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Reporters d'Espoirs

Les États généraux de l’information aspirent à un « journalisme de solutions » : Reporters d’Espoirs met à disposition ses 20 ans d’expertise et d’actions concrètes

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Le mois dernier se tenait la restitution du plan d’action des États Généraux de l’Information au CESE à Paris. 15 propositions et 2 recommandations ont été présentées, adressées aux pouvoirs publics, en vue de soutenir la liberté d’expression et le pluralisme dans les médias. Des mesures concrètes sont proposées dans le rapport : propositions d’abrogation de lois, renforcement de l’éducation aux médias dans le milieu scolaire, éducation du public contre la désinformation, etc. Reporters d’Espoirs se réjouit que la démarche du journalisme de solutions -qu’elle a lancée en 2004 et qui fête cette année ses 20 ans- soit mentionnée à cinq reprises comme une réponse à l’info-anxiété et pour l’innovation éditoriale.

Tout simplement d’un journalisme « à spectre large », comme le décrit Serge Michel, ancien directeur de la rédaction du journal Le Monde. En complément des « 5W » – les cinq questions que se pose en général un journaliste lorsqu’il appréhende un nouveau sujet (qui, quoi, où, quand, pourquoi) – il s’agit d’en ajouter une 6e : « qu’est-ce qu’il se passe dans la société, des réponses à ce problème existent-elles ? ». En expliquant, dans la version la plus poussée, à la fois le problème et ses causes, l‘initiative, le processus de résolution qui l’a rendue possible, les résultats obtenus et les limites de l’initiative.

Une fierté française ? Cette démarche s’est structurée en France dès 2004, avec Reporters d’Espoirs, avant d’essaimer aux États-Unis, en Europe et dans le monde.

DÉCERNER DES PRIX POUR SOUTENIR LES DÉMARCHES JOURNALISTIQUES 

Le groupe de travail Citoyenneté, information et démocratie soulève à juste titre « La question de la protection de la population, notamment de la jeunesse, contre les excès de l’information (sous l’angle de la santé publique) » et propose que l‘« un des enjeux [soit] de promouvoir le « journalisme de solutions » en ne se limitant pas à soulever les problèmes, le cas échéant en le récompensant par des prix » (page 127 du rapport). En ce sens le Prix Reporters d’Espoirs a depuis 2004 distingué 160 lauréats pour leurs reportages de journalisme de solutions et leurs innovations éditoriales, au cours de 13 éditions saluant des productions écrites, audiovisuelles, des innovations éditoriales des médias régionaux, nationaux, européens et internationaux. Avec le recul, nous confirmons les vertus d’un Prix. Il a permis à des journalistes de défendre leur travail au sein de leur rédaction, de gagner en notoriété auprès du public, de maintenir ou développer leurs rubriques, de convaincre leur média de la pertinence du journalisme de solutions, etc.

RECENSER LA DIVERSITÉ DES SUJETS ET PRODUCTIONS POUR INSPIRER

Le rapport ajoute qu’« en matière de contenu, sans préjudice du principe de liberté éditoriale, la société devrait s’engager à favoriser une diversité dans les sujets abordés, à promouvoir une approche du « journalisme de solutions » ainsi qu’à garantir une représentativité de la population française dans ses intervenants » (page 130). Le journalisme de solutions offre en effet un « spectre large » en ce qu’il permet de compléter l’approche « conventionnelle » en y ajoutant un examen de réponses possibles à des problèmes écologiques, sociaux, économiques ou encore culturels. Le pratiquer, c’est l’opportunité de diversifier et d’enrichir les lignes éditoriales, de donner la parole à des personnes qui agissent sur le terrain, d’analyser et de diffuser la connaissance d’initiatives utiles à la société. Afin de valoriser les réalisations dans le domaine et d’accompagner les journalistes dans leur recherche de sujets et d’initiatives pour les illustrer, Reporters d’Espoirs répertorie au quotidien les productions éditoriales de journalisme de solutions : elle en compte actuellement plus de 7000 référencées dans ses bases (LePlus) et est en mesure d’en analyser la progression média par média. 

FORMER ET ÉDUQUER A L’INFORMATION ET SES IMPACTS

Enfin, il estime « souhaitable » « [La] généralisation [du journalisme de solutions], par le biais de la formation initiale des journalistes mais aussi de la formation continue au sein des organes de médias. » (page 160) Pour notamment « Renforcer, dans la formation des journalistes, la sensibilisation aux risques en santé mentale liés au caractère anxiogène de l’information » (page 162). Reporters d’Espoirs en est venu à la même conclusion. Aussi elle intervient tout au long de l’année dans les écoles de journalisme et au sein des rédactions régionales et nationales ; offre un cours en ligne gratuit développé avec l’école de journalisme d’Aix-Marseille (EJCAM) ; propose un catalogue de formations qui l’aborde sous des angles aussi variés que la pratique éditoriale, les opportunités en termes de monétisation des contenus, de recrutement des abonnés, de motivation des équipes, ou encore de lien avec des sujets anxiogènes comme la crise écologique qui appellent à des connaissances scientifiques.

Pour aller plus loin encore, le CLEMI (Éducation nationale) et Reporters d’Espoirs proposent depuis mai 2024 une formation aux enseignants des écoles, collèges et lycées permettant de développer auprès de leurs élèves l’apprentissage des techniques journalistiques et la curiosité pour les initiatives de leur territoire en pratiquant l’interview. Un complément que nous pensons indispensable dans la lutte contre les « fake news », pour offrir un recul critique tout en donnant envie à la jeunesse de s’informer auprès des sources les plus fiables qui soient : celles de qualité et de déontologie journalistiques.

