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Sixtine Guellec

Pierre Doncieux : « Chaque crise apporte de nouvelles façons de vivre : il est important de montrer qu‘il n’y a pas de fatalité. »

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Couverture du second numéro d’Écologie 360, disponible sur https://www.ecologie360.fr/

Pierre Doncieux, directeur de la rédaction du magazine Écologie 360, nous ouvre les coulisses de la création de cette nouvelle publication lancée en mars, du choix des thématiques à leur traitement journalistique. Une application du journalisme de solutions qui aborde le réchauffement climatique sous l’angle de l’innovation.

Pourquoi le titre de ce numéro 1, « Soyons positifs » ?

L’initiateur du projet, Benoît Habert, a proposé de traiter la question écologique de façon positive et constructive pour rompre avec les approches catastrophistes. Une fois le diagnostic posé, on choisit de mettre en avant des solutions pour la dépollution, la préservation de la biodiversité, la transformation des transports, de l’énergie, ou encore de l’habitat. Certaines sont compliquées à mettre en œuvre, mais il existe toujours des chemins grâce aux innovations que notre monde produit en permanence. La transition écologique est un défi, mais qui n’est pas antinomique de la croissance économique. C’est ce que nous nous employons à démontrer à chaque numéro, tous les trimestres.

Quelle est la ligne éditoriale de ce nouveau magazine ?

L’écologie est au cœur du projet évidemment. Nous la traitons sous tous les angles : personnel, entrepreneurial, public, selon les différents corps de métiers, les acteurs de la vie privée et de la vie publique. Nous voulons montrer et même prouver qu’il y a des solutions en toutes choses en traitant de sujets concrets comme comment voyager de manière plus durable, dans quels fonds verts investir, ou encore par quoi remplacer les bouteilles d’eau.

Des exemples de contenus qui ponctuent ces premiers numéros ?

Le magazine est dans l’action. Il traite des personnes qui font concrètement des choses.

Nous avons par exemple réalisé un portrait du Prince Charles, « écologiste depuis 1970 » dans le premier numéro, nous nous intéressons à Boyan Slat dans le second, qui met en oeuvre des solutions pour nettoyer les océans des déchets plastiques, notre dossier de couverture du 2e numéro est consacré aux nouveaux métiers de l’écologie, nous en en avons recensé plus de 60 !

Nous allons chercher des histoires de personnes et d’entreprises ayant un impact réel. Nous donnons accès à de nombreuses statistiques et infographies. Les données sont au centre du projet et rien de tel qu’un diagnostic chiffré pour comprendre la situation et les solutions possibles.

Comment appréhendez-vous la transition écologique ? 

De manière constructive ! Certes, la Terre doit faire face au défi climatique mais il y a des solutions pour nous adapter. Nous voulons faire de la pédagogie pour faire comprendre l’ampleur du problème et passer en revue les réponses qui sont nombreuses.

De quelle manière vous appropriez-vous le journalisme de solutions ? 

Le journalisme de solutions se base sur deux piliers forts : le constat d’une action et les résultats qu’elle engendre, c’est-à-dire les solutions. Nous nous intéressons aux actions entreprises pour résoudre un problème grâce à des innovations multiples. Cela nous permet de traiter l’actualité sous un angle différent et inspirant, et de fournir à nos lecteurs des clés pour appréhender le monde en étant mieux informés. À l’image de notre crédo : « il y a des solutions, agissons ! »

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

Pierre Doncieux : son parcours en 6 dates

Années 1980 : débute sa carrière chez Condé Nast, en tant que rédacteur pour Vogue Hommes, Condé Nast Traveler, puis Rédacteur en chef de Vogue Hommes.

1995-1997 : Rédacteur en chef du magazine VSD (section culture/art de vivre).

1998 : lance avec son frère Jérôme l’agence Relaxnews qu’il développe pendant 20 ans, et qui fournit aux journaux nationaux et à l’AFP des contenus sur-mesure dans les domaines de l’art de vivre et de la culture.

2015 : vente de Relaxnews à Publicis.

2018 : Directeur de la diversification éditoriale du Figaro

2023 : lancement d’Écologie 360.

Endémik, portrait d’un média itinérant

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Conférence médias et émotions, menée le 14 avril 2023 à la médiathèque La Boussole, Montigny-en-Gohelle (62), dans le cadre du Contrat Local d’Education Artistique d’Hénin Carvin 2022-2023

EN BREF

  • Type d’initiative : média co-construit par des journalistes et des citoyens
  • Problème auquel l’initiative répond : proximité médias-citoyens
  • Profil de la fondatrice : Déborah Adoh, journaliste, diplômée ESJ Lille 2019
  • Caractéristiques :
    • Date de création : 2020
    • Statut : micro-entreprise
    • Nombre de personnes impliquées : une dizaine

Endémik est un média indépendant, en ligne et gratuit, qui a vu le jour en 2020. L’objectif de Déborah Adoh, sa fondatrice, était de recréer du lien entre journalistes et citoyens. Pour ce faire, Endémik propose à des structures associatives des entreprises ou des collectivités d’éduquer leurs usagers aux médias. Les ateliers se composent d’une partie sensibilisation, suivie d’une conférence de rédaction participative durant laquelle les personnes intéressées s’accordent sur les sujets qu’elles souhaitent traiter et les supports qu’elles souhaitent utiliser. La réalisation des reportages repose ensuite entièrement entre les mains des participants, qui apprennent à utiliser le matériel d’enregistrement, mener des interviews, monter des vidéos. Endémik prend ainsi le contre-pied de la structure médiatique classique, en valorisant le processus de production davantage que le produit, la formation davantage que l’information.

On parle beaucoup de la défiance des citoyens envers les médias, perçus comme biaisés, sensationnalistes, clivants… Ayant commencé à exercer en 2018, durant le mouvement des gilets jaunes, Déborah Adoh, journaliste diplômée de l’ESJ Lille, expérimente cette réserve de plein fouet. « Pardon, t’es journaliste… mais les médias, ils sont trop anxiogènes, ils communiquent toujours sur les mêmes sujets », s’entend-elle dire. En presse quotidienne régionale (PQR), certaines personnes refusent de répondre à ses questions. De quoi refroidir les ardeurs d’une jeune diplômée avide de terrain et de rencontres. Arrive ensuite le premier confinement, avec son lot de questionnements mais aussi la nouvelle qu’un incubateur médias, YouM3dia, s’ouvre à EuraTechnologies à Lille, en partenariat avec l’ESJ Lille. Une opportunité que la journaliste spécialisée en sport ne manque pas de saisir. C’est ainsi qu’en 2020 naît Endémik, média local et participatif en ligne dans lequel journalistes et citoyens co-construisent des reportages accessibles gratuitement. Lors des Assises du Journalisme de Tours, Déborah Adoh a accepté de décrire à Reporters d’Espoirs le fonctionnement de ce qu’elle définit elle-même comme un « thermomètre social ».

Un média au contact des gens

En grec, le terme endemos renvoie à ce qui est local, indigène. L’idée d’Endémik est de rétablir un lien de confiance et de proximité avec les citoyens. En passant par des structures éducatives (lycées, collèges et écoles), associatives (centres sociaux) ou des collectivités.Déborah Adoh entre en contact avec des groupes d’habitants et leur propose de participer à des ateliers d’éducation aux médias. Ceux qui acceptent sont invités à choisir les sujets des reportages, et à participer à leur réalisation. Ils rédigent, filment, montent, proposent les questions à poser en interview et réalisent eux-mêmes par la suite les entretiens. Ils parlent des sujets qui les touchent avec leurs mots et leurs expériences. L’aspect professionnel du produit fini, en partie conçu par des gens dont ce n’est pas le métier, s’en ressent forcément. Qu’à cela ne tienne ? « Au début, explique Déborah, j’avais quand même ce côté journaliste professionnelle. Mais plus le temps avance, plus je vais au contact des habitants, plus je me rends compte qu’il y a ce besoin de s’exprimer de façon brute, quitte à ce que le résultat ne soit pas parfait. »

Parfaits ou non, les objets journalistiques peu communs qui ressortent de cette collaboration attirent l’attention. C’est le cas de Leur Étouvie, documentaire participatif réalisé en 2022 par des habitants du quartier éponyme d’Amiens, avec l’aide d’Endémik. L’idée était de montrer la beauté et la vie associative de cette zone à la réputation « difficile », par-delà les représentations négatives qui lui collent à la peau. Leur Etouvie a été nommé parmi les finalistes du prix Éducation aux Médias des Assises de Tours. L’éducation constitue en effet le but premier du média comme de sa fondatrice. Endémik se veut ainsi « de contact », une sorte de roulotte professionnelle qui apporte le matériel et les méthodes du journalisme aux habitants, qui fournissent en retour les préoccupations, les regards et les mots, surtout les mots. Laisser les gens s’exprimer par eux-mêmes préserve l’authenticité des témoignages, en plus de montrer aux participants que le métier de journaliste ne se résume pas aux plateaux télé. « Et puis, ajoute la journaliste, utiliser un langage simple, c’est aussi être accessible à tout le monde. »

Modèle économique, nerf de la guerre

Pour le moment, Déborah incarne elle-même Endémik. Elle a créé une entreprise individuelle afin de développer le média. Son modèle économique, elle l’a choisi en tenant compte de la concurrence (le financement par abonnement semblait irréaliste), de l’éthique de la collecte des données, et de ses valeurs personnelles (pas de publicités ciblées). Par élimination, la fondatrice a décidé de proposer des ateliers avec les citoyens à des structures qu’elle démarche.

