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« Je ne voulais pas passer ma vie à parler de mort » – Charlotte Meyer, membre du jury du Prix Reporters d’Espoirs de l’innovation sociale et journaliste environnementale aux Échos

By 8 septembre 2023décembre 6th, 2023No Comments

Charlotte Meyer est journaliste environnementale aux Échos Planète et rédactrice en chef de son média indépendant Combat, pour lesquels elle réalise régulièrement des reportages sur l’économie sociale et solidaire. D’abord reporter sur plusieurs terrains de conflits au Moyen-Orient, expérience dont elle a tiré un livre intitulé La protection internationale des journalistes en mission professionnelle périlleuse – Enquête sur un défi impossible (éditions L’Harmattan), elle se tourne aujourd’hui vers le journalisme de solutions. En tant que membre la plus jeune du jury du Prix Reporters d’Espoirs de l’innovation sociale, elle évoque son parcours et sa pratique journalistique.



Vous avez cette année rejoint le jury du Prix Reporters d’Espoirs de l’innovation sociale. Que représente à vos yeux l’économie sociale et solidaire ?

J’ai eu la chance d’aborder l’économie sociale et solidaire dès le lycée, il n’y a pas si longtemps, ce qui est probablement un plus par rapport à beaucoup de collègues journalistes n’ayant pas bénéficié de cet enseignement. J’en connaissais donc les enjeux et, lorsque j’ai commencé à m’intéresser au journalisme de solutions, l’apport de ce secteur particulier de l’économie qui amène de nouveaux questionnements et des réponses singulières m’est presque apparu comme une évidence.

À quel moment vous intéressez-vous aux sujets économiques en tant que journaliste ?

J’ai débuté comme journaliste de guerre « en herbe » spécialisée sur les conflits Moyen-Orientaux. En herbe, car j’étais « à l’arrière » plus que sur le front, au contact des populations civiles dont je m’intéressais aux actes de résistance et aux comportements de résilience. J’ai ensuite décidé de me reconvertir pendant le confinement pour ne pas passer ma vie à parler de mort. Mes reportages abordaient déjà régulièrement l’environnement, et j’ai complété cette approche en apprenant l’économie au contact du terrain. Le fait d’avoir pendant un an entrepris un « tour de France » des initiatives locales m’a amené à approfondir dans cette voie, d’abord au sein du média Combat puis dans les colonnes des Échos.

Comment vous est venue l’idée de créer le média « Combat » ? Une telle dénomination, ça oblige !

Étudiante à Sciences Po, je voulais créer un média jeune pour aborder le sujet des luttes, comme un prélude à ma carrière de journaliste de guerre. Ce projet a vu le jour en 2020 autour d’une équipe d’une quinzaine de personnes. Il est à la fois en ligne (www.combatlemedia.com) et papier. A l’ère du tout numérique, ça me tient à cœur : il y a une sorte de beauté dans le format papier, c’est un objet d’expérimentation pure. J’ai beau n’avoir que 25 ans, je suis de ce point de vue un peu une « vieille de la vieille ». La ligne éditoriale du média est très proche du journalisme de solutions et veut s’inscrire dans les pas d’Albert Camus… ce qui nous impose en effet de dénicher de belles plumes !

Pourquoi avoir rejoint le journal Les Échos ?

J’ai trouvé le site de la section Planète très beau et nourri de sujets passionnants. Je sentais une équipe innovante, émergeante et assez jeune, et j’ai voulu en faire partie. Sans aucun background économique, j’ai candidaté et ça a marché, ce qui me permet de relever le défi de parler d’écologie d’une manière nouvelle ! Mon positionnement est « engagé mais pas militant » : il s’agit non pas d’écrire des tribunes, mais d’amener de nouveaux points de vue qui n’auraient à une époque pas figuré dans les pages des Échos – par exemple des designers qui parlent de décroissance dans le milieu de l’industrie.

Comment vivez-vous la transition des terrains de conflit vers un journalisme plus établi ?

Je ne couvre plus les terrains de conflits – peut-être y reviendrai-je un jour – mais suis toujours beaucoup sur le terrain. Le fait de devenir mère me fait surtout prendre conscience de l’importance de ma profession pour l’avenir de ma fille, et a changé ma vision du journalisme vers une dimension plus porteuse d’alternatives et de solutions aux difficultés.

Des personnes vous ont-elles inspirée ?

Adolescente, j’étais une amoureuse du reporter de guerre Patrick Chauvel. Je pense également à Delphine Minoui dont j’ai dévoré tous les livres, et à Anne-Sophie Novel qui m’a fait découvrir le journalisme de solutions. Plus généralement, les écrits de philosophes comme Baptiste Morizot et Vinciane Despret ainsi que d’anthropologues comme Nastassja Martin ont été une révélation pour moi et ont changé ma manière de faire du journalisme : j’aime les plumes qui reflètent une vision humaine du vivant et de la transition écologique, trop souvent réduite à des chiffres et des calculs de « neutralité carbone ».

