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Pierre Doncieux : « Chaque crise apporte de nouvelles façons de vivre : il est important de montrer qu‘il n’y a pas de fatalité. »

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Couverture du second numéro d’Écologie 360, disponible sur https://www.ecologie360.fr/

Pierre Doncieux, directeur de la rédaction du magazine Écologie 360, nous ouvre les coulisses de la création de cette nouvelle publication lancée en mars, du choix des thématiques à leur traitement journalistique. Une application du journalisme de solutions qui aborde le réchauffement climatique sous l’angle de l’innovation.

Pourquoi le titre de ce numéro 1, « Soyons positifs » ?

L’initiateur du projet, Benoît Habert, a proposé de traiter la question écologique de façon positive et constructive pour rompre avec les approches catastrophistes. Une fois le diagnostic posé, on choisit de mettre en avant des solutions pour la dépollution, la préservation de la biodiversité, la transformation des transports, de l’énergie, ou encore de l’habitat. Certaines sont compliquées à mettre en œuvre, mais il existe toujours des chemins grâce aux innovations que notre monde produit en permanence. La transition écologique est un défi, mais qui n’est pas antinomique de la croissance économique. C’est ce que nous nous employons à démontrer à chaque numéro, tous les trimestres.

Quelle est la ligne éditoriale de ce nouveau magazine ?

L’écologie est au cœur du projet évidemment. Nous la traitons sous tous les angles : personnel, entrepreneurial, public, selon les différents corps de métiers, les acteurs de la vie privée et de la vie publique. Nous voulons montrer et même prouver qu’il y a des solutions en toutes choses en traitant de sujets concrets comme comment voyager de manière plus durable, dans quels fonds verts investir, ou encore par quoi remplacer les bouteilles d’eau.

Des exemples de contenus qui ponctuent ces premiers numéros ?

Le magazine est dans l’action. Il traite des personnes qui font concrètement des choses.

Nous avons par exemple réalisé un portrait du Prince Charles, « écologiste depuis 1970 » dans le premier numéro, nous nous intéressons à Boyan Slat dans le second, qui met en oeuvre des solutions pour nettoyer les océans des déchets plastiques, notre dossier de couverture du 2e numéro est consacré aux nouveaux métiers de l’écologie, nous en en avons recensé plus de 60 !

Nous allons chercher des histoires de personnes et d’entreprises ayant un impact réel. Nous donnons accès à de nombreuses statistiques et infographies. Les données sont au centre du projet et rien de tel qu’un diagnostic chiffré pour comprendre la situation et les solutions possibles.

Comment appréhendez-vous la transition écologique ? 

De manière constructive ! Certes, la Terre doit faire face au défi climatique mais il y a des solutions pour nous adapter. Nous voulons faire de la pédagogie pour faire comprendre l’ampleur du problème et passer en revue les réponses qui sont nombreuses.

De quelle manière vous appropriez-vous le journalisme de solutions ? 

Le journalisme de solutions se base sur deux piliers forts : le constat d’une action et les résultats qu’elle engendre, c’est-à-dire les solutions. Nous nous intéressons aux actions entreprises pour résoudre un problème grâce à des innovations multiples. Cela nous permet de traiter l’actualité sous un angle différent et inspirant, et de fournir à nos lecteurs des clés pour appréhender le monde en étant mieux informés. À l’image de notre crédo : « il y a des solutions, agissons ! »

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

Pierre Doncieux : son parcours en 6 dates

Années 1980 : débute sa carrière chez Condé Nast, en tant que rédacteur pour Vogue Hommes, Condé Nast Traveler, puis Rédacteur en chef de Vogue Hommes.

1995-1997 : Rédacteur en chef du magazine VSD (section culture/art de vivre).

1998 : lance avec son frère Jérôme l’agence Relaxnews qu’il développe pendant 20 ans, et qui fournit aux journaux nationaux et à l’AFP des contenus sur-mesure dans les domaines de l’art de vivre et de la culture.

2015 : vente de Relaxnews à Publicis.

2018 : Directeur de la diversification éditoriale du Figaro

2023 : lancement d’Écologie 360.

Endémik, portrait d’un média itinérant

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Conférence médias et émotions, menée le 14 avril 2023 à la médiathèque La Boussole, Montigny-en-Gohelle (62), dans le cadre du Contrat Local d’Education Artistique d’Hénin Carvin 2022-2023

EN BREF

  • Type d’initiative : média co-construit par des journalistes et des citoyens
  • Problème auquel l’initiative répond : proximité médias-citoyens
  • Profil de la fondatrice : Déborah Adoh, journaliste, diplômée ESJ Lille 2019
  • Caractéristiques :
    • Date de création : 2020
    • Statut : micro-entreprise
    • Nombre de personnes impliquées : une dizaine

Endémik est un média indépendant, en ligne et gratuit, qui a vu le jour en 2020. L’objectif de Déborah Adoh, sa fondatrice, était de recréer du lien entre journalistes et citoyens. Pour ce faire, Endémik propose à des structures associatives des entreprises ou des collectivités d’éduquer leurs usagers aux médias. Les ateliers se composent d’une partie sensibilisation, suivie d’une conférence de rédaction participative durant laquelle les personnes intéressées s’accordent sur les sujets qu’elles souhaitent traiter et les supports qu’elles souhaitent utiliser. La réalisation des reportages repose ensuite entièrement entre les mains des participants, qui apprennent à utiliser le matériel d’enregistrement, mener des interviews, monter des vidéos. Endémik prend ainsi le contre-pied de la structure médiatique classique, en valorisant le processus de production davantage que le produit, la formation davantage que l’information.

On parle beaucoup de la défiance des citoyens envers les médias, perçus comme biaisés, sensationnalistes, clivants… Ayant commencé à exercer en 2018, durant le mouvement des gilets jaunes, Déborah Adoh, journaliste diplômée de l’ESJ Lille, expérimente cette réserve de plein fouet. « Pardon, t’es journaliste… mais les médias, ils sont trop anxiogènes, ils communiquent toujours sur les mêmes sujets », s’entend-elle dire. En presse quotidienne régionale (PQR), certaines personnes refusent de répondre à ses questions. De quoi refroidir les ardeurs d’une jeune diplômée avide de terrain et de rencontres. Arrive ensuite le premier confinement, avec son lot de questionnements mais aussi la nouvelle qu’un incubateur médias, YouM3dia, s’ouvre à EuraTechnologies à Lille, en partenariat avec l’ESJ Lille. Une opportunité que la journaliste spécialisée en sport ne manque pas de saisir. C’est ainsi qu’en 2020 naît Endémik, média local et participatif en ligne dans lequel journalistes et citoyens co-construisent des reportages accessibles gratuitement. Lors des Assises du Journalisme de Tours, Déborah Adoh a accepté de décrire à Reporters d’Espoirs le fonctionnement de ce qu’elle définit elle-même comme un « thermomètre social ».

Un média au contact des gens

En grec, le terme endemos renvoie à ce qui est local, indigène. L’idée d’Endémik est de rétablir un lien de confiance et de proximité avec les citoyens. En passant par des structures éducatives (lycées, collèges et écoles), associatives (centres sociaux) ou des collectivités.Déborah Adoh entre en contact avec des groupes d’habitants et leur propose de participer à des ateliers d’éducation aux médias. Ceux qui acceptent sont invités à choisir les sujets des reportages, et à participer à leur réalisation. Ils rédigent, filment, montent, proposent les questions à poser en interview et réalisent eux-mêmes par la suite les entretiens. Ils parlent des sujets qui les touchent avec leurs mots et leurs expériences. L’aspect professionnel du produit fini, en partie conçu par des gens dont ce n’est pas le métier, s’en ressent forcément. Qu’à cela ne tienne ? « Au début, explique Déborah, j’avais quand même ce côté journaliste professionnelle. Mais plus le temps avance, plus je vais au contact des habitants, plus je me rends compte qu’il y a ce besoin de s’exprimer de façon brute, quitte à ce que le résultat ne soit pas parfait. »

Parfaits ou non, les objets journalistiques peu communs qui ressortent de cette collaboration attirent l’attention. C’est le cas de Leur Étouvie, documentaire participatif réalisé en 2022 par des habitants du quartier éponyme d’Amiens, avec l’aide d’Endémik. L’idée était de montrer la beauté et la vie associative de cette zone à la réputation « difficile », par-delà les représentations négatives qui lui collent à la peau. Leur Etouvie a été nommé parmi les finalistes du prix Éducation aux Médias des Assises de Tours. L’éducation constitue en effet le but premier du média comme de sa fondatrice. Endémik se veut ainsi « de contact », une sorte de roulotte professionnelle qui apporte le matériel et les méthodes du journalisme aux habitants, qui fournissent en retour les préoccupations, les regards et les mots, surtout les mots. Laisser les gens s’exprimer par eux-mêmes préserve l’authenticité des témoignages, en plus de montrer aux participants que le métier de journaliste ne se résume pas aux plateaux télé. « Et puis, ajoute la journaliste, utiliser un langage simple, c’est aussi être accessible à tout le monde. »

Modèle économique, nerf de la guerre

Pour le moment, Déborah incarne elle-même Endémik. Elle a créé une entreprise individuelle afin de développer le média. Son modèle économique, elle l’a choisi en tenant compte de la concurrence (le financement par abonnement semblait irréaliste), de l’éthique de la collecte des données, et de ses valeurs personnelles (pas de publicités ciblées). Par élimination, la fondatrice a décidé de proposer des ateliers avec les citoyens à des structures qu’elle démarche.

