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« Si on n’a pas les solutions à portée de main, on va les chercher » – Anna Mojzesz, directrice du programme MoHo4Young, et Sylvain Dhugues, lauréat

Anna Mojzesz, 26 ans, est responsable de la communication du collectif MoHo basé à Caen et directrice du programme MoHo4Young, une communauté qui s’engage et récompense les projets associatifs portés par des jeunes pour un monde plus solidaire et durable. Sylvain Dhugues, 23 ans, est l’un des 14 lauréats de l’édition 2023. Son projet : sensibiliser au harcèlement scolaire et à la sédentarité à travers le sport. Dans cette interview croisée qui résonne avec le thème de la jeunesse que nous portons cette année à l’occasion du 20e anniversaire de Reporters d’Espoirs, tous deux détaillent leur activité et leur vision de l’engagement.



MoHo4Young : de quoi s’agit-il ?

Anna Mojzesz – MoHo est né des nombreuses crises, environnementales et sociétales, auxquelles nous faisons face à l’échelle planétaire. Nous sommes convaincus que c’est en recréant des collectifs pluridisciplinaires et intergénérationnels que nous trouverons des solutions systémiques, ce pourquoi nous avons rassemblé plus de 150 000 personnes venues de 12 pays au sein du tiers-lieu « Collider » à Caen. L’objectif est de faire vivre, de manière pérenne et continue, des étudiants, des associations, des artistes, des scientifiques, des start-ups, des citoyens… pour qu’ils construisent des projets ensemble autour des thématiques clés de transition.

MoHo4Young est l’un de nos programmes qui depuis 2021 soutient les projets associatifs et engagés des jeunes de 8 à 30 ans, en leur donnant des clés d’action : accompagnement, soutien financier et visibilité médiatique. L’édition 2023 a suscité 250 candidatures à l’échelle nationale. Un comité composé de partenaires associatifs et de mécènes a départagé 14 projets, et le jury en a récompensé la moitié. En y ajoutant un « coup de cœur » du public et 2 lauréats de l’édition précédente que nous décidons de réaccompagner, c’est en tout 10 lauréats que nous soutenons pour développer et concrétiser leurs projets. Tous sont bien sûr à différents degrés de maturité en fonction de l’âge des candidats, mais les enfants ont cet avantage de ne jamais se freiner dans leurs idées !

Comment se décline l’accompagnement des jeunes offert par MoHo4Young ?

Anna Mojzesz – Financièrement parlant, nous soutenons les projets jusqu’à 3000€. Nous mettons les espaces de MoHo à disposition des lauréats pour qu’ils puissent organiser des projections, des expositions… Et nous ciblons au sein de notre écosystème les personnes les plus adaptées à répondre aux besoins des candidats pour les accompagner sur une année. Avec Sylvain par exemple, nous prévoyons une semaine autour du sport et de la sensibilisation au harcèlement scolaire à Caen du 20 au 26 mai 2024.

Sylvain Dhugues – Mon accompagnement s’est fait par étapes : au début j’étais seul sur mon projet, puis des rencontres m’ont permis de découvrir l’appel à projets et d’élargir l’équipe et le domaine de compétences à mesure que le projet grossissait. MoHo a également pu me financer une semaine de sensibilisation dans les écoles de Montpellier alors que je manquais de fonds. En réalité le plus important n’a pas été le soutien financier, même s’il permet de faire grandir le projet et de libérer du temps, mais la reconnaissance de mon projet par des gens qui y croyaient. Ça redonne un élan, surtout pour un jeune qui comme moi n’est pas soutenu par sa famille.

Une soirée annuelle vient couronner le dispositif.

A.M. Oui, nous invitons les lauréats à une soirée annuelle pour clôturer l’édition en cours et en lancer une nouvelle. Cette année elle s’est tenue le 1er février, autour des nouveaux imaginaires et du réenchantement des récits d’avenir. Les lauréats ont pitché leur projet sur scène en présence de l’actrice Lucie Lucas et du jeune rappeur pour le climat César. Le projet de Sylvain a d’ailleurs été élu « coup de cœur du jury » !