Un exemple d’initiative de l’économie sociale et solidaire explorée dans vos reportages ?

J’ai écrit un papier pour Les Échos sur les « Jardins de l’éveil », une ferme pédagogique ouverte de manière permanente dans le Finistère (à retrouver ici : https://www.lesechos.fr/weekend/planete/en-bretagne-un-parc-educatif-pour-renouer-avec-le-vivant-1975453). Financée grâce à la revente d’une entreprise d’intérim, elle vise à reconnecter les enfants avec le vivant en leur apprenant le métier d’agriculteur. Le projet veut créer de l’emploi local, et favoriser la démocratie participative à la manière d’une coopérative.

Lorsque j’ai évoqué mon article à mon conjoint, qui est souvent mon premier lecteur, il semblait dubitatif. Sa première question a été « mais est-ce que c’est viable économiquement ? ». Je me suis rendu compte qu’en tant que journaliste, on est parfois tellement embarqué par le côté novateur, humain, écologique, démocratique… qu’on en oublie cette question économique pourtant primordiale – surtout dans un journal comme Les Échos ! Est-ce par crainte de discréditer un projet innovant auquel nous donnons le temps de faire ses preuves ? Dans tous les cas la question mérite d’être posée, pour comprendre la philosophie du projet et être au clair sur son objectif qui n’est pas nécessairement économique.

La rédaction des Échos Planète est-elle réceptive au journalisme de solutions ?

Oui, de plus en plus. Nous tâchons de montrer des personnes engagées en France et ailleurs, et les lecteurs cliquent ! Les reportages anglés solutions sont même ceux qui fonctionnent le mieux, y compris sur des sujets de niche : un article sur les hélices de bateaux recyclées a atteint des records (à retrouver ici : https://www.lesechos.fr/weekend/planete/finx-ou-la-fin-des-moteurs-a-helice-pour-bateaux-1917833). La rubrique fonctionne et intéresse, à tel point qu’elle a gagné en visibilité : « Les Échos Week-end » publie désormais un papier de la section Planète chaque semaine.

Sur le site LesEchos.fr, la rubrique Planète figure comme une sous-section de la rubrique « Le Mag Week-end ». Peut-on s’attendre un jour à une rubrique « Ecologie » à part entière dans le grand quotidien français de l’économie ?

Actuellement la section Planète fait effectivement partie du Mag Week-end, qui offre des formats plus longs sur l’actualité culturelle et lifestyle. Peut-être n’osons-nous pas encore écrire « écologie » ou « environnement » et en faire des rubriques à part entière. Certes. Mais le fait même de donner la parole à des journalistes comme moi, engagés pour l’écologie dans leur vie personnelle, montre que les lignes bougent !

L’écologie étant une science (« science qui étudie les interactions des êtres vivants entre eux et avec leur milieu »), votre formation plutôt littéraire vous a-t-elle posé question dans votre manière d’appréhender les sujets environnementaux ? Comment avez-vous appréhendé la chose ?

Cette question est intéressante parce que j’ai fait un bac littéraire, et on m’a souvent dit que je n’aurais pas les pieds sur terre pour aborder des sujets scientifiques. Finalement je suis là aujourd’hui, après m’être formée à la question avec des documentaires et des livres notamment de la collection Monde Sauvage chez Actes Sud. Cette collection fait le lien entre littérature et science, et montre que les frontières sont très poreuses : on peut être un grand littéraire et saisir les enjeux scientifiques, et à l’inverse être scientifique et le faire transparaître de manière artistique.

J’ai également lu l’onglet « Bibliographie » du site Bon Pote [« blog et média indépendant alertant sur le changement climatique », NDLR], qui répertorie un certain nombre d’ouvrages pour se former aux sujets écologiques. Je les ai tous lus pendant le Covid, et aujourd’hui je continue à regarder des documentaires, écouter des podcasts sur le sujet… Avoir une petite fille m’aide aussi : on explore la nature ensemble, on fait des recherches ensemble et on finit par apprendre toutes les deux. En réalité on apprend tout le temps, et c’est très inspirant !

Mais il est vrai que les journalistes, scientifiques ou pas, sont peu formés aux enjeux environnementaux dans les écoles de journalisme. La seule formation qui existe aujourd’hui à ma connaissance, à l’ESJ Lille, requiert un bac scientifique, ce que je trouve dommage.

Autrement je suis en lien étroit avec les chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle, et suis les principaux auteurs du GIEC auprès desquels je vais chercher l’information scientifique.

Propos recueillis par Gilles Vanderpooten et Paul Chambellant pour Reporters d’Espoirs

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