Atelier avec des élèves de CM2 de l’école Jean-Jacques Rousseau, mené dans le cadre du Contrat Local d’Education Artistique d’Hénin-Carvin 2022-2023

Déborah souhaiterait diversifier ses sources de revenus, afin de développer son média, et de pouvoir embaucher davantage de journalistes. À long terme, l’objectif serait de transformer Endémik en association, ou en société coopérative, afin d’associer plus étroitement les citoyens au fonctionnement du média, via un système d’adhésion ou de parts. Déborah explore également des pistes pour intégrer d’autres journalistes dans la rédaction. Pour le moment, les choses piétinent un peu : « On a beau faire un projet avec son cœur », sourit la journaliste, l’argent demeure le nerf de la guerre ».

Collaborations et galères

Gérer Endémik, au-delà des reportages et de la recherche de financements, c’est aussi gérer toute la logistique d’une entreprise, ainsi qu’un site internet. Que ce soit pour les montages ou la publication des reportages, la fondatrice a mis un point d’honneur à utiliser des logiciels libres. Des bénévoles de Te Domum, une association d’hébergement numérique, l’aident à administrer son site. Un partenariat avec l’académie de l’ESJ Lille lui permet de collaborer avec des étudiants qui se destinent au journalisme. Intéressés par les médias alternatifs, ceux-ci rédigent des articles, sur des sujets évoqués avec les citoyens, ou bien sur des thèmes qui leur tiennent à cœur – par exemple la relation entre sport et écologie, thème approfondi en juin 2022.

Pour tout le reste – veille, prospection des structures avec lesquelles Endémik va travailler, aspects éditorial et logistique des projets, préparation des ateliers, éléments de postproduction dont les citoyens ne s’occupent pas, facturation – l’unique journaliste à temps plein du média se débrouille seule. Est-ce compliqué à gérer ? « Oui. Mais on prend notre temps, répond Déborah. Endémik n’est pas un média qui va publier une vidéo du tac-au-tac. Notre mentalité, c’est de privilégier la rencontre à la publication finale. »

Un média qui n’informe pas ?

Le verdict sur l’offre médiatique actuelle demeure relativement consensuel : il y a trop d’informations, trop de sensationnel, trop de redondances. Or, souvent, la solution proposée consiste à créer un nouveau média, qui proposera une information plus neutre, plus lente, bref, meilleure. Soigner la profusion de contenus par davantage de contenus. Ne s’agit-il pas d’un paradoxe ? Peut-être, mais lors de son passage en PQR, Déborah a pu constater que les rédactions avaient elles aussi leurs contraintes, leur impératifs, leurs supérieurs. « Une grosse structure, c’est difficile à faire bouger, donc l’alternative, c’était un média indépendant. » Un de plus, dans la forêt dense qui existe déjà et au sein de laquelle il est difficile de percer. « En termes d’audimat et de fréquentation, on n’est pas connu », admet la fondatrice.

Le peu de visibilité des reportages d’Endémik ne semble cependant pas chagriner Déborah outre-mesure. Tout d’abord, les revenus de son média ne dépendent ni des abonnements, ni de la publicité : nul besoin d’appâter les lecteurs pour survivre. Ensuite, la publication de contenu ne constitue pas l’essence de son travail. « Je ne veux pas d’un énième média qui apporte de l’information », dit-elle. Et de rappeler qu’Endémik cherche à recréer du lien : il n’apporte pas, il se déplace, il reçoit, il accueille. Un véritable média itinérant, qui fournit une « information directe », c’est-à-dire que les participants apprennent davantage en traitant les sujets, en utilisant le matériel, en discutant entre eux, en rencontrant les intervenants, plutôt qu’en lisant ce qu’ils auront publié. Pour reprendre les mots de la fondatrice : « l’amont importe plus que l’aval ». Le processus de production collaborative constitue une fin en soi, si bien que la publication des reportages est presque anecdotique.

3 questions à Déborah Adoh, fondatrice d’Endémik

Pour des questions de critères de revenus, vous n’avez pas renouvelé la carte de presse dont vous disposiez lorsque vous travailliez en PQR. Pensez-vous que cette carte soit nécessaire pour être journaliste ?

Ma vision des choses a évolué avec le temps. Au début, pour moi, un journaliste c’était quelqu’un qui allait au contact des gens et transmettait de l’information. Puis, je suis passée par l’ESJ Lille, où l’on valorise l’aspect plus solennel de la carte de presse, et où l’on considère qu’un journaliste est soit pigiste, soit rédacteur pour un média. Avec Endémik, ma perception a changé, forcément, puisque je suis à présent journaliste indépendante avec mon entreprise individuelle. Mais il y a aussi la question de la nécessité pratique de la carte de presse. Effectivement, pour faire des conférences de presse, quand on va couvrir un match de foot de Ligue 1 ou un déplacement ministériel, on en a besoin. Mais l’idée avec Endémik, c’est que les journalistes aillent au contact des habitants. Il n’y a pas de cérémonie, ni de limitations ni de quotas pour accueillir des journalistes. Donc aujourd’hui, la carte de presse, je n’y pense plus.

Vous avez suivi une formation en journalisme sportif avant de lancer Endémik, média qui couvre une grande variété de sujets. Un « grand écart » facile à gérer ?

Laisser la parole aux citoyens laisse forcément place à de nombreux sujets, dont certains sur lesquels je n’étais pas forcément à l’aise – par exemple, faire une enquête sur des sujets sensibles financiers ou écologiques. Donc c’était difficile d’imaginer comment j’allais m’y prendre. Mais finalement, au quotidien, je me rends compte qu’on traite de sujets très simples avec les habitants. Endémik montre l’angle de vue du citoyen, avec les capacités du citoyen et son vocabulaire, ce qui fait que je ne me confronte pas aux difficultés techniques que j’imaginais au début. Ce sont les habitants qui apportent le contenu et la manière de faire, au final.

Endémik est un média avec un ancrage local très fort. Pensez-vous que son modèle puisse se développer au sein de rédactions plus importantes, au niveau régional, par exemple ?

Il existe déjà pas mal de médias qui font du participatif, notamment depuis la crise du COVID-19. C’est le cas de Nice-Matin, par exemple, qui publie des réponses aux questions que les lecteurs posent dans le tchat. C’est une bonne démarche, facile à mettre en place. Médiacités ou le Monde diplomatique présentent aussi certains de leurs articles durant des soirées où ils convient leurs lecteurs. On a comme ça de petites bribes de participation dans de nombreuses rédactions. Mais avec Endémik, je pousse la participation à fond. Contrairement aux grosses rédactions, je peux me permettre de co-construire et de prendre mon temps avec les habitants, parce que mes revenus ne dépendent pas de mon lectorat. Je n’ai pas le souci de la rentabilité des reportages. Et puis, tous les journalistes n’ont pas pour objectif d’éduquer aux médias. Mon but, ce serait de créer un réseau régional ou national avec des journalistes qui travaillent là où ils vivent et vont au contact des habitants ; de faire d’Endémik une plateforme où on rassemblerait l’ensemble des travaux participatifs. Il y a beaucoup de journalistes qui se questionnent sur la manière dont ils travaillent et sont intéressés par ce que je fais. Mais ils ne sont pas forcément prêts à sauter le pas. Il faudrait que je puisse les embaucher. Ou que je mutualise avec d’autres journalistes indépendants.

Par Louise Jouveshomme.

Sophie Douce : « Dans un contexte de crise, le journaliste a avant tout un rôle d’alerte, de « réveilleur des consciences » ».