Le journalisme de solutions existe et se structure depuis vingt ans. Le contexte, l’envie des journalistes et des médias d’innover et de répondre aux nouvelles attentes de leurs publics, voire parfois d’accompagner les évolutions de la société, et de préserver la santé mentale des citoyens, ne peuvent que l’amener à se développer. Reporters d’Espoirs remercie les États généraux de l’information de l’encourager et tient son expertise de 20 années dans le domaine à la disposition de toutes et tous, en France et en Europe.

Comment faire des journalistes des médiateurs du débat, des artisans du dialogue, pour ne pas sombrer dans une culture de la polémique nourrissant division et ressentiment ?

By Biais de négativité, Home, Le LabNo Comments

Reporters d’Espoirs a réuni en octobre 2023 une sémiologue, Mariette Darrigrand, la productrice d’une émission de de télévision offrant des débats approfondis, Nathalie Darrigrand (C ce soir, 90 minutes quotidiennes de débats sur France 5), l’enseignant et ex-rédacteur en chef d’un journal réputé pour la qualité de ses débats, François Ernenwein (La Croix), le rédacteur en chef d’une revue qui prend le temps de raconter les passions françaises, François Vey (Zadig), et un étudiant ayant réalisé son mémoire sur le journalisme de solutions, Antoine de Seigneurens. Pour les faire plancher sur la question suivante : Comment faire des journalistes des médiateurs du débat, des artisans du dialogue, plutôt que de la polémique nourrissant les divisions et ressentiments ? Comment faire que les médias progressent ainsi dans leur fonction de rassemblement, de pacification, de compréhension mutuelle, pour être pleinement utiles à la société, à la coexistence, alors que la division et le communautarisme sévissent, et que les opinions continuent de prédominer sur le réel ?

 

Le constat : la violence à la Une

Rédacteur en chef de Zadig, François Vey part de l’expérience de cette revue trimestrielle qui propose un contenu « constructif » et creuse dans la vie des territoires à travers des reportages inédits. Face à une concurrence davantage axée sur la confrontation, qui génère davantage de recettes, la revue Zadig se retrouve, dans les piles des marchands de journaux, distancée par des titres polémiques comme la revue trimestrielle Front Populaire de Michel Onfray.

Mettre en scène, raconter ou amener le dialogue peut-il dans ce contexte être économiquement attractif pour les médias et entreprises de presse ? A qui et comment s’adresser pour opérer un changement de paradigme sur ce sujet – étudiants et journalistes, dirigeants de médias, citoyens ? Si le journaliste doit devenir médiateur, sur quelles méthodes et bonnes pratiques peut-il s’appuyer ?

 

Le rôle du journaliste : narrateur, médiateur ou cartographe ?

Ancien rédacteur en chef à La Croix, François Ernenwein a enseigné durant de nombreuses années les techniques d’écriture à des étudiants d’écoles de journalisme. L’intégration du récit dans le travail du journaliste lui a permis de sortir de la position de surplomb -parfois reprochée aux journalistes-, et de s’intéresser plus en profondeur aux discours des citoyens et aux débats qui les animent. L’empathie au centre du récit est, pour lui, un élément primordial pour une meilleure prise en compte de « l’épaisseur des choses ».

Les contenus médiatiques ne sont que l’image de faits sociaux et anthropologiques intrinsèques aux sociétés humaines, comme la polarisation ou la catharsis. Mais le journaliste peut « trouver des ruses » pour encourager le débat constructif et amener du dialogue dans des espaces conflictuels. Selon François Ernenwein, il existe une demande sociale en ce sens. Il semblerait néanmoins que, dans les écoles de journalisme, on ne s’intéresse que peu à cette vision du journaliste comme « pacificateur », ou « médiateur ». Pourtant le journaliste pourrait avoir un rapport au terrain différent et un nouveau rôle « d’ambassadeur de la paix sociale », soutient Mariette Darrigrand.

Consultant stratégie chez Prophil et étudiant journaliste au Celsa, Antoine de Seigneurens cite l’exemple de #MeToo pour démontrer que le journaliste sait faire circuler l’information et propulser des débats sociétaux sur le devant de la scène. Selon lui, la possible transformation de la fonction de community manager, assurée par de nombreux journalistes et étudiants, en community-médiateur pourrait offrir des opportunités intéressantes en termes de rapport aux citoyens-utilisateurs et de médiation numérique.

Plutôt que de représenter une figure de médiateur, François Vey pense qu’il est nécessaire de se pencher sur le constat, le réel : le journaliste doit travailler sur les données et partager des diagnostics pour obtenir une vue d’ensemble d’un sujet complexe. La polarisation va en effet de pair avec la méconnaissance des enjeux, l’affrontement se base sur des savoirs et des connaissances plus ou moins établis. Pour que le journaliste œuvre à « mettre d’accord » les gens sur des sujets complexes, il faut selon François Vey avant tout qu’il leur offre un recul nécessaire, et qu’il les aide à confronter le réel aux opinions. Or actuellement, en matière de journalisme politique par exemple, la fonction de déconstruction du discours se perd, et le storytelling semble l’emporter. Sur les plateaux TV, après les discours du Président, les intervenants et journalistes paraphrasent ses propos et, par manque de temps, ne proposent que très peu d’analyse critique.

