« Les réseaux sociaux peuvent créer de l’engagement, de l’espoir et des réactions positives, plus qu’aucun média n’aurait pu imaginer »
François Saltiel, journaliste à Arte et France Culture, enseignant à l’IFP (Institut Français de Presse) et cofondateur de l’association d’éducation aux médias et du Festival Txiki dans les Pyrénées-Atlantiques, rejoint le jury du Prix Reporters d’Espoirs 2021 dont les lauréats seront dévoilés le 24 juin. Il nous confie son regard sur les nouveaux médias, revient sur son parcours, et partage la manière dont il voit évoluer ses étudiants de 20 ans -lui qui fête tout juste son 40e anniversaire – auprès desquels il enseigne le journalisme.
Gilles Vanderpooten – De ton ouvrage « Le vendeur de thé qui changea le monde avec un hashtag » (Flammarion, 2018) ressort l’idée que les réseaux sociaux peuvent être utiles et diffuser l’envie d’agir. « Un magnifique tapis volant à emprunter pour découvrir le monde » écris-tu.
François Saltiel – On a souvent tendance à ne considérer que les aspects négatifs des réseaux sociaux. Ils existent mais permettent aussi à des gens des quatre coins du monde de se rejoindre sur une idée, se fédérer, se rencontrer et parvenir à faire avancer les choses. #MeToo est un bel exemple : il a libéré la parole des femmes et l’écoute des hommes et a mis sur le devant de la scène la question du harcèlement. Il a permis une prise de conscience et dans certains cas un renforcement du système législatif. De même #Blacklivesmatter a permis de rendre visible la violence policière à l’égard d’une communauté et de faire en sorte que les gens se réunissent. Je trouve que ce sont des usages qui montrent la force et la puissance des réseaux sociaux.
« Le vendeur de thé qui changea le monde avec un hashtag », que j’évoque dans l’un des chapitres du livre, c’est l’histoire d’une photographie d’un très beau vendeur de thé pakistanais de 18 ans qui a été massivement diffusée sur les réseaux sociaux au moment où le contexte politique était très tendu entre l’Inde et le Pakistan, notamment dans la région du Cachemire. Cette photographie est parvenue à fédérer et apaiser les tensions entre des Indiens et des Pakistanais qui ensemble se sont mis à la relayer. A son insu, le vendeur de thé est devenu une sorte d’ambassadeur, le temps d’une trêve, de la trêve du thé. C’est un exemple témoignant que les réseaux sociaux peuvent créer de l’engagement, de l’espoir et des réactions positives, plus qu’aucun média n’aurait pu imaginer.
Comment mets-tu en pratique l’idée d’être « reporter d’espoir »?
Je me rends compte que mes chroniques même les plus légères suscitent l’intérêt des gens parce qu’il y a un véritable besoin d’espoir, une envie, dans un espace médiatique assez saturé d’informations négatives qui se répètent. J’essaie de relayer au maximum les histoires de femmes et d’hommes qui se regroupent, militent, se lancent des défis sur les réseaux sociaux pour nettoyer les plages, les rues, distribuer de la nourriture à des gens qui en ont besoin. Ces histoires suscitent un élan favorable. J’essaie par cette pratique de casser le cliché journalistique selon lequel il serait nian-nian de parler des choses qui vont bien.
Quelques mots sur ton parcours dans le monde des médias ?
J’ai démarré le journalisme quand j’avais 20 ans grâce à un stage à la rédaction de Culture Pub, une émission qui a marqué ma génération, et j’y suis resté assez longtemps. De petits reportages en plus grands formats de 52 minutes, j’ai fait de la production et de la radio. Jusqu’à ce que j’arrive il y a cinq ans sur le plateau de 28 Minutes sur Arte [rendez-vous quotidien d’Arte pour décrypter l’actualité en France et à l’international, animé par Elisabeth Quin et Renaud Dély].
En parallèle j’anime des émissions de débats sur France Culture.
J’anime aussi une association d’éducation aux médias avec laquelle j’organise des événements, dont le Txiki festival qui réunit chaque année des enfants autour du cinéma et de l’éducation aux images, et mène des interventions dans les collèges et lycées. Il me parait essentiel de donner des outils à la nouvelle génération pour la compréhension des usages du numérique. On dit souvent que c’est la génération des « digital natives » et que les outils numériques n’ont aucun secret pour eux. C’est un mythe : ce n’est pas parce que tu as grandi avec que tu sais t’en servir.