Atelier avec des élèves de CM2 de l’école Jean-Jacques Rousseau, mené dans le cadre du Contrat Local d’Education Artistique d’Hénin-Carvin 2022-2023

Déborah souhaiterait diversifier ses sources de revenus, afin de développer son média, et de pouvoir embaucher davantage de journalistes. À long terme, l’objectif serait de transformer Endémik en association, ou en société coopérative, afin d’associer plus étroitement les citoyens au fonctionnement du média, via un système d’adhésion ou de parts. Déborah explore également des pistes pour intégrer d’autres journalistes dans la rédaction. Pour le moment, les choses piétinent un peu : « On a beau faire un projet avec son cœur », sourit la journaliste, l’argent demeure le nerf de la guerre ».

Collaborations et galères

Gérer Endémik, au-delà des reportages et de la recherche de financements, c’est aussi gérer toute la logistique d’une entreprise, ainsi qu’un site internet. Que ce soit pour les montages ou la publication des reportages, la fondatrice a mis un point d’honneur à utiliser des logiciels libres. Des bénévoles de Te Domum, une association d’hébergement numérique, l’aident à administrer son site. Un partenariat avec l’académie de l’ESJ Lille lui permet de collaborer avec des étudiants qui se destinent au journalisme. Intéressés par les médias alternatifs, ceux-ci rédigent des articles, sur des sujets évoqués avec les citoyens, ou bien sur des thèmes qui leur tiennent à cœur – par exemple la relation entre sport et écologie, thème approfondi en juin 2022.

Pour tout le reste – veille, prospection des structures avec lesquelles Endémik va travailler, aspects éditorial et logistique des projets, préparation des ateliers, éléments de postproduction dont les citoyens ne s’occupent pas, facturation – l’unique journaliste à temps plein du média se débrouille seule. Est-ce compliqué à gérer ? « Oui. Mais on prend notre temps, répond Déborah. Endémik n’est pas un média qui va publier une vidéo du tac-au-tac. Notre mentalité, c’est de privilégier la rencontre à la publication finale. »

Un média qui n’informe pas ?

Le verdict sur l’offre médiatique actuelle demeure relativement consensuel : il y a trop d’informations, trop de sensationnel, trop de redondances. Or, souvent, la solution proposée consiste à créer un nouveau média, qui proposera une information plus neutre, plus lente, bref, meilleure. Soigner la profusion de contenus par davantage de contenus. Ne s’agit-il pas d’un paradoxe ? Peut-être, mais lors de son passage en PQR, Déborah a pu constater que les rédactions avaient elles aussi leurs contraintes, leur impératifs, leurs supérieurs. « Une grosse structure, c’est difficile à faire bouger, donc l’alternative, c’était un média indépendant. » Un de plus, dans la forêt dense qui existe déjà et au sein de laquelle il est difficile de percer. « En termes d’audimat et de fréquentation, on n’est pas connu », admet la fondatrice.

Le peu de visibilité des reportages d’Endémik ne semble cependant pas chagriner Déborah outre-mesure. Tout d’abord, les revenus de son média ne dépendent ni des abonnements, ni de la publicité : nul besoin d’appâter les lecteurs pour survivre. Ensuite, la publication de contenu ne constitue pas l’essence de son travail. « Je ne veux pas d’un énième média qui apporte de l’information », dit-elle. Et de rappeler qu’Endémik cherche à recréer du lien : il n’apporte pas, il se déplace, il reçoit, il accueille. Un véritable média itinérant, qui fournit une « information directe », c’est-à-dire que les participants apprennent davantage en traitant les sujets, en utilisant le matériel, en discutant entre eux, en rencontrant les intervenants, plutôt qu’en lisant ce qu’ils auront publié. Pour reprendre les mots de la fondatrice : « l’amont importe plus que l’aval ». Le processus de production collaborative constitue une fin en soi, si bien que la publication des reportages est presque anecdotique.

3 questions à Déborah Adoh, fondatrice d’Endémik

Pour des questions de critères de revenus, vous n’avez pas renouvelé la carte de presse dont vous disposiez lorsque vous travailliez en PQR. Pensez-vous que cette carte soit nécessaire pour être journaliste ?

Ma vision des choses a évolué avec le temps. Au début, pour moi, un journaliste c’était quelqu’un qui allait au contact des gens et transmettait de l’information. Puis, je suis passée par l’ESJ Lille, où l’on valorise l’aspect plus solennel de la carte de presse, et où l’on considère qu’un journaliste est soit pigiste, soit rédacteur pour un média. Avec Endémik, ma perception a changé, forcément, puisque je suis à présent journaliste indépendante avec mon entreprise individuelle. Mais il y a aussi la question de la nécessité pratique de la carte de presse. Effectivement, pour faire des conférences de presse, quand on va couvrir un match de foot de Ligue 1 ou un déplacement ministériel, on en a besoin. Mais l’idée avec Endémik, c’est que les journalistes aillent au contact des habitants. Il n’y a pas de cérémonie, ni de limitations ni de quotas pour accueillir des journalistes. Donc aujourd’hui, la carte de presse, je n’y pense plus.

Vous avez suivi une formation en journalisme sportif avant de lancer Endémik, média qui couvre une grande variété de sujets. Un « grand écart » facile à gérer ?

Laisser la parole aux citoyens laisse forcément place à de nombreux sujets, dont certains sur lesquels je n’étais pas forcément à l’aise – par exemple, faire une enquête sur des sujets sensibles financiers ou écologiques. Donc c’était difficile d’imaginer comment j’allais m’y prendre. Mais finalement, au quotidien, je me rends compte qu’on traite de sujets très simples avec les habitants. Endémik montre l’angle de vue du citoyen, avec les capacités du citoyen et son vocabulaire, ce qui fait que je ne me confronte pas aux difficultés techniques que j’imaginais au début. Ce sont les habitants qui apportent le contenu et la manière de faire, au final.

Endémik est un média avec un ancrage local très fort. Pensez-vous que son modèle puisse se développer au sein de rédactions plus importantes, au niveau régional, par exemple ?

Il existe déjà pas mal de médias qui font du participatif, notamment depuis la crise du COVID-19. C’est le cas de Nice-Matin, par exemple, qui publie des réponses aux questions que les lecteurs posent dans le tchat. C’est une bonne démarche, facile à mettre en place. Médiacités ou le Monde diplomatique présentent aussi certains de leurs articles durant des soirées où ils convient leurs lecteurs. On a comme ça de petites bribes de participation dans de nombreuses rédactions. Mais avec Endémik, je pousse la participation à fond. Contrairement aux grosses rédactions, je peux me permettre de co-construire et de prendre mon temps avec les habitants, parce que mes revenus ne dépendent pas de mon lectorat. Je n’ai pas le souci de la rentabilité des reportages. Et puis, tous les journalistes n’ont pas pour objectif d’éduquer aux médias. Mon but, ce serait de créer un réseau régional ou national avec des journalistes qui travaillent là où ils vivent et vont au contact des habitants ; de faire d’Endémik une plateforme où on rassemblerait l’ensemble des travaux participatifs. Il y a beaucoup de journalistes qui se questionnent sur la manière dont ils travaillent et sont intéressés par ce que je fais. Mais ils ne sont pas forcément prêts à sauter le pas. Il faudrait que je puisse les embaucher. Ou que je mutualise avec d’autres journalistes indépendants.

Par Louise Jouveshomme.

Sophie Douce : « Dans un contexte de crise, le journaliste a avant tout un rôle d’alerte, de « réveilleur des consciences » ».

