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« Mettons la même ambition sur le sujet de l’impact que sur celui des ventes et du produit ! » – Kat Borlongan, directrice de l’impact chez Contentsquare, ancienne directrice générale de la FrenchTech

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Nommée directrice de la Mission French Tech en 2018, Kat Borlongan a contribué à façonner l’image startup de la France en lançant le French Tech Visa et French Tech Tremplin, deux programmes au service de l’égalité des chances. Décidée à faire évoluer les choses, elle vient de rejoindre l’une des plus belles licornes françaises en tant que directrice de l’Impact. Elle est l’une des rares, sinon la première, personne à occuper ce poste dans une entreprise du secteur de la technologie, rattachée au plus haut niveau de l’entreprise.


Vous avez dirigé la Mission French Tech pendant trois ans et demi. De quel programme êtes-vous la plus fière ?

J’ai sans aucun doute deux programmes favoris.

Le premier est le Visa French Tech : je suis naturalisée française depuis décembre 2021 et le drame de la carte de séjour, pour l’avoir vécu, est une expérience désagréable et blessante. Le fait de créer un visa pour dire « Vous êtes bienvenus en France, venez écrire l’histoire avec nous » me tient à cœur. En octobre 2018, je parlais pour la première fois publiquement en tant que Directrice Générale de la French Tech aux côtés du président de la République. Nous avons annoncé que nous mettrions en place ce programme d’ici mars. Cela me surprenait moi-même de penser qu’on arriverait à faire bouger le système de l’immigration mais on a réussi à le faire, avec même un peu d’avance !

Le deuxième, c’est Tremplin : un programme qui va chercher des personnes éloignées de la technologie –en raison d’obstacles culturels, économiques ou sociaux-, pour les amener dans cet univers et leur donner les mêmes chances qu’à des personnes de milieux plus privilégiés. Beaucoup d’expérimentations témoignent qu’injecter ainsi davantage de diversité dans l’écosystème peut le faire grandir.

Vous avez récemment rejoint Contentsquare, licorne française qui a réalisé une levée de fonds record l’année dernière : 408 millions d’euros. Pourquoi cette start-up spécialisée dans l’expérience utilisateur plutôt qu’une autre ?

Une fois ma mission achevée auprès de la French Tech, j’ai cherché à rejoindre une licorne européenne [entreprise valorisée à plus d’un milliard d’euros] prête à s’investir de manière ambitieuse dans l’impact social. J’ai échangé avec des investisseurs, des journalistes du Financial Times et de TechCrunch qui ont une vue globale dans ce domaine. Mais je n’ai pas trouvé mon bonheur parmi leurs recommandations.

Par hasard, Jonathan Cherki, le fondateur de Contentsquare, m’invite à échanger avec lui.

Il me présente son entreprise qu’il a créée alors qu’il était encore étudiant, devenue une société en hypercroissance en moins de 10 ans.  Je comprends au fil de la discussion qu’il se pose beaucoup de questions sur le sens de son entreprise. Au-delà des activités très rentables mises en avant sur le site web de l’entreprise, j’apprends qu’il a lancé une fondation dédiée à l’accessibilité numérique, et je comprends qu’il est prêt à aller plus loin. Le lendemain, je lui dis « si tu es prêt à aller aussi loin, on ne va pas se contenter de bâtir une politique RSE (Responsabilité sociale de l’entreprise), mais on va écrire les 10 prochaines années de l’entreprise. Si tu m’accordes un siège au comité exécutif et le budget qui va avec, alors on va positionner la démarche d’engagement au cœur de la stratégie de l’entreprise ».

Vous êtes « Chief Impact Officer » : en quoi cela consiste-t-il ?

Les entreprises comptent de plus en plus de responsables de l’impact et je m’en réjouis, mais peu ont un siège au comité exécutif. Nous sommes deux en France à avoir cette position dans les start-up de la tech, avec Jean-Gabriel Levon co-fondateur d’Ynsect [entreprise spécialisée dans l’élevage d’insectes et leur transformation en ingrédients].  

Mon rôle consiste à m’assurer que Contentsquare ne soit jamais en retard par rapport aux avancées, demandes et valeurs de la société. J’ai deux champs d’action. D’un côté l’impact, qui nous amène à redéfinir la norme de ce qu’est une bonne « expérience utilisateur » : pas seulement une question d’ergonomie, mais d’accessibilité, de protection de la vie privée et de respect de la planète.  D’un autre côté, la responsabilité tournée sur la diversité et l’inclusion car Contentsquare rachète des entreprises à travers le monde et il faut créer une culture commune ; sur l’engagement dans la démarche climatique ; et sur l’éthique des données. Contribuer ainsi à redéfinir ce qu’est la réussite d’une grande startup, c’est une mission rêvée pour moi.

Au sein de la FrenchTech, vous avez créé l’indice Next40 pour promouvoir 40 jeunes entreprises françaises considérées comme prometteuses et susceptibles de devenir des leaders technologiques. A propos de redéfinition de ce qu’est la réussite pour une entreprise : pensez-vous qu’il y ait une place pour un indice Next40 « pour le bien commun » qui ne soit pas seulement basé sur les levées de fonds mais aussi sur l’impact positif sur la société ?

C’est évidemment nécessaire ! Nous y avons réfléchi dans le cadre de la FrenchTech. Je soutenais l’idée d’avoir un indice ou d’indexer les startups à impact positif mais il était difficile de trouver des critères objectifs : l’entreprise doit-elle être labellisée BCorp ? Faut-il être dans une verticale « for good » ? Doit-il y avoir une certaine distribution des richesses en interne ? Etc. Alors nous nous sommes focalisés sur des critères objectifs de performance économique, tout en décernant des Impact Awards.

J’ai travaillé en parallèle sur un « Board Impact » : mettre en place un indice fondé sur les critères de l’inclusion, l’égalité des genres et la planète. Le projet a été interrompu avec mon départ.

Vous voulez lutter contre « l’impact washing ». De quelle manière ?

Depuis toujours, j’ai un fort engagement associatif. À la French Tech, l’obsession pour les « licornes » (26 licornes à ce jour) a tendance à mettre de côté les startups « for good » qui sont considérées comme méritantes mais sans perspective d’une hypercroissance qui permettrait à ses fondateurs une exit favorable [opération de sortie d’un ou plusieurs actionnaires du capital d’une société, moyennant un retour financier élevé].

En regardant de plus près, j’ai compris que si les projets à impact ne fonctionnaient pas, c’était dû au fait que les entreprises sous-investissaient dans l’impact. Elles pensent que c’est quelque chose de simple. Alors elles engagent des profils de communicants pour gérer ces projets-là, qui sont en réalité très complexes et ne peuvent pas relever uniquement de la com mais bien de la stratégie. Il faut reconnaitre que ce n’est pas évident : faire tourner une startup, c’est comme construire un avion en plein vol. Mais si on mettait la même ambition, le même investissement et les mêmes profils sur le sujet de l’impact que sur celui des ventes, du produit, etc., alors on pourrait potentiellement réussir à faire de grandes avancées concrètes en la matière.

Une interview réalisée par Gilles Vanderpooten et Joshua Tabakhoff

[Interview] Le design fiction pour « éviter de laisser les autres choisir le futur de l’information à votre place » – Nicolas Minvielle

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En plus d’être le cofondateur du collectif de designers, anthropologues, et prospectivistes « Making Tomorrow », Nicolas Minvielle est professeur de design et de stratégie à Audencia Business School, dont il dirige le master « Marketing, Design et Création ». Il travaille également à la coordination de la « Red Team », groupe d’auteurs de science-fiction qui mettent leur imagination au service du ministère des Armées pour plancher sur des scénarios souvent dystopiques. Son leitmotiv : « susciter l’imagination de scénarios alternatifs, de mise en mouvement, pour que le pire ne se produise pas, mais bien le meilleur possible ». Il a publié lundi dernier aux éditions Hold Up, « Design fiction et plus pour votre organisation, un guide pour construire demain », que vous pouvez vous procurer sur https://www.okpal.com/making-tomorrow/#/

Gilles Vanderpooten – Vous êtes spécialiste en « design fiction ». De quoi s’agit-il ?