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Sophie Douce, journaliste indépendante

Sophie Douce est une journaliste passionnée par la région du Sahel. Son expérience en tant que correspondante pour Le Monde Afrique et Ouest France au Burkina Faso a renforcé son intérêt pour la couverture de cette région souvent négligée. Son engagement pour le journalisme de solutions et sa volonté de mettre en lumière les histoires des communautés marginalisées font d’elle une voix inspirante dans le paysage médiatique. À tel point qu’elle a remporté le Prix Reporters d’Espoirs Radio 2022 pour un podcast paru sur… L’Express !

Ecouter le podcast de Sophie Douce, Prix Reporters d’Espoirs Radio 2022 : https://www.lexpress.fr/economie/medias/podcast-le-777-la-bonne-etoile-des-bergers-burkinabes_2155343.html.

Qu’est-ce qui vous a amenée au journalisme ?

J’ai commencé petite, par tenir des journaux de bord et des carnets de voyage. Le besoin déjà, de raconter, de décrire le monde qui m’entoure, de coucher sur le papier pour décrypter et essayer de comprendre. Puis cette envie d’ailleurs, d’aller voir plus loin, comment on vit sur d’autres continents. J’ai alors découvert les documentaires de voyage et les récits d’aventure, qui me fascinaient. Très vite, le rêve de devenir journaliste a commencé à grandir. Comme beaucoup, c’est le mythe du grand reporter, du journaliste caméléon, qui m’attirait. Pouvoir vivre mille vies en une, parcourir des pays, rencontrer des personnes qu’il ne m’aurait certainement été impossible de voir sans le prétexte du micro tendu. C’est un métier merveilleux, pouvoir faire parler les gens, ils nous ouvrent des bribes de leur vie, on crée du lien. Celui d’être un « passeur d’histoires », entre deux continents, des cultures et classes différentes.

Comment vous informez-vous ?

Je commence mes journées par une revue de presse de l’actualité de ma zone de travail, le Sahel. Je suis la presse internationale spécialisée, Le Monde Afrique, RFI, Jeune Afrique… J’aime aussi beaucoup acheter les journaux locaux, il y a une vraie culture de la presse d’investigation au Burkina Faso, avec des bimensuels de grande qualité. Je reçois des alertes par mail, par mot clé (« Burkina Faso », « Sahel »), puis je consulte les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, les groupes WhatsApp… C’est assez fastidieux et chronophage, mais ça me permet de m’imprégner des questions qui font débat et j’y puise souvent des idées de sujets. J’essaie aussi de garder un œil sur l’actualité française et internationale, avec des contenus plus posés, des analyses, des reportages colorés. J’aime regarder aussi les nouveaux formats qui se créent, les webdocumentaires, les podcasts.

Pourquoi le Burkina Faso ?

J’ai choisi de m’installer au Burkina Faso en 2018, après mon stage de fin de master en école de journalisme, que j’ai réalisé à Reuters TV, à Dakar au Sénégal. Je n’ai pas étudié l’histoire du continent, la richesse de ses royaumes et ses empires, le passé douloureux de la colonisation à l’école. Nous avons une histoire commune forte, pourtant on connait si mal ce continent. Il me semblait que l’on parlait à la télévision de « l’Afrique » souvent avec le même prisme, à travers les conflits, les famines, les troubles post électoraux.

Ce continent me faisait peur et rêver à la fois. J’étais pleine de fantasmes et de préjugés. Il me semblait qu’il y avait là-bas des histoires que nous ne racontions pas. Des récits oubliés, effacés. Je voulais m’y installer pour apprendre, pour suivre l’actualité d’un pays au long court, plutôt qu’en faisant des allers-retours.

J’ai contacté plusieurs rédactions parisiennes à la recherche d’un poste de correspondante dans la région. Le Monde Afrique était intéressé par des reportages au Burkina Faso. Je ne connaissais pas ce pays, j’avais entendu parler de son insurrection populaire, de l’ancien président révolutionnaire Thomas Sankara, de la richesse de sa culture et ses valeurs de tolérance et d’hospitalité. Et je suis partie, avec une petite valise, un carnet et mon appareil photo. J’y suis restée cinq ans. Ce sont les Burkinabè qui m’ont tout appris.

Comment décririez-vous la situation actuelle au Burkina Faso ? Quels sont les principaux défis auxquels la population est confrontée ?

La situation est très préoccupante… Les attaques des groupes terroristes sont quasi quotidiennes. Plus de 10 000 personnes ont été tuées depuis le début de l’insurrection djihadiste, en 2015. Une grande partie du territoire échappe au contrôle des autorités. Les violences ont provoqué une grave crise humanitaire, deux millions de personnes sont déplacées, un Burkinabè sur dix souffre de la faim. Les civils sont les premières victimes des violences. Face à l’insécurité, l’armée a pris le pouvoir, deux coups d’Etat ont eu lieu en 2022. La junte mène depuis des opérations militaires offensives et impose une propagande dans la lutte contre le terrorisme. La liberté de la presse et d’expression sont menacées.

En tant que journaliste, quelles difficultés avez-vous rencontrées pour couvrir les événements récents au Burkina Faso ?

Les difficultés sont nombreuses pour les journalistes restés sur place. D’abord la contrainte sécuritaire, il est très difficile de sortir de la capitale à cause du risque d’enlèvement et d’attaque des groupes terroristes. Très peu de journalistes peuvent se déplacer sur le terrain. 

Puis le climat de peur qui s’est progressivement installé depuis les deux putschs en janvier et septembre 2022. La crainte des sources au téléphone d’être écouté par les djihadistes mais aussi d’être surveillé par les autorités. Il y a des pressions directes des autorités, des rappels à l’ordre contre ceux qui contrediraient la propagande officielle. Des activistes ont été arrêtés. Des journalistes ont été convoqués pour des recadrages. Plusieurs ont été menacés de mort sur les réseaux sociaux par les soutiens des militaires. La junte a suspendu la diffusion de RFI et France 24. Nous avons été expulsées, en moins de 24 heures, avec Agnès Faivre, ma consœur du journal Libération, le 1er avril dernier, sans aucun motif. Des campagnes de dénigrement et de désinformation sont menées sur les réseaux sociaux contre les médias français, dans un contexte de tension avec l’ancienne puissance coloniale, la France.

Quelles sont les histoires les plus marquantes que vous avez couvertes au cours de votre séjour au Burkina Faso ?

Beaucoup de visages… Mon premier reportage, sur la veillée nocturne des femmes pour puiser de l’eau aux fontaines de leur quartier, faute de robinets fonctionnels chez elles, ce médecin qui « répare » les jeunes filles, victimes d’excision, ce paysan qui lutte contre la désertification qui grignote ses terres arides, ces veuves de militaires tués au front lors des opérations antiterroristes, et aussi, tous ces artistes, des metteurs en scène, des danseurs, des cinéastes, qui continuent de créer, pour résister.

Comment pensez-vous que les médias peuvent aider à apporter des changements positifs dans des pays en difficultés politiques, économiques et sociales comme le Burkina Faso ?

Je crois que dans un contexte de crise, le journaliste a avant tout un rôle d’alerte, de « réveilleur des consciences ». Il doit porter la voix des victimes des tueries, des conflits, des injustices. Mais au-delà de la guerre, plutôt que de compter les morts, les attaques, j’ai envie de raconter surtout, la vie qui continue malgré tout, souvent loin des projecteurs. Parler de ceux que l’on oublie, qui subissent ou qui résistent, qui construisent quand tout s’effondre, qui créent pour ne pas se résigner, qui s’efforcent de rêver, pour ne pas désespérer. Mettre des visages, raconter leur histoire. Au Sahel, la guerre est complexe, de plus en plus désincarnée. Il y a une fatigue des récits purement sécuritaires, je crois qu’il faut tenter de changer de narratif.

Je crois aussi à la fonction sociale du journaliste, qui peut créer des ponts, tisser des liens entre les peuples. Quelle chance nous avons de pouvoir parler à une multitude d’acteurs, accéder aux différentes strates de la société, des salons feutrés des gouvernants, aux paysans dans leur champ, pouvoir rentrer dans l’intimité d’un foyer, parler aux nantis mais aussi aux plus démunis. En portant leur voix, en transmettant des images, des émotions, certaines histoires peuvent toucher et faire bouger les lignes. Peut-être transmettre un souffle d’espoir ou inspirer certains.

Le journalisme de solutions est de plus en plus populaire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous et comment pensez-vous que cela puisse aider à résoudre les problèmes dans des pays tels que le Burkina Faso ?