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Sophie Douce, journaliste indépendante

Sophie Douce est une journaliste passionnée par la région du Sahel. Son expérience en tant que correspondante pour Le Monde Afrique et Ouest France au Burkina Faso a renforcé son intérêt pour la couverture de cette région souvent négligée. Son engagement pour le journalisme de solutions et sa volonté de mettre en lumière les histoires des communautés marginalisées font d’elle une voix inspirante dans le paysage médiatique. À tel point qu’elle a remporté le Prix Reporters d’Espoirs Radio 2022 pour un podcast paru sur… L’Express !

Ecouter le podcast de Sophie Douce, Prix Reporters d’Espoirs Radio 2022 : https://www.lexpress.fr/economie/medias/podcast-le-777-la-bonne-etoile-des-bergers-burkinabes_2155343.html.

Qu’est-ce qui vous a amenée au journalisme ?

J’ai commencé petite, par tenir des journaux de bord et des carnets de voyage. Le besoin déjà, de raconter, de décrire le monde qui m’entoure, de coucher sur le papier pour décrypter et essayer de comprendre. Puis cette envie d’ailleurs, d’aller voir plus loin, comment on vit sur d’autres continents. J’ai alors découvert les documentaires de voyage et les récits d’aventure, qui me fascinaient. Très vite, le rêve de devenir journaliste a commencé à grandir. Comme beaucoup, c’est le mythe du grand reporter, du journaliste caméléon, qui m’attirait. Pouvoir vivre mille vies en une, parcourir des pays, rencontrer des personnes qu’il ne m’aurait certainement été impossible de voir sans le prétexte du micro tendu. C’est un métier merveilleux, pouvoir faire parler les gens, ils nous ouvrent des bribes de leur vie, on crée du lien. Celui d’être un « passeur d’histoires », entre deux continents, des cultures et classes différentes.

Comment vous informez-vous ?

Je commence mes journées par une revue de presse de l’actualité de ma zone de travail, le Sahel. Je suis la presse internationale spécialisée, Le Monde Afrique, RFI, Jeune Afrique… J’aime aussi beaucoup acheter les journaux locaux, il y a une vraie culture de la presse d’investigation au Burkina Faso, avec des bimensuels de grande qualité. Je reçois des alertes par mail, par mot clé (« Burkina Faso », « Sahel »), puis je consulte les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, les groupes WhatsApp… C’est assez fastidieux et chronophage, mais ça me permet de m’imprégner des questions qui font débat et j’y puise souvent des idées de sujets. J’essaie aussi de garder un œil sur l’actualité française et internationale, avec des contenus plus posés, des analyses, des reportages colorés. J’aime regarder aussi les nouveaux formats qui se créent, les webdocumentaires, les podcasts.

Pourquoi le Burkina Faso ?

J’ai choisi de m’installer au Burkina Faso en 2018, après mon stage de fin de master en école de journalisme, que j’ai réalisé à Reuters TV, à Dakar au Sénégal. Je n’ai pas étudié l’histoire du continent, la richesse de ses royaumes et ses empires, le passé douloureux de la colonisation à l’école. Nous avons une histoire commune forte, pourtant on connait si mal ce continent. Il me semblait que l’on parlait à la télévision de « l’Afrique » souvent avec le même prisme, à travers les conflits, les famines, les troubles post électoraux.

Ce continent me faisait peur et rêver à la fois. J’étais pleine de fantasmes et de préjugés. Il me semblait qu’il y avait là-bas des histoires que nous ne racontions pas. Des récits oubliés, effacés. Je voulais m’y installer pour apprendre, pour suivre l’actualité d’un pays au long court, plutôt qu’en faisant des allers-retours.

J’ai contacté plusieurs rédactions parisiennes à la recherche d’un poste de correspondante dans la région. Le Monde Afrique était intéressé par des reportages au Burkina Faso. Je ne connaissais pas ce pays, j’avais entendu parler de son insurrection populaire, de l’ancien président révolutionnaire Thomas Sankara, de la richesse de sa culture et ses valeurs de tolérance et d’hospitalité. Et je suis partie, avec une petite valise, un carnet et mon appareil photo. J’y suis restée cinq ans. Ce sont les Burkinabè qui m’ont tout appris.

Comment décririez-vous la situation actuelle au Burkina Faso ? Quels sont les principaux défis auxquels la population est confrontée ?

La situation est très préoccupante… Les attaques des groupes terroristes sont quasi quotidiennes. Plus de 10 000 personnes ont été tuées depuis le début de l’insurrection djihadiste, en 2015. Une grande partie du territoire échappe au contrôle des autorités. Les violences ont provoqué une grave crise humanitaire, deux millions de personnes sont déplacées, un Burkinabè sur dix souffre de la faim. Les civils sont les premières victimes des violences. Face à l’insécurité, l’armée a pris le pouvoir, deux coups d’Etat ont eu lieu en 2022. La junte mène depuis des opérations militaires offensives et impose une propagande dans la lutte contre le terrorisme. La liberté de la presse et d’expression sont menacées.

En tant que journaliste, quelles difficultés avez-vous rencontrées pour couvrir les événements récents au Burkina Faso ?

Les difficultés sont nombreuses pour les journalistes restés sur place. D’abord la contrainte sécuritaire, il est très difficile de sortir de la capitale à cause du risque d’enlèvement et d’attaque des groupes terroristes. Très peu de journalistes peuvent se déplacer sur le terrain. 

Puis le climat de peur qui s’est progressivement installé depuis les deux putschs en janvier et septembre 2022. La crainte des sources au téléphone d’être écouté par les djihadistes mais aussi d’être surveillé par les autorités. Il y a des pressions directes des autorités, des rappels à l’ordre contre ceux qui contrediraient la propagande officielle. Des activistes ont été arrêtés. Des journalistes ont été convoqués pour des recadrages. Plusieurs ont été menacés de mort sur les réseaux sociaux par les soutiens des militaires. La junte a suspendu la diffusion de RFI et France 24. Nous avons été expulsées, en moins de 24 heures, avec Agnès Faivre, ma consœur du journal Libération, le 1er avril dernier, sans aucun motif. Des campagnes de dénigrement et de désinformation sont menées sur les réseaux sociaux contre les médias français, dans un contexte de tension avec l’ancienne puissance coloniale, la France.

Quelles sont les histoires les plus marquantes que vous avez couvertes au cours de votre séjour au Burkina Faso ?

Beaucoup de visages… Mon premier reportage, sur la veillée nocturne des femmes pour puiser de l’eau aux fontaines de leur quartier, faute de robinets fonctionnels chez elles, ce médecin qui « répare » les jeunes filles, victimes d’excision, ce paysan qui lutte contre la désertification qui grignote ses terres arides, ces veuves de militaires tués au front lors des opérations antiterroristes, et aussi, tous ces artistes, des metteurs en scène, des danseurs, des cinéastes, qui continuent de créer, pour résister.

Comment pensez-vous que les médias peuvent aider à apporter des changements positifs dans des pays en difficultés politiques, économiques et sociales comme le Burkina Faso ?

Je crois que dans un contexte de crise, le journaliste a avant tout un rôle d’alerte, de « réveilleur des consciences ». Il doit porter la voix des victimes des tueries, des conflits, des injustices. Mais au-delà de la guerre, plutôt que de compter les morts, les attaques, j’ai envie de raconter surtout, la vie qui continue malgré tout, souvent loin des projecteurs. Parler de ceux que l’on oublie, qui subissent ou qui résistent, qui construisent quand tout s’effondre, qui créent pour ne pas se résigner, qui s’efforcent de rêver, pour ne pas désespérer. Mettre des visages, raconter leur histoire. Au Sahel, la guerre est complexe, de plus en plus désincarnée. Il y a une fatigue des récits purement sécuritaires, je crois qu’il faut tenter de changer de narratif.

Je crois aussi à la fonction sociale du journaliste, qui peut créer des ponts, tisser des liens entre les peuples. Quelle chance nous avons de pouvoir parler à une multitude d’acteurs, accéder aux différentes strates de la société, des salons feutrés des gouvernants, aux paysans dans leur champ, pouvoir rentrer dans l’intimité d’un foyer, parler aux nantis mais aussi aux plus démunis. En portant leur voix, en transmettant des images, des émotions, certaines histoires peuvent toucher et faire bouger les lignes. Peut-être transmettre un souffle d’espoir ou inspirer certains.

Le journalisme de solutions est de plus en plus populaire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous et comment pensez-vous que cela puisse aider à résoudre les problèmes dans des pays tels que le Burkina Faso ?

C’est tenter de poser un regard optimiste et bienveillant, sans complaisance ni naïveté bien sûr, mais en s’efforçant de se dépêtrer du cynisme ambiant, omniprésent lorsque l’on couvre des drames. C’est essayer de cultiver une capacité d’étonnement, de curiosité pour des sujets qui a priori ne nous intéressent pas, chercher à apprendre sans cesse, penser contre le narratif dominant. Choisir de faire un pas de côté des événements, prendre un chemin inverse quand les caméras se rivent vers un point convergent. C’est le pari de l’audace, face à la facilité.

