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« On voit d’autant mieux les étoiles qu’il fait nuit » – Anne-Françoise de Taillandier, journaliste à Famille Chrétienne

By 27 novembre 2023No Comments

Anne-Françoise de Taillandier est journaliste à Famille Chrétienne. Issue d’une école de communication et d’abord passée par la publicité, elle s’est tournée vers le journalisme il y a deux ans et demi. Elle figure aujourd’hui parmi la pré-sélection du Prix Reporters d’Espoirs 2023 de l’innovation sociale avec son reportage sur « Pourquoi les Mureaux n’ont pas craqué », et nous raconte son parcours journalistique.



Vous avez débuté votre carrière dans la publicité. Pourquoi ce choix, avant de vous tourner plus récemment vers le journalisme ?

Ce n’était pas un choix prémédité : je pense que j’ai toujours voulu être journaliste, mais l’occasion ne s’était jamais réellement présentée. Mon entourage et mes études en prépa littéraire, puis en communication au CELSA, ne m’ont pas offert de voie « toute tracée » vers le journalisme. J’ai donc poursuivi dans la publicité, en découvrant le métier de planneur stratégique qui m’a plutôt plu.

Quatre ans plus tard j’ai démissionné sans avoir d’idée de la suite, une sorte de saut dans le vide qui a duré trois ans et m’a permis de réfléchir à ce que je voulais. C’est à ce moment-là que le métier de journaliste s’est imposé comme une évidence, qui a commencé pour moi non pas par des piges mais par quatre mois au Figaro. J’ai ensuite été embauché par Famille Chrétienne puis par La Vie, et me voilà depuis un mois de retour à Famille Chrétienne. La fluidité de ma carrière journalistique jusqu’à présent me conforte dans mon idée que je suis à ma place dans ce métier.

Qu’avez-vous accompli pendant ces trois ans ?

J’ai beaucoup voyagé, je suis partie rencontrer les plus pauvres au Chili et aux Etats-Unis, j’ai aussi passé du temps dans des monastères, et j’ai lu la Bible en entier. Malgré une grande incertitude quant à la suite de mon parcours, j’ai eu une grande chance de pouvoir me donner ce temps et cette liberté-là pour réfléchir aux choix que je voulais poser pour ma vie. Aujourd’hui ma foi nourrit mon travail et mon travail nourrit ma foi, un équilibre qui me plaît et me fait avancer, notamment par la profondeur et la diversité des rencontres qu’il permet.

Votre parcours non-linéaire vers le journalisme se répercute-t-il sur votre façon de vous informer ?

Je pense. Mon métier de journaliste me demande bien sûr d’être informée de l’actualité et des grandes tendances, mais je ne suis pas à l’affût des dépêches AFP. Je me laisse surtout interpeller par les questionnements spirituels et existentiels des personnes que je rencontre, qui sont aussi les miens, et j’ai la chance de pouvoir lire beaucoup, des théologiens et des philosophes notamment.

Vous avez travaillé pour Famille Chrétienne et La Vie, deux journaux marqués par un engagement religieux et chrétien. Comment concilier religion et neutralité journalistique ?

Au sein de ces rédactions, chacune avec leurs spécificités, nous portons certes un regard particulier, en l’occurrence chrétien, sur l’actualité, mais cela ne nous démarque pas des autres médias en termes d’objectivité. Il me semble que personne ne peut prétendre être objectif : les sujets choisis et la façon de les traiter sont déjà un parti-pris, quels que soient les médias. Je suis en tous cas heureuse de faire entendre une voix que d’autres traitements médiatiques laisseraient de côté : celle des chrétiens d’Orient par exemple, et plus particulièrement des Arméniens en ce moment.

Quel regard votre foi vous donne-t-elle sur le journalisme ?

Une des raisons pour lesquelles je fais ce métier est de réfléchir et faire réfléchir. Ma vision du journalisme, c’est de mettre en valeur ce qui ne fait pas forcément la Une des journaux mais donne à mes lecteurs et interlocuteurs, parfois à contre-courant, des moyens d’espérer. C’est à mon avis le rôle du journaliste : être un veilleur au sens de la formule d’Adrien Candiard dans son livre Veilleur, où en est la nuit ? Pour parler d’espérance sans tomber dans un optimisme éthéré, il faut d’abord regarder la nuit comme elle est, avec ses noirceurs qui font ressortir les lumières. En d’autres mots, on voit d’autant mieux les étoiles qu’il fait nuit. C’est cela porter un regard chrétien sur l’actualité : savoir remarquer, au-delà des arbres qui tombent, la forêt qui pousse, et parler ainsi de l’Evangile, en grec « Bonne nouvelle ».

Ce discours sur l’espérance, la rédaction de Famille Chrétienne le partage-t-il ?