C’est tenter de poser un regard optimiste et bienveillant, sans complaisance ni naïveté bien sûr, mais en s’efforçant de se dépêtrer du cynisme ambiant, omniprésent lorsque l’on couvre des drames. C’est essayer de cultiver une capacité d’étonnement, de curiosité pour des sujets qui a priori ne nous intéressent pas, chercher à apprendre sans cesse, penser contre le narratif dominant. Choisir de faire un pas de côté des événements, prendre un chemin inverse quand les caméras se rivent vers un point convergent. C’est le pari de l’audace, face à la facilité.

Comment choisissez-vous les histoires que vous couvrez dans le cadre du journalisme de solutions et comment vous assurez-vous de présenter des solutions crédibles et efficaces aux problèmes que vous identifiez ?

La presse nationale au Burkina Faso regorge d’idées de sujets d’initiatives pratiques et originales. C’est une mine d’idées de reportages. J’aime beaucoup aussi me promener, discuter avec les gens au marché, dans les kiosques à café. La rue, un espace de vie et de travail central dans ce pays, est pour moi une grande source d’inspiration.

Je choisis mes sujets selon leur pertinence et leur impact sur les problèmes confrontés. Je mène toujours ma contre-enquête pour connaître, au-delà du projet présenté, la perception des gens autour.

Comment fonctionne le statut de journaliste indépendante ?

J’ai le statut de journaliste pigiste, je collabore avec plusieurs médias, principalement Le Monde, mais aussi régulièrement avec le quotidien régional Ouest-France, qui accorde une grande place à l’actualité internationale, et le magazine L’Express. Pour vivre de ce métier, les correspondants sur le continent travaillent la plupart du temps pour plusieurs médias. En cas d’actualité dite « chaude », il arrive que d’autres médias plus généralistes nous appellent pour un papier ou une intervention ponctuelle. J’aime beaucoup cette liberté, de pouvoir choisir mes sujets et jongler avec les formats et les angles.

Pourriez-vous nous raconter dans les grandes lignes l’histoire que vous abordez dans votre podcast qui vous a valu le prix Reporters d’Espoirs 2022 ?

Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une série lancée par l’hebdomadaire « L’Express », intitulée « Horizons africains », sur des initiatives innovantes utilisant les technologies satellites, des drones ou l’énergie solaire pour améliorer le quotidien des populations sur le continent.

La rédaction m’a proposé de réaliser un reportage sur la plateforme « Garbal », un outil original et concret qui aide les éleveurs au Sahel à s’adapter, face à la désertification et à l’insécurité qui entravent leurs déplacements. C’est une plateforme d’appel qui permet aux paysans de consulter la météo, localiser les pistes de transhumance sécurisées, les points d’eau pour les animaux, etc. Je suis très heureuse que ce prix mette la lumière sur la condition des éleveurs nomades de la région et contribue, surtout, à poser un autre regard, plein d’espoir, sur la crise au Sahel, où l’avenir ne cesse malheureusement de s’assombrir. Dans la région, les éleveurs font partie des premières victimes de l’insécurité, des conflits et de la sècheresse.

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

Mariette Darrigrand : « Le décryptage pourrait constituer un quatrième genre journalistique, outre le fameux triangle reportage-éditorial-portrait. »

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Mariette Darrigrand, sémiologue, directrice du cabinet des Faits et des Signes

Sémiologue spécialiste du discours médiatique, co-fondatrice de l’Observatoire des mots, auteure de nombreux ouvrages dont le dernier, Une épopée du féminin, est paru en octobre 2022 aux éditions Eyrolles, Mariette Darrigrand analyse l’usage des mots dans les médias, leur sens, les images qu’ils véhiculent. Au travers d’études ad hoc, de conseil auprès des rédactions et d’un travail de veille sur le langage médiatique, elle s’intéresse aux récurrences, aux thèmes qui gagnent en popularité ou perdent en engouement, et à ce que ces évolutions nous disent des changements de notre société.

À l’occasion de la publication du deuxième numéro Nature : vous n’avez encore rien vu ! de la revue papier Reporters d’Espoirs, elle partage ses observations sur l’évolution de la représentation de la nature dans le discours médiatique.

Vous définissez les mots comme des bassins sémantiques, des clusters de représentations, d’images et de signes. Avez-vous remarqué des changements dans l’emploi du mot « nature » ? Que nous disent-ils sur nos représentations de la nature ?

D’une façon générale, notre rapport à la nature – celui de la société occidentale – a beaucoup changé sous l’influence de la prise de conscience écologique, au début des années 2000, période qui marque l’arrivée du concept de développement durable dans les médias grand public. On observe alors un changement de terme : les articles qui traitaient de ces questions parlaient jusque-là d’ « environnement », ils se mettent à parler beaucoup plus globalement du monde. On le voit au travers de la création de rubriques dites « planète » ou « monde durable ». Ces rubriques étaient souvent illustrées par une image récurrente, où l’on voit deux mains qui portent de la terre comme si elles la présentaient sur un autel religieux. C’est l’idée du sustainable development (en français le « développement durable ») car étymologiquement, sustainable veut dire « tenu par en-dessous ». Ainsi se renverse l’ordre normal du monde : auparavant l’être humain marchait sur la terre, et tout d’un coup, le voilà qui la porte. Il en devient responsable.

Vous observez l’essor, depuis une dizaine d’années, du terme « vivant » pour parler de la nature. Comment expliquer ce glissement de termes ?

Le vivant remplace le mot « nature » sous l’influence de travaux d’anthropologues, en particulier Philippe Descola en France, très médiatisé. Dans son livre Par-delà nature et culture (2005), il affirme que « la nature n’existe pas », qu’elle est une construction culturelle occidentale qui justifie l’exploitation et la domination de formes de vie non-humaine. Philippe Descola s’est déplacé chez les peuples d’Amazonie, par exemple, lesquels sont animistes. Cela signifie que pour eux, la nature n’est pas à dominer mais à écouter, car elle a une âme, comme l’Homme. Quand on a cette vision de la nature, on ne la violente pas. Aujourd’hui, cette remise en question de notre rapport à notre environnement influence énormément les jeunes chercheurs et les médias qui s’intéressent à la question. La nouvelle pensée anthropologique, relayée par le discours médiatique, utilise donc le terme « vivant », qui crée un continuum entre tous les êtres : il y a de l’ADN commun entre le mammouth, la bactérie ou le moindre légume, et l’Homme.

Ce continuum est-il compatible avec l’idée de développement durable, dans laquelle l’Homme se place en gestionnaire et s’extraie de la nature pour pouvoir la préserver ?

Les deux conceptions se croisent et s’hybrident. On le voit avec la permaculture, l’agriculture régénératrice, toute cette nouvelle manière de cultiver la terre avec des pratiques beaucoup plus respectueuses et moins dominatrices, beaucoup moins en surplomb. Des pratiques responsables. Cette idée de la responsabilité humaine caractérise le développement durable, selon lequel c’est désormais à l’Homme de soutenir la nature en étant humble devant elle. Il y a tout un vocabulaire de l’humilité, au sens propre, puisque « humilité » vient de « humus », la terre. L’Homme du XXIème siècle se fait petit devant la nature, et la travaille en respectant ses cycles biologiques, en se gardant de trop intervenir. La nature retrouve sa valeur sacrée, et l’Homme redevient son serviteur. On relève dans ce discours une filiation avec la tradition contemplative, que portent aussi bien le romantisme que la religion chrétienne.

Bien qu’on admette aujourd’hui les limites de la nature, vous remarquez que son génie adaptatif est de plus en plus reconnu. D’après le discours médiatique, l’Homme doit-il respecter la nature parce qu’elle est puissante, ou au contraire parce qu’elle est fragile ?

Encore une fois, les deux pensées se croisent. L’écologie nous a fait réaliser la finitude de la nature. Par son action, l’Homme a épuisé des ressources qui au départ, dans l’idée de l’abondance biblique, étaient infinies. Toutefois, la nature demeure puissante dans ses grands mécanismes. Il est donc intéressant de l’observer pour son intelligence, une prise de conscience qui a inspiré le biomimétisme, utilisé d’abord en design, puis en sciences, en médecine… On regarde comment la nature fonctionne parce qu’elle a un puissant génie de production. C’est une révolution mentale, de penser qu’elle a mieux fait les choses que beaucoup de créations humaines. On assiste à une forme d’hybridation des intelligences, avec d’un côté l’ingéniosité humaine, de l’autre les mécanismes d’adaptation de la nature. Je remarque d’ailleurs que le mot « adaptation », issu de l’industrie classique, s’impose depuis quelques années à la place du terme « réparation », qui avait un sens à la fois matériel (réparer un objet) et moral (réparer une faute).

Le terme « sauvage » pour désigner la nature gagne en importance dans le discours médiatique. D’où provient cet engouement ?

La notion de « sauvage » vient du monde intellectuel et a été très bien décrite dans des œuvres riches et poétiques, comme celles de Vinciane Despret, Baptiste Morizot, Natassja Martin… En plus de posséder de belles plumes, ces auteurs sont de bons personnages médiatiques, intéressants à interviewer. De ce fait, les médias ne se sont pas tellement faits le partenaire critique de cette mode intellectuelle, mais plutôt sa caisse résonnante. Or pour moi, l’une des fonctions du journalisme, c’est bien de produire une critique des discours. Autrement, il ne fait pas écran à la diffusion idéologique. Et cette diffusion culmine avec le mot sauvage, que les médias reprennent parce qu’il est beau, sans en faire la critique ni l’histoire. C’est peut-être plus élégant de parler de l’ensauvagement d’un pré que de sa jachère, mais il y a des connotations, en particulier politiques, derrière ce terme. On parle aujourd’hui de l’ensauvagement des villes, on a parlé hier des « sauvageons » de banlieue [ndlr : le terme de sauvageons, employé par le ministre de l’Intérieur pour désigner les mineurs multirécidivistes, fait polémique depuis 1999]. Le mot sauvage a plein d’acceptions, et je trouve que les médias devraient pousser davantage l’analyse, plutôt que de simplement s’arrêter sur un terme à la mode. Surtout que nous sommes dans une période très idéologique aujourd’hui, avec une lutte sur le langage. On ne peut pas se contenter d’être pour ou contre un vocabulaire, d’accepter un terme et d’abandonner les autres. Au contraire, ce qui est intéressant, quand une société se donne un autre mot – par exemple « vivant », « sauvage » – c’est de faire jouer les deux paradigmes, ancien et nouveau. Ce n’est pas parce qu’on parle davantage du « vivant » qu’il faut tuer la « nature ».

Vous travaillez avec des rédactions sur le vocabulaire qu’elles utilisent. Est-ce qu’une telle réflexion est compatible avec les délais, les contraintes de nombre de signes ou de durée d’émissions, qui s’appliquent au journalisme ?

Oui, au travers du décryptage, qui constituerait alors un quatrième genre journalistique, outre le fameux triangle reportage-éditorial-portrait. Lorsque je travaille avec des rédactions, je leur dis que c’est dommage qu’elles n’aient pas une quatrième dimension, qui serait celle de la critique du discours, ambiant comme médiatique. Je pense que c’est important, sur les thèmes liés à l’écologie et à la nature, de ne pas passer d’un paradigme à un autre, par exemple, passer de la domination à la dévotion. Il faut garder les deux conceptions, voir comment elles se nourrissent, et les critiquer toutes deux. Cette dimension est d’ailleurs attendue par le public, qui n’a pas envie de gober tout ce que les médias disent. Ces derniers doivent donc se demander quelles idéologies ils colportent lorsqu’ils parlent.

Propos recueillis par Louise Jouveshomme.

Laurent de Cherisey : « Les plus fragiles sont en réalité les premiers de cordée. »

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Laurent de Cherisey, entrepreneur social, co-créateur de Reporters d’Espoirs et écrivain

À l’occasion de la sortie de son livre Partager peut tout changer, Laurent de Cherisey revient sur son parcours, de ses débuts dans l’entreprenariat à la création des Maisons Simon de Cyrène. Il nous éclaire sur Reporters d’Espoirs et le journalisme de solutions dont il a œuvré à l’émergence.

Comment ce concept de « reporters d’espoirs » vous est-il venu ?

Tout a commencé lorsque mon épouse a souhaité renouveler sa pratique journalistique. Elle envisageait d’accorder davantage de temps aux rencontres, les formats de reportages qui lui étaient confiés jusque-là ne lui laissant pas cette liberté. De mon côté, plongé dans l’entrepreneuriat, je me posais beaucoup de questions sur le sens que je voulais donner à mon métier. À ce tournant de nos vies professionnelles, nous étions en quête d’un nouveau projet de grande envergure.

Alors nous avons embarqué pour un tour du monde avec nos cinq enfants. Du Brésil au Vietnam, de l’Inde à la Sibérie, l’itinéraire s’est construit au fil de nos rencontres avec des hommes et femmes œuvrant pour la justice. Cette aventure de quatorze mois, nous l’avons retransmise sous deux formats : des reportages vidéo diffusés à la télévision sur France5, et deux tomes d’un ouvrage intitulé Passeurs d’espoirs.

D’une certaine façon, c’est ainsi que les « reporters d’espoirs » sont nés. Face aux grands défis comme la lutte contre la pauvreté, la violence ou la crise environnementale, nous avons eu la volonté de mettre en lumière que tout n’est pas perdu, qu’il existe de nombreux héros qui ne sont pas nécessairement médiatisés et qui agissent pour le bien commun en cherchant des solutions. En somme, nous avons compris qu’il fallait s’emparer de cette envie d’agir qui sommeille en nous pour lutter contre le sentiment d’impuissance qui menace parfois de nous submerger.

Cette démarche est donc pionnière du journalisme de solutions ?

Notre objectif premier était de rencontrer des personnes originaires des pays visités pour mettre en avant dans nos reportages comment elles avaient concrètement relevé les défis inhérents à leurs territoires. Les résultats que nous avons observés étaient souvent extraordinaires. Cependant, nous ne souhaitions pas pour autant dissimuler la réalité des faits. L’idée n’est pas de voir le monde avec une paire de lunettes roses, chaque mission est jalonnée de problèmes et d’obstacles. Nous avons donc opté pour une approche exposant à la fois les succès et les limites des initiatives abordées. Un des premiers jalons du journalisme de solutions était posé. 

Qu’est-ce qui vous a conduit à fonder ensuite les maisons partagées Simon de Cyrène ?

Dans les années 80, ma sœur, alors âgée de dix-sept ans, a été victime d’un accident qui l’a rendue lourdement handicapée. Nous avons dû réinventer tout notre système de vie commune, chacun étant appelé à être co-acteur de son nouveau chemin de vie.

Le handicap, on plonge dedans, on ne l’a pas choisi. La question qui se pose alors est : comment fait-on pour que la vie retrouve du sens ? Je crois que c’est par l’autre. « Être » n’est pas un verbe d’état comme paraître, sembler, devenir, passer pour. C’est un verbe d’action, de relation. Quels sont nos espaces de relation ? Et leur altérité ? Pour redonner un sens à une vie marquée par le handicap, il faut penser innovation sociale.

En nous disant « j’ai besoin de toi », les personnes handicapées ont un rôle décisif puisqu’elles nous accordent leur confiance. À une époque où la performance de nos actions prime, elles nous appellent à dépasser notre peur de la fragilité et à oser une relation fraternelle.

Notre société crée beaucoup de solitude : il s’agit de la plus grande des maltraitances. Les échanges que j’ai eu avec mes amis à ce sujet m’ont conduit à imaginer ce système de maisons communes, d’une maison de la planète.

Pourquoi ces maisons sont-elles surnommées maisons des intouchables ?

Intouchables met en scène deux personnes en marge de la société, dont la plus grande souffrance est la solitude. Le film a révélé au grand public Simon de Cyrène, présidé par Philippe Pozzo di Borgo, l’homme d’affaires tétraplégique dont s’inspire le scénario. L’association fait cette promesse incroyable de maisons pensées, construites et habitées par des personnes handicapées, des salariés, des bénévoles. Ce sont des passeurs d’espoirs, porteurs de solutions. Les médias ont ainsi surnommé notre initiative les « vraies maisons des intouchables ».

Ce système s’est-il développé ?

Aujourd’hui, il existe vingt-cinq maisons partagées Simon de Cyrène, et il y en a tout autant qui sont en cours de construction. En 2015, notre association a reçu le prix de l’Elysée pour La France s’engage. Notre projet a alors pris de plus en plus d’ampleur :  cette innovation est finalement devenue un bien social, inscrit dans la loi sur l’habitat inclusif de 2018. 

Qu’est-ce qui vous a inspiré l’écriture de ce nouveau livre ?

Partager peut tout changer est à prendre comme un parcours dans lequel j’ai tenté de mettre en lumière l’utilité du rapport social qui se tisse au sein d’une maison commune. La réciprocité des relations conduit à des échanges, au décloisonnement de la société dans son rapport au temps, un rapport suspendu hors du temps. Il y a une dimension spirituelle qui émane de ce mélange de personnes toutes dotées de richesses variées. Les liens qu’elles tissent sont féconds et source d’une immense joie.

Ce livre se fait témoin de la promesse universelle de nos maisons partagées :  celle d’une société forte de par la place que chacun va et peut y prendre.

