein des rédactions régionales et nationales ; offre un cours en ligne gratuit développé avec l’école de journalisme d’Aix-Marseille (EJCAM) ; propose un catalogue de formations qui l’aborde sous des angles aussi variés que la pratique éditoriale, les opportunités en termes de monétisation des contenus, de recrutement des abonnés, de motivation des équipes, ou encore de lien avec des sujets anxiogènes comme la crise écologique qui appellent à des connaissances scientifiques.

Pour aller plus loin encore, le CLEMI (Éducation nationale) et Reporters d’Espoirs proposent depuis mai 2024 une formation aux enseignants des écoles, collèges et lycées permettant de développer auprès de leurs élèves l’apprentissage des techniques journalistiques et la curiosité pour les initiatives de leur territoire en pratiquant l’interview. Un complément que nous pensons indispensable dans la lutte contre les « fake news », pour offrir un recul critique tout en donnant envie à la jeunesse de s’informer auprès des sources les plus fiables qui soient : celles de qualité et de déontologie journalistiques.

Le journalisme de solutions existe et se structure depuis vingt ans. Le contexte, l’envie des journalistes et des médias d’innover et de répondre aux nouvelles attentes de leurs publics, voire parfois d’accompagner les évolutions de la société, et de préserver la santé mentale des citoyens, ne peuvent que l’amener à se développer. Reporters d’Espoirs remercie les États généraux de l’information de l’encourager et tient son expertise de 20 années dans le domaine à la disposition de toutes et tous, en France et en Europe.

8 au 11 octobre : Mémona Hintermann à La Réunion

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Mémona Hintermann-Afféjee est actuellement en voyage à La Réunion, son île natale, où elle inaugure mardi 8 octobre 2024 la première Maison des femmes, de la mère et de l’Enfant, aux côté notamment d’Huguette Bello, présidente du conseil de surveillance du CHU Nord de Saint-Denis. Cette initiative vise à prévenir les violences faites aux femmes et aux enfants. Elle y convie notamment des professeurs, convaincue que c’est à l’Ecole qu’il  est possible de changer les mentalités.

Elle profite de ce séjour pour arpenter les établissements scolaires, notamment le 10 octobre où elle rencontrera au cœur du lycée qui porte son nom l’équipe pédagogique et les élèves ; le 11 octobre au Collège de Cambuston, établissement situé en REP+ où depuis 2015 elle accompagne des actions en lien avec des associations de quartiers pour fortifier les liens sociaux. « Le journalisme de solutions, c’est ça aussi. C’est en tant que journaliste que j’agis ! » rappelle Mémona, grand reporter, ancienne membre du CSA (ARCOM), éditorialiste à La Dépêche du Midi et à Midi Libre, et dynamique administratrice de Reporters d’Espoirs.