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médiatisation du climat

« Serait-ce le retour d’une société unie par un récit collectif ? » Virginie Raisson-Victor

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Virginie Raisson-Victor, analyste en politique internationale et co-auteure pour la célèbre émission pédagogique d’Arte Le Dessous des Cartes, lance le Grand Défi des entreprises pour la planète.

Virginie Raisson-Victor, analyste en politique internationale, co-auteure pour le magazine géopolitique Le Dessous des Cartes à l’antenne d’Arte depuis 1990, et cofondatrice du Lépac (Laboratoire d’Études Politiques et Cartographiques), a récemment lancé Le Grand défi (ex Convention21). Avec 150 représentants d’entreprises françaises tirées au sort, cette initiative inspirée de la Convention citoyenne pour le climat, vise à formuler 100 recommandations d’actions prioritaires pour « décarboner l’économie, régénérer la biosphère et mettre en œuvre une économie compatible avec les limites planétaires ». Les acteurs des médias sont appelés à y prendre part. Entretien.


Comment appréhendez-vous la place des médias aujourd’hui ?

Je pense qu’il devient urgent de repenser la sphère médiatique, qui diffuse chaque jour un lot d’informations négatives, pas toujours représentatives de la réalité mais presque toujours anxiogènes.

Je ne supporte plus d’écouter les informations ou de les regarder à la télévision. L’information en continu ne m’apporte rien de neuf sur ma vision du monde. Je préfère lire la presse qui offre un recul sur l’actualité chaude. Le monde médiatique dans lequel je me retrouve est celui qui prend le temps d’analyser et d’être au plus près des faits. Réaliser une émission de vulgarisation scientifique comme Le Dessous des Cartes, nécessite un arbitrage long et coûteux. Je suis consciente que la pression économique et rédactionnelle empêche les journalistes de s’adapter à ce modèle, et c’est pour cela, je pense, que les médias doivent se réinventer.

A propos du climat, comment devrait-il être selon vous traité médiatiquement ?

Déjà, il faut enseigner ce volet de la réflexion sur le climat dans les écoles de journalisme. Si j’avais un conseil à adresser aux journalistes : lire la synthèse du GIEC et se former, par exemple avec la Fresque du Climat qui en simplement trois heures offre déjà une approche très enrichissante. Ensuite, tant que l’on pensera le climat comme devant se résumer à des pages « planète » au lieu de le considérer comme un sujet transversal, sociétal, politique et économique, il sera très difficile de progresser. Les journalistes doivent saisir le climat non comme un sujet en soi, mais comme un sujet qui rassemble toutes les problématiques actuelles.

Sur le climat toujours, vous avez récemment lancé le projet du Grand Défi des entreprises pour la planète.

L’idée est née avec la Convention citoyenne pour le climat qui, au-delà des polémiques autour de la loi climat a montré l’importance de la pédagogie et du rôle de l’information pour éclairer la décision. Partant de là, nous avons donc décidé avec Jérôme Cohen [Président d’ENGAGE, dont l’ambition est « d’aider les citoyens et les entreprises à se saisir des grands défis du XXIe siècle »] d’adapter ce format aux entreprises, afin de les intégrer au processus de transition écologique. Car les entreprises sont clairement au cœur de la transition. Nous avons donc d’abord écrit une tribune, qui a été signée par plusieurs centaines de scientifiques, d’intellectuels, d’associations, et publiée dans les Échos en décembre 2020. C’est ainsi qu’est né le Grand défi.

Pour avoir un débat le plus inclusif et ouvert possible, nous avons ensuite défini un processus en trois phases.

La première est une phase de consultation des parties prenantes de l’entreprise, mais aussi de la société civile organisée et des territoires.

La seconde phase est celle de l’élaboration des 100 propositions d’actions par les représentants de 150 entreprises tirés au sort. Pour mener leurs travaux, ils seront répartis en trois collèges (dirigeants, salariés et investisseurs) et suivront une session qui leur permettra de « mettre à niveau » leurs connaissances et objectifs sur le climat et la biodiversité

La troisième phase est celle de la diffusion. Par exemple, les propositions seront remises aux acteurs économiques mais aussi à la nouvelle assemblée et au nouveau gouvernement. Au même moment, nous lancerons une plateforme collaborative dédiée à la transformation des entreprises afin qu’elles y trouvent aussi bien des données et des analyses que les outils nécessaires et les solutions disponibles. Pendant cette phase, les médias seront des acteurs clés du succès.

Que souhaitez-vous faire aboutir avec ce processus de convention climat qui impliquera très fortement le monde entrepreneurial ?

Encore aujourd’hui, l’entreprise à la française se pense comme un système pyramidal. Or l’efficacité d’organisations comme Le Grand Défi, Time For The Planet [mouvement visant à rassembler 1 milliard d’euros pour créer 100 entreprises luttant contre le réchauffement climatique] ou d’autres, s’explique par le pari de l’intelligence collective. Notre société change et s’adapte aux nouvelles mentalités. La nouvelle génération se pense comme un collectif. Elle partage tout : les appartements, les vélos, l’engagement et les convictions. Une entreprise qui intégrera l’inclusivité et le collectif prendra de l’avance sur les autres. La réflexion sur le climat et la construction d’un avenir commun ont dessiné de nouvelles perspectives d’entrepreneuriat coopératif. Il faut comprendre que la relation hiérarchique professionnelle n’est plus ajustée aux réalités sociétales. Le bien commun semble reprendre du terrain aux intérêts particuliers. Serait-ce le grand retour d’une société unie par un récit collectif ?

Comment les médias peuvent-ils prendre part à ce changement ?

Déjà, en rapportant ce récit collectif qui est en train d’émerger. Ensuite, il faut repenser la galaxie de l’information. On sait qu’une majeure partie de la population s’informe sur les réseaux sociaux. Aussi les influenceurs et youtubeurs doivent être autant considérés que les médias traditionnels. La clé de ce changement c’est la pédagogie et l’enseignement. C’est pourquoi le Grand Défi tient à embarquer les médias dans cette aventure. Ils se doivent d’être acteurs d’une information libre et documentée pour lutter contre l’information qui désespère et l’éco-anxiété. La situation est grave mais la seule solution c’est de continuer d’espérer et de s’engager. L’action libère et rend optimiste. ■

Propos recueillis par Gilles Vanderpooten

"COMMENT J’EN SUIS VENