Chantal Colleu-Dumond est la directrice du Domaine et du Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire. Retrouvez-la dans notre émission en direct du « Train de la relance » à Orléans ce vendredi à 13h ! Sur le thème « La France, c’est le Beau », en compagnie d’autres acteurs de solutions de la région Centre-Val de Loire.
Directrice d’un Centre culturel français en Allemagne, conseiller culturel et scientifique en Roumanie, directrice des Affaires internationales du ministère de la Culture, Conseiller culturel à Rome et à Berlin : Chantal Colleu-Dumond a fait de la diffusion de la culture française à l’étranger son cheval de bataille. Passionnée par le patrimoine et la création, elle dirige le Domaine et le Festival International des Jardins de Chaumont-sur-Loire, qui accueillent chaque année plus de 500 000 visites et jouissent d’une reconnaissance internationale au Brésil, aux Etats-Unis au Japon ou en Chine. Chantal ne cesse de s’émerveiller des conversations avec les artistes, de la contemplation d’œuvres, jardins, et paysages qui nourrissent son quotidien.
1 citation
« Chaque expérience de la beauté rappelle un paradis perdu et appelle un paradis promis. Chaque fois elle semble restituer la fraîcheur d’un premier matin du monde ».
François Cheng, écrivain, poète et calligraphe franco-chinois, membre de l’Académie Française
1 atout de la France
Le Beau s’incarne en France dans un patrimoine exceptionnel d’architecture et d’histoire, autant que dans des paysages extraordinaires de montagnes, de campagnes, d’espaces maritimes qui constituent une richesse fondamentale de notre pays.
8 000 musées, 44 000 monuments historiques classés et inscrits, 40 sites inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, des parcs et jardins d’exception, des savoir-faire reconnus internationalement, un tourisme culturel représentant 100 000 emplois, 89 millions de visiteurs, font de la France le joyau touristique le plus visité dans le monde.
1 défi à relever
Nous avons un rôle à jouer dans la protection du patrimoine et du paysage, et dans la réparation de ceux qui sont abîmés. La France doit et peut être exemplaire dans la préservation, la réparation et la résilience des paysages.
1 solution made in France
L’incomparable diversité de nos savoir-faire artisanaux
Entretien
Le goût pour les jardins et le jardinage se développe à mesure que progresse la conscience environnementale. Que s’est-il passé pour qu’il suscite une telle passion ?
Cet art très ancien des jardins a connu de sérieuses vicissitudes des années 1950 aux années 1980. Il a été le miroir de crises majeures de notre époque. Le goût, l’esprit, le savoir du jardin ont relativement disparu après-guerre. La nature, la campagne, s’éclipsent alors derrière la nécessité de reconstruire le pays. A cela s’ajoute l’exode rural. De nombreux jardins se trouvent alors à l’abandon, et se détruisent rapidement – ces œuvres vivantes peuvent succomber en l’espace de 6 à 8 mois. Dans les villes, on trouve des espaces verts qui sont sans âme ni poésie, comblant le vide d’une urbanisation galopante. Commence néanmoins à émerger le métier de paysagiste, et avec lui l’amorce d’un renouveau.
Puis une prise de conscience écologique qui s’accompagne d’une inquiétude – naturelle aujourd’hui, moins fréquente à l’époque – naît vis-à-vis de l’utilisation irrationnelle des ressources de la planète. Forêts dévastées, gaspillages, mise en danger de la biodiversité, commencent à émouvoir.
A la conscience environnementale naissante va s’ajouter une demande de nature comme facteur d’équilibre dans un monde très urbanisé. Les paysages ruraux ont été désertés, les paysages urbains se sont incroyablement développés, à tel point que 80% d’entre nous vivent en ville. La pollution de l’air, l’accroissement du nombre des voitures, la lassitude du béton et du ciment, vont créer la nostalgie d’une certaine qualité de vie liée à la nature. Ce double mouvement concomitant va être à l’origine de ce retour au jardin. Il répond aux préoccupations écologiques de notre temps, parce qu’il évoque un univers vivant, complet, complexe et fascinant. Il touche un public de plus en plus large, « parce que le jardin participe à toutes les mutations de notre image du monde », ainsi que le disait Michel Baridon, grand théoricien du jardin.
C’est là qu’intervient le jardin comme terrain d’émotions esthétiques…
Le jardin est souvent conçu comme un paradis, lieu de félicité qui prête à la rêverie et où l’on oublie le réel. D’ailleurs, engrec, « jardin » se dit « paradis ». « Le jardin c’est la plus petite parcelle et la totalité du monde » disait Michel Foucault. C’est, pour moi, un art majeur, comme le considèrent les Chinois et les Japonais. C’est un art qui permet l’immersion totale dans l’œuvre. Quand vous vous promenez dans un jardin, vous êtes dans l’œuvre, avec des changements permanents de points de vue. Le jardin est un lieu de couleurs, de saveurs et de parfums.