Si vous deviez résumer Partager peut tout changer en trois mots ?

Fragilité, relation et confiance. Les plus fragiles sont en réalité les premiers de cordée. S’en suit le concept de relation, ce besoin fondamental de l’humain d’exister avec les autres. Et pour finir, la confiance qui est un modèle de croissance pour notre société.

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

[Offre d’emploi] Reporters d’Espoirs recrute Chef de projets actions et communication (CDI, printemps 2024)

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VOTRE MISSION

Reporters d’Espoirs recrute une personne polyvalente qui saura intervenir de manière transversale sur l’ensemble de son programme d’actions, en CDI, et à plein temps.

Au sein d’une équipe de 5 personnes, vous travaillez en étroite collaboration avec le directeur général de l’organisation. La taille réduite de la structure et la multiplicité des actions (un Prix, une Revue papier, un Lab d’études et de recherche, une plateforme numérique) implique de votre part une grande polyvalence, un esprit entrepreneurial, une capacité réflexive et un caractère très opérationnel. 

Le poste recouvre trois dimensions :

Gestion de projet :

Vous intervenez sur un écosystème d’actions pour les organiser, les faire avancer, et les faire connaitre. Notamment :

  • Vous coordonnez le Prix Reporters d’Espoirs : définition des thématiques, organisation du jury, organisation événementielle, promotion des appels à candidature, partenariats avec des organisations-relais, réalisation de la présélection.
  • Vous organisez le Tour des Reporters d’Espoirs à la rencontre des journalistes et rédactions : prise de contact avec écoles de journalisme et rédactions, organisation, réalisation d‘interviews en vidéo.
  • Vous contribuez à l’organisation d’événements/ateliers/webinaires de taille modeste : recherche et coordination de prestataires, mise au point de programmes, sélection et recrutement d’intervenants.
  • Vous contribuez au positionnement et à la coordination des autres actions (Lab, Revue, Le Plus) en lien étroit avec le directeur et les collaborateurs dédiés.

Communication :

Votre polyvalence et votre maitrise d’outils techniques vous permettent d’intervenir aussi bien dans :

  • la définition et le suivi de la stratégie et du plan de communication ;
  • la conception/réalisation de supports de communication (plaquette, présentations) ;
  • la rédaction de newsletters, courts articles, argumentaires, synthèses et bilans des actions ;
  • la réalisation (tournage, montage, habillage) d’une interview en vidéo ;
  • le suivi du travail de la Social media manager ;
  • la mise à jour du site internet (WordPress)
  • l’animation d’un webinaire.

Ceci afin de promouvoir les actions de Reporters d’Espoirs essentiellement auprès de l’écosystème médiatique.

Relationnel :

Votre capacité à vous approprier les actions et le discours de l’association vous permettra de la représenter à l’extérieur (ateliers, et à terme dans des conférences et événements) et auprès de professionnels des médias (journalistes, étudiants).


VOTRE PROFIL

Vous avez déjà développé les expertises et compétences suivantes :

  • 4 ans d’expérience professionnelle minimum après la fin de vos études ;
  • Gestion de projet : vous savez vous organiser, planifier des actions et les faire avancer ;
  • Qualités rédactionnelles : votre écriture et votre orthographe en langue française sont irréprochables ; vous avez un esprit d’analyse et de synthèse ;
  • Forte appétence pour le secteur de l’information et des médias ;
  • Intérêt pour les sujets de développement durable et en particulier d’environnement ;
  • Technique : capacité à maitriser les logiciels permettant la réalisation des missions citées précédemment (Adobe InDesign, Photoshop, Première ; WordPress, emailing ; Suite Office)… ou à apprendre !
  • Capacité à encadrer deux stagiaires et alternants auxquels vous pourrez déléguer certains aspects de vos missions, ainsi que des prestataires.

Et vous vous reconnaissez dans les qualités suivantes :

  • Polyvalence ;
  • Sens de l’organisation ;
  • Autonomie sur les missions qui vous sont confiées ;
  • Qualités relationnelles vous permettant d’interagir au sein d’une petite équipe au quotidien, dans une ambiance à la fois sympathique et concentrée, et avec les différents publics de l’association – que ce soit par écrit, par téléphone ou de visu- : consultants, stagiaires, bénévoles, journalistes…
  • Envie de contribuer à faire progresser une cause associative et son impact positif sur les médias et la société.

NOUS

Reporters d’Espoirs, « pour une info et des médias qui donnent envie d’agir ». Nous agissons depuis 19 ans pour que l’information et les médias diffusent l’envie d’agir dans la société.

Concrètement :
– nous identifions et contribuons à la visibilité médiatique (veille) des initiatives qui ont un impact positif sur : la vie des gens, le lien social, l’environnement, l’économie
– nous rassemblons les médias à l’occasion d’événements physiques et médiatiques (La France des solutions : 20 millions de citoyens touchés avec 50 partenaires médias)
– nous sensibilisons les journalistes et étudiants à la pratique du « journalisme de solutions » appliqué à des questions d’intérêt général (le climat, l’innovation sociale…)
– nous créons des outils pédagogiques et numériques pour analyser l’impact des médias et pour accroitre leur portée (Le Lab, Le Plus)
– nous mettons à l’honneur jeunes, journalistes, et innovateurs des médias (Les Prix)
– nous publions une revue papier diffusée dans 600 libraires, 80 Relay, et par abonnement.

Notre équipe et notre gouvernance comprennent des journalistes, professionnels des médias et de la tech, dirigeants de médias, communicants, gestionnaires de projets, leveurs de fonds.


OU, QUAND, COMMENT ?

Lieu : Paris 1er arrondissement (Opéra / Palais Royal).
Type de contrat : CDI plein temps.
Télétravail le vendredi.
Début souhaité : printemps 2024.
Salaire : selon profil et expérience.

Vous voulez mettre votre esprit d’initiative, enthousiasme et rigueur au service de ce projet inspirant et impactant positivement la société ? Rejoignez-nous.

Étape 1 : Transmettez-nous votre CV et vos motivations sur recrutement@reportersdespoirs.org
Étape 2 : Entretien avec la responsable des relations humaines
Étape 3 : Entretien avec le directeur général

Festival international du journalisme : Retour sur un week-end à Couthures-sur-Garonne

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400 habitants à l’année, plus de 6000 festivaliers le temps d’un week-end : depuis 2018, juillet venu, le charmant village de Couthures-sur-Garonne se mobilise trois jours durant pour accueillir le Festival international de journalisme parrainé par le groupe Le Monde. Ce rendez-vous unique en son genre réunit professionnels des médias et grand public pour débattre de l’actualité sous le soleil estival. Partenaire de cette 6e édition, Reporters d’Espoirs était présent pour parler traitement médiatique du climat, créativité des médias et bien sûr, journalisme de solutions.


A notre arrivée, samedi 16 juillet au matin, la chaleur est déjà étouffante : le thermomètre affiche 33°C, et grimpera jusqu’à 42°C le lendemain. Combiné à l’extrême sérieux des thématiques du festival, actualité oblige -frontières, concentration des médias, propagande…-, on pourrait penser l’atmosphère plombante.  Il n’en est rien : elle est bon enfant, les festivaliers ont le sourire aux lèvres, et le sentiment d’une véritable communauté où tout le monde aime à se retrouver s’installe au fur et à mesure. Au détour d’une rue, d’une conférence ou même à table, on croise la marraine du festival Charline Vanhoenacker, l’écrivain et interprète Gaël Faye, le propriétaire de L’Express Alain Weill,  ou encore Edwy Plenel et Salomé Saqué, heureux d’échanger quelques mots.

Ateliers climat et journalisme de solutions

Au vu de la météo, notre premier atelier tombe à pic : il porte sur le traitement médiatique du climat, et comment l’améliorer. Car selon l’étude MédiasClimat menée par Reporters d’Espoirs en 2019, tout supports confondus, seul 1% des sujets en moyenne faisaient alors référence au climat, le plus souvent sur un ton catastrophiste. Mais pourquoi est-ce donc si difficile d’aborder ce thème pour les journalistes ?

Parmi la cinquantaine de festivaliers ayant répondu présent, les idées fusent : manque de culture scientifique, complexité et nature anxiogène du sujet, économie des médias… La discussion se déplace ensuite sur les réponses à apporter : unanimement, les festivaliers réclament plus de formations pour les journalistes et suggèrent des rencontres sur le terrain avec victimes du dérèglement climatique et acteurs luttant contre. Le public aborde ainsi l’importance d’un traitement plus constructif, mettant également en avant des initiatives inspirantes et reproductibles pour assurer la transition écologique.