Comment choisissez-vous les histoires que vous couvrez dans le cadre du journalisme de solutions et comment vous assurez-vous de présenter des solutions crédibles et efficaces aux problèmes que vous identifiez ?

La presse nationale au Burkina Faso regorge d’idées de sujets d’initiatives pratiques et originales. C’est une mine d’idées de reportages. J’aime beaucoup aussi me promener, discuter avec les gens au marché, dans les kiosques à café. La rue, un espace de vie et de travail central dans ce pays, est pour moi une grande source d’inspiration.

Je choisis mes sujets selon leur pertinence et leur impact sur les problèmes confrontés. Je mène toujours ma contre-enquête pour connaître, au-delà du projet présenté, la perception des gens autour.

Comment fonctionne le statut de journaliste indépendante ?

J’ai le statut de journaliste pigiste, je collabore avec plusieurs médias, principalement Le Monde, mais aussi régulièrement avec le quotidien régional Ouest-France, qui accorde une grande place à l’actualité internationale, et le magazine L’Express. Pour vivre de ce métier, les correspondants sur le continent travaillent la plupart du temps pour plusieurs médias. En cas d’actualité dite « chaude », il arrive que d’autres médias plus généralistes nous appellent pour un papier ou une intervention ponctuelle. J’aime beaucoup cette liberté, de pouvoir choisir mes sujets et jongler avec les formats et les angles.

Pourriez-vous nous raconter dans les grandes lignes l’histoire que vous abordez dans votre podcast qui vous a valu le prix Reporters d’Espoirs 2022 ?

Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une série lancée par l’hebdomadaire « L’Express », intitulée « Horizons africains », sur des initiatives innovantes utilisant les technologies satellites, des drones ou l’énergie solaire pour améliorer le quotidien des populations sur le continent.

La rédaction m’a proposé de réaliser un reportage sur la plateforme « Garbal », un outil original et concret qui aide les éleveurs au Sahel à s’adapter, face à la désertification et à l’insécurité qui entravent leurs déplacements. C’est une plateforme d’appel qui permet aux paysans de consulter la météo, localiser les pistes de transhumance sécurisées, les points d’eau pour les animaux, etc. Je suis très heureuse que ce prix mette la lumière sur la condition des éleveurs nomades de la région et contribue, surtout, à poser un autre regard, plein d’espoir, sur la crise au Sahel, où l’avenir ne cesse malheureusement de s’assombrir. Dans la région, les éleveurs font partie des premières victimes de l’insécurité, des conflits et de la sècheresse.

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

Mariette Darrigrand : « Le décryptage pourrait constituer un quatrième genre journalistique, outre le fameux triangle reportage-éditorial-portrait. »

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Mariette Darrigrand, sémiologue, directrice du cabinet des Faits et des Signes

Sémiologue spécialiste du discours médiatique, co-fondatrice de l’Observatoire des mots, auteure de nombreux ouvrages dont le dernier, Une épopée du féminin, est paru en octobre 2022 aux éditions Eyrolles, Mariette Darrigrand analyse l’usage des mots dans les médias, leur sens, les images qu’ils véhiculent. Au travers d’études ad hoc, de conseil auprès des rédactions et d’un travail de veille sur le langage médiatique, elle s’intéresse aux récurrences, aux thèmes qui gagnent en popularité ou perdent en engouement, et à ce que ces évolutions nous disent des changements de notre société.

À l’occasion de la publication du deuxième numéro Nature : vous n’avez encore rien vu ! de la revue papier Reporters d’Espoirs, elle partage ses observations sur l’évolution de la représentation de la nature dans le discours médiatique.

Vous définissez les mots comme des bassins sémantiques, des clusters de représentations, d’images et de signes. Avez-vous remarqué des changements dans l’emploi du mot « nature » ? Que nous disent-ils sur nos représentations de la nature ?

D’une façon générale, notre rapport à la nature – celui de la société occidentale – a beaucoup changé sous l’influence de la prise de conscience écologique, au début des années 2000, période qui marque l’arrivée du concept de développement durable dans les médias grand public. On observe alors un changement de terme : les articles qui traitaient de ces questions parlaient jusque-là d’ « environnement », ils se mettent à parler beaucoup plus globalement du monde. On le voit au travers de la création de rubriques dites « planète » ou « monde durable ». Ces rubriques étaient souvent illustrées par une image récurrente, où l’on voit deux mains qui portent de la terre comme si elles la présentaient sur un autel religieux. C’est l’idée du sustainable development (en français le « développement durable ») car étymologiquement, sustainable veut dire « tenu par en-dessous ». Ainsi se renverse l’ordre normal du monde : auparavant l’être humain marchait sur la terre, et tout d’un coup, le voilà qui la porte. Il en devient responsable.

Vous observez l’essor, depuis une dizaine d’années, du terme « vivant » pour parler de la nature. Comment expliquer ce glissement de termes ?

Le vivant remplace le mot « nature » sous l’influence de travaux d’anthropologues, en particulier Philippe Descola en France, très médiatisé. Dans son livre Par-delà nature et culture (2005), il affirme que « la nature n’existe pas », qu’elle est une construction culturelle occidentale qui justifie l’exploitation et la domination de formes de vie non-humaine. Philippe Descola s’est déplacé chez les peuples d’Amazonie, par exemple, lesquels sont animistes. Cela signifie que pour eux, la nature n’est pas à dominer mais à écouter, car elle a une âme, comme l’Homme. Quand on a cette vision de la nature, on ne la violente pas. Aujourd’hui, cette remise en question de notre rapport à notre environnement influence énormément les jeunes chercheurs et les médias qui s’intéressent à la question. La nouvelle pensée anthropologique, relayée par le discours médiatique, utilise donc le terme « vivant », qui crée un continuum entre tous les êtres : il y a de l’ADN commun entre le mammouth, la bactérie ou le moindre légume, et l’Homme.

Ce continuum est-il compatible avec l’idée de développement durable, dans laquelle l’Homme se place en gestionnaire et s’extraie de la nature pour pouvoir la préserver ?

Les deux conceptions se croisent et s’hybrident. On le voit avec la permaculture, l’agriculture régénératrice, toute cette nouvelle manière de cultiver la terre avec des pratiques beaucoup plus respectueuses et moins dominatrices, beaucoup moins en surplomb. Des pratiques responsables. Cette idée de la responsabilité humaine caractérise le développement durable, selon lequel c’est désormais à l’Homme de soutenir la nature en étant humble devant elle. Il y a tout un vocabulaire de l’humilité, au sens propre, puisque « humilité » vient de « humus », la terre. L’Homme du XXIème siècle se fait petit devant la nature, et la travaille en respectant ses cycles biologiques, en se gardant de trop intervenir. La nature retrouve sa valeur sacrée, et l’Homme redevient son serviteur. On relève dans ce discours une filiation avec la tradition contemplative, que portent aussi bien le romantisme que la religion chrétienne.

Bien qu’on admette aujourd’hui les limites de la nature, vous remarquez que son génie adaptatif est de plus en plus reconnu. D’après le discours médiatique, l’Homme doit-il respecter la nature parce qu’elle est puissante, ou au contraire parce qu’elle est fragile ?

Encore une fois, les deux pensées se croisent. L’écologie nous a fait réaliser la finitude de la nature. Par son action, l’Homme a épuisé des ressources qui au départ, dans l’idée de l’abondance biblique, étaient infinies. Toutefois, la nature demeure puissante dans ses grands mécanismes. Il est donc intéressant de l’observer pour son intelligence, une prise de conscience qui a inspiré le biomimétisme, utilisé d’abord en design, puis en sciences, en médecine… On regarde comment la nature fonctionne parce qu’elle a un puissant génie de production. C’est une révolution mentale, de penser qu’elle a mieux fait les choses que beaucoup de créations humaines. On assiste à une forme d’hybridation des intelligences, avec d’un côté l’ingéniosité humaine, de l’autre les mécanismes d’adaptation de la nature. Je remarque d’ailleurs que le mot « adaptation », issu de l’industrie classique, s’impose depuis quelques années à la place du terme « réparation », qui avait un sens à la fois matériel (réparer un objet) et moral (réparer une faute).

Le terme « sauvage » pour désigner la nature gagne en importance dans le discours médiatique. D’où provient cet engouement ?