Il me semble. Les choix de sujets et d’angles en témoignent en tous cas. C’est aussi une chance de travailler dans un journal qui me donne le temps du recul et du terrain. Je n’aime pas « faire beaucoup de bruit pour rien » et me battre pour sortir une info plus vite que les autres sans rien y apporter.

Vous avez en effet pris le temps du terrain pour votre reportage très incarné et vivant sur Les Mureaux, cette ville de la banlieue parisienne.

Oui, ce reportage publié dans le magazine La Vie voulait donner des raisons d’espérer malgré une actualité pesante. Alors que Les Mureaux avaient été le lieu de violentes émeutes en 2005, celles de juillet dernier y sont restées contenues. Cette évolution n’est pas le fait d’une personne ou d’une solution magique, mais du travail commun de nombreux habitants qui ont su porter un regard positif sur leur ville. Il en ressort une forme de fierté qui contribue à changer l’image de la ville et déjouer les préjugés sur les banlieues, à tel point que plusieurs des jeunes Murautins rencontrés considèrent leur ville agréable à vivre et s’y projettent à long terme.

Ce reportage aurait-il été réalisable sans aller sur le terrain ?

Il est évident que non. J’ai d’ailleurs commencé ce sujet en glanant des informations en ligne, et je me suis vite rendu compte de la nécessité d’être sur place pour échanger avec les habitants. J’ai ainsi fait la connaissance inopinément de ce jeune qui a organisé une coupe de football inter-cités aux Mureaux le 2 juillet au soir, alors que les émeutes éclataient partout ailleurs : une image symboliquement forte.

Les actions qui permettent aux personnes de mieux se connaître contribuent à améliorer le vivre-ensemble et à faire bouger les choses. Je pense à l’association Le Rocher, dont les bénévoles habitent les cités pour se mettre au service de leurs voisins, et aux initiatives de dialogue inter-religieux – comme ces sessions de lecture croisée de la Bible et du Coran organisées une fois par mois.

Vous évoquez dans votre reportage le « PTCE », Pôle Territorial de Coopération Economique. Explique-t-il la réussite de la situation aux Mureaux ?

L’amélioration du vivre-ensemble et du climat social aux Mureaux est le fruit d’un travail de longue haleine, mené conjointement par la municipalité, les pouvoirs publics, les associations, les entreprises et les responsables cultuels.  Le PTCE Vivre les Mureaux a donné un cadre à ce travail commun, qui a contribué à des relations sociales plus apaisées. Depuis 2001, la municipalité s’est lancée dans un grand plan d’urbanisme pour décloisonner les quartiers, un écoquartier a vu le jour et des milliers d’arbres ont été plantés… La ville a également bénéficié d’un déploiement de forces de police. Tout n’est pas rose aux Mureaux, où il reste du chômage et beaucoup de défis à relever, mais ce travail de long-terme porte ses fruits.

Pourquoi avoir choisi de présenter ce sujet au Prix Reporters d’Espoirs de l’innovation sociale ?

Je me suis d’abord intéressée aux émeutes, qui faisaient la une de l’actualité depuis plusieurs jours. Je voulais comprendre comment les choses avaient pu s’embraser de cette manière et ce que cela dit de notre société. Puis un échange avec Jean-Marc Semoulin, directeur du PTCE, m’a donné envie de prendre le contre-pied par rapport à cette actualité difficile, en mettant en valeur des nouvelles positives.

Cinq femmes présélectionnées pour ce Prix de l’innovation sociale, un hasard sociologique ?

Cette question me fait penser à une citation de Jean-Paul II, qui appelait les femmes à être des « sentinelles de l’invisible » : à déceler dans les personnes et les situations ces signes lumineux toujours présents, même quand tout paraît sombre. À mon avis il est bon que les femmes portent ce rôle et aillent chercher l’imperceptible, la flamme que d’autres ne verront pas.

Vous qui portez ce discours d’espoir, qui sont vos propres « reporters d’espoirs » ?

J’ai eu l’occasion d’interviewer des personnes ordinaires aux vies extraordinaires, qui m’ont édifiée. Je pense à cet ex-taulard Wilhelm Buntz, dont j’ai fait le portrait pour Famille Chrétienne : abandonné par sa mère enfant, battu par son père, il est allé de foyer d’accueil en foyer d’accueil avant de passer une dizaine d’années en prison après avoir tué accidentellement un policier au volant d’une voiture volée. Alors que sa vie semblait n’avoir aucun sens, il s’est laissé interpeller par le message biblique « vous êtes la lumière du monde », au fond de sa cellule. Sorti de prison, il est allé voir chacune des personnes auxquelles il avait fait du mal pour leur demander pardon, et la haine qu’il portait en lui s’est dissipée lorsque la femme du policier qu’il avait tué lui a fait comprendre qu’elle lui avait pardonné depuis longtemps. Il a ensuite lui-même pardonné à ses parents.

Propos recueillis par Paul Chambellant pour Reporters d’Espoirs

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