Nous revenons le lendemain sur la thématique, à travers un atelier participatif dédié au cœur du sujet de Reporters d’Espoirs : le journalisme de solutions. Malgré l’heure matinale (le concert du DJ la veille a duré jusqu’à 2h du matin), quelques visages familiers et beaucoup de nouveaux sont (re)venus au « Verger », l’espace en plein air qui nous est dédié, au milieu des arbres fruitiers. Visiblement, le bouche à oreille fonctionne. L’exercice du jour consiste à classer trois articles dans l’ordre du moins au plus « porteur de solutions ». Pas évident : juge-t-on la solution elle-même ou plutôt son traitement journalistique ? Faut-il privilégier une initiative collective ou individuelle, une réponse à un problème précis ou global ? Et comment différencier résilience et solution ? Ensemble, nous abordons ainsi la méthodologie du journalisme de solutions, ses avantages ainsi que ses limites.

La créativité des journalistes en débat… et récompensée !

Dimanche après-midi. Après une courte pause récréative, vient le moment de notre conférence sur la créativité. Une heure durant, nos intervenants Julien Blanc-Gras (écrivain-voyageur), Esther Meunier (journaliste à NOWU) et Lorraine Rossignol (journaliste à Télérama) discutent d’innovations éditoriales et techniques, en compagnie d’Augustin Perraud, notre Reporters d’Espoirs animateur du jour. Les questions fusent dans le public : pour encourager la créativité, ne faudrait-il pas déjà rendre la profession plus ouverte, les promotions d’école de journalisme plus diverses ? Le journalisme de solutions n’est-il pas déjà une innovation sur le fond en soi ? La créativité, une réponse pour attirer de nouvelles audiences ? Nos intervenants puisent dans leurs différentes expériences, électron libre, pigiste, journaliste dans une rédaction traditionnelle ou d’un genre nouveau, formés en école de journalisme ou pas.

Clou du spectacle : la conférence tient lieu de remise du Prix de la Créativité Reporters d’Espoirs 2022, décerné au jeune média NOWU créé par l’alliance de France Télévisions et le service public allemand WDR. Lancé en 2019, NOWU s’adresse d’abord aux 15-24 ans avec une forte présence sur Instagram et Tiktok, un ton direct et décalé (tutoiement et références à la pop culture sont de mise) ainsi que sa spécialisation sur un thème qui préoccupe un nombre croissant de jeunes : l’environnement. Le tout sur un ton constructif, livrant des pistes d’action collective et individuelle, comme nous l’explique Esther Meunier, journaliste à NOWU.

Ambiance baignade et musique

Une fois notre dernière intervention passée, il nous reste encore quelques heures pour pleinement profiter des autres ateliers, conférences et rencontres proposées par le festival – et bien sûr, au passage, poser quelques questions sur la pratique du journalisme de solutions aux divers intervenants ! La journée se termine en maillot et en musique, avec la tant attendue baignade dans la Garonne et un concert folklorique du groupe bordelais Timeless Trio à la nuit tombée. Ainsi s’achève un week-end chaleureux, à la fois par sa météo, son actualité et surtout, une formidable ambiance.

Par Morgane Anneix

Avec vous, lancement de la première revue papier de journalisme de solutions !

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Le meilleur de Reporters d’Espoirs concentré en 1 revue semestrielle de 144 pages. Des reportages, interviews, chroniques pour mettre à l’honneur :

  • Des histoires et acteurs de solutions concrètes qui améliorent la vie, l’économie, l’écologie.
  • Des récits de journalistes et grands reporters qui vous racontent leur métier, vous ouvrent les coulisses de la « fabrique » de l’information et des nouveaux médias.
  • Une nouvelle thématique à chaque numéro, traitée sous l’angle du lien social, de l’environnement, de l’économie et de l’entreprise, de l’art et de la culture.

Une revue qui s’ouvre aux idées qui rassemblent, aide à se projeter et aiguise curiosité, créativité, envie d’agir. Pour changer de regard sur l’actualité.

Le meilleur de Reporters d’Espoirs concentré en 1 revue semestrielle de 144 pages. Des reportages, interviews, chroniques pour mettre à l’honneur :

  • Des histoires et acteurs de solutions concrètes qui améliorent la vie, l’économie, l’écologie.
  • Des récits de journalistes et grands reporters qui vous racontent leur métier, vous ouvrent les coulisses de la « fabrique » de l’information et des nouveaux médias.
  • Une nouvelle thématique à chaque numéro, traitée sous l’angle du lien social, de l’environnement, de l’économie et de l’entreprise, de l’art et de la culture.

Une revue qui s’ouvre aux idées qui rassemblent, aide à se projeter et aiguise curiosité, créativité, envie d’agir. Pour changer de regard sur l’actualité.

 


 

15-17 juillet # Reporters d’Espoirs vous donne rendez-vous au Festival international du journalisme à Couthures-sur-Garonne ce week-end !

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Pour sa 6e édition, Reporters d’Espoirs s’associe au Festival international du journalisme parrainé par le groupe Le Monde. Au programme, deux ateliers et une conférence lors de laquelle sera remis le Prix Reporters d’Espoirs – Catégorie Créativité à la rédaction de NOWU.

En savoir plus sur le Festival


Samedi 16 juillet, 17 – 18h :
ATELIER « Comment (mieux) parler du dérèglement climatique? »

Rendez-vous au « Verger » pour une heure autour de la question du traitement médiatique du climat. Alors que les médias font de plus en plus place à l’environnement dans leurs colonnes, qu’en est-il du climat ? Comment les journalistes s’emparent-ils de cette question et le font-ils en proportion du problème posé ? 

Au cours de cet atelier participatif, venez découvrir l’étude de Reportes d’Espoirs sur le traitement médiatique du climat et les réponses apportées par le journalisme de solutions. Vous aurez également l’occasion d’y rencontrer Esther Meunier, journaliste à NOWU, média spécialisé sur l’environnement et lauréat du Prix Reporters d’Espoirs – Catégorie Créativité 2022.


Dimanche 17 juillet, 10 – 11h:
ATELIER « Et si les solutions étaient (déjà) dans votre journal ?« 

Réchauffement climatique, guerre en Europe, pandémie : vous avez l’impression que tout va mal ? Pourtant, des citoyens, des porteurs de projet, des associations, des entrepreneurs, se mobilisent et agissent au quotidien pour construire le monde de demain. Et si les solutions étaient déjà dans vos médias ? 

Venez découvrir le journalisme de solutions avec l’équipe de Reporters d’Espoirs au « Verger » du Festival ! 


Dimanche 17 juillet, 14h30 – 15h30 :
CONFERENCE « Les médias peuvent-ils être créatifs? »

Alors que les sources d’informations se multiplient, que de nouveaux médias émergent et que les médias traditionnels peinent à conserver leurs audiences, la renaissance médiatique se trouverait-elle dans la créativité ? Comment innover pour attirer un public nouveau, parfois coupé de l’information ?

Une conférence à l’Eglise lors de laquelle sera également remis le Prix de la Créativité 2022 à NOWU, média 100% environnement créé par France TV et son homologue allemand WDR.

Avec:

Julien Blanc-Gras, écrivain, documentariste et journaliste reporter
Esther Meunier, journaliste à NOWU, lauréat du Prix de la Créativité 2022
Lorraine Rossignol, grande reporter pour Télérama
Morgane Anneix, Reporters d’Espoirs
Augustin Perraud, Reporters d’Espoirs

« Là ou un Allemand traitera une information d’une façon factuelle, un Français aura une écriture plus colorée. La ‘culture Arte’ essaie d’emprunter le meilleur à ces deux mondes » – Carolin Ollivier, rédactrice en chef d’Arte Journal

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Journaliste et rédactrice en chef d’Arte Journal depuis 2014, Carolin Ollivier a le regard résolument tourné vers l’Europe. Membre du jury du deuxième Prix européen du jeune reporter, elle nous raconte son expérience au sein d’une rédaction franco-allemande et européenne unique en son genre.


Comment définir l’Europe ?

A mes yeux, il n’y a pas une, mais des Europe qui sont liées entre elles. Il y a l’Europe de l’espace commun et du marché unique, avec des mesures politiques partagées ; il y a l’Europe des Etats membres, dans toute sa diversité et toutes ses différences. Toutes appartiennent aux Européens, il est donc important de parler des deux.

Êtes-vous optimiste quant à la construction européenne ?