La notion de « sauvage » vient du monde intellectuel et a été très bien décrite dans des œuvres riches et poétiques, comme celles de Vinciane Despret, Baptiste Morizot, Natassja Martin… En plus de posséder de belles plumes, ces auteurs sont de bons personnages médiatiques, intéressants à interviewer. De ce fait, les médias ne se sont pas tellement faits le partenaire critique de cette mode intellectuelle, mais plutôt sa caisse résonnante. Or pour moi, l’une des fonctions du journalisme, c’est bien de produire une critique des discours. Autrement, il ne fait pas écran à la diffusion idéologique. Et cette diffusion culmine avec le mot sauvage, que les médias reprennent parce qu’il est beau, sans en faire la critique ni l’histoire. C’est peut-être plus élégant de parler de l’ensauvagement d’un pré que de sa jachère, mais il y a des connotations, en particulier politiques, derrière ce terme. On parle aujourd’hui de l’ensauvagement des villes, on a parlé hier des « sauvageons » de banlieue [ndlr : le terme de sauvageons, employé par le ministre de l’Intérieur pour désigner les mineurs multirécidivistes, fait polémique depuis 1999]. Le mot sauvage a plein d’acceptions, et je trouve que les médias devraient pousser davantage l’analyse, plutôt que de simplement s’arrêter sur un terme à la mode. Surtout que nous sommes dans une période très idéologique aujourd’hui, avec une lutte sur le langage. On ne peut pas se contenter d’être pour ou contre un vocabulaire, d’accepter un terme et d’abandonner les autres. Au contraire, ce qui est intéressant, quand une société se donne un autre mot – par exemple « vivant », « sauvage » – c’est de faire jouer les deux paradigmes, ancien et nouveau. Ce n’est pas parce qu’on parle davantage du « vivant » qu’il faut tuer la « nature ».

Vous travaillez avec des rédactions sur le vocabulaire qu’elles utilisent. Est-ce qu’une telle réflexion est compatible avec les délais, les contraintes de nombre de signes ou de durée d’émissions, qui s’appliquent au journalisme ?

Oui, au travers du décryptage, qui constituerait alors un quatrième genre journalistique, outre le fameux triangle reportage-éditorial-portrait. Lorsque je travaille avec des rédactions, je leur dis que c’est dommage qu’elles n’aient pas une quatrième dimension, qui serait celle de la critique du discours, ambiant comme médiatique. Je pense que c’est important, sur les thèmes liés à l’écologie et à la nature, de ne pas passer d’un paradigme à un autre, par exemple, passer de la domination à la dévotion. Il faut garder les deux conceptions, voir comment elles se nourrissent, et les critiquer toutes deux. Cette dimension est d’ailleurs attendue par le public, qui n’a pas envie de gober tout ce que les médias disent. Ces derniers doivent donc se demander quelles idéologies ils colportent lorsqu’ils parlent.

Propos recueillis par Louise Jouveshomme.

Mardi 11 avril. Rencontrons-nous à Toulouse !

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« L’économie sociale et solidaire mérite-t-elle d’être (davantage) médiatisée ? »

Le Club de la presse Occitanie et l’ONG Reporters d’Espoirs s’associent pour vous proposer une discussion-débat visant à échanger sur les bonnes pratiques et la manière de donner à l’ESS sa juste place dans l’espace médiatique. Rendez-vous le mardi 11 avril 2023 à 18h30 aux Halles de la Transition, 31000 Toulouse.  

Au programme :
18h30 Accueil
18h45 Débat et échanges avec le public
20h Échanges informels au Café des Halles de la Transition

Avec
Raphaëlle Duchemin, Journaliste, BFM Business, Marcelle le média, ex Europe 1/RMC/Franceinfo;
Timothée Duverger, Docteur en histoire, directeur du master « ESS et innovation sociale » à Sciences Po Bordeaux, auteur;
Pascale Lagorce, Rédactrice en chef à France 3 Occitanie / Midi-Pyrénées;
Christophe Agnus, Président de Reporters d’Espoirs, éditeur, ex grand-reporter (L’Express) et dirigeant de médias (Mondadori, Vivendi);
Anne-Marie Fontaine, cofondatrice, Les Imaginations Fertiles;
et Sarah Rousseau, directrice générale, CRESS Occitanie.

« Entreprise à mission », « politique d’engagement », « raison d’être », « responsabilité sociale et environnementale » : aux nouvelles attentes de la société répondent un nouveau vocabulaire et de nouvelles pratiques dans le monde de l’entreprise. 
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, associations, fondations), qui représentent entre 7 et 10% du PIB et 10 à 14% de l’emploi en France, revendiquent ces mêmes valeurs depuis plus d’un siècle, inspirent parfois l’économie conventionnelle, à tel point que certains prétendent détenir les clés d’une « alternative » porteuse de solutions économiques, sociales, écologiques.

Quels atouts l’ESS a-t-elle réellement à faire valoir auprès des médias ? Qu’est-ce qui est positif et négatif dans le traitement journalistique dont elle est l’objet ? 
Les acteurs de l’ESS sont-ils suffisamment bons pour formés pour parler aux les journalistes ?
Que faire de mieux ?

Laurent de Cherisey : « Les plus fragiles sont en réalité les premiers de cordée. »

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Laurent de Cherisey, entrepreneur social, co-créateur de Reporters d’Espoirs et écrivain

À l’occasion de la sortie de son livre Partager peut tout changer, Laurent de Cherisey revient sur son parcours, de ses débuts dans l’entreprenariat à la création des Maisons Simon de Cyrène. Il nous éclaire sur Reporters d’Espoirs et le journalisme de solutions dont il a œuvré à l’émergence.

Comment ce concept de « reporters d’espoirs » vous est-il venu ?

Tout a commencé lorsque mon épouse a souhaité renouveler sa pratique journalistique. Elle envisageait d’accorder davantage de temps aux rencontres, les formats de reportages qui lui étaient confiés jusque-là ne lui laissant pas cette liberté. De mon côté, plongé dans l’entrepreneuriat, je me posais beaucoup de questions sur le sens que je voulais donner à mon métier. À ce tournant de nos vies professionnelles, nous étions en quête d’un nouveau projet de grande envergure.

Alors nous avons embarqué pour un tour du monde avec nos cinq enfants. Du Brésil au Vietnam, de l’Inde à la Sibérie, l’itinéraire s’est construit au fil de nos rencontres avec des hommes et femmes œuvrant pour la justice. Cette aventure de quatorze mois, nous l’avons retransmise sous deux formats : des reportages vidéo diffusés à la télévision sur France5, et deux tomes d’un ouvrage intitulé Passeurs d’espoirs.

D’une certaine façon, c’est ainsi que les « reporters d’espoirs » sont nés. Face aux grands défis comme la lutte contre la pauvreté, la violence ou la crise environnementale, nous avons eu la volonté de mettre en lumière que tout n’est pas perdu, qu’il existe de nombreux héros qui ne sont pas nécessairement médiatisés et qui agissent pour le bien commun en cherchant des solutions. En somme, nous avons compris qu’il fallait s’emparer de cette envie d’agir qui sommeille en nous pour lutter contre le sentiment d’impuissance qui menace parfois de nous submerger.

Cette démarche est donc pionnière du journalisme de solutions ?

Notre objectif premier était de rencontrer des personnes originaires des pays visités pour mettre en avant dans nos reportages comment elles avaient concrètement relevé les défis inhérents à leurs territoires. Les résultats que nous avons observés étaient souvent extraordinaires. Cependant, nous ne souhaitions pas pour autant dissimuler la réalité des faits. L’idée n’est pas de voir le monde avec une paire de lunettes roses, chaque mission est jalonnée de problèmes et d’obstacles. Nous avons donc opté pour une approche exposant à la fois les succès et les limites des initiatives abordées. Un des premiers jalons du journalisme de solutions était posé. 

Qu’est-ce qui vous a conduit à fonder ensuite les maisons partagées Simon de Cyrène ?

Dans les années 80, ma sœur, alors âgée de dix-sept ans, a été victime d’un accident qui l’a rendue lourdement handicapée. Nous avons dû réinventer tout notre système de vie commune, chacun étant appelé à être co-acteur de son nouveau chemin de vie.

Le handicap, on plonge dedans, on ne l’a pas choisi. La question qui se pose alors est : comment fait-on pour que la vie retrouve du sens ? Je crois que c’est par l’autre. « Être » n’est pas un verbe d’état comme paraître, sembler, devenir, passer pour. C’est un verbe d’action, de relation. Quels sont nos espaces de relation ? Et leur altérité ? Pour redonner un sens à une vie marquée par le handicap, il faut penser innovation sociale.

