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« Sur ma chaîne YouTube dédiée à l’agriculture, je tâche d’éviter la béatitude tout autant que la condamnation absolue. C’est la clé d’un dialogue serein entre citoyens et agriculteurs. » Pierre Girard

By 17 juin 2021août 20th, 2021No Comments

Pierre Girard, journaliste, présente depuis janvier 2009 Xenius, le magazine quotidien de la connaissance sur Arte. En 2019, il a créé Tous Terriens, une chaîne YouTube dédiée aux solutions agricoles et suivie par 13 000 personnes. Il partage avec nous sa pratique journalistique de la science, du climat et de l’agriculture, devenus ses thèmes de prédilection, et sur lesquels il s’est auto-formé au contact des scientifiques et du terrain.


Vous avez été journaliste généraliste avant de vous spécialiser dans la science et l’environnement.

Pierre Girard –  J’ai d’abord travaillé pour le titre de presse quotidienne régionale France Antilles où je traitais beaucoup de sujets environnementaux et de sujets spatiaux. J’avais un angle scientifique, mais traitais également de politique et de société. Lorsque je me suis installé en Allemagne en tant que correspondant, j’ai dû m’initier à l’économie, sujet que je connaissais très peu et qui s’avérait d’autant plus indispensable que nous étions en pleine crise économique de 2007-2008. Je me suis ensuite spécialisé sur des sujets plus scientifiques avec Xenius, aventure télévisuelle qui s’inscrit dans la durée.

Comment vous êtes-vous forgé une culture scientifique qui vous permette d’appréhender ces sujets ?

Quand j’ai pris la décision de devenir journaliste, il était assez évident pour moi que le sujet de l’environnement et le sujet de la science allaient être importants tout au long de ma carrière. Episodes de tempêtes violentes, naufrage de l’Erika, débat sur les OGM ont animé mes années de débutant en journalisme. J’ai rapidement compris qu’il me fallait un minimum de bagage scientifique pour les aborder au mieux. Alors je me suis formé, car j’ai eu la chance d’en avoir l’envie et le temps. Dans le contexte de crises climatique et sanitaire, il me semble qu’une culture scientifique est primordiale pour les journalistes.

Reporters d’Espoirs a mené une étude sur le traitement médiatique du climat, et recueilli les bonnes pratiques de journalistes. Beaucoup mentionnent la synthèse de 30 pages du rapport du GIEC comme un prérequis. Et vous, quels seraient vos conseils ?

Si j’avais une autre recommandation à faire, ce serait de considérer que le temps et la logique du chercheur sont différents de ceux du journaliste ; qu’il est important de comprendre comment est rédigé un papier scientifique pour restituer au mieux le travail des scientifiques lorsqu’on le vulgarise. Pour cela, ma technique c’est de lire, mais aussi de prendre le temps d’aller à la rencontre des scientifiques sur leur terrain ; comprendre en combien de temps s’articule un projet de recherche et quelles sont les étapes pour aboutir à une publication. C’est essentiel pour pouvoir rendre compte des discours scientifiques, exprimer leur complexité et leur mouvance dans le temps. On ne rend pas compte d’un travail scientifique comme on rend compte d’un meeting politique. Je pense que tout journaliste généraliste amené à couvrir des sujets environnementaux et climatiques doit suivre une petite formation scientifique pour en avoir conscience. Aujourd’hui, beaucoup de médias n’ont hélas plus de référents scientifiques.

En marge de votre travail à Arte, vous avez créé une chaine YouTube, Tous Terriens, dédiée aux solutions agricoles. C’est une manière d’ouvrir un nouvel espace de libertés -pour vous- et de discussion avec de nouveaux publics ?

Ce que j’ai eu envie de faire, c’était de traiter sur la longueur des solutions et initiatives agricoles et agro-écologiques. De toute évidence c’est un sujet où nous, journalistes, sommes peu présents, et pourtant attendus. J’avais très envie de créer un espace pour cela. Souhaitant m’émanciper des contraintes de temps de la télé traditionnelle, je me suis lancé en solitaire. L’avantage d’être sur YouTube, c’est aussi le contact direct et sans filtre avec le public, avec la possibilité d’amorcer un vrai échange. Je remarque dans la teneur des commentaires qu’il y a autant d’agriculteurs que de consommateurs qui réagissent. C’est une preuve que les questions d’écologie et d’agriculture nous concernent tous de la même manière.