Je suis toujours optimiste ! L’Europe est née de la guerre, a grandi avec, autour et souvent aussi grâce à des crises. Aujourd’hui, on le voit à nouveau avec la guerre en Ukraine : l’Europe s’est certainement réunifiée face à ce défi. Cela prend des dimensions très concrètes : on parle à nouveau d’une défense européenne commune [CED, projet abandonné en 1954 suite au rejet de la France, ndlr] ; le projet politique et humain a trouvé un nouveau souffle auprès des dirigeants politiques comme de la population civile européenne. La construction européenne semble donc redynamisée, seul point positif à cette tragédie humaine…

Comment voyez-vous l’Europe dans 10 ans ?

A mon avis, il y aura eu d’ici là beaucoup de progrès. Je reprends l’exemple de la politique de la défense, qui sera alors peut-être réalité ; peut-être peut-on envisager un vote à la majorité dans ces domaines politiques régaliens, actuellement décidés à l’unanimité. Je pense aussi qu’il s’agira d’une Europe élargie, notamment à l’est. Ce qui créera cependant de nouveaux défis ou du moins, enracinera ceux qui existent déjà. Par exemple, les problèmes que posent des Etats membres comme la Hongrie ou la Pologne vont sûrement encore longtemps persister.

Vous êtes la rédactrice en chef d’Arte Journal, qui « propose une approche européenne et culturelle de l’actualité ».

La mission fondatrice d’Arte est de contribuer à une compréhension mutuelle des peuples européens. Parler d’Europe est presque devenu naturel pour nous – que ce soit en termes de politique ou de culture. Chaque journal est clôturé par un sujet où l’on parle art, musique, cinéma, etc. Car les messages culturels peuvent dépasser les frontières des pays et des langues. C’est aussi une façon d’approcher l’Europe par les Européens, et d’aborder des sujets sociétaux par un autre biais que les institutions – même si celles-ci restent bien sûr essentielles. Je demeure convaincue que la plupart des Européens sont curieux de savoir comment les Finlandais s’attaquent au défi de la pandémie, ou comment les Italiens accueillent les réfugiés ukrainiens. Ce sont des thématiques qui nous concernent tous, ce qui rend l’analyse de solutions que d’autres pays proposent à un problème similaire d’autant plus intéressante.

Est-ce facile de parler d’Europe ?

C’est à la fois simple et compliqué car, comme toute rédaction à travers le monde, nous débattons chaque matin de ce que nous allons traiter comme information. Nous avons toujours au moins deux publics en tête. C’est une réelle gymnastique intellectuelle de trouver des sujets qui concernent à la fois les Allemands et les Français, et on en a pris l’habitude. Presque automatiquement, on arrive ensuite à dépasser le cadre franco-allemand pour arriver à une perspective européenne. A tel point qu’il peut parfois nous paraitre plus compliqué d’expliquer un sujet national de façon à ce qu’il soit compréhensible pour l’autre, que d’aborder des informations transnationales et européennes.

Nous tachons aussi d’aborder des questions qui préoccupent un peuple ou une nation à un moment donné. Nous faisons régulièrement le choix de sujets un peu curieux, que l’on ne traiterait pas par ailleurs : les ours qui retournent en Roumanie, un film qui fait grand bruit en Italie, ou encore un scandale de cartes électroniques de santé en Estonie… Des sujets qui sont intéressants aussi parce qu’ils racontent un pays, son fonctionnement et sa nature.

A quoi ressemble une rédaction binationale et européenne ?

Notre équipe est quasiment « paritaire » en termes de nationalités, avec des journalistes français pour moitié et des allemands pour l’autre, et qui travaillent ensemble sur le même journal. Cela donne un mélange intéressant, puisque la culture de travail et les styles d’écriture varient beaucoup des deux côtés du Rhin : là ou un Allemand traitera souvent une information d’une façon sobre et factuelle, un Français aura une écriture beaucoup plus colorée, avec un certain « accent » reportage. C’est un environnement de travail très enrichissant où l’on apprend beaucoup l’un de l’autre. Au fil du temps, cela a donné une certaine « culture » Arte, un mélange qui, comme souvent en Europe, essaie d’emprunter le meilleur aux deux mondes.

Et, au-delà de notre identité franco-allemande, nous intégrons de plus en plus d’autres nationalités au sein de notre rédaction : journalistes belges, autrichiens, suisses, même britanniques… L’idée est d’intégrer des journalistes de tous les horizons pour réaliser notre propre petit rêve européen !

Existe-t-il un journalisme européen selon vous ?

La plupart des médias ont des approches plutôt nationales : même pour des sujets transnationaux comme le Brexit, la pandémie ou l’accueil de réfugiés, chacun se focalise sur les questions que cela soulève pour son propre pays. Lorsqu’il y a un sommet européen, toutes les chaines de télévision se focalisent sur ce que leur propre gouvernement a réussi à négocier ; à Arte, au contraire, nos correspondants à Bruxelles essaient de faire des interviews avec des représentants de plusieurs nationalités. Même s’il est rare, il existe bien un journalisme européen à mes yeux : un journalisme qui analyse comment font les autres et essaie d’inclure de multiples visions pour arriver à une synthèse européenne.

La barrière linguistique est souvent vue comme un obstacle majeur à l’émergence d’un journalisme européen. Or à Arte, vous proposez des contenus en 6 langues.

Les langues sont en effet au cœur de nos réflexions. Si l’on veut s’adresser à un public européen plus large, vaut-il mieux utiliser la lingua franca, l’anglais, en pensant que tout le monde comprendra ? Ou au contraire, décider d’avoir des approches plus territoriales en optant pour la langue nationale ?

Arte fait un peu des deux, ce qui constitue un défi logistique et un investissement phénoménal. Mais cette diversité linguistique est en même temps enrichissante, et nous restons convaincus que ce n’est que de cette façon que l’on pourra s’adresser à tous les Européens.

On dit souvent l’Europe trop abstraite, traitée principalement sous l’angle de ses institutions. Faut-il changer la façon dont les médias la couvrent ?

Absolument. Premièrement, je pense que tous les médias devraient en parler plus. Quant au côté qualitatif, il est bon de diversifier la couverture de l’Europe, d’aborder également l’Europe culturelle et des peuples, sans bien sûr délaisser l’Europe institutionnelle. L’Europe est complexe, mais elle fait partie des sujets qui sont importants car elle concerne la vie de tous les citoyens européens et parfois même au-delà.

Le journalisme de solutions est-il une démarche à laquelle vous êtes sensible ?

Tout à fait ! Traiter d’Europe, c’est parler de défis, mais aussi de solutions. Souvent, on trouve justement ailleurs des initiatives pour lutter contre des problèmes que l’on rencontre chez soi. Par exemple, quelles solutions l’Allemagne a-t-elle trouvé grâce à son modèle fédéral pour endiguer les cas de Covid-19 ? Comment l’Italie a-t-elle pu redynamiser un village en y accueillant des réfugiés ? Ou encore, comme la Finlande a-t-elle réussi à diminuer le nombre de sans-abris en leur facilitant l’accès au logement ?

L’Europe regorge d’idées, de projets et d’initiatives qui sont la source même du journalisme de solutions. C’est donc bien une dimension que nous essayons d’intégrer dans notre journal. De plus, lorsqu’il y a une grande actualité internationale et catastrophique, comme c’est le cas avec l’Ukraine, nous essayons d’équilibrer le ton en incluant au moins un sujet positif ou constructif au sens large.

Y a-t-il selon vous des pays plus preneurs que d’autres d’histoires constructives et de résilience ?

Ce n’est peut-être qu’une impression subjective, mais je pense que les pays nordiques sont plus sensibles à cette approche. Les médias là-bas réfléchissent beaucoup à leur mission publique et responsabilité, et tendent davantage à se remettre en question et à être attentifs au public. De plus, il y règne une grande tradition de journalisme investigatif, qui pointe des problèmes, mais mène aussi à des propositions.

Comment faites-vous pour inclure un angle européen à chaque sujet que vous traitez ?

Tout d’abord, il faut visualiser le public européen auquel on s’adresse et s’imaginer lui parler. Très naturellement, on est amené à inclure d’autres voix et opinions. Par exemple, même des élections nationales soulèvent de forts enjeux européens : on peut interroger un Allemand, Italien ou Espagnol sur ce qu’il pense de la campagne, des candidats etc.

Autrement, il y a la comparaison : regarder comment une situation similaire est gérée par nos voisins par exemple… Pour reprendre l’exemple des élections, on peut comparer les différents systèmes électoraux, les cultures politiques etc. Avec un peu de créativité, de temps et d’habitude, on trouve presque toujours une perspective européenne.

Propos recueillis par Morgane Anneix pour Reporters d’Espoirs