Nicolas Minvielle – Le designer Julian Bleecker, auquel on en attribue la paternité, le définit comme « l’emploi intentionnel d’un mélange de faits de sciences et de fiction pour suspendre le sentiment d’incrédulité face à un futur possible ».

Le futur est une zone de conflit, les gens veulent s’y projeter et se l’approprier, ce pourquoi il est important de le mettre en fiction.

Durant la guerre froide, chacun développait ses outils : quand le bloc de l’Est misait sur la statistique, les États-Unis misaient sur le croisement des opinions d’experts avec la méthode Delphi. Le design-fiction est un outil né il y a une dizaine d’années, par lequel on peut imaginer des visions de l’avenir qui se démarquent des visions dominantes. Il s’agit de stimuler l’imagination en « jouant » avec le futur. En imaginant des scénarios, en créant les maquettes de différentes versions possibles de ce que pourrait être demain.

Cette discipline est en construction. Avec le collectif Making Tomorrow, on fait de la recherche poussée pour en appréhender l’impact. Comment ces histoires ont-elles été appropriées par les organisations ? Ont-elles modifié les visions et actions des gens ? Le point de vue scientifique est indispensable pour évaluer la réalité de la chose.

Le manuel que nous publions ces jours-ci, Design fiction et plus pour votre organisation, un guide pour construire demain, présente les techniques nécessaires à la mise en œuvre d’une approche de design-fiction au service des stratégies et des organisations.

Les outils de notre époque (twitter, info en continu, vidéos tiktok, communication tous azimuts…) ont tendance à nous confiner dans l’immédiateté de l’actualité. Là, il s’agit de proposer des outils de réflexion pour le temps long ?

Le design-fiction veut amener les entreprises à se projeter au-delà des 3 à 5 ans d’exercice stratégique… sachant que ces délais sont eux-mêmes trop longs pour répondre à l’incertitude du monde dans laquelle nous naviguons !

C’est pour cela que l’exercice fait faire des allers-retours entre temps court et temps long. Se projeter dans ce qui semble essentiel à une prise de conscience collective pour une mise en mouvement à grande échelle, afin de réorienter l’action dans un sens souhaitable.

Outre l’entreprise, un domaine qui parait d’autant plus évident à l’heure de la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine, c’est celui de la défense. Vous travaillez avec les Armées –de terre, de l’air, de la marine.

Au sein de la « Red Team » dans laquelle j’interviens se rassemblent des auteurs, scénaristes de science-fiction, scientifiques et militaires, pour imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts. Elle a notamment pour objet d’anticiper les aspects technologiques, économiques, sociétaux et environnementaux de l’avenir qui pourraient engendrer de potentiels conflits à l’horizon 2030-2060.

Quels nouveaux types de conflits envisagez-vous avec cette méthode ?

Hacking des implants neuronaux, émergence de sphères communautaires développant une réalité alternative, bioterrorisme face au changement climatique, guerres cognitives s’appuyant sur la désinformation de masse, polarisation du monde en hyperforteresses et hyperclouds… Ou encore, plus « positivement » si je puis dire, guérison spectaculaire d’une patiente atteinte de stress post-traumatique par un implant neuronal qui modifie sa perception de la réalité. Voilà quelques exemples parmi d’autres.

Le scénario d’une guerre contre l’Ukraine avait semble-t-il été prévu, planifié, et même formulé par Poutine il y a plusieurs années.

Cela n’a effectivement pas empêché de se réveiller un matin en découvrant qu’il était passé à l’action.

On peut donc tout à fait imaginer, projeter, anticiper la catastrophe… sans pour autant mettre en place les moyens de s’en prémunir.

Quand des puissances sont asymétriques, la plus forte se croit tout permis. C’est ce que nous apprenait Thucydide déjà au Ve siècle avant Jésus Christ, racontant L’Histoire de la guerre du Péloponnèse opposant les Athéniens à la petite cité de Mélos. Dans le Dialogue mélien, dans la bouche des Athéniens, « la justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d’autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder ». C’est ainsi que les Athéniens mettent leur menace à exécution, assiègent la cité, tuent les hommes, esclavagisent femmes et enfants, et rayent Mélos de la carte…

Aujourd’hui quand l’Europe parait faible, tout le monde gueule. Et quand elle a des velléités de se doter d’une armée européenne supranationale, ou que des nations projettent d’augmenter le budget de leur propre Défense, l’acceptation des citoyens ne semble pas évidente. De ce point de vue, la réalité a ceci de particulier qu’elle a parfois la capacité de dépasser la fiction…

Revenons aux scénarios de design fiction. Ils sont souvent négatifs, dystopiques, alarmistes. En quoi imaginer le pire est-il plus pertinent, crédible, ou captivant que de prendre le parti de l’utopie ?

Nous les humains sommes des animaux à histoire : la narration est importante pour nous. Or on a tendance à vite s’ennuyer dans une utopie : vous n’allez pas passer deux heures au cinéma pour entendre parler d’un monde parfait. Vous vous attendez à une tension, un ennemi, une résolution ; une perspective étendue qui ait pour objectif de résoudre un problème.

Dans un exercice fait récemment on a demandé aux gens « comment mieux vivre ensemble en 2035 ». Ils ont partagé 40% d’utopies et 60% de dystopies. Le problème avec les utopies envisagées c’est qu’elles sont rarement originales : on tourne toujours grosso-modo autour des cinq mêmes scénarii : Ecotopia, utopia, la Belle Verte, les Cités Végétales de Schuitten etc. De plus on se retrouve avec une collection de points de vue, propres à ce que vit, pense, ressent, chaque personne, et ça ne fonctionne pas, parce qu’on ne vit pas les mêmes enjeux. A contrario, on se rend compte que raconter des dystopies offre des tractions plus fortes, une capacité supérieure à se projeter ensemble.

Des travaux de recherche ont été menés sur ce sujet. Et l’Histoire nous fournit des exemples de notre incapacité à créer des utopies globales qui marchent.

Nous on va chercher les conséquences inattendues, les usages non souhaitables, pour trouver les réponses. On assume les parts de l’ombre – pour le dire vite, on assume que votre voisin reste jaloux de votre nouvelle voiture-, on assume les complexités partant du principe qu’il n’y a et qu’il n’y aura pas de monde parfait.

Pour autant, il ne s’agit pas de faire de la peur le moteur central de la réflexion. Car projeter le pire n’est –heureusement- pas la garantie d’avoir raison ! J’aurai pu imaginer une dystopie il y a dix ans de la ville dans laquelle je vis, mais globalement il faut reconnaitre que la vie est chouette à Nantes…

Vous êtes récemment intervenu auprès de Reporters d’Espoirs. Que peuvent apprendre les journalistes des méthodes de prospective utilisées par les directions de la stratégie des grandes entreprises ou par l’armée, tout en restant attachés à leur mission première : rendre compte du réel ?

Remarquez que les journalistes sont parfois les personnages principaux de récits de science-fiction : c’est le cas du héros principal de la bande-dessinée Transmetropolitan (journaliste version extrême !) ; ou de celui d’Ecotopia [scénario d’un système économique et politique écologiquement vertueux, imaginé en 1975 par Ernest Callenbach] qui d’abord critique et cynique, finit par se convaincre de la pertinence du système qu’il découvre.

L’idée de l’exercice de créativité mené avec Reporters d’Espoirs à l’occasion de l’événement La France des solutions [le 15 décembre 2021] était de regarder ce que les imaginaires peuvent raconter à vous journalistes, qui avez souvent le nez dans le guidon de l’actualité. Les scénarios que l’on projette sur votre métier sont essentiellement dystopiques : un monde de l’information hacké, en proie aux fake news, en rupture avec les citoyens…Dans le monde de demain, votre métier de journaliste quel sera-t-il ? Bref, il s’agissait d’imaginer des versions de l’avenir du journalisme. Une manière de réfléchir à comment améliorer les choses, à comment éviter de laisser les autres choisir le futur de l’information à votre place.