Vous concevez donc le jardin comme un lieu privilégié d’accès à la beauté ?
Un jardin, qui mobilise tous les sens et notamment la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher est, en effet, un concentré de beauté et favorise même une évasion de l’imaginaire, au-delà du visible.
Le jardin c’est aussi le domptage de la nature par l’Homme. L’alliance parfaite de l’art de la main et des écosystèmes ?
Le jardin est, en effet, comme tout art, un lieu très contrôlé, par des paysagistes et des jardiniers qui peuvent être de véritables créateurs et travaillent avec le vivant, qui nécessite une attention et une adaptation permanentes.
Le jardinage n’est pas nécessairement écologique par nature, mais il progresse !
Le monde du jardin est en perpétuel mouvement et les approches écologiques y deviennent plus évidentes. Le réchauffement climatique, les perturbations du cycle de l’eau ont des conséquences sur la manière de le concevoir. On utilise l’arrosage dans des conditions plus modérées, on supprime les engrais, on choisit des plantes indigènes plutôt que d’importer des plantes du bout du monde. Des jardins secs se créent même sur des parkings, avec des graminées ornementales, des pavots ou des romarins et permettent de reconquérir des terres apparemment stériles et difficiles.
De quelle manière contribuez-vous à relever le défi à Chaumont-sur-Loire ?
Le Domaine est un laboratoire des tendances du jardin. Chaumont-sur-Loire est un lieu intéressant parce que l’on y réfléchit à de nouvelles manières de cultiver, d’associer plantes et matériaux divers, de concevoir des scénarios nouveaux pour le jardin.
A côté du Festival des Jardins, nous avons créé, chaque mois de septembre, un événement : Les Botaniques, dans le cadre duquel nous invitons des pépiniéristes collectionneurs de renom, créateurs de plantes rares et grands défenseurs de la biodiversité. Car la disparition d’une certaine biodiversité horticole est un problème à prendre en compte. Il importe, en effet, de lutter contre une standardisation et de préserver la richesse végétale. Nous avons aussi planté des vergers dans les jardins de notre futur hôtel. Un jardin peut être beau et nourricier à la fois.
Quels signaux d’une France qui se renouvelle, s’enrichit de réponses aux nouveaux défis, observez-vous ?
Si l’on met entre parenthèses l’épisode épidémique que nous venons de traverser, l’on peut dire qu’une incroyable créativité s’est déployée ces dernières années : avec – des jardins écologiques, solidaires, urbains où se tissent des liens entre architecture et végétal, – des jardins de création, artistiques ou philosophiques qui utilisent avec une grande liberté de nouvelles matières, de nouveaux végétaux, et débordent d’une exceptionnelle inventivité. On recycle, fusionne, marie les matières – bois, pierre, métal, plumes… Par ailleurs, les toitures végétalisées, par exemple, comme toute présence verte en ville, adoucissent le paysage urbain – notamment au-dessus des parkings, pour couvrir des surfaces grises abominables- ce qui, en plus des vertus esthétiques, a l’avantage de rafraîchir de 2 à 3 degrés la température ambiante. Le jardin s’avère ainsi utile, en plus d’être une action d’embellissement permanente !
Quel est pour vous le combat collectif majeur que nous ayons à mener ?
Si la France demeure la première destination touristique mondiale, c’est parce que l’on a encore, à côté de nos richesses patrimoniales, de splendides paysages. Mais ils sont menacés du danger d’un enlaidissement consenti ou inconscient – voyez l’horreur des centres commerciaux, temples de notre consommation aux abords des villes-, qui sont une abomination esthétique. Nous habitons l’un des plus beaux pays du monde. Mais, de la même manière que j’ai vu se réduire les forêts primaires –à Madagascar, au Rwanda, ou d’autres pays africains – je constate, chez nous aussi un rétrécissement de la nature, un enlaidissement de la campagne, avec des paysages mités par des étalements urbains sans contrôle, une bétonisation, une artificialisation des sols, des erreurs architecturales multiples. L’on a même vu des arbres abattus sous le simple prétexte que les feuilles sont… difficiles à ramasser, ce qui est un comble, quand on connaît leurs vertus en termes de décor, d’ombrage, de fraîcheur et d’oxygène !
Cette défense de nos paysages naturels, voilà un magnifique combat !
Propos recueillis par Gilles Vanderpooten