Des « bonnes pratiques » dans le paysage audiovisuel Français

Nathalie Darrigrand évoque l’émission « Voyage en territoires opposés »que produit sa société Together média etqui est lancée à l’automne 2023 sur France 5 animée par le journaliste Karim Rissouli. Sur quelques jours, on envoie sur le terrain intellectuels ou représentants d’une élite scientifique ou médiatique, pour rencontrer des personnes qui ont des vues totalement opposées à la leur. Le premier épisode, sur le thème de l’écologie, voit François Gemenne (membre du GIEC) aller à la rencontre du collectif écologiste et contestataire « Les Soulèvements de la Terre » ; Camille Etienne (militante écologiste) se rendre sur le circuit Paul Ricard à la rencontre de fans de course automobile ; et Antoine Buéno qui défend une « croissance durable » échanger avec un collectif « pro-décroissance » en Bretagne. Résultats : les discours sont engagés et plutôt construits ; et même si personne ne change d’avis, une réelle prise de conscience de la complexité des sujets et des difficultés des « gens normaux » se produit. On peine toutefois à trouver un dénominateur commun : par exemple l’activiste écologiste se trouve en difficulté d’argumentation face à des personnes qui affirment que la voiture est leur passion vitale.

D’autres initiatives s’en approchant sont mentionnées :

  • Les initiatives de quotidiens locaux comme Nice Matin qui laisse parfois les lecteurs choisir les sujets à traiter par les journalistes, et travaille sur des sujets polarisants comme par exemple la relation conflictuelle de l’homme et du loup dans les alpages français et italiens.  Ou La Nouvelle République, qui propose des pages « Dialogue ».
  • La série documentaire australienne « Go Back to Where You Came From » (2011-2018, SBS) proposait à 6 participants ayant des positions anti-immigration de refaire la route des migrants.
  • Les initiatives visant à remettre au goût du jour les joutes oratoires et disputes médiévales, par exemple dans les écoles.
  • L’émission Crossing Divides a été conçue par Emily Kasriel suivant l’idée que la BBC, par l’ampleur de son réseau de correspondants, était en mesure d’aller chercher des solutions aux conflits à travers le monde. Elle donne à voir, à San Francisco, des journalistes partageant un repas avec des Chinois qui soutiennent Trump et d’autres qui s’opposent radicalement à lui ; ou en Indonésie, un chrétien et un musulman, ex-enfants soldats de communautés religieuses combattantes il y a vingt ans, qui se retrouvent désormais à promouvoir la paix par la culture.
  • Les « German Talks » à l’initiative du média ZEIT Online, ont essaimé dans une trentaine de pays sous l’intitulé « My Country Talks ». Ils proposent de confronter des points de vue opposés sur des sujets de société qui nourrissent les clivages : religions, extrême droite, mariage pour tous, migrations, etc. Avec une idée très simple : faire que les personnes se rencontrent en tête à tête durant une heure, dans un café, hors des écrans et de tout public.

  • Entre autres contenus moins « constructifs », la chaîne Youtube américaine Jubilee a mis en scène des débats et entretiens entre individus totalement opposés sur des sujets de société. Par exemple : Black Conservatives vs White Liberals ; Conservative vs Liberal Gays. Ce format ne permet pas d’aller dans la profondeur des arguments et encourage le pathos, mais il a le mérite de présenter les préjugés de citoyens « ordinaires » et de mettre en lumière la polarisation excessive, parfois injustifiée, ou les possibles voies de réconciliation.

Reporters d’Espoirs

INTERVIEW # Jeunesses du monde dans l’objectif de Théo Saffroy

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« Je m’intéresse avant tout aux gens qui font bouger les lignes »

Amoureux de la culture mexicaine, Théo Saffroy photographie aussi la jeunesse du monde dans ses combats et ses paradoxes. À 31 ans, son travail, subtil mélange de documentaire et de fiction, veut raconter la réalité au-delà des clichés et des masques. Révéler des univers cachés, découvrir les montagnes derrière les écrans et les carcans… Son remède pour inspirer, à son échelle.

Votre intérêt pour la photographie, d’où vient-il ?

Théo Saffroy. Le déclic est arrivé avec le projet « El Grito » : une aventure de huit mois et 25 000 km à moto en Amérique du Sud avec mon meilleur ami. J’étais très intéressé par l’histoire coloniale du continent et les peuples précolombiens… nous avions 22 ans et rêvions d’aventure ! Avec ma caméra, j’ai pu documenter notre aventure, rencontrer des centaines de personnes, et réaliser des reportages notamment avec les Mapuches au Chili, les Quechuas au Pérou ou encore les Yanesha d’Amazonie. Un projet documentaire sur l’identité du continent qui fut ensuite publié et exposé en France. La photographie est arrivée à ce moment-là comme une manière de transmettre un récit et une réalité cachée.

Des inspirations dans le milieu de la photographie ?
T. S. Mon premier choc a été la découverte de la photographie humaniste de Sebastião Salgado. Ensuite j’ai beaucoup regardé la street photo new-yorkaise de Joel Meyerowitz par exemple, et le travail d’Harry Gruyaert sur les couleurs primaires qui donne beaucoup d’intensité et d’équilibre à ses compositions. C’est cette photographie du réel que je trouve la plus émouvante et que j’essaie de reproduire : jeu de composition, lumières contrastées et couleurs vives. Je m’inspire aussi beaucoup de la photographie de mode, particulièrement sur le travail de mise en scène comme Alex Prager et Sarah van Rij.