Du point de vue du journalisme de solutions que promeut Reporters d’Espoirs, il me semble que c’est une perspective intéressante. Votre démarche -rendre compte des dysfonctionnements comme des remèdes- fait précisément écho à celle du design-fiction : envisager le scénario du pire tout en examinant comment l’éviter.

Les imaginaires sont importants, c’est le terreau de demain. Apprendre à tirer le fil sur la base de ce que vous décrivez des faits ici et maintenant pour aller plus loin que l’actualité, penser un temps un peu plus long pour le journalisme, est certainement utile.

Une innovation à partager avec la profession journalistique ?

Je suis fasciné par les débats qui se tiennent dans la twittosphère. Le sujet de « la vérité » y occupe tout un tas de gens. Pas seulement des complotistes, mais aussi des observateurs du complotisme et des gens de bonne volonté qui cherchent, travaillent sérieusement sur des dossiers, confrontent scrupuleusement des sources, s’efforcent de commenter de manière constructive… Ce sont souvent eux les « rois » de la newsroom sur les conflits. Regardez par exemple la section « War zone » du site américain thedrive.com : elle est alimentée par des spécialistes de la défense et la sécurité, et près d’un quart des contenus est constitué de tweets. Ils agrègent du factuel, des photos de googlemap, disent leur désaccord avec les twittos… prennent des précautions oratoires, reprennent leurs articles en fonction de l’interaction et affichent leurs modifications en transparence. De vrais geek contribuent, parfois des gamins de 16 ans qui auraient presque les capacités d’analystes de la NSA !

Voilà peut-être une inspiration pour des journaux que je trouve globalement très « top-down » et parfois trop lisses, trop contraints. Ils pourraient envisager des articles plus courts avec davantage de diversité de points de vue, des inserts de tweets, des justifications… Ce peut être utile pour contrer les complotistes qui disent à chaque fois « élargissez vos sources » : pourquoi ne pas insérer leurs tweets en démontant à quel point ils sont ineptes ?

L’idée d’un agrégat de flux d’informations qui permet de faire émerger de la sérendipité en interaction avec le journaliste me semble une piste à explorer. A vous, journalistes et rédactions, d’en décider !

Interview réalisée par Gilles Vanderpooten.

« Les voyageurs que l’on invite nous ressemblent. Leurs films aident chacun à prendre conscience de ses propres capacités » – Patricia Ondina, fondatrice du Festival du film Partances

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Amoureuse des périples hors des sentiers battus, Patricia Ondina a créé il y a vingt ans le festival de films de voyage et d’aventure « Partances » près de Toulouse. À l’approche de la 18e édition, elle partage sa conception du voyage et d’un certain cinéma documentaire « constructif ». Reporters d’Espoirs y sera, contribuera à l’animation du festival, et vous donne donc rendez-vous le week-end des 11, 12 et 13 mars à la salle Altigone de Saint-Orens (31). Pour découvrir le programme, rendez-vous sur www.partances.com.


Après une année d’absence, le festival Partances revient dans quelques jours pour mettre à l’honneur l’ouverture sur le monde, le voyage et l’aventure.

Évidemment, on est très heureux de reprendre de vraies rencontres. Avec comme thématique en clin d’œil à cette période mouvementée, « Contre vents et marées », qui reflète aussi les réalisations que l’on va donner à voir cette année.

Revenons-en aux origines : d’où est venue l’idée de votre festival de film de voyage et d’aventure ?

Le hasard des rencontres ! Mon conjoint et moi étions voyageurs, faisions et montions des films, des projets personnels que l’on n’osait pas vraiment présenter. Au fin fond de la Chine, nous avons rencontré les organisateurs d’un festival sur le voyage et l’aventure, auquel nous avons ensuite assisté à notre retour en France. Nous en sommes sortis éblouis et enthousiasmés de l’énergie qui s’en dégageait. Par la suite, nous avons eu la chance de voir nos films sélectionnés dans plusieurs festivals, ce qui nous a permis de mieux connaitre l’organisation des festivals et de nous émerveiller à chaque fois de la magie qui opérait.

Nous avons alors voulu reproduire dans notre région ces moments de découverte, d’évasion, d’ouverture au monde et de rencontres avec des gens qui font des choses incroyables.

Voyage et aventure sont aussi synonymes d’échange et de partage : c’est ce que vous faites en invitant acteurs, réalisateurs et producteurs de films documentaires.

L’objectif n’est évidemment pas de passer des films pour passer des films, mais bien de créer un véritable échange entre les réalisateurs ou les gens qui incarnent ces films et le public. Des temps permettent aux spectateurs de poser leurs questions, de rencontrer chacun des invités sur leur stand, d’échanger pendant les entre-actes… Et un voyage ça dure longtemps dans la tête !

Vous faites ainsi voyager vos spectateurs ‘par procuration’.

Parmi nos spectateurs, certains ne voyagent pas beaucoup alors que d’autres sont de vrais globe-trotteurs. Peu importe ! On peut voyager de mille façons, y compris à travers les livres et à proximité de chez soi. L’important c’est cette forme de communion à certains moments : des fenêtres que l’on ouvre, des univers que l’on essaie de faire découvrir.

Comment est établie votre programmation ?

Il est difficile de choisir, et c’est forcément injuste pour ceux qui ne figurent pas dans la sélection. Nous visionnons tous les films que nous recevons (il y en a beaucoup !) et faisons une sélection « aux tripes ». Nul besoin de films qui présentent un exploit, mais il faut qu’ils nous embarquent dans une aventure, ne nous lâchent pas, aient une connotation humaniste, incluent un échange avec les gens des pays visités – parce qu’effectivement, ce qui fait le voyage c’est aussi le partage. 

 « Contre vents et marées »  est le thème de cette 18e édition : vous mettez donc à l’honneur des personnes qui, confrontées à des obstacles, les ont surmontés.

La nature des obstacles peut être géographique ou liée à un parcours de vie. Dans tous les cas, « nos » aventuriers font preuve d’un sacré entêtement et d’obstination. Parce qu’il est difficile de se rendre aux Zanskar [région himalayenne très isolée] quand le seul moyen de traverse, le fleuve gelé, se met à dégeler en cours de route ; parce qu’il est dangereux de traverser la banquise au vu du réchauffement climatique ; ou encore parce qu’il est périlleux de vouloir participer à une course autour du monde quand on a seize ans, un rêve mais ni moyen ni expérience. Les films en sélection cette année mettent en lumière l’idée d’être endurant et tenace.

Dans la sélection figurent notamment deux documentaires dans le contexte de (l’après)guerre en Syrie et au Liberia, mais qui témoignent de la résistance de la société civile. Pourquoi avoir sélectionné « Daraya, une bibliothèque sous les bombes » et « Water gets no enemy » ?

Ces films peuvent a priori représenter des choix audacieux au regard de l’objectif du festival qui n’est pas de montrer la guerre ou l’horreur de la guerre, mais des gens qui dans des contextes particuliers parviennent à accomplir des choses exceptionnelles.

Dans Daraya, on suit de jeunes gens qui construisent une bibliothèque sous les bombes pour essayer de préserver un minimum d’enseignement, de culture et de normalité alors qu’ils subissent la guerre dans une partie de la Syrie.

Avec Water Gets No Enemy, on est au Libéria, pays qui n’est plus en guerre mais l’a été. Là, le sport et le surf en particulier sont prétextes à construire autre chose pour ceux qui ont vécu des choses difficiles, particulièrement les jeunes [qui ont parfois été enfants-soldats]. C’est une très belle histoire d’autant qu’au-delà de la promotion d’un sport et de ce que montre le film, les réalisateurs ont distribué et installé 70 filtres à eau dans des écoles, villages et dispensaires.

Seriez-vous une avocate du « cinéma de solutions », le pendant du journalisme constructif version 7e Art ?