S.D. J’ai été très surpris de l’âge de certains lauréats, et en même temps fasciné. A peine 10 ans et déjà porteurs de projets, je trouve ça très inspirant et enrichissant. Il y a cette idée de miser sur l’avenir.

Sylvain, en quoi consiste votre projet et par quoi est-il motivé ?

S.D. Mon projet s’est construit autour d’une revanche de vie personnelle après avoir vécu obésité, violences familiales et harcèlement scolaire. J’ai dû me reconstruire et j’ai choisi de le faire autour de la course « IRONMAN » [NDLR : course multidisciplinaire consistant à enchaîner 3,8 km de natation, 180,2 km de cyclisme puis un marathon de 42,195 km]. Une fois ce défi relevé, je me suis demandé quelle suite lui donner. J’ai alors pensé à boucler la boucle en allant sensibiliser les jeunes autour de ma reconstruction. Moi qui ai toujours aimé raconter des histoires, c’est venu assez naturellement.

Comment se passe la sensibilisation aux valeurs du sport et à la sédentarité ?

S.D. J’interviens dans les  établissements scolaires pour parler du harcèlement, et dans les instituts de santé pour sensibiliser sur la sédentarité. Je cherche d’abord à ne pas culpabiliser les jeunes en surpoids, qui souvent  pratiquent le sport mais n’ont pas une bonne balance énergétique. En partageant mon expérience, en m’identifiant aux difficultés qu’ils rencontrent et que j’ai également vécues, je les aide à reprendre confiance en eux. Cela me permet de leur raconter une histoire authentique, en donnant beaucoup d’importance aux erreurs que j’ai faites et qu’ils peuvent éviter. Ma situation m’aide aussi : non seulement mon âge, puisque je suis encore jeune à leurs yeux et donc plus apte à être écouté par les élèves, mais aussi le décalage entre mon apparence – un grand blond aux yeux bleus, qui renvoie l’idée d’une enfance parfaite – et mon expérience de vie chaotique. Signe que mon histoire peut arriver à tout le monde.

A.M. C’est d’ailleurs ce qui a plu au jury, cet aspect humain et « vécu ». Ils ont senti que Sylvain était authentique, et son histoire touchante : on peut facilement se projeter et compatir avec sa situation qui touche énormément de jeunes, même en tant qu’adulte. Il a ainsi pu se démarquer des autres projets souvent axés sur l’écologie, la biodiversité, l’inclusion…

Et pourquoi le sport, pourquoi en particulier l’IRONMAN ?

S.D. Cette fixation sur le sport remonte à mon enfance, quand j’étais séquestré et battu par mon père. Lui qui adorait le sport, je n’étais « tranquille » que quand il regardait des matches et des courses à la télévision. Je pense que c’est de là que me vient cet attrait particulier pour le sport. Je me sentais bien. Et puis j’ai commencé à me fixer des défis sportifs pour me prouver à moi-même que j’étais capable, jusqu’à ce que je découvre la course IRONMAN et les athlètes qui finissaient au bord du malaise ou encore en vomissant. Je l’ai vu comme un défi ultime et j’ai pensé à une punchline qui est devenue mon slogan : « FatMan deviendra IronMan ». De manière plus générale, le sport véhicule une valeur de résilience, cette idée qu’on peut rebondir après des « coups durs » dans la vie.

Vous qui avez déjà couru l’Ironman deux fois, avez-vous prévu de vous engager y à nouveau ?

S.D. Oui, j’en réalise un troisième en mai 2024. J’ai même, à terme, l’ambition d’atteindre les championnats du monde ! Les qualifications se font par catégorie d’âge, sans limite d’age : cela me laisse le temps de m’entraîner, et surtout de me consacrer avant tout à la sensibilisation tant que je peux encore être vu comme un « grand frère » et non comme un adulte de l’âge du professeur par les élèves. Je préfère donc tabler sur mon capital de sensibilisation, qui lui n’est pas indéfini, avant de me préparer aux championnats du monde d’Ironman – discipline pour laquelle l’âge idéal pour performer se situe autour de 38 ans.

