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Interviews

« Nous devons mériter la confiance des lecteurs et, pour ce faire, reprendre les fondements du journalisme. » Marie Bertin et Jeanne La Prairie

By 24 août 2021mars 8th, 2022No Comments

Marie Bertin et Jeanne La Prairie sont les co-fondatrices du magazine Les Autres Possibles, le journal nantais qui se donne pour mission de fournir une information constructive. Établi en région nantaise, ce bimestriel fondé en 2016 propose, dans un format innovant et attractif, des informations locales tout en mettant en avant le talent des artistes de la région. Il compte aujourd’hui plus de 3 000 lecteurs réguliers. Deux mois après avoir reçu au nom de leur équipe le Prix Reporters d’Espoirs 2021 dans la catégorie « Innovation », les deux journalistes reviennent sur la genèse du magazine et sur leur engagement journalistique.


Qui est à l’origine des Autres Possibles ?

Marie Bertin : C’est Jeanne qui est l’initiatrice de ce projet. Elle avait le désir de fonder à Nantes un magazine local indépendant de journalisme de solutions. Je partageais son engagement journalistique, aussi, lorsque je suis rentrée de Nouvelle Calédonie où je travaillais dans une radio locale, je me suis jointe au projet. C’est en 2016 que nous avons lancé le magazine avec la graphiste et co-fondatrice Camille Van Haecke.

Votre magazine naît du constat du « manque d’indépendance des grands médias et de la défiance du public envers les journalistes », peut-on lire sur votre site internet. Quelle est votre stratégie pour regagner cette confiance ?

Jeanne La Prairie : Dès le premier jour, nous avons choisi d’être transparentes sur nos financements et également sur les coulisses et la fabrication du journal. Nous n’avons jamais caché nos difficultés ou nos joies et tout cela a également beaucoup aidé à tisser un lien durable avec les lecteurs. Par ailleurs, on a recherché la proximité avec le public, en organisant ou en participant à de nombreux événements qui ont favorisé cette transparence, l’accessibilité et à la relation du média avec ses lecteurs.

Vous avez réussi à vous démarquer des autres journaux grâce à un format original et très illustré. Pourquoi avoir choisi ce format ?

Jeanne La Prairie : Nous voulions, dès le départ, accorder une importance quasi égale au visuel et à l’information. La cartographie que nous proposons est un véritable laboratoire qui mélange la création artistique et l’information locale. L’idée c’était d’offrir quelque chose de surprenant pour attirer le lectorat vers la presse indépendante. Dans ce magazine-carte, nous souhaitions proposer quelque chose de non jetable, un bel objet que nous gardons. Cela permettait d’offrir un écrin à des sujets qui par ailleurs ne sont pas toujours attrayants pour le public tels que le traitement des déchets ou les bidonvilles. Il faut que les lecteurs aient envie de payer pour cette information sans publicité.

Le journalisme de solutions peut-il être un outil efficace pour regagner la confiance du public ?

Jeanne La Prairie : Oui, le journalisme de solutions est un outil très efficace mais il n’est pas le seul. Tous les genres journalistiques ont leur intérêt. Néanmoins l’ancrage dans la vie quotidienne des solutions racontées dans le journal permet de se débarrasser d’un sentiment d’impuissance pour aller vers l’action collective et politique concrète.

Comment avez-vous trouvé votre place dans le paysage journalistique nantais ?

Marie Bertin : Cela s’est fait relativement naturellement car nous proposions quelque chose qui n’existait pas. Les quotidiens régionaux sont très implantés, ils bénéficient de moyens financiers que nous n’avons pas mais nous apportons quelque chose de nouveau aux lecteurs. Notre force émane à la fois de notre attachement à l’esthétique et de notre volonté de proposer un journalisme de solutions. Nous avons trouvé notre place, dès les premiers pas du magazine, grâce à notre envie de changer les choses.

Comment choisissez-vous les sujets que vous souhaitez traiter ? Quels sont les critères indiscutables ?