Les films que Partances ne cesse de promouvoir depuis vingt ans témoignent de l’existence d’énergies formidables qui méritent d’être partagées. A côté des catastrophes dont témoignent les médias d’information, nous voulons révéler ce qui fonctionne, montrer qu’une rencontre avec l’autre n’est pas forcément une violence, mettre à l’honneur y compris dans les situations les plus terribles la capacité de gens qui se démènent, vont au bout de leur rêve, réalisent des choses… C’est pour ces raisons que ces films et documentaires nous font tant de bien. Les personnes et les voyageurs que l’on invite au festival pourraient, pour certains, être nos voisins, nous ressembler. Ce sont parfois des gens ordinaires qui accomplissent des choses extraordinaires. En cela leurs films aident chacun d’entre nous à prendre conscience de ses propres capacités.

Une interview réalisée par Morgane Anneix pour Reporters d’Espoirs

« Permettre aux réfugiés d’être reconnus pour leur savoir-faire professionnel est un formidable levier d’intégration » – Inès Mesmar, fondatrice de La Fabrique nomade

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Inès Mesmar, fondatrice de la Fabrique Nomade à la France des solutions 2021

Convaincue qu’une nouvelle voie d’intégration centrée autour de la créativité est possible, Inès Mesmar, fondatrice de La Fabrique nomade, accompagne les réfugiés dans leur insertion en leur permettant d’exercer leur métier en France. Elle revient sur son parcours, la genèse de son association et sa conception de la richesse de l’immigration.


Quel a été le point de départ de votre association ?

L’histoire de ma mère a été un déclic. En 2015, j’ai trouvé des broderies dans son armoire. C’est comme ça, que j’ai découvert que ma mère avait un métier. Elle m’a alors appris qu’avant de s’installer en France, où je l’ai toujours connue comme mère au foyer, elle était brodeuse en Tunisie. Elle possédait, comme d’autres réfugiés et migrants, un savoir-faire qu’elle avait oublié… et qu’elle a mis 35 ans à dévoiler à ses enfants ! J’ai alors enquêté dans les centres d’hébergement et identifié les freins auxquels ils sont confrontés : barrière de la langue, absence de réseau, méconnaissance du marché… l’absence d’un accompagnement adapté et l’urgence de leur situation les conduit à exercer des emplois dans les secteurs en tension comme le bâtiment, le ménage ou la sécurité, les obligeant à délaisser leur véritable métier qui est souvent aussi leur passion.

J’avais l’intime conviction que si on permettait à ces personnes de développer leurs compétences et d’être reconnues pour leur savoir-faire, cela pouvait être un formidable levier d’intégration.

J’ai alors lancé La Fabrique nomade dans le but de les accompagner  dans leur insertion professionnelle en France. Luthier, couturière, bijoutier, céramiste… notre association défend un nouveau modèle d’intégration, qui montre que l’immigration est une richesse et la diversité une force pour la France.

De quelle manière accompagnez-vous les réfugiés pour les aider à renouer avec leur métier artisanal ?

Nous travaillons en collaboration avec des structures d’hébergements et l’Office français de l’immigration et intégration (Ofii). Les stagiaires retenus suivent une formation certifiante de neuf mois. Neuf mois, c’est le temps d’une renaissance pour nos artisans. Ils suivent des cours de français, découvrent l’environnement économique et culturel de leur secteur d’activité, animent des ateliers de pratique artisanale et font un stage en entreprise. A travers ce programme, ils développent également une collaboration professionnelle : chaque artisan forme un binôme avec un designer et ensemble ils vont co-créer un objet d’art et de design. La collection ainsi créée fait l’objet d’un vernissage où toutes les créations sont mises en vente.

Quels résultats obtenez-vous, et comment se développe votre association ?

Aujourd’hui nous comptons 8 salariés dans notre équipe. En 5 ans, nous avons soutenu plus de 50 artisans, qui représentent 20 savoir-faire différents, venus de 28 pays du monde. C’est dire la richesse de l’immigration quand on veut bien la regarder. 76% d’entre eux se sont insérés sur le marché du travail et ces savoir-faire enrichissent notre patrimoine commun. Le groupe LVMH a compris l’apport que représentent ces personnes pour notre pays. C’est pourquoi ils ont décidé de soutenir notre action : aujourd’hui, nos artisans collaborent avec des créateurs, des artisans des maisons comme Chaumet, Céline et Repossi.

« La reconnaissance par la création » c’est votre crédo.

Notre action ne vise pas seulement à trouver un emploi, mais bien de construire un véritable projet de vie, en permettant à ces artisans exilés de trouver leur juste place dans la société. La reconnaissance de ce qu’ils sont et ce qu’ils apportent à la société est une étape essentielle pour leur intégration et devenir des citoyens et acteurs à part entière de notre pays. Cela permet d’ailleurs de développer un sentiment d’appartenance qu’ils transmettront à leurs enfants.

La force de La Fabrique nomade réside dans notre capacité à rendre compte, valoriser, et insérer ces profils spécialisés sur le marché du travail en même temps que dans la société. Notre action apporte une solution concrète pour éviter le processus de déqualification et de déclassement professionnel systématique, tout en apportant une nouvelle approche du processus d’intégration.

Vous mettez en valeur la spécificité de chaque individu ; cette perception de la valeur de chacun est-elle assez reconnue dans notre société ?

J’ai eu la chance de grandir dans un quartier monde, la Cité des 4000 à la Courneuve, où se mêlent différentes nationalités et cultures. Pourtant, je me suis construite dans l’effacement de ma différence qui n’était pas perçue comme une richesse. C’est encore le cas aujourd’hui en France. C’est aussi contre cette uniformisation des individus que j’ai voulu lutter en créant La Fabrique nomade. J’ai pris conscience de la force de la reconnaissance, de son pouvoir d’ intégration dans la société. Créer ces chemins de la reconnaissance c’est essentiel pour vivre ensemble grâce au « faire ensemble ».

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la construction de votre association ?

Trouver un modèle économique viable est un challenge que nous avons à relever tous les jours. Aujourd’hui nous dépendons des subventions publiques qui sont des fonds variables d’année en année et restent liées au contexte politique. Ces contraintes financières limitent le développement des solutions que nous déployons. Nous devons donc faire preuve de créativité pour diversifier nos sources de financement. Créer des collaborations inédites entre associations et entreprises me semble être l’une des clefs.

Comment concevez-vous le rôle des médias face aux difficultés d’intégration des réfugiés ?

Les médias ont un rôle primordial dans la perception des réfugiés, d’autant plus que la migration est un sujet sensible. Certains organismes participent à mettre en exergue des solutions, comme le fait Reporters d’Espoirs avec La France des solutions. La Fabrique nomade a bénéficié d’une belle visibilité médiatique, de nombreux médias ont mis en avant nos actions, ce qui a permis de développer la notoriété de l’association. Mettre en avant les acteurs qui agissent et trouvent des solutions permet d’inciter d’autres personnes à agir. C’est un cercle vertueux où tout le monde a son rôle à jouer, et celui des médias compte beaucoup.

Louise Darrieu, avec Caline Jacono et Gilles Vanderpooten pour Reporters d’Espoirs

« J’ai simplement suivi le fil : d’agricultrice, je suis devenue industrielle textile », Myriam Joly, fondatrice et directrice de Missègle

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Alors que plus de 95% de nos vêtements sont importés, Myriam Joly, fondatrice de l’entreprise Missègle, a décidé de parier sur le savoir-faire hexagonal. Avec un chiffre d’affaires en croissance de 25% par an, des laines de haute qualité et une entreprise prônant le bien-être au travail, Myriam  témoigne que oui, le circuit court peut être compétitif ! Elle nous raconte son aventure.


 

Quel déclic vous a amené à vous lancer dans l’aventure du textile ?

J’ai eu envie de refaire ce que faisait ma grand-mère : vendre les produits que je fabrique. Aussi, en 1983 je suis allée chercher des chèvres Angora au Texas. Je confiais la laine, le mohair, à des industriels de ma région qui confectionnaient les chaussettes et pulls que je revendais par la suite sur ma ferme. En 2007, mon façonnier a fait faillite et j’ai décidé de racheter son entreprise. Par la suite j’ai repris une autre entreprise de la région. Aujourd’hui nous sommes près de 60 employés, et toute l’équipe en est très fière. J’ai simplement suivi le fil : d’agricultrice, je suis devenue industrielle textile.