Vous avez lancé votre « tour de France de l’engagement » récemment, de quoi s’agit-il ?

S.D. Ce « tour de France de l’engagement » est parti du constat que mes actions de sensibilisation mobilisent bien plus de jeunes lorsqu’elles s’accompagnent d’une épreuve sportive – , 50km de ski de fond dans les Alpes, 5km de natation, 100km de Millau, La SaintéLyon… Je trouve des défis aux quatre coins de la France, sans me limiter aux disciplines du triathlon, et je sensibilise en amont pour inciter les jeunes à faire du sport ou à en regarder. Ça donne un sens encore plus fort à ce que je fais.

Comment envisagez-vous la suite des événements ?

A.M. Pour la troisième édition de MoHo4Young [candidatures clôturées le 3 mars], nous aimerions nous déplacer un peu plus sur le terrain pour découvrir l’impact des projets des lauréats. L’idée est aussi de former une communauté pour guider au mieux les jeunes qui veulent s’engager mais qui n’ont pas encore de projet en tête, en les redirigeant vers des associations et événements existants afin de les aider à passer à l’action.

S.D. J’ai lancé le « tour de France de l’engagement » le 15 janvier pour un an, donc je prévois de continuer ma tournée sur les routes de France après déjà 2800 jeunes rencontrés en présentiel. En parallèle, MoHo m’aide à organiser une semaine de sensibilisation à la sédentarité et au harcèlement scolaire à Caen. Ce que j’ai compris après huit mois d’engagement, c’est que la sensibilisation n’est pas du « tout ou rien » : si pour cause d’imprévu je dois arrêter le projet avant la fin de l’année, si je rencontre 10 000 jeunes au lieu de 20 000, ce ne sera pas un échec pour autant.

Comment gérez-vous les dépenses et l’aspect financier de votre association ?

S.D. N’ayant plus d’emploi ni de rémunération depuis juin 2023, les fonds manquent parfois et la visibilité financière est assez courte, mais j’essaie d’économiser de l’argent où je peux quitte à dormir dans ma voiture quelques jours. C’est, je crois, ce que montre mon histoire : si on n’a pas les solutions à portée de main, on va les chercher. J’ai déjà commencé à penser le modèle économique de l’association, notamment au travers de mes interventions ou de partenariats privés. Nous attendons d’ailleurs les réponses de gros partenaires dans les semaines à venir, ce qui je l’espère me permettra à terme de professionnaliser l’association et d’en devenir salarié à temps plein.

La jeunesse vous inspire-t-elle ?

A.M. C’est de la jeunesse que je puise mon inspiration, mon espoir au quotidien : voir tous ces projets fantastiques portés par des jeunes qui n’ont parfois même pas 10 ans, c’est impressionnant et ça force le respect. Il y a toute une vague de jeunes conscientisés et informés très rapidement via les médias, qui n’hésitent pas à passer à l’action en plaquant tout d’un jour à l’autre pour une cause qui les dépasse. C’est très courageux, risqué aussi mais on sent que l’engagement les anime du soir au matin même s’ils en vivent souvent mal. Si MoHo4Young leur donne la main et le crayon pour qu’ils dessinent l’avenir dans une dynamique plus positive, ils ne nous ont pas attendus pour se lancer et développer leurs projets. Cela me rend très fière de faire partie de cette génération.

S.D. Ce qui me fascine dans mes interventions en classe, c’est la réflexion derrière leurs questions. Ils sont bien plus sensibilisés aux thématiques d’écologie, de violence, de harcèlement que nous à leur âge, ce qui se reflète dans la conviction et l’espoir dont ils font preuve. On en a besoin, surtout quand on voit la masse d’actualités peu réjouissantes auxquels on fait face. Mais d’un autre côté, la surinformation est telle que les solutions sont elles aussi faciles à trouver si on les cherche. C’est ce qui est inspirant chez les jeunes : ils ont peut-être le moins le pouvoir d’agir, mais ils surpassent leurs peurs et développent une bribe d’optimisme qui les anime pour agir dans un monde de plus en plus complexe et pessimiste.


Propos recueillis par Paul Chambellant pour Reporters d’Espoirs

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