Qu’est-ce qui caractérise la « photographie documentaire » ?
T. S.
En ce qui me concerne, mes séries sont issues de réflexions personnelles qui tournent en général autour d’une jeunesse en mouvement et d’une idée de métamorphose, de « l’autre soi » en quête de liberté. Ce qui la caractérise spécifiquement, à mon avis, c’est surtout la notion de temps. Elle est primordiale pour développer une série. Je prépare mes shootings en amont (documentation, prise de contact) puis, une fois sur place, je prends le temps de créer une connexion avec mes sujets. Je les rencontre souvent avant le shooting sans appareil photo pour expliquer ma démarche, apprendre à les connaître et comprendre leur mode de vie, leurs habitudes. Cela me permet d’identifier les éléments à photographier tout en laissant une place à l’imprévu et à la collaboration. C’est un travail au temps long, parfois précaire, mais qui permet de témoigner d’une réalité entière avec des rencontres humaines plus fortes et des photographies plus intimes.

La jeunesse semble traverser l’ensemble de votre œuvre, est-ce un hasard ?
T. S. Je ne pense pas que ce soit un hasard, bien que ce soit rarement mon point de départ. Je m’intéresse avant tout aux gens qui font bouger les lignes, qui suivent une direction par passion et offrent un regard différent sur la société… Et il se trouve que la jeunesse a ce talent, cette soif de liberté, qu’ils s’émancipent à travers le parkour [une méthode d’entraînement pour franchir toutes sortes d’obstacles dans des environnements urbains ou naturels, Ndlr.], ou luttent sur un ring pour s’affranchir des règles de genre.

Les jeunes vous inspirent ?
T. S. Bien sûr ! Je suis extrêmement surpris par les jeunes d’aujourd’hui. Ils me donnent parfois l’impression d’avoir déjà vécu une vie tant leur discours est mature. Les lutteuses mexicaines, par exemple, ont cette aura, cette force, elles incarnent un passé violent avec une grande résilience. Depuis quelques années j’aborde les mutations de la société à travers la fenêtre du sport. Pour moi, les sportifs de haut niveau ont une force d’incarnation. Pour se consacrer à leur discipline, ils connaissent le sacrifice dès le plus jeune âge, un dépassement physique et mental constant, et développent un système de valeurs nobles autour du respect. De quoi inspirer la jeunesse.

Un message pour la jeunesse ?
T. S. Une phrase de Brel: « se tromper, être imprudent et aller voir ». Être curieux donc, s’accomplir en allant vers l’autre et vers le monde. Il faut conserver son authenticité, la cultiver et aller au bout de ses passions, de ses folies même, tout en respectant son entourage.

Vos photos contrastent parfois avec le sérieux des sujets qu’elles illustrent…
T. S. J’aime jouer avec l’absurde ou le contraste pour créer de nouvelles portes d’entrée vers des sujets plus sérieux. C’est la partie fictionnelle du documentaire. Cela renvoie aussi au paradoxe et à l’harmonie qu’il y a souvent dans mes sujets : imaginaire et réalité, intimité et énergie, équilibre et absurdité. Entrer dans un sujet grave avec des images graves serait sans doute plus compliqué. Je mise par exemple sur les leggings et les paillettes des lutteuses pour mieux aborder les 11 féminicides quotidiens au Mexique, je mets l’accent sur la prothèse stylisée de l’athlète paralympiques Arnaud Assoumani pour mieux parler du handicap…

Vous avez photographié le collectif musical Bon Entendeur. Quelle influence la musique a-t-elle sur vous ?
T. S. Je suis un grand amateur de rock et de musique en général, sujet sur lequel j’ai même réalisé un mémoire de sociologie. Je me suis intéressé à la création des courants musicaux contemporains : quels mouvements économiques, technologiques, sociétaux ont créé le rock’n’roll au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pourquoi le disco et la techno sont apparus à ces moments précis… La musique dit beaucoup d’une époque, des idéologies et de ses influences. Par ailleurs, les collaborations avec des artistes me permettent de développer une dimension plus créative. Je m’amuse à créer dans un univers fictif, surréaliste, parfois cosmique : on peut partir plus loin dans la création et moins se soucier du réel. Cela me rapproche de la BD futuriste des dessinateurs du magazine « Métal hurlant » ou du dessinateur Ugo Bienvenu, qui inspirent beaucoup mon travail.

Comment composez-vous les lumières et les zones d’ombre ?
T. S. Les ombres renforcent l’idée du contraste et surtout du mystère, qui donne envie d’aller voir. Elles permettent de modeler l’image, de créer des formes et des compositions plus saisissantes. J’aime cette phrase d’Antoine de Saint-Exupéry dans «Le Petit Prince » : « Quand le mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir ». Elle traduit l’attirance et la curiosité qui redoublent d’intensité pour une zone mystérieuse et sans repères.

Vous qui êtes photographe documentaire, aimeriez-vous passer de l’autre côté de la caméra ?
T. S. Non, je ne crois pas. Dernièrement j’ai eu des passages à la télé et à la radio qui m’ont fait plaisir, mais autrement je ne me vois en aucun cas passer devant la caméra. Je n’ai pas envie d’être autre chose qu’un « directeur des histoires » !