Vos produits ont beau être un peu plus chers que ceux de la « fast-fashion », votre chiffre d’affaires a bondi de 25% l’année dernière. Comment expliquez-vous cet engouement, et quels produits contribuent à ce succès ?

Nous avons un socle solide de consommateurs fidèles : 80% de nos ventes se font en direct. Nos chaussettes sont les produits dont nous sommes les plus fiers. Ce sont les chaussettes les plus solides du monde. C’est cette qualité et cette longévité des produits que recherchent les consommateurs. Ils peuvent ainsi porter de beaux vêtements et réduire leur empreinte carbone en privilégiant des habits résistants au temps et à l’usure. Ils ont pris conscience qu’en achetant moins et mieux tout le monde était gagnant.

Le made in France est souvent corrélé à un prix (plus) élevé…  C’est la garantie de bonnes conditions de travail ?

Le made in France est à la fois une garantie de bonnes conditions de travail mais aussi de qualité. Les produits fabriqués en France peuvent être plus onéreux que ceux importés mais ce prix est révélateur de la valorisation du métier de chacun, de la valeur ajoutée qu’apporte chaque employé au produit. Nous tenons à payer nos salariés au minimum 20% au-dessus du SMIC. Prouver par ce biais que les métiers industriels sont nécessaires permettra de les revaloriser dans la société.

Comment comptez-vous conserver ce savoir-faire et ce lien direct tissé entre vos fournisseurs et vos clients tout en continuant d’accroitre votre production ? Y a-t-il des fibres, des matériaux, qui manquent et vous obligent à aller les chercher plus loin que prévu ?

Nous comptons développer notre activité en garantissant des conditions de travail optimales. Nous voulons proposer des emplois qui permettent à nos salariés de s’épanouir et d’être heureux. C’est cette recherche du bien-être au travail couplée à la qualité de notre production qui nous astreint à développer notre savoir-faire.

Pour ce faire nous utilisons des laines françaises mais nous aurons toujours besoin d’aller en chercher ailleurs. Le challenge est de tisser les relations les plus équitables possibles avec nos fournisseurs. Par exemple, nous ne pouvons pas élever nous-même des yacks mais nous pouvons nous fournir directement chez les éleveurs nomades de la steppe.

Comment jugez-vous la médiatisation du savoir-faire industriel français?

Les métiers manuels et industriels sont encore dénigrés notamment par la jeune génération mais  leur reconnaissance sociale grandit de jour en jour. La nécessité d’avoir un tissu industriel performant refait surface dans les débats publics et c’est une bonne chose.

Vous avez collaboré avec la designeuse Matali Crasset pour la construction de l’extension de votre atelier. Comment s’est faite cette rencontre ?

Nous nous sommes rencontrées dans le cadre des Académies des Savoir-faire de la Fondation Hermès : je faisais partie des stagiaires et Matali était la responsable pédagogique.

C’est une designeuse talentueuse qui pose au fondement de son métier les logiques d’altérité et d’identité. Pour elle, un lieu doit générer un imaginaire commun et favoriser le vivre-ensemble. C’est parce que nous partageons les mêmes valeurs que je lui ai confié la rénovation de notre atelier. Pour cela, nous avons collaboré avec plusieurs artisans locaux comme Baticos qui propose des bâtiments faits uniquement de bois.

 

Myriam Joly, La France des solutions 2021

 

Pensez-vous que le journalisme de solutions peut inciter les individus à changer les choses, ne serait-ce que leurs pratiques de consommation ?

Les médias ont un rôle fondamental dans l’éveil de la conscience collective. Malheureusement certains deviennent des addictions pour de mauvaises raisons et peuvent être néfastes pour notre société. Il est donc important que d’autres médias d’information apportent un vent nouveau, des réponses aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Il est nécessaire de montrer le progrès et les acteurs qui influent ce mouvement et c’est ce que fait La France des solutions. J’ai été ravie et très fière que mon entreprise Missègle ait été retenue.

 

Propos recueillis par Louise Darrieu pour Reporters d’Espoirs

 

Myriam Joly était sur la scène de « La France des solutions » le 15 décembre dernier. Nous avons voulu l’interviewer pour compléter son pitch de 5 minutes, que vous pouvez voir et revoir ici :

Pour en savoir plus sur Missègle, l’entreprise de Myriam Joly, et pourquoi pas passer commande : https://missegle.com/

L’interview de Luc Julia, co-créateur de Siri et ponte de l’intelligence artificielle

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Co-fondateur de Siri, l’assistant vocal d’Apple, ainsi que des imprimantes connectées d’HP ; auteur du livre L’intelligence artificielle n’existe pas (First Editions) ; Luc Julia est une tête pensante de l’intelligence artificielle qu’il préfère appeler « intelligence augmentée ». Depuis trente ans qu’il vit dans la Silicon Valley, il a œuvré au Stanford Research Institute (SRI), au MIT, travaillé chez Apple, HP ou encore Samsung – qu’il a incité à s’implanter en France. Un bref passage chez Amazon lui fait prendre conscience qu’il préfèrerait « faire quelque chose pour [son] pays ». 
Désormais Directeur scientifique de Renault, nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage à Paris.


Yann LeCun, Jérôme Pesenti, Yves Raimond… et vous ! On a le sentiment que la France est un berceau de grands ingénieurs.

Nous les Français sommes les meilleurs ingénieurs du monde ! Notre éducation est globalement bonne, même si elle a tendance à laisser des gens sur le bord de la route. On a donc une éducation élitiste, et il faut certainement trouver une solution pour ceux qui sont en difficulté. Une fois qu’on sort de ce système par le haut, on est les meilleurs. Voyez le nombre de médailles Fields, l’équivalent du prix Nobel de mathématiques : les Français sont en haut du classement.

Qu’est-ce qu’il manque à la France pour rayonner davantage en matière de « tech » selon vous ?

On n’a pas la culture de vendre, on ne sait pas monter sur la table et dire qu’on est les meilleurs contrairement aux américains. On n’a pas non plus la culture de l’échec – rien que le mot nous fait peur. Le jour où l’on comprendra qu’échouer c’est apprendre, que ça fait partie de l’éducation, on sera plus fort encore. Mais nous sommes très forts en débrouillardise ! Il suffit de voir le concours Lépine pour s’en rendre compte, c’est extraordinaire de construire n’importe quoi avec deux allumettes. Les Français sont très ingénieux.

D’où vous vient la volonté de renouer avec la France ?

Il y a 55 000 français dans la Silicon Valley et depuis 10 ans, de plus en plus font des allers-retours vers la France pour redonner à leur pays de naissance. Il faut dire que grâce à la French Tech, Fleur Pellerin a redonné espoir aux ingénieurs français, et a réussi à montrer avec cette structure que la France est à l’origine d’innovations extraordinaires.

Sur votre LinkedIn, trône un peu à la manière d’une raison d’être, d’une mission : « Améliorer la vie des vrais gens, grâce aux technologies ». Y a-t-il une tech qui n’apporte pas de valeur ajoutée à la vie des gens ? Une tech « bullshit » ?

Tout dépend du contexte dans laquelle on regarde la technologie. Par exemple la 5G ça ne sert strictement à rien pour un particulier : c’est plus énergivore, il faut déployer un nouveau parc d’antennes, les gens vont vouloir renouveler leurs appareils… Tout ça pour charger plus rapidement des vidéos ? Avoir une résolution de 8K sur un écran aussi petit, ou un temps de chargement inférieur d’une seconde, ça n’a aucun intérêt pour un usage quotidien classique. Sans parler du coût écologique.

En revanche, dans l’industrie, ça prend tout son sens : ça pourrait remplacer le wifi en local sur plein d’usines.

Il faut mesurer l’impact et l’utilité des technologies, et les mettre en perspective.

Croyez-vous dans la tech et la data dites « for good » (« pour le bien commun »), au service de l’impact social et écologique.