En nous disant « j’ai besoin de toi », les personnes handicapées ont un rôle décisif puisqu’elles nous accordent leur confiance. À une époque où la performance de nos actions prime, elles nous appellent à dépasser notre peur de la fragilité et à oser une relation fraternelle.

Notre société crée beaucoup de solitude : il s’agit de la plus grande des maltraitances. Les échanges que j’ai eu avec mes amis à ce sujet m’ont conduit à imaginer ce système de maisons communes, d’une maison de la planète.

Pourquoi ces maisons sont-elles surnommées maisons des intouchables ?

Intouchables met en scène deux personnes en marge de la société, dont la plus grande souffrance est la solitude. Le film a révélé au grand public Simon de Cyrène, présidé par Philippe Pozzo di Borgo, l’homme d’affaires tétraplégique dont s’inspire le scénario. L’association fait cette promesse incroyable de maisons pensées, construites et habitées par des personnes handicapées, des salariés, des bénévoles. Ce sont des passeurs d’espoirs, porteurs de solutions. Les médias ont ainsi surnommé notre initiative les « vraies maisons des intouchables ».

Ce système s’est-il développé ?

Aujourd’hui, il existe vingt-cinq maisons partagées Simon de Cyrène, et il y en a tout autant qui sont en cours de construction. En 2015, notre association a reçu le prix de l’Elysée pour La France s’engage. Notre projet a alors pris de plus en plus d’ampleur :  cette innovation est finalement devenue un bien social, inscrit dans la loi sur l’habitat inclusif de 2018. 

Qu’est-ce qui vous a inspiré l’écriture de ce nouveau livre ?

Partager peut tout changer est à prendre comme un parcours dans lequel j’ai tenté de mettre en lumière l’utilité du rapport social qui se tisse au sein d’une maison commune. La réciprocité des relations conduit à des échanges, au décloisonnement de la société dans son rapport au temps, un rapport suspendu hors du temps. Il y a une dimension spirituelle qui émane de ce mélange de personnes toutes dotées de richesses variées. Les liens qu’elles tissent sont féconds et source d’une immense joie.

Ce livre se fait témoin de la promesse universelle de nos maisons partagées :  celle d’une société forte de par la place que chacun va et peut y prendre.

Si vous deviez résumer Partager peut tout changer en trois mots ?

Fragilité, relation et confiance. Les plus fragiles sont en réalité les premiers de cordée. S’en suit le concept de relation, ce besoin fondamental de l’humain d’exister avec les autres. Et pour finir, la confiance qui est un modèle de croissance pour notre société.

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

Julie Manoukian : « Le journaliste écrit des histoires qu’il lance comme des bouteilles à la mer. À nous d’en faire bon usage. »

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Julie Manoukian, scénariste et réalisatrice de « Fille de paysan », un film à découvrir ce soir à 21h10 sur France 2

Diffusé ce mercredi soir sur France 2, le nouveau long-métrage de Julie Manoukian, Fille de paysan, est une ode à la solidarité. Il retrace l’aventure d’une famille d’agriculteurs, les Pécourneau, sauvés de la faillite grâce à la médiatisation d’une cagnotte solidaire lancée par leur fille Émilie, alors âgée de quinze ans. Résurgence des problématiques rurales au cinéma, pouvoir des médias et engagement pour l’environnement, autant de thématiques que nous avons pu aborder avec la réalisatrice du film.

Fille de paysan, tout comme votre premier film Les Vétos, touche au monde rural. Pourquoi ce choix récurrent ?

Le monde rural est loin de m’être familier : je suis une vraie citadine. Au fil du temps, je me suis prise d’affection pour la campagne. J’ai été happée par les problématiques de cet univers, par ses préoccupations écologiques, sa quête d’amélioration des conditions de vie. C’est un milieu auquel je me suis familiarisée puis attachée.

Les Vétos fut un heureux hasard, une idée qui m’a été soufflée par le producteur Yves Marmion. Cette expérience cinématographique m’a ouvert les portes du monde rural et d’une multitude de sujets passionnants. Tout y est plus ou moins lié : des vétérinaires de campagne aux agriculteurs, il n’y a eu qu’un pas.

Quelles ont été vos inspirations cinématographiques ?

Pendant la préparation des Vétos, je me suis éprise de Seule la terre, film du scénariste Francis Lee. Il conte l’histoire d’un fils unique, Johnny, contraint de reprendre la ferme de son père malade. Il subit son quotidien, jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un saisonnier roumain qui rêve de mener cette vie. Son appréhension de la vie paysanne  va s’en trouver complètement bouleversée.

Le scénario se construit dans une démarche naturaliste. La recherche d’esthétisation, entre nature et émotions, engendre une harmonie à laquelle j’aspire.

Il semble y avoir une résurgence de la ruralité au cinéma, comment l’expliquez-vous ?

À l’image du journalisme, le cinéma possède ses marronniers, des sujets qui reviennent tous les ans à l’écran. Ils touchent aussi bien les habitués qu’un un public avide de nouvelles réalités.

La ruralité appelle des histoires qui permettent une prise de conscience, et cette dernière augmente désormais. Il y a quelques décennies, on ne parlait pas spécialement de l’avenir du monde rural ni de ses répercussions sur l’alimentation et l’inflation. Aujourd’hui, ces thématiques sont à traiter en urgence.

Par ailleurs, lors de mes premiers contacts avec des gens du milieu, j’ai été frappée par cet écueil des représentations entre le monde urbain et rural. J’ai la sensation inexplicable qu’on cherche à nous dresser les uns contre les autres. Les citadins sont perçus comme des consommateurs ignorants de la réalité de la campagne, tandis que les agriculteurs seraient des éleveurs pollueurs sans scrupules. La réalité est toute autre. Les agriculteurs traversent des difficultés immenses au quotidien. Ils veulent le meilleur pour l’environnement et leurs bêtes, dont ils s’occupent avec tendresse. La mauvaise médiation qui est faite entre la ville et la campagne crée un profond clivage. Il faut y remédier, et le cinéma peut y contribuer.

Ce film est l’adaptation d‘une histoire vraie, celle de la famille Pécourneau. Racontez-nous sa médiatisation.

Il y a quatre ans, Émilie Pécourneau, fille d’agriculteurs, a lancé une cagnotte pour tenter d’extirper sa famille d’un gouffre financier. Au bout de quelques semaines, sa démarche a commencé à être médiatisée. Lorsque Jean-Pierre Pernaut s’en est emparé au cours d’un de ses JT, il y a eu un effet boule de neige. Un puissant système de solidarité s’est mis en place.

Mintee Studio a repéré le potentiel d’adaptation de l’histoire à l’écran, et c’est aux côtés de la scénariste Monica Rattazzi que le film s’est écrit. J’ai rejoint l’aventure en août 2021. J’avais pour mission la réalisation de cette fiction qui s’inspire de la force du vécu.  Le réalisme y joue un rôle important. Il s’agit d’un rouage émotionnel indispensable pour les spectateurs. Il leur permet d’être plus enclins au sensible. Dans Fille de paysan, c’est la vie de la famille Pécourneau qui sert de point de départ pour aborder les difficultés que vivent les agriculteurs. Ma démarche était donc de créer une fiction à partir de leur réalité.

Que pensez-vous du pouvoir des médias ?

Les médias sont des outils humains, ils ne sont ni bons ni mauvais. À l’instar de Fille de paysan, ils peuvent être à l’origine d’une grande solidarité. Les pouvoirs publics ont leurs limites. Le journalisme peut contribuer à les pallier en usant de la puissance de la médiatisation. Le journaliste écrit des histoires qu’il lance comme des bouteilles à la mer. À nous d’en faire bon usage.

Tous les matins, j’ai le réflexe d’effectuer une revue de presse. Elle me permet de rester à l’affût de ce qui se passe autour de moi. Je suis abonnée à plusieurs journaux – Libération, Le Monde, The Guardian et le New York Times. Je consomme aussi de nombreux podcasts, notamment ceux d’Arte Radio. Ils me sont d’une grande utilité lorsqu’il s’agit d’écrire de la fiction. Je suis inquiète du sort que l’on réserve aux journalistes car nous avons besoin d’eux.

Un contenu médiatique a-t-il déjà influencé chez vous un engagement ?

Avant que je ne quitte les réseaux sociaux, j’étais ancrée dans ces algorithmes qui nous proposent en boucle des recommandations selon nos centres d’intérêts. Ils m’ont notamment conduite à une vidéo de Greta Thunberg, tournée avec un smartphone. On la voit prendre la parole au cours d’un déjeuner, debout sur une estrade. A regarder cette jeune fille de quatorze ans s’adresser aux adultes avec une telle éloquence, j’ai perçu quelque chose de fictionnel, qui relève de « l’enfant empereur ». Tandis qu’ils l’applaudissent tous, elle leur rappelle qu’ils sont coupables de l’état actuel de la planète.  Sans tomber dans la moralisation écologique, ceci a provoqué en moi une sorte d’électrochoc. J’ai alors cherché à placer la nature, l’environnement et l’écologie au cœur de bon nombre de mes démarches.