↪︎ Retrouvez son portfolio sur theosaffroy.com

Propos recueillis par Paul Chambellant/Reporters d’Espoirs

« Le lien social en France est riche, les gens sont prêts ! » – Mémona Hintermann-Afféjee & Tarik Ghezali

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Née à La Réunion, grand reporter ayant couvert de grands conflits mondiaux, ancienne membre du Conseil Supérieur de l’audiovisuel, Mémona Hintermann-Afféjee est aussi administratrice de Reporters d’Espoirs. Né en Algérie, « l’ingénieur du lien » Tarik Ghezali est fondateur de La Fabrique du Nous, à Marseille. L’un et l’autre s’accordent sur la nécessité de faire ensemble pour créer du lien. Voici en libre accès l’interview publiée dans la revue Reporters d’Espoirs n°1 « Ensemble, on va plus loin ! », toujours disponible sur notre site.


Vous vous êtes construit tous les deux sur la création de liens. Qu’est-ce qui dans votre histoire personnelle explique cela ?

Photo Julien Hintermann. DR.

Photo Julien Hintermann. DR.

 Mémona Hintermann-Afféjee. Sans doute la relation qui me lie à mes 11 frères et sœurs. Je suis née à La Réunion, dans une famille un peu en vrac, dans laquelle les plus grands s’occupaient des plus petits – situation que j’ai vue dans de nombreuses sociétés. C’est dans la fratrie que nous avons trouvé la solidité des sentiments, de la confiance, du partage, de la parole donnée… Et auprès des enseignants qui nous ont aidés à croire qu’une autre vie était possible. J’ai retrouvé ce climat de fratrie dans le champ du travail : pendant trente ans de reportages, je suis partie avec les mêmes collègues. On se construit comme on peut ! [Rires.]

Photo Silvio Santinone. DR.

Photo Silvio Santinone. DR.

Tarik Ghezali. Cela vient, je crois, en partie du fait que je suis né et que j’ai grandi en Algérie, un pays marqué par la guerre : guerre d’indépendance, puis guerre civile dans les années 1990. Arrivé en France, j’ai aussi été frappé de voir la richesse, la profondeur, la diversité des liens qui lient Algériens et Français, qu’ils soient immigrés, pieds-noirs, harkis… C’est un lien chargé à la fois de puissance et de souffrance. J’ai cet impératif de relier les deux rives dans le sang ! Pendant tout mon parcours, je n’ai pas cessé de créer du lien, de relier des mondes éloignés les uns des autres : les deux rives de la Méditerranée donc, mais aussi le business et la recherche, l’économique et le social, les quartiers riches et les quartiers pauvres, etc.

Comment mettez-vous en œuvre ce lien ?

M.H.-A. Je crois profondément que la solidité des liens peut compenser ce dont on a manqué d’un point de vue matériel. Aujourd’hui, je mesure combien il est important de rétablir ces territoires d’humanité. En tant que journaliste, membre du CSA ou dans mes engagements associatifs, je privilégie le « nous ». Et le lien, c’est l’ouvrage essentiel de nous tous. Les associations sont juste des relais, des passages de témoin.

T.G. Ce qui est naturel, c’est l’entre-soi. Le fait de faire des choses avec un autre qui ne nous ressemble pas ne va pas de soi. Pour lutter contre cette nature grégaire et nous inciter à faire ensemble, il faut de bonnes fées, des « ingénieurs du lien ». Le bonheur est dans le lien ! Ce n’est pas moi qui le dis, mais Harvard, à travers la plus longue étude sociale jamais menée sur cinq générations, depuis 1938 et toujours en cours. Les chercheurs ont suivi 800 personnes toute leur vie durant pour voir ce qui les rendait heureuses. Résultat : le facteur clé est la qualité des relations avec sa famille, sa communauté, etc.

Concrètement, qu’avez-vous mis en œuvre avec La Fabrique du Nous pour créer du lien ?

T.G. Dans les quartiers nord de Marseille, il n’y a pas assez de piscines publiques et les jeunes ne savent pas nager. Avec l’association Le Contact Club, nous avons sollicité des particuliers pour qu’ils nous donnent accès à leur piscine le temps de séances de natation avec maître-nageur. Nous avons créé un climat de confiance et le cadre pour autoriser les gestes humains, et ça marche très bien ! Une centaine de jeunes ont déjà eu accès à une vingtaine de piscines privées. Tout le monde est transformé : les jeunes sont touchés par cet élan de générosité et les particuliers sont ravis de voir des jeunes motivés auxquels ils ouvrent même leur carnet d’adresses. Il faut développer ça ! Autre exemple, « Le Grand bain » : plutôt que de jumeler les écoles de Marseille avec Hambourg ou Dakar, avec l’association CitizenCorps, nous avons rapproché dans le « faire » (sports, arts, patrimoine…) 100 élèves de cinq écoles primaires de quartiers riche, pauvre et bobo – trois entre-soi. Des mélanges au sein d’une même ville, c’est tout bête, il fallait juste essayer ! Les différences sociales ont beau s’exprimer, les enfants se mélangent très vite. Ville et rectorat sont partants pour élargir l’expérience.