En général, nous, scientifiques, quand on crée ou qu’on essaie de créer quelque chose, c’est pour le bien de l’humanité. On est là pour les « vrais gens » et pour faire en sorte qu’ils aient une meilleure vie d’une manière ou d’une autre.

Après il y a des dérives. La tech est un outil. Je compare l’intelligence artificielle à un outil : l’IA c’est un marteau, je peux m’en servir pour planter un clou, ça marche beaucoup mieux que mon poing, mais le marteau peut aussi servir à taper sur la tête de quelqu’un. Ce n’est pas bien mais je suis celui qui tient le manche, donc c’est moi qui décide. Finalement, c’est la société qui décide que taper sur la tête de quelqu’un, c’est mal. Ce qui compte, c’est l’éducation. Le problème des technologies c’est qu’il en arrive de nouvelles en permanence, aussi il est très compliqué de s’éduquer.

Vous avez travaillé avec des scénaristes d’Hollywood pour mettre au point Siri – l’assistant vocal utilisé sur des millions d’appareils Apple. Avez-vous travaillé aussi avec des journalistes ?

En créant Siri, nous savions que l’outil ne pouvait pas répondre à tous les coups aux demandes exprimées par les utilisateurs. Nous voulions que lorsque ça ne marchait pas bien, c’est-à-dire 20% du temps, ce soit rigolo. Alors nous avons fait appel à des scénaristes d’Hollywood, car eux pouvaient facilement réaliser ce que nous, « scientifiques pas drôles », ne savions pas faire.

Siri n’a jamais fait appel à des journalistes pour vérifier les faits. Il utilise des sources publiques comme Wikipédia. Quant aux actualités, lorsque vous lui demandez « donne-moi les dernières nouvelles », c’est un mélange de différents médias provenant du propre agrégateur d’Apple. Sur Alexa, l’assistant vocal d’Amazon, et sur Google Home, celui de Google, c’est Franceinfo qui les délivre, ce qui est très bien. Je suis d’ailleurs administrateur de Radiofrance depuis décembre 2021.

Quelles sont vos sources d’information privilégiées ? Suivez-vous l’actualité chaude ? Préférez-vous les reportages ?

C’est simple : je suis abonné au Canard Enchainé depuis 40 ans, que je reçois chaque semaine en Californie avec un léger décalage temporel par rapport à vous : il ne me parvient que le samedi… mais c’est mieux que de ne pas arriver du tout ! Ma deuxième source est Franceinfo, que j’écoute tout le temps en voiture. J’ai besoin d’avoir les infos françaises. En dehors des médias, j’écoute des podcasts tech en français et en anglais.

A quoi ressemblerait votre journal idéal ? 

J’aime bien l’instantanéité de la radio, l’idée de fact-checking (vérification des faits) de Franceinfo.
D’une manière générale, il faut faire un tri, filtrer les informations. J’aime dire qu’il faut s’éduquer mais on ne peut pas s’éduquer à tout. Il m’arrive certainement d’absorber des infos qui peuvent être incorrectes. Aussi le média idéal ne transmettrait que la vérité. Il serait aussi celui qui s’adapte à moi, mais sans m’enfermer dans ma bulle. Un média qui me laisse m’intéresser à tout, qui ouvre mon esprit, tout en triant les sujets que je n’ai pas envie d’entendre.


Chaque jour, Luc écoute une à deux heures de podcasts.
En balade ou en voiture, il aime se tenir informé de l’actualité tech
Ses favoris :

Propos recueillis par Gilles Vanderpooten et Joshua Tabakhoff, Reporters d’Espoirs.

« Nous avons créé une école de la transition écologique pour les jeunes qui n’aiment pas l’école », Frédérick Mathis, fondateur et directeur de l’école ETRE

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ETRE se définit comme la première école française de la transition écologique, dédiée aux jeunes en rupture scolaire et aux adultes en quête de sens. Avec son modèle de formation gratuit et tourné vers les métiers manuels, cette école entend former les nouveaux acteurs des métiers « verts et verdissants ». Frédérick Mathis, son fondateur et codirecteur nous partage sa conception de l’enseignement, les valeurs fondatrices de son établissement et ses projets pour l’avenir.


ETRE fondée en 2017, est l’école de la transition écologique. Comment est né ce projet ?

En 2004, j’ai fondé l’association 3PA pour sensibiliser les jeunes à l’écologie. A l’époque ces enjeux étaient déjà bien implantés dans le débat public mais pourtant les jeunes que je côtoyais dans les foyers étaient loin de ces préoccupations. J’ai décidé d’attirer leur attention avec des ateliers écologiques concrets comme la confection de charpentes ou l’apprentissage du maraîchage. C’est de leur intérêt pour notre approche que sont nées nos propres formations.

A quels besoins ETRE répond-t-elle ?

Notre formation répondait dès le départ à un besoin : d’un côté, chaque année en France plus de 90 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme. Au bout de 3 ans, 70% d’entre eux se retrouvent sans emploi. D’un autre côté, des institutions comme l’ADEME (Agence de la transition écologique) prévoient la création de plusieurs centaines de milliers d’emplois dans les énergies renouvelables et la transition écologique. Aussi, nous avons créé l’école de la transition écologique pour faire converger ces deux besoins, et avec les jeunes qui n’aiment pas l’école.

Au départ, certaines incompréhensions ont émergé quant à notre méthode d’enseignement. Mais avec le temps, l’apport de notre école a fini par convaincre les organismes institutionnels et surtout les entreprises qui voient en nous une réponse pour pallier le manque de formation dans les métiers de la transition écologique.

En quoi votre approche diffère-t-elle des formations professionnalisantes qui existent par ailleurs ?

Nous proposons des formations centrées sur les métiers « verts » et « verdissants », c’est-à-dire, les métiers liés à la protection de la nature et à la transition écologique. En 2015 nous avons créé un CAP en menuiserie spécialisé en économie circulaire avant d’inaugurer, en 2017 notre première école ETRE dans la région toulousaine. Cette école a suscité un vif intérêt de la part d’autres collectivités. C’est pourquoi dès 2019, et grâce à notre nomination comme lauréat de la fondation La France s’engage, nous avons essaimé des écoles ETRE sur tout le territoire métropolitain. Aujourd’hui nous comptons 8 écoles actives dont 4 en région Occitanie et une à Paris.

Que viennent chercher les étudiants dans votre école ?

Nos élèves, qu’ils soient déscolarisés où déjà diplômés, viennent chercher un sens à leur formation. 20% de nos membres sont des adultes déjà qualifiés qui ressentent le besoin de donner un objectif concret à leur métier. Nous souhaitons que nos étudiants trouvent à la fois un emploi qui leur permette de garantir leurs fins de mois tout en requalifiant leur moi. C’est pourquoi nos programmes vont du stage de découverte à la formation qualifiante.

Prenez-vous en compte les spécificités régionales dans vos formations ?

L’ancrage local est la grande force de notre école. Il nous permet d’aborder au mieux les enjeux et le savoir-faire de chaque région. Notre école parisienne par exemple, se concentre sur les questions de mobilités et notamment sur le développement du vélo en ville.

 

Trouvez-vous que les métiers manuels et les métiers dits « verts » bénéficient d’une couverture médiatique avantageuse ?

Les métiers manuels sont encore victimes d’une mauvaise presse. Mais la question de la transition écologique revalorise fortement leur reconnaissance sociale. Aujourd’hui nous ne sommes plus uniquement maçons mais « éco-constructeurs ». D’autre part, nous avons de plus en plus de demandes provenant de jeunes bac+5 qui sont en crise de sens. Le défi désormais est de réconcilier les voies intellectuelles et manuelles qui sont toutes deux indissociables pour mener au mieux la transition écologique.

Il y a des pays dans lesquels dit-on la convergence du manuel et de l’intellectuel fonctionnent mieux qu’en France. Vous inspirez-vous d’expériences menées ailleurs, par exemple en Suisse ?