« Information » et « solutions » peuvent parfois paraître antinomiques. Est-ce que le « journalisme de solutions » ça vous parle ?

J’aime cette idée qu’on puisse soulever les questions angoissantes provoquées par l’écosystème, afin d’y apporter des réponses. La presse anglo-saxonne en est férue. The Guardian par exemple donne souvent à ses lecteurs des pistes de réflexion positives à explorer. Je trouve cette démarche chouette, et humainement essentielle. Bien qu’il ne s’agisse pas du travail du journaliste à la base, il serait intéressant de démocratiser la recherche de positif et de solutions dans le traitement de l’information.

Quelle place accordez-vous à l’espoir dans votre nouveau film ?

Dans ce cas précis, le scénario est un exemple idéal de réalité qui dépasse la fiction. Il y a un véritable paradoxe : on n’aurait jamais écrit un récit comme celui-ci, on aurait trouvé ça trop gros. Le pouvoir du collectif a permis de rendre cette histoire évidente à raconter. On n’en parle pas assez, mais l’espoir peut être rallumé très vite. Je ne parle pas de techniques comme le greenwashing, qui endort la conscience des gens pour les rassurer, mais de vérités inspirantes comme celle véhiculée par l’histoire des Pécourneau. Durant le visionnage de Fille de Paysan, on accède à ses émotions et on se sent moins seul. C’est un moment de partage hors du temps, après lequel on repart au combat, empli d’espoir.

Fille de paysan, disponible gratuitement en replay sur la plateforme France.tv durant les sept prochains jours.

Propos recueillis par Sixtine Guellec.

Françoise Tovo, directrice déléguée au développement des services abonnés chez Le Monde

Françoise Tovo : « Avec le Fil Good, on veut montrer par des bulles d’espoir que tout n’est pas négatif dans l’actualité. »

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Françoise Tovo, directrice déléguée au développement des services abonnés chez Le Monde

À sa sortie d’école de journalisme, Françoise Tovo fait ses premiers pas au Monde en 1988. Secrétaire de rédaction chargée de la publication mensuelle Le Monde de l’éducation pour son premier poste,elle occupe différentes fonctions comme adjointe à la direction artistique, cheffe d’édition, puis rédactrice en chef. Trente-cinq ans après son arrivée, elle y officie toujours avec un profond enthousiasme comme directrice déléguée au développement des services abonnés. À son actif : l’accompagnement de la mutation numérique du journal, la supervision des newsletters, la recherche de sources de diversification éditoriales. Dont la newsletter Le Fil Good, adoptée par 78 000 lecteurs, et à laquelle Reporters d’Espoirs n’est pas resté insensible…

Comment l’idée de la newsletter « Le Fil Good » vous est-elle venue, et de quoi s’agit-il ?

Avec le Fil Good, on veut montrer par des bulles d’espoir que tout n’est pas négatif dans l’actualité. 

Cette newsletter est née de façon prosaïque, à la rentrée de septembre 2020. Après le premier confinement, le moral n’était pas haut. Au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, notre directeur de la rédaction de l’époque, Luc Bronner, nous partageait son sentiment de découragement : « C’est terrible, tout va mal, on va mourir de désespoir. On continue de raconter des histoires positives, de rencontrer des gens formidables, mais ça ne se voit pas ». Il fallait trouver un moyen d’y remédier.

Le Monde est avant tout un média généraliste : l’actualité, avec tout ce qu’elle a de terrible, sera toujours privilégiée. Bien que le positif soit présent, il est difficile à repérer dans nos formats journalistiques et le rouleau-compresseur de la grosse actualité. Aussi une newsletter recensant nos articles positifs, à laquelle les abonnés souscrivent librement, nous a semblé être le meilleur compromis.

L’existence même du Fil Good a-t-elle incité les journalistes à rédiger des articles plus positifs ?

Durant les six premiers mois, en effet, il y a eu plus de papiers à tendance positive, par effet d’entraînement. Puis l’actualité « dure » a repris le dessus, mais on déniche encore malgré tout une demi-douzaine d’article « Fil Good » par jour. Ces contenus viennent de rubriques variées – économie, société, international, ou encore du cahier L’Epoque, consacré aux petits changements et grandes mutations de nos vies quotidiennes.

Par exemple, un article qui met en avant la baisse du chômage et qui relativise la récession en Europe : c’est Fil Good. Un autre article sur une biotech française qui va tester aux Etats-Unis une molécule prometteuse contre le diabète : c’est Fil Good. 

Comment faites-vous pour susciter des reportages ?

Il n’y a pas d’articles commandés spécifiquement pour le Fil Good. Les journalistes pensent à nous envoyer leurs papiers quand ils les considèrent en phase avec la newsletter, ou bien ils les taguent directement de façon à les faire remonter dans la page Fil Good du site, ou bien encore nous allons à la pêche aux contenus dans l’ensemble de la production réalisée. La sélection est faite par des êtres humains orientés par leur subjectivité, et c’est assumé. On met en avant les contenus que nous avons eu plaisir à lire, qui rendent heureux, qui pétillent et nous surprennent.

Vous avez interrompu Le Fil Good… avant de le relancer ! À la demande de vos lecteurs ?

Lors de sa création, une partie de la rédaction se sentait désœuvrée. De nombreux journalistes s’étaient réorientés sur la couverture du Covid, et d’autres ont participé à Fil Good. En mars 2022, le noyau dur de la newsletter a été absorbé par d’autres projets, chronophages, comme ce fut mon cas avec la préparation et le lancement du Monde en anglais, site miroir en anglais du Monde.fr. Il était donc compliqué de continuer. Cette décision a été prise la mort dans l’âme : il a fallu expliquer à nos soixante-cinq mille lecteurs qu’au bout de dix-huit mois on passait à autre chose, même si ça marchait très bien.

Ce qui est malheureux, c’est que le Fil Good s’est arrêté au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. Il y a eu une multiplication de nouvelles très plombantes, et des gens ont pu se détourner de l’information. Ils avaient le sentiment qu’elles ne décrivaient que du noir. La newsletter a alors été relancée en octobre 2022 et a retrouvé son public, et même dépassé les attentes : 78 000 inscrits à ce jour !

Quels sont les retours de vos lecteurs ?

La mise sur pause de la newsletter s’est accompagnée d’une avalanche de messages de personnes éplorées, qui nous demandaient de ne pas nous arrêter, de rester. Ce qui revient le plus dans tout ça, c’est la fatigue informationnelle. Il arrive que des lecteurs envisagent de se désabonner car ils se sentent submergés par le flot de nouvelles négatives et déprimantes : c’est alors le Fil Good qui peut les faire rester lecteurs ou abonnés au Monde. La newsletter leur offre des informations plus rassurantes. Certains nous ont même suggéré d’établir des systèmes de signalétique avec des pastilles vertes, pour mettre en avant l’actualité positive au sein de la masse d’informations effrayantes.

De plus, le Fil Good est un levier de fidélisation : plus les abonnés s’y inscrivent, plus ils sont amenés à rester. Une fois informés et accrochés, ils ne partent plus. C’est également une manière originale de valoriser des papiers passés sous le radar, car peu exposés en Une du site, ou n’ayant pas encore trouvé leur public.

Ce choix d’un format newsletter est-il une évidence ?

Ce qu’il y a de bien avec une newsletter, c’est que l’information qu’elle contient n’est pas imposée. En y souscrivant, les lecteurs donnent leur consentement pour la recevoir, et ils disposent de la liberté de l’ouvrir, de la lire ou non. Cela permet de développer une relation de confiance : s’ils le souhaitent, nous les acheminons vers quelque chose de positif. 

On teste également dans ces formats jusqu’à quel niveau de familiarité positive on peut aller. C’est le cas avec la newsletter Darons, Daronnes, dirigée par Clara Georges.  Elle y fait usage d’un véritable franc-parler pour raconter et partager son expérience et ses questionnements de mère. Cette manière de s’adresser aux gens ne fonctionne pas partout, nos articles se doivent d’adopter une certaine neutralité journalistique. Dans une newsletter, c’est différent : on parle à l’oreille du lecteur. Pour nos rédacteurs, c’est un nouveau terrain de jeu.

Propos recueillis par Sixtine Guellec et Gilles Vanderpooten.