M.H.-A. Dans ma vie de reporter et de femme engagée, j’ai constaté que la plupart des gens, même dans de mauvaises passes, peuvent s’en sortir. La main est là, prête à saisir la vôtre. Le lien social en France est riche, les gens sont prêts. La qualité de la vie en commun ne devrait pas faire obstacle. Ces derniers temps, on a l’impression que tout est devenu méchanceté, racisme, violence… Mais je crois que c’est encore possible. Il y a de l’amour ! Il faut montrer aux gens qu’on les aime, que l’on a de la considération pour eux. La colère des Gilets jaunes est née de ce manque de considération.

Vous en venez tous deux à l’idée que, dans une société individualiste, il faut redonner du sens et de la force à l’idée de « vibrer » ensemble.

T.G. Il faut changer le regard porté sur la femme voilée, les personnes en situation de handicap, les jeunes des quartiers… Il faut réapprendre à considérer les gens dans leur entièreté, au-delà de ces étiquettes identitaires qui font écran et masquent l’humanité des personnes. Par exemple, j’aime beaucoup le travail de l’association La Fabrique nomade, à Paris, qui aide des réfugiés à pratiquer leur artisanat. C’est dans l’intérêt des personnes concernées, bien sûr, mais aussi de l’économie française qui a besoin de ces compétences. Réfugié, ce n’est pas un métier ! Pour réussir à vivre ensemble, il faut commencer par faire ensemble. En France, le Baromètre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) observe que la confiance vis-à-vis des autres a baissé de 10 points en 10 ans. A contrario, le site leboncoin.fr, c’est 30 millions de personnes qui font des transactions, achètent, se font confiance sans se connaître avant.

Comment parvenir à décloisonner les univers ?

M. H.-A. Ma matrice, c’est la société créole, je ne peux pas me référer à un autre modèle. La Réunion est devenue française avant la Savoie ou Nice. À cause de l’esclavage, les communautés noires étaient obligées de faire vivre leur culture en cachette. Mais aujourd’hui, les fêtes de ces différentes communautés – qu’il s’agisse de célébrer le dieu chinois, l’Aïd ou la fin de l’esclavagisme – sont célébrées ensemble sur l’île ! Je pense que c’est l’école qui a permis cet universalisme. On aurait dû tous se tirer dans les pattes, s’enfoncer dans l’océan Indien, et pourtant, ça marche ! [Rires.] Au début des années 1980, la France a réussi là-bas ce qu’elle pourrait très bien incorporer à son bréviaire républicain partout sur le territoire. À La Réunion, nous avons fait de l’universalisme à partir de nos racines multiples. Inspirons-nous de ce qui marche ! Cette diversité est présente jusque dans les familles. Par exemple, mon frère est musulman. Et alors ? Nous avons trouvé un moyen de ne pas nous taper dessus et de vivre ensemble. Bien sûr, on aime la France. Mais à La Réunion, on se dit tous Créoles. La France a changé, je l’ai vue changer depuis mon arrivée dans les années 1970, et alors ? Est-ce qu’on continue à ne pas donner d’appartement ou de boulot à quelqu’un qui a un nom à consonance étrangère ? Les médias ont beaucoup de boulot à faire. À force de ne pas voir les problèmes, on finit par tourner en rond…

T.G. La Réunion porte bien son nom comme creuset d’un commun. Ce que vous dites de La Réunion résonne avec ce que l’on vit à Marseille. Nous avons une fierté d’être Marseillais. Cette ville est née il y a 2 600 ans de la rencontre de la princesse gauloise Gyptis et du marin grec Prôtis, soit, dès l’origine, deux altérités, sociale et culturelle. Marseille a connu plusieurs vagues d’immigrations, a accueilli de tout temps de nombreux exilés. Cette ville mêle communautarisme et universalisme, et ça marche ! La France a beaucoup changé. J’aime bien le travail de Jérôme Fourquet qui, dans L’Archipel français (Le Seuil, 2020), évoque la déchristianisation de la France. Les politiques ne racontent pas ça ! Pourtant, on aura avancé en France quand on acceptera que Mohamed est un prénom français, tout comme Tarik ou Mémona. Nous sommes la France !

Que reste-t-il à faire pour promouvoir la diversité dans les médias ?

M.H.-A. énormément de choses ! D’après le dernier rapport du régulateur, il n’y a pas de progression dans l’incarnation de cette France plurielle à la télévision. Il faut rappeler aux dirigeants de chaînes publiques qu’il faut davantage de diversité à l’antenne. La France bon teint qui s’affiche sur petit écran ne correspond plus à la réalité du pays. Le compte n’y est pas ! Il est urgent de mener des politiques publiques davantage conformes à la société française. Il faut que cette France soit incarnée, car les médias ont un impact social important, qui se traduit concrètement en matière d’emploi, de logement… Chacun doit faire un pas vers l’autre, pour ne pas prendre le risque de voir la société se ghettoïser.

T.G. Ça me fatigue que l’on mette constamment en exergue les différences, le « narcissisme des petites différences », alors que ce qui nous rassemble est nettement plus important. Dans les médias, la diversité d’origines est trop peu présente, tout comme la diversité d’opinions : on ne débat plus, on s’invective. J’aimerais beaucoup que Libération et Le Figaro organisent des débats de façon sereine sur des sujets clivants. À l’instar de My Country Talks, lancé par Zeit Online, qui permet à des individus qui n’ont pas les mêmes convictions de se rencontrer et de débattre. Cette initiative née en Allemagne a été reprise dans de nombreux pays. Les médias doivent permettre la confrontation sereine des opinions.