Nous nous inspirons beaucoup des pédagogies dites alternatives dans la construction de notre proposition. J’ai moi-même grandi dans une école à pédagogie Decroly qui développe la pédagogie active et par le faire. Nous regardons ce qu’il se passe dans d’autres pays, notamment dans les pays du nord de l’Europe qui mettent en place des pédagogies centrées sur l’apprenant et le faire.

Votre action a été relayée notamment par Reporters d’Espoirs. Cette médiatisation, et plus généralement le développement du journalisme de solutions, ont-ils un impact positif sur l’activité de votre école ?

Notre passage sur la scène de votre évènement La France des solutions en 2019 a été un réel tremplin pour notre médiatisation. Les médias pratiquant le journalisme de solutions font cet effort de compréhension qui demande du temps. Mais notre visibilité n’est pas encore optimale, il reste de nombreux médias que nous n’avons pas réussi à interpeller.

Que pouvons-nous vous souhaiter pour 2022 ?

Notre ambition et de poursuivre le développement de l’école sur tout le territoire. Nous souhaitons atteindre le nombre de 30 écoles d’ici 3 ans. Cet objectif n’est pas sans fondement : nous observons une véritable demande que ce soit de la part des jeunes ou des entreprises. A plus court terme nous aimerions passer de 8 écoles à 15 d’ici fin 2022. Cette extension nous permettrait de toucher encore plus de jeunes : en 2021, ETRE avait déjà accompagné 600 étudiants, nous souhaitons atteindre les 2000 en 2022.


 

Propos recueillis par Louise Darrieu, Reporters d’Espoirs.

«En quête d’une génération de journalistes européens de proximité», Laurence Aubron, fondatrice d’Euradio et membre du jury du Prix européen du jeune reporter

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Euradio se définit comme une radio associative, citoyenne et indépendante. Avec une programmation qui alterne reportages sur des initiatives locales, actualités européennes contextualisées et musique, la station émet en FM à Nantes et dans plusieurs villes françaises sur le réseau de radio numérique terrestre, ainsi que partout via le web. Laurence Aubron, sa directrice et fondatrice, revient pour nous sur la genèse du projet et ses ambitions pour l’avenir.


Vous êtes la fondatrice et directrice d’Euradio. Quelle en est l’ambition initiale?

L’histoire d’Euradio est intimement liée au référendum européen de 2005. La couverture médiatique des affaires européennes était très limitée. Il fallait réagir, alors nous avons choisi de créer la première radio européenne des territoires. L’initiative est d’abord locale, puisqu’elle part de Nantes, territoire qui a toujours été un terreau fertile en matière d’innovation et de création. Il fallait parler d’Europe au quotidien, en partant de notre ancrage sur ce territoire, et avec une ligne éditoriale européenne.

Comment Euradio a-t-elle évolué et comment voyez-vous l’avenir ?

La radio se développe de plus en plus. Au départ de Nantes, elle s’est implantée grâce au déploiement de la technologie DAB + (Radio Numérique Terrestre) à Lille, Lyon, Strasbourg ou encore Marseille et Bordeaux. Euradio devient ainsi la première radio européenne en France.

Pour l’avenir, l’important est de trouver une nouvelle génération de journalistes qui incarnera Euradio, curieuse, ouverte, qui a voyagé et est ouverte sur le monde, tout en connaissant bien son territoire. En clair, je cherche une génération de journalistes européens de proximité. Sur une même thématique européenne, chacun pourra apporter une perspective spécifique, fonction du territoire qu’il connait et depuis lequel il parle.

Vous avez été membre du jury du premier Prix Européen du Jeune Reporter, en quoi vous retrouvez-vous dans cette initiative ?

Cette initiative partage toutes mes valeurs. En tant que journaliste professionnelle et aux côtés d’autres comme Mémona Hintermann, j’ai trouvé cela très enrichissant de porter un regard sur le travail de jeunes journalistes européens. Je suis persuadée que cela manque aujourd’hui dans la société. Ce sont les histoires venues d’ailleurs qui permettent de nourrir une culture commune. J’ai particulièrement apprécié la plume et le sujet de Jeevan Ravindran intitulé « On espère qu’un jour, on n’aura plus besoin de nous », qui analyse les initiatives de trois entreprises européennes, travaillant dans des pays différents pour éviter que les sans-abris ne meurent de froid.

Existe-t-il un journalisme européen ?

Oui, je pense qu’il est en train de se développer, et je ne vois pas le monde de demain sans évolutions journalistiques sur le plan européen. L’enjeu est de pouvoir poursuivre l’ouverture des jeunes et personnes qui voyagent dans cette sphère culturelle et linguistique. Euradio veut offrir cette fenêtre européenne. Nous avons débuté par la programmation musicale avec des labels indépendants et multi-linguistiques. L’objectif demeure de permettre à ceux qui reviennent en France notamment après un Erasmus, de poursuivre leur ouverture sur l’Europe par l’information et la culture. Tout en donnant envie à ceux qui ne sont pas encore partis de se connecter avec une culture hors de nos frontières.

Propos recueillis par Léa Sombret


« Garder la capacité d’étonnement à chaque instant fait naître la créativité », Macha Gharibian

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Pianiste de formation classique, chanteuse, auteure, compositrice, arrangeuse, réalisatrice de ses propres albums, globe-trotteuse, Macha Gharibian a créé son univers en vivant l’expérience du jazz à New York, qui s’entremêle avec la culture arménienne de ses ancêtres, et la culture parisienne. Victoire du Jazz 2020 dans la catégorie « Révélation », Macha Gharibian était l’invitée de la soirée La France des solutions, le 15 décembre à la Maison de la radio et de la musique. L’opportunité de revenir sur son parcours et sa vision de la créativité, thème de l’événement Reporters d’Espoirs.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

La trame que j’ai suivie est celle de la chanson populaire, qui est très riche mélodiquement. Inspirée par le jazz et par mon parcours de pianiste classique, j’ai eu le goût de l’étoffer avec les couleurs qu’offre mon instrument harmonique. Enrichir l’harmonie des chansons existantes, en puisant dans mes différentes influences , répond à une réelle envie.

Quand je crée un arrangement musical, j’ai des inspirations qui peuvent venir de Ravel, Debussy, de la musique que j’ai entendue étant enfant, qu’elle soit classique ou par exemple arménienne. Et les pianistes de jazz comme Thelonious Monk ou Keith Jarrett sont également des inspirateurs. Quand je revisite la musique arménienne, j’ajoute un nouveau prisme, en la jouant à la manière d’un standard de jazz.

En plus de pianiste, vous êtes chanteuse. Mais vous vous laissez volontiers guider par la voix des autres.

Parce que je suis chanteuse, j’adore accompagner le chant des autres en étant concentrée sur mon rôle de pianiste. J’aime laisser beaucoup de liberté aux artistes avec lesquels je travaille.

En travaillant l’indépendance des mains, on travaille certes la capacité à faire deux choses en même temps, mais l’une, généralement la voix, prend toujours le dessus. En accompagnant ma propre voix de chanteuse, le jeu pianistique s’en trouve simplifié . A contrario, à ne jouer qu’une seule corde de mon arc, je me trouve dans la musique et dans l’instant, pleinement investie, avec l’impression parfois d’être meilleure. Meilleure parce que plus libre, plus inventive.

Macha Gharibian en performance artistique à la soirée Reporters d’Espoirs, le 15 décembre 2021.

Comment émerge le processus créatif selon vous ?

L’échange est au cœur du processus créatif. Pour un musicien de jazz, chaque concert est unique. Et la musique est imprégnée de ce que nous vivons en tant que personne, de ce que nous échangeons en tant que musicien, sur le moment. Chaque artiste bondit sur la création de l’autre. L’échange d’énergie avec le public est également une source d’inspiration. Nous n’avons pas la même vibration lorsque nous jouons dans un petit club de jazz où nous sentons le public tout près de nous, ou lorsque nous jouons devant une salle de 1000 personnes. Je me souviens d’un concert en Algérie, à Constantine, où les notes orientales de ma musique ont trouvé écho dans le public qui s’est exclamé, a partagé son enthousiasme avec nous en se mettant à danser.

