Laurent de Cherisey, entrepreneur social, co-créateur de Reporters d’Espoirs et écrivain
À l’occasion de la sortie de son livre Partager peut tout changer, Laurent de Cherisey revient sur son parcours, de ses débuts dans l’entreprenariat à la création des Maisons Simon de Cyrène. Il nous éclaire sur Reporters d’Espoirs et le journalisme de solutions dont il a œuvré à l’émergence.
Comment ce concept de « reporters d’espoirs » vous est-il venu ?
Tout a commencé lorsque mon épouse a souhaité renouveler sa pratique journalistique. Elle envisageait d’accorder davantage de temps aux rencontres, les formats de reportages qui lui étaient confiés jusque-là ne lui laissant pas cette liberté. De mon côté, plongé dans l’entrepreneuriat, je me posais beaucoup de questions sur le sens que je voulais donner à mon métier. À ce tournant de nos vies professionnelles, nous étions en quête d’un nouveau projet de grande envergure.
Alors nous avons embarqué pour un tour du monde avec nos cinq enfants. Du Brésil au Vietnam, de l’Inde à la Sibérie, l’itinéraire s’est construit au fil de nos rencontres avec des hommes et femmes œuvrant pour la justice. Cette aventure de quatorze mois, nous l’avons retransmise sous deux formats : des reportages vidéo diffusés à la télévision sur France5, et deux tomes d’un ouvrage intitulé Passeurs d’espoirs.
D’une certaine façon, c’est ainsi que les « reporters d’espoirs » sont nés. Face aux grands défis comme la lutte contre la pauvreté, la violence ou la crise environnementale, nous avons eu la volonté de mettre en lumière que tout n’est pas perdu, qu’il existe de nombreux héros qui ne sont pas nécessairement médiatisés et qui agissent pour le bien commun en cherchant des solutions. En somme, nous avons compris qu’il fallait s’emparer de cette envie d’agir qui sommeille en nous pour lutter contre le sentiment d’impuissance qui menace parfois de nous submerger.
Cette démarche est donc pionnière du journalisme de solutions ?
Notre objectif premier était de rencontrer des personnes originaires des pays visités pour mettre en avant dans nos reportages comment elles avaient concrètement relevé les défis inhérents à leurs territoires. Les résultats que nous avons observés étaient souvent extraordinaires. Cependant, nous ne souhaitions pas pour autant dissimuler la réalité des faits. L’idée n’est pas de voir le monde avec une paire de lunettes roses, chaque mission est jalonnée de problèmes et d’obstacles. Nous avons donc opté pour une approche exposant à la fois les succès et les limites des initiatives abordées. Un des premiers jalons du journalisme de solutions était posé.
Qu’est-ce qui vous a conduit à fonder ensuite les maisons partagées Simon de Cyrène ?
Dans les années 80, ma sœur, alors âgée de dix-sept ans, a été victime d’un accident qui l’a rendue lourdement handicapée. Nous avons dû réinventer tout notre système de vie commune, chacun étant appelé à être co-acteur de son nouveau chemin de vie.
Le handicap, on plonge dedans, on ne l’a pas choisi. La question qui se pose alors est : comment fait-on pour que la vie retrouve du sens ? Je crois que c’est par l’autre. « Être » n’est pas un verbe d’état comme paraître, sembler, devenir, passer pour. C’est un verbe d’action, de relation. Quels sont nos espaces de relation ? Et leur altérité ? Pour redonner un sens à une vie marquée par le handicap, il faut penser innovation sociale.
En nous disant « j’ai besoin de toi », les personnes handicapées ont un rôle décisif puisqu’elles nous accordent leur confiance. À une époque où la performance de nos actions prime, elles nous appellent à dépasser notre peur de la fragilité et à oser une relation fraternelle.
Notre société crée beaucoup de solitude : il s’agit de la plus grande des maltraitances. Les échanges que j’ai eu avec mes amis à ce sujet m’ont conduit à imaginer ce système de maisons communes, d’une maison de la planète.
Pourquoi ces maisons sont-elles surnommées maisons des intouchables ?
Intouchables met en scène deux personnes en marge de la société, dont la plus grande souffrance est la solitude. Le film a révélé au grand public Simon de Cyrène, présidé par Philippe Pozzo di Borgo, l’homme d’affaires tétraplégique dont s’inspire le scénario. L’association fait cette promesse incroyable de maisons pensées, construites et habitées par des personnes handicapées, des salariés, des bénévoles. Ce sont des passeurs d’espoirs, porteurs de solutions. Les médias ont ainsi surnommé notre initiative les « vraies maisons des intouchables ».
Ce système s’est-il développé ?
Aujourd’hui, il existe vingt-cinq maisons partagées Simon de Cyrène, et il y en a tout autant qui sont en cours de construction. En 2015, notre association a reçu le prix de l’Elysée pour La France s’engage. Notre projet a alors pris de plus en plus d’ampleur : cette innovation est finalement devenue un bien social, inscrit dans la loi sur l’habitat inclusif de 2018.
Qu’est-ce qui vous a inspiré l’écriture de ce nouveau livre ?
Partager peut tout changer est à prendre comme un parcours dans lequel j’ai tenté de mettre en lumière l’utilité du rapport social qui se tisse au sein d’une maison commune. La réciprocité des relations conduit à des échanges, au décloisonnement de la société dans son rapport au temps, un rapport suspendu hors du temps. Il y a une dimension spirituelle qui émane de ce mélange de personnes toutes dotées de richesses variées. Les liens qu’elles tissent sont féconds et source d’une immense joie.
Ce livre se fait témoin de la promesse universelle de nos maisons partagées : celle d’une société forte de par la place que chacun va et peut y prendre.
Si vous deviez résumer Partager peut tout changer en trois mots ?
Fragilité, relation et confiance. Les plus fragiles sont en réalité les premiers de cordée. S’en suit le concept de relation, ce besoin fondamental de l’humain d’exister avec les autres. Et pour finir, la confiance qui est un modèle de croissance pour notre société.
Propos recueillis par Sixtine Guellec.