Le traitement de l’agriculture donne souvent lieu à des débats très vifs. Or à la lecture des commentaires sur votre chaîne, globalement très constructifs, on a le sentiment que vous parvenez à dépasser ces oppositions.

Quand on prend le temps et qu’on a un espace pour en discuter ensemble, on arrive à avoir un débat apaisé, à regarder les solutions et à se projeter dans l’avenir ensemble. Une magie opère que j’ai encore du mal à comprendre, avec l’algorithme de YouTube et qui joue dans la formation d’une communauté. Les commentaires postés sur ma chaîne sont souvent remplis de bienveillance et de qualité. Des consommateurs posent des questions aux agriculteurs et des agriculteurs donnent des conseils. On se rend compte que les gens prennent plaisir à échanger entre eux sous les vidéos. C’est tout aussi important pour moi que le reportage en lui-même.

Parler d’écologie au secteur agricole n’est pas toujours évident. Comment faites-vous pour aborder sereinement ces questions ?

Je dirais que j’essaye d’aller au-delà des catégories. Les deux règles d’or que je me fixe, c’est d’abord de parler de tout sans catégoriser, ensuite accepter qu’il y a une diversité. Il y autant de modèles de ferme qu’il y a de fermes en France. Je cherche à ne jamais simplifier le discours et à être le plus proche de la réalité. Je n’omets pas de parler de sujets tabous mais je ne lésine pas non plus sur les solutions. Je tâche d’éviter la béatitude mais aussi la condamnation absolue ; de mettre en avant des idées novatrices sans a priori ; pour mes abonnés et aussi pour nourrir un débat constructif. Quand on montre la vérité, il n’y a aucune raison que cela se passe mal.

Vous avez vous-même évolué dans votre manière d’appréhender le secteur ?

Il faut avoir conscience que l’agriculture est un sujet complexe. Il y a dix ans, lorsque je sortais de ma rédaction, que je quittais la ville pour aller faire mon reportage, j’étais dans une attitude toute autre que celle que j’adopte aujourd’hui. Il existe une tendance –y compris au sein des rédactions– à avoir des idées préconçues, à être dans une position de dominateur qui arrive et pense tout savoir de la réalité du principal concerné. Or, il faut accepter d’être novice sur le sujet et que les personnes que l’on rencontre sont des experts passionnés de leur métier. En général, elles ont conscience des limites de leur travail, de l’état de l’environnement et de la biodiversité.

Peut-être la réaction d’une partie du milieu agricole –lorsque ses représentants brandissent le fameux « agribashing »– s’explique parce qu’il s’est pendant longtemps senti mal considéré, oublié, voire vilipendé ?

Il faut surtout faire attention à qui l’on donne la parole dans les médias. Malheureusement, ce sont souvent des extrêmes. On se rend compte en allant sur le terrain que la réalité de l’agriculture se situe entre les deux. Quand j’ai commencé Xenius en 2009, on a souvent traité de sujets agricoles. On a observé une rupture de confiance avec l’agriculture à des moments clés bien connus. Sauf que l’on est passé d’une naïveté totale à un rejet violent. Aujourd’hui, on sait que l’agriculture est nécessaire pour conserver notre biodiversité, nos paysages et aider dans la lutte contre le changement climatique.

L’une de vos vidéos, « Ferme autonome : un éleveur bio qui maîtrise tout » a atteint une audience record avec 780 000 vues. Comment l’expliquez-vous ?

L’autonomie est un sujet qui fédère beaucoup, qui est très discuté et observé sur les réseaux sociaux. C’est un enjeu central à la fois pour la société dans son ensemble et pour l’agriculture. Là aussi la magie des algorithmes YouTube y est probablement pour quelque chose.

Bio en bref

Diplômé de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine en 2002, Pierre Girard travaille en tant que journaliste en Guyane de 2002 à 2005. Il travaille à France Antilles puis fait ses débuts à la télévision sur la chaîne guyanaise ACG. En 2006 il rejoint France 24 à Berlin, puis en 2009 Arte pour présenter le nouveau magazine de la connaissance, Xenius, avec la journaliste allemande Dörthe Eickelberg. En 2020, il présente également La Science déconfinée, diffusée deux fois par semaine sur Arte. En parallèle de quoi il a lancé sa propre chaîne YouTube dédiée à l’agriculture, Tous Terriens.

Propos recueillis par Gilles Vanderpooten


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