Tu côtoies les jeunes également en tant qu’enseignant en journalisme.
J’enseigne à Paris II, à l’IFP (Institut Français de Presse) et ai enseigné durant dix ans à Paris III – Sorbonne-Nouvelle. L’enseignement a toujours accompagné mon parcours. Je fais partager mon savoir et je reçois des étudiants leur expérience, leur vision du monde, leur manière d’aborder les médias. L’un des problèmes de notre société étant le cloisonnement générationnel, je suis convaincu qu’il faut trouver un moyen de se reconnecter. L’université me sert à prendre le pouls d’une jeunesse qui m’aurait sans doute échappé si je n’étais pas enseignant.
Cette jeunesse qui a 20 ans en 2021, aborde-t-elle le métier d’une manière spécifique ?
Je trouve la jeunesse d’aujourd’hui plus aguerrie aux pratiques du métier, plus critique, plus consciente que l’était ma génération, peut-être parce qu’elle dispose d’outils plus sophistiqués. Les jeunes de 20 ans sont conscientisés, avec une véritable prise de position. Ils ont d’ailleurs souvent une lecture très subjective des choses.
Je pense qu’un journaliste subjectif, incarné, peut exister. On sait tous que lorsqu’on aborde un sujet on y va avec un a priori, avec une idée, avec une pensée. Il faut être assez mature, honnête, pour se rendre compte que ce que tu pensais au départ va être contredit par la réalité du terrain. On a tendance dans le journalisme à raconter les choses de manière manichéenne. Un gentil et un méchant, c’est plus facile à appréhender. La difficulté dans ce métier est d’accepter et d’intégrer la nuance, et surtout, de la transmettre. La jeunesse a peut-être une vision du monde un peu fermée, ancrée, qui se confronte à la réalité lors de ses premiers pas dans le métier. Mais je préfère un jeune qui a une vision un peu radicale plutôt qu’un jeune qui n’a pas de vision du tout.
Il faut donc une bonne dose de curiosité lorsqu’on est journaliste, pour s’aventurer au-delà de ses sujets de prédilection !
Oui, on dit qu’il faut « savoir penser contre soi-même », sortir de sa zone de confort, être curieux. On a tendance à mettre naturellement à l’écart les sujets que nous ne connaissons pas, par facilité. Je crois beaucoup que la curiosité journalistique nous amène à nous intéresser à des thématiques qui a priori ne nous intéressaient pas, et qui se révèlent finalement passionnantes… et parfois davantage que nos sujets de prédilection. Un journaliste n’est pas un sachant ni un expert, il apprend beaucoup pour transmettre au mieux, et c’est ce qui est si passionnant dans ce métier : l’on ne cesse d’apprendre.
Tu nous fais le plaisir de rejoindre le jury du prix Reporters d’Espoirs. Qu’en attends-tu ?
J’attends de la surprise ! Quand je dis surprise, ce n’est pas forcément un artifice, je n’attends pas des productions fantasques, j’attends une surprise qui n’est pas gratuite. Le sel d’un reportage n’est pas toujours dans l’originalité du sujet, mais aussi dans la personnalité du journaliste : son angle, son écriture, le ton utilisé, au service du message et des informations transmises.
Propos recueillis par Gilles Vanderpooten
A propos de Reporters d’Espoirs & du Prix
Le Prix Reporters d’Espoirs met à l’honneur depuis 2004 les journalistes, innovateurs des médias, et étudiants-futurs professionnels des médias, pour leurs sujets traités sous l’angle « problème + solution ». Il a distingué plus de 100 lauréats depuis sa création, et célèbrera en 2021 sa 11e édition. Le Prix a permis à des journalistes de défendre leur travail au sein de leur rédaction, de gagner en notoriété auprès du public, de maintenir ou développer leurs rubriques, ou encore de convaincre leur média de la pertinence du journalisme de solutions. Le Prix s’inscrit dans la mission de Reporters d’Espoirs « pour une info et des médias qui donnent envie d’agir ».