Qu’est-ce que les individus et la collectivité ont à gagner à faire ensemble ?

T.G. France Stratégie chiffre à 150 milliards sur vingt ans le coût des discriminations sur le marché du travail. Le déterminisme social coûte 10 milliards par an. On perd de l’argent à discriminer ! Et on en gagne à faire ensemble : à des parents des beaux quartiers marseillais qui doutent parfois de l’intérêt des initiatives que l’on met en place, je leur dis en les taquinant : « Il n’aura pas juste rencontré un Noir ou un Arabe, ton gamin, il sera aussi plus compétitif parce qu’il aura appréhendé des environnements plus complexes et plus incertains. » Les bons sentiments peuvent aller de pair avec de bons intérêts !

À quoi ressemblerait votre média idéal ?

M.H.-A. Il doit ressembler à la société. J’ai rencontré un patron de chaîne plus réaliste que les autres, Alain Weil, de Next Radio, qui convenait que la diversité, c’était bon pour le business !

T.G. À la revue Reporters d’Espoirs, bien évidemment ! [Rires.] Il faut inciter les médias à parler de ce qui marche. C’est super de mettre en avant des leaders, des superhéros qui changent le monde, mais on devrait aller au-delà et mettre en avant des citoyens lambda qui font des choses formidables pour inciter tous les autres à passer à l’acte. Avec une bande d’amis, nous avons à cette fin lancé #DenonceTesHeros. Les médias devraient aussi raconter des rencontres, car s’il n’y a pas de superhéros, il y a surtout de super rencontres qui amènent à des transformations réciproques. On ne fait rien tout seul, les médias devraient raconter cela. Quand ils interviewent un homme politique, un businessman, ils devraient parler de cela, des rencontres qui changent un parcours. Raconter cela, ça peut véritablement inciter à aller vers l’autre.

Quelle rencontre a changé votre vie ?

M.H.-A. La rencontre de gens simples la plupart du temps. Ma mère m’a vraiment impressionnée par son courage. Comme elle avait choisi de vivre en ménage avec un Indien, sa famille blanche l’a rejetée. Les plus grands de ses 11 enfants sont allés travailler pour nous nourrir et elle a cru que l’école ferait la différence. Elle ne savait ni lire ni écrire, mais elle m’a poussée à l’école. J’éprouve une admiration sans borne pour les femmes qui ont cru que l’école pouvait faire la différence pour leurs enfants.

T.G. Plein ! Une en particulier, et qui m’a nourri, c’est celle de Claude Alphandéry, un grand résistant, grand développeur de l’économie sociale et solidaire, et qui fêtera ses 100 ans cette année. Il a une pêche, une énergie, une jeunesse incroyables et continue de fourmiller de projets solidaires ! Claude a toujours fait avec d’autres. La preuve qu’il n’y a pas d’âge pour avoir une puissance créatrice. On devrait suivre cette voie.

Propos recueillis par Malika Souyah et Gilles Vanderpooten pour Reporters d’Espoirs

27-28-29 mai : Rendez-vous au Festival « Etonnants Voyageurs » de Saint-Malo

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Reporters d’Espoirs sera présent ce week-end au Festival international du livre et du film « Etonnants Voyageurs », rendez-vous incontournable du paysage culturel français. Au programme : 300 débats, échanges, projections de films, et des rencontres avec 200 auteurs… trois jours au rythme desquels vibrent Saint-Malo, ses cinémas, cafés, espaces de conférences sur 25 lieux parsemés dans toute la ville.

Reporters d’Espoirs interviewera des auteurs, journalistes, grand reporters, et dédicacera des ouvrages au salon du livre. n’hésitez pas à nous contacter au 01 42 65 20 94 pour nous rencontrer sur place.

  • [Rendez-vous] Dimanche 28 mai, 16h30-17h30 : dédicace du livre « Engagez-vous ! » avec Gilles Vanderpooten, journaliste, auteur, et directeur de Reporters d’Espoirs sur le stand de la librairie Le Forum du livre (Stand 111) dans l’espace Salon du livre.

Retrouvez le programme et les informations pratiques du festival sur www.etonnants-voyageurs.com

« Les voyageurs que l’on invite nous ressemblent. Leurs films aident chacun à prendre conscience de ses propres capacités » – Patricia Ondina, fondatrice du Festival du film Partances

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Amoureuse des périples hors des sentiers battus, Patricia Ondina a créé il y a vingt ans le festival de films de voyage et d’aventure « Partances » près de Toulouse. À l’approche de la 18e édition, elle partage sa conception du voyage et d’un certain cinéma documentaire « constructif ». Reporters d’Espoirs y sera, contribuera à l’animation du festival, et vous donne donc rendez-vous le week-end des 11, 12 et 13 mars à la salle Altigone de Saint-Orens (31). Pour découvrir le programme, rendez-vous sur www.partances.com.


Après une année d’absence, le festival Partances revient dans quelques jours pour mettre à l’honneur l’ouverture sur le monde, le voyage et l’aventure.

Évidemment, on est très heureux de reprendre de vraies rencontres. Avec comme thématique en clin d’œil à cette période mouvementée, « Contre vents et marées », qui reflète aussi les réalisations que l’on va donner à voir cette année.

Revenons-en aux origines : d’où est venue l’idée de votre festival de film de voyage et d’aventure ?