Thierry SIBIEUDE, cofondateur de la Chaire Innovation Sociale de l’ESSEC Business School

Thierry Sibieude : « L’économie sociale et solidaire porte des valeurs humanistes et il n’y a pas besoin d’être de gauche pour être humaniste. »

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Thierry SIBIEUDE, cofondateur de la Chaire Innovation Sociale de l’ESSEC Business School

Professeur Fondateur en 2003, avec Anne Claire Pache, de la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social de l’ESSEC, première initiative du genre consacrée à l’impact social et environnemental dans une Grande Ecole, Thierry Sibieude, docteur en géographie et gestion de l’environnement, est un pilier de la vulgarisation de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France.

Reporters d’Espoirs a publié avec lui son premier cours en ligne intitulé « Mieux comprendre l’ESS pour mieux en parler », disponible gratuitement sur Coursera.

A l’occasion des 20 ans de la Chaire et de son départ à la retraite, Thierry Sibieude revient sur son engagement et sur l’avenir de l’ESS.

« Economie sociale et solidaire » et « école de commerce » peuvent paraitre antinomiques. Vous avez œuvré au rapprochement de ces deux mondes en créant la chaire Innovation Sociale à l’ESSEC. Pourquoi ?

Très engagés dans le mouvement associatif parental au service des personnes handicapées, nous avons créé en 1993, mon épouse et moi, une association pour l’accompagnement des enfants autistes. Par ailleurs mon élection à la vice-présidence du conseil départemental du Val d’Oise m’a conduit à interagir fréquemment avec de très nombreuses associations, notamment dans le domaine de l’environnement et dans le secteur social et médico-social. J’ai ainsi constaté qu’il y avait matière à optimiser les choses, avec plus d’engagement et plus de professionnalisme dans l’organisation et le management.  De ce constat est née cette chaire.

Son objectif était à l’époque, en les adaptant aux spécificités du secteur, de transposer des méthodes fonctionnant dans l’entreprise dans les organisations qui travaillent pour l’intérêt général. Des grandes mutuelles au premier rang desquelles la MACIF, et plusieurs acteurs de l’ESS ont été d’accord pour nous accompagner, parce qu’eux aussi avaient identifié un besoin de professionnalisation en termes de management, de gestion de leurs activités, en complément et au service de leur mission sociale.

20 ans après, quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Quand on a fêté les 20 ans de la chaire le 20 juin dernier sur le campus à Cergy, 200 étudiantes et étudiants sur les 450 que j’ai eu le bonheur d’accompagner dans leur parcours au sein de la chaire étaient présents. Plus de la moitié d’entre eux sont aujourd’hui engagés dans des projets professionnels au service de l’intérêt général, dans des associations, structures de l’ESS, ou départements responsabilité sociale des entreprises (RSE) et même ressources humaines (RH) de grandes entreprises. C’est une belle réussite pour un projet pionnier à l’époque, qui a permis de développer les thématiques de l’ESS d’abord au sein de l’ESSEC puis d’autres écoles.

Nous avons à l’ESSEC créé tout un écosystème : le programme d’égalité des chances à l’école « Pourquoi pas moi ? », l’incubateur social des entreprises de l’ESSEC, un laboratoire d’évaluation de l’impact social des entreprises, les Chaires Philanthropie puis Economie Circulaire… ce qui positionne l’école dans une pratique de longue date et crédibilise son discours.

Il y a 20 ans, c’était assez marginal ! Maintenant les enjeux de l’ESS, et dans le prolongement la RSE, le développement durable et la transition écologique, sont de plus en plus abordés, partout en France et dans toutes les écoles. Nous avons fait école !

Qu’est-ce qui est différent aujourd’hui d’il y a 20 ans dans votre manière d’aborder l’ESS ?

Il y a 20 ans, je travaillais avec ceux qui le voulaient, des volontaires, des jeunes engagés et soucieux de leur responsabilité mais aussi de leur impact sur la société.  Maintenant, ces questions-là concernent tout le monde, et rentrent dans le socle commun de nombreux cursus universitaires. Il faut sensibiliser tous les étudiants de tous les programmes et les former à ces dimensions de l’activité de l’entreprise : il y a donc un défi lié changement d’échelle de ce que nous avons construit. Nos réalisations constituent le noyau et la base de la politique globale de l’Essec au regard des enjeux environnementaux et sociaux.

Comment la France se positionne-t-elle ?

Il est difficile d’établir des classements par pays, mais il est clair que le secteur de l’ESS est très présent en France. Il s’est développé dans le cadre de luttes pour la conquête et la défense de libertés collectives, à travers les mouvements syndicaux et politiques engagés à gauche. Il ont ainsi contribué au déploiement de cette économie qui prenait plus en compte des dimensions humaines et sociales que la dimension financière. Les coopératives agricoles ont aussi joué un rôle important pour répondre aux besoins de l’alimentation et du développement des territoires.

Aujourd’hui, la question des limites du modèle uniquement fondé sur la finance se pose dans tous les pays européens, et tous les pays cherchent des solutions.

Quel regard portez-vous sur la médiatisation de l’ESS ?

Paradoxalement, l’ESS est faiblement médiatisée, alors que c’est une économie dont les caractéristiques devraient séduire les journalistes, notamment ceux qui n’ont pas une formation économique très développée. Dans l’ESS, il n’y a pas d’actionnaires à rémunérer, il y a une logique de marché dans le sens où la concurrence existe et qu’on n’est pas dans un monopole d’Etat mais la priorité reste à la mission sociale de l’organisation (mutuelle, coopérative, association ou Fondation).

De plus, elle repose souvent sur de véritables histoires humaines, que ce soit dans le secteur du logement, de la dépendance, des personnes handicapées, de l’alimentation ou bien encore de l’accès au travail : autant de questions qui donnent lieu à des actions sociales. Mais les acteurs de cette économie souffrent d’un déficit d’image et de médiatisation.

D’où la démarche de créer un « MOOC » (cours en ligne) sur le sujet avec Reporters d’Espoirs ?

Tout à fait ! Pour médiatiser plus facilement et de façon plus pertinente l’ESS, il est essentiel de présenter les bénéfices qu’elle génère et la qualité des solutions qu’elle propose pour la société. C’est ce qu’on essaie de faire avec le MOOC réalisé avec Reporters d’Espoirs. Nous sommes partis du constat que si les journalistes ne parlent pas d’ESS, c’est parce qu’ils ne savent pas ce que c’est. Donc ce support est fait pour les aider et c’est pourquoi il s’intitule « Mieux comprendre l’ESS pour mieux en parler ».

L’ESS c’est des histoires individuelles et des aventures collectives particulièrement riches et emblématiques qui participent à la gestion du bien commun et qui valent la peine d’être racontées. Il faut multiplier les relais et accroître la diffusion de ces initiatives qui méritent respect et considération.

Du côté des acteurs de l’ESS, une grande partie dans le domaine associatif notamment, disent ne pas s’intéresser au marketing, à la communication, aux relations presse. Pourtant ils doivent, dans leur intérêt et dans celui de celles et ceux qu’ils ont choisi de servir, se saisir sans états d’âme des outils et moyens qui permettent de se faire connaître et de promouvoir la cause qu’ils défendent. En même temps, c’est aux journalistes d’aller au-delà des apparences et d’effectuer un travail d’analyse et de mise en perspectives des activités de l’ESS pour les traiter avec à-propos et objectivité.

De quelles apparences parlez-vous ?

De la vision très stéréotypée selon laquelle l’ESS serait un monde de bisounours réservé à la gauche. Que l’on trouve plus souvent ces valeurs dans des partis de gauche, oui, mais pas exclusivement. L’ESS promeut des valeurs humanistes et il n’y a pas besoin d’être de gauche pour être humaniste. Il serait important qu’un certain nombre de journalistes soient capables d’aller au-delà de la vision strictement politique des choses, en dépassant les idées reçues.

Le groupe Bayard Presse est par exemple très pertinent dans son traitement de l’ESS, avec notamment La Croix, Le Pèlerin.  Ce qu’il faudrait, c’est par exemple que Les Echos, Le Monde, Le Point s’engagent avec une vraie démarche d’analyse sur ces thématiques pour les présenter à leurs lecteurs.

Quels sont les principaux enjeux de l’ESS à l’avenir ?

C’est indiscutablement l’évaluation de l’impact social de son action.  Avec trois dimensions. D’une part positionner des actions par rapport aux objectifs du développement durable qui constitue un cadre de référence connu et accepté par tous. Ensuite comment maximiser l’impact sur les populations que l’on sert. Enfin, comment s’investir dans la coopération avec d’autres acteurs, pour faire bouger les lignes.

Propos recueillis par Samuel Delwasse.