L’improvisation est au cœur de votre art. Vous vous y êtes adonné le 15 décembre à l’occasion de la soirée Reporters d’Espoirs, où vous avez interagit avec 4 jeunes danseurs, à partir des mots, expériences, initiatives que vous avez entendues à travers les initiatives d’acteurs de solutions économiques, sociales, écologiques…

L’improvisation est au cœur du « free jazz » auquel j’aime m’adonner. Chacun assume son vocabulaire, sa partition, tout en écoutant l’autre. Cela nous amène à penser de manière plus globale, orchestrale, les personnalités s’amalgamant sans perdre de leur unicité, leur singularité. Ce qui est vrai pour le free jazz l’est aussi pour le mélange des disciplines – par exemple de la danse, des mots, et de l’instrumental à la fois.

Ce genre d’exercice m’a libéré de la partition, en laissant venir les choses dans l’instant. Ce n’est pas sans risque ! Il peut se passer des choses géniales, ou chaotiques. Se rencontrer sur un territoire vierge, c’est cela qui est excitant. L’absence de préméditation peut faire peur, mais comme on sait que l’on est musicien, et comme un danseur connait son corps, on arrivera toujours à créer quelque chose.

Avez-vous un conseil pour nourrir la créativité ?

J’ai commencé le piano à 6 ans et c’était vraiment le plaisir qui me guidait. Je crois que la créativité c’est réussir à saisir et à tisser ce fil qui nous procure ce plaisir. Aussi, garder la capacité d’étonnement à chaque instant fait naître la créativité.

Gilles Vanderpooten, avec Louise Darrieu, Reporters d’Espoirs

Suivez le travail de Macha Gharibian :     

Sur son site : https://www.machagharibian.com/

Sur Instagram : #Macha Gharibian

Sur Facebook : https://www.facebook.com/gharibian.macha

Retrouvez la performance de Macha Gharibian et celle des danseurs, sur la scène de Reporters d’Espoirs à la Maison de la radio et de la musique :

« Pour tout article nous devons vérifier et recouper nos sources : l’investigation commence ici. »

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Noëmie Leclercq est journaliste société pour ELLE.fr et la revue trimestrielle Zadig. Nommée pour le Prix Presse Écrite 2021 de Reporters d’Espoirs pour son article « Made in Vosges, l’industrie textile vosgienne renaîtrait-elle de ses cendres ? » paru dans Elle, elle revient dans cet entretien sur l’élaboration de son article et sa vision du journalisme.


 

Votre reportage porte sur la réindustrialisation, pourquoi avoir choisi ce sujet ?

A l’époque, j’étais pigiste spécialisée dans la mode pour Elle et j’avais remarqué que le grand-public avait une vision restrictive de la mode et du journalisme qui la traite. De l’extérieur, on peut voir la mode comme quelque chose de futile, qui ne fait que polluer. Mais c’est aussi une industrie très puissante et créatrice d’emplois. J’ai voulu montrer les coulisses, mais pas ceux des Fashion weeks : j’ai pris le parti d’aller du côté des personnes qui, littéralement, fabriquent la mode. Aller voir les ateliers et interroger les personnes qui les animent me paraissait intéressant, d’autant plus à une période où le made in France est en plein essor.

Vous avez opté pour un format relativement long. Combien de temps nécessite la réalisation d’un tel reportage ?

Je suis restée quatre jours sur place, dans les Vosges, pour la réalisation du reportage en tant que tel. Quatre jours auxquels il faut ajouter le travail de préparation en amont : faire des recherches générales, identifier les interlocuteurs sur place, organiser les interviews et rencontres. C’est selon moi aussi important que le reportage en lui-même. Ensuite, j’ai consacré une journée à l’écriture du papier à mon retour, puis je l’ai relu le lendemain, à tête reposée, avant de l’envoyer à ma rédaction en chef et aux relecteurs.

Par Emma Burlet

Il y a quelques années, nous nous intéressions au bio dans l’alimentation. Je pense qu’aujourd’hui, la problématique environnementale passe aussi par nos placards : nous prenons conscience de l’impact de notre consommation de vêtements. Il y a un ras-le-bol de surconsommation en général, qui s’est renforcé avec le Covid. Naturellement, je ne critique pas les personnes qui n’ont pas les moyens de se vêtir de manière éthique : la fast fashion a été une petite révolution en soi, permettant à tout le monde de s’habiller “à la mode” à moindre prix – on sait à quel point cela peut être un facteur d’intégration sociale, notamment chez les ados. Mais ceux qui le peuvent doivent être vigilants quant à leur consommation de vêtements.

Même si je suis malheureusement loin d’être un exemple, en constatant la difficulté du travail des employés de l’industrie textile en France, j’ai pris conscience de ce que représentait vraiment le coût d’un vêtement : nous ne pouvons qu’imaginer l’atrocité des conditions de travail dans les pays où le Droit est moins protecteur. C’est en cela, je pense et j’espère en tout cas, que les reportages qui montrent cette réalité peuvent faire changer les choses.

Votre article relève d’une pratique du journalisme de solutions. Que pensez-vous de la place de ce « genre » journalistique dans le métier ?

Le journalisme de solutions n’est pas valorisé dans notre profession parce que nous avons tendance à restreindre notre rôle à la dénonciation des problèmes de société. Dans la presse féminine, c’est la double peine : cette difficulté s’ajoute à la mauvaise image de l’omniprésence des annonceurs. Qualifier mon travail de « publireportage », comme ça a été le cas lors de la remise des prix Reporters d’Espoirs, est d’ailleurs révélateur de ce jugement dépréciatif que peuvent émettre certains confrères et consœurs sur la presse féminine, et par extension le journalisme positif, dont fait partie le journalisme de solution.

Voyez-vous le journalisme de solutions se développer au sein des écoles de journalisme ?

Le journalisme de solutions n’est pas véritablement mis en avant. A l’ESJ Lille, où j’étais étudiante, nous devions ancrer nos sujets dans l’économie locale – c’est l’avantage d’être situé en dehors de Paris. Je pense que ça nous a permis, en tout cas pour moi, de développer une certaine appétence pour les sujets de ce genre. Mais ce n’est pas le cas de toutes les écoles. Mais globalement, je pense que quand des étudiants arrivent en école de journalisme, ils ne rêvent pas de journalisme de solution – leur définition du métier se retrouve davantage dans le « grand reportage » ou le « hard news », qui, globalement, a plutôt tendance à être plombant. Mais c’est un genre journalistique qui, je pense, mérite d’être réhabilité : cela ne veut pas dire que l’on est à la botte d’un acteur économique, ou que l’on est complaisant. Mettre en avant des solutions n’empêche pas d’être critique et honnête.

J’ai l’impression que nous opposons souvent le journalisme d’investigation et le journalisme de solutions ; est-il selon vous possible de faire converger les deux approches au sein d’un même sujet ?

Je ne trouve pas juste d’opposer le journalisme d’investigation au journalisme en général. L’investigation, ce n’est pas simplement pointer du doigt les problèmes. Pour tout article, il est nécessaire de vérifier et de recouper nos sources : l’investigation commence ici. Il faut toujours faire une enquête pour produire un article sérieux et fiable. En cela, le journalisme d’investigation et le journalisme de solutions sont tout à fait compatibles. Le magazine Zadig, par exemple, mêle très bien les deux : il donne à la fois la place au journalisme de long court et aux initiatives porteuses de réponses.

Vous avez travaillé pour des médias très variés –Zadig, France TV, Le Monde et Elle. En quoi cela nécessite-t-il de vous adapter – le type de sujet, leur traitement, l’écriture, sont-ils différents ?

Ce sont tous de beaux médias qui permettent des reportages longs. C’est important pour Elle comme ça l’aurait été pour Le Monde de parler de mode sous un prisme économique avec du fond. J’ai d’ailleurs fait un sujet sur le retour de l’industrie textile dans les Hauts-de-France pour Zadig ! En cela je pense qu’il y a de la place pour traiter de sujets semblables dans tous ces médias.

Propos recueillis par Louise Darrieu

 

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