Le hasard des rencontres ! Mon conjoint et moi étions voyageurs, faisions et montions des films, des projets personnels que l’on n’osait pas vraiment présenter. Au fin fond de la Chine, nous avons rencontré les organisateurs d’un festival sur le voyage et l’aventure, auquel nous avons ensuite assisté à notre retour en France. Nous en sommes sortis éblouis et enthousiasmés de l’énergie qui s’en dégageait. Par la suite, nous avons eu la chance de voir nos films sélectionnés dans plusieurs festivals, ce qui nous a permis de mieux connaitre l’organisation des festivals et de nous émerveiller à chaque fois de la magie qui opérait.

Nous avons alors voulu reproduire dans notre région ces moments de découverte, d’évasion, d’ouverture au monde et de rencontres avec des gens qui font des choses incroyables.

Voyage et aventure sont aussi synonymes d’échange et de partage : c’est ce que vous faites en invitant acteurs, réalisateurs et producteurs de films documentaires.

L’objectif n’est évidemment pas de passer des films pour passer des films, mais bien de créer un véritable échange entre les réalisateurs ou les gens qui incarnent ces films et le public. Des temps permettent aux spectateurs de poser leurs questions, de rencontrer chacun des invités sur leur stand, d’échanger pendant les entre-actes… Et un voyage ça dure longtemps dans la tête !

Vous faites ainsi voyager vos spectateurs ‘par procuration’.

Parmi nos spectateurs, certains ne voyagent pas beaucoup alors que d’autres sont de vrais globe-trotteurs. Peu importe ! On peut voyager de mille façons, y compris à travers les livres et à proximité de chez soi. L’important c’est cette forme de communion à certains moments : des fenêtres que l’on ouvre, des univers que l’on essaie de faire découvrir.

Comment est établie votre programmation ?

Il est difficile de choisir, et c’est forcément injuste pour ceux qui ne figurent pas dans la sélection. Nous visionnons tous les films que nous recevons (il y en a beaucoup !) et faisons une sélection « aux tripes ». Nul besoin de films qui présentent un exploit, mais il faut qu’ils nous embarquent dans une aventure, ne nous lâchent pas, aient une connotation humaniste, incluent un échange avec les gens des pays visités – parce qu’effectivement, ce qui fait le voyage c’est aussi le partage. 

 « Contre vents et marées »  est le thème de cette 18e édition : vous mettez donc à l’honneur des personnes qui, confrontées à des obstacles, les ont surmontés.

La nature des obstacles peut être géographique ou liée à un parcours de vie. Dans tous les cas, « nos » aventuriers font preuve d’un sacré entêtement et d’obstination. Parce qu’il est difficile de se rendre aux Zanskar [région himalayenne très isolée] quand le seul moyen de traverse, le fleuve gelé, se met à dégeler en cours de route ; parce qu’il est dangereux de traverser la banquise au vu du réchauffement climatique ; ou encore parce qu’il est périlleux de vouloir participer à une course autour du monde quand on a seize ans, un rêve mais ni moyen ni expérience. Les films en sélection cette année mettent en lumière l’idée d’être endurant et tenace.

Dans la sélection figurent notamment deux documentaires dans le contexte de (l’après)guerre en Syrie et au Liberia, mais qui témoignent de la résistance de la société civile. Pourquoi avoir sélectionné « Daraya, une bibliothèque sous les bombes » et « Water gets no enemy » ?

Ces films peuvent a priori représenter des choix audacieux au regard de l’objectif du festival qui n’est pas de montrer la guerre ou l’horreur de la guerre, mais des gens qui dans des contextes particuliers parviennent à accomplir des choses exceptionnelles.

Dans Daraya, on suit de jeunes gens qui construisent une bibliothèque sous les bombes pour essayer de préserver un minimum d’enseignement, de culture et de normalité alors qu’ils subissent la guerre dans une partie de la Syrie.

Avec Water Gets No Enemy, on est au Libéria, pays qui n’est plus en guerre mais l’a été. Là, le sport et le surf en particulier sont prétextes à construire autre chose pour ceux qui ont vécu des choses difficiles, particulièrement les jeunes [qui ont parfois été enfants-soldats]. C’est une très belle histoire d’autant qu’au-delà de la promotion d’un sport et de ce que montre le film, les réalisateurs ont distribué et installé 70 filtres à eau dans des écoles, villages et dispensaires.

Seriez-vous une avocate du « cinéma de solutions », le pendant du journalisme constructif version 7e Art ?

Les films que Partances ne cesse de promouvoir depuis vingt ans témoignent de l’existence d’énergies formidables qui méritent d’être partagées. A côté des catastrophes dont témoignent les médias d’information, nous voulons révéler ce qui fonctionne, montrer qu’une rencontre avec l’autre n’est pas forcément une violence, mettre à l’honneur y compris dans les situations les plus terribles la capacité de gens qui se démènent, vont au bout de leur rêve, réalisent des choses… C’est pour ces raisons que ces films et documentaires nous font tant de bien. Les personnes et les voyageurs que l’on invite au festival pourraient, pour certains, être nos voisins, nous ressembler. Ce sont parfois des gens ordinaires qui accomplissent des choses extraordinaires. En cela leurs films aident chacun d’entre nous à prendre conscience de ses propres capacités.

Une interview réalisée par Morgane Anneix pour Reporters d’Espoirs