Marie Bertin : Il y a toujours une part d’intuition dans le choix des sujets. Toutefois, la ligne éditoriale que nous nous sommes fixée – « face aux enjeux de société, des solutions solidaires et durables de proximité » – nous permet de faire un premier tri tout en conservant un large champ d’information recouvrant les innovations sociales et environnementales.

Ensuite, pour choisir un sujet précis, nous nous penchons sur l’actualité locale car, même si nous sommes détachés de l’actualité dite « chaude », nous restons à l’écoute de l’actualité de société. Par exemple, notre dernier numéro est dédié à l’adaptation des sociétés aux chaleurs extrêmes.

La ligne éditoriale de votre magazine a-t-elle évolué au fil du temps et des collaborateurs ?

Marie Bertin : Je pense et j’espère que nous avons aiguisé notre regard. Il me semble que nous allons plus loin dans l’analyse de la solution présentée. Nous élargissons également nos thématiques puisque les enjeux environnementaux touchent désormais tous les domaines de nos vies.

Votre stratégie de diffusion auprès des commerçants locaux a-t-elle aidé à la visibilité du magazine ?

Marie Bertin : A ce niveau aussi nous voulions innover. Nous sommes partis du constat que notre génération n’allait plus dans les kiosques à journaux. Il nous fallait donc trouver une stratégie de vente plus efficace et en accord avec notre époque. Etant à une échelle locale, nous pouvions créer notre propre réseau de distribution en démarchant directement les commerçants, les boulangers, les coiffeurs etc…Beaucoup ont accepté de diffuser notre magazine sur leur lieu de vente. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous sommes parfois le seul média vendu dans certains lieux de socialisation. Et cette diffusion, au plus près des citoyens, a fortement contribué à la visibilité de notre magazine. Toutefois, ce travail de diffusion reste très chronophage même si nous engageons ponctuellement l’entreprise nantaise BiciCouriers pour accomplir cette tâche.

Vous visez un objectif économique qui repose à cent pourcent sur l’achat d’informations par les lecteurs. Pour quelle raison et y parvenez-vous ?

Marie Bertin : Nous pensons que l’indépendance financière est l’une des meilleures garanties de l’indépendance intellectuelle d’un média. Néanmoins, certains médias faisant appellent à des annonceurs ou faisant partie de grands groupes médiatiques sont très qualitatifs. Simplement, il existe toujours le risque de vouloir satisfaire son financeur, quel qu’il soit.

Mais le magazine n’est pas encore totalement autonome et l’association éditrice a d’autres activités pour équilibrer son budget, comme des ateliers d’éducation aux médias. Par ailleurs, nous ne sommes pas éligibles aux fonds d’aide réservés aux médias d’informations politiques et générales, mais nous recevons l’aide aux médias de proximité de la DRAC qui émane de l’Etat. Cette subvention nous accorde 18 000 euros par an. Lors de la crise sanitaire liée au Covid-19 nous avons également pu bénéficier d’aides. Nous nous engageons, auprès de nos lecteurs, à être totalement transparents sur nos financements.

De nouveaux projets à venir ?

Marie Bertin : Le magazine est, en lui-même, en perpétuelle évolution que ce soit du point de vue économique ou du point de vue de nos collaborateurs. Le manque de moyens financiers ne nous permet pas encore de nous étendre à d’autres villes même si nous recevons des sollicitations extérieures. Cependant, nous souhaitons rééditer notre guide de consommation Où acheter durable à Nantes ? et si cela s’avère être possible et pertinent, l’étendre à d’autres territoires.

Jeanne La Prairie : Acquérir suffisamment de lecteurs pour assurer notre indépendance, c’est une recherche au quotidien qui demande de nombreux investissements technologiques et une forte présence en ligne. On accélère sur ces sujets depuis la crise sanitaire en attendant de pouvoir reprendre les événements conviviaux et de pouvoir fêter les 5 ans du magazine.

Propos recueillis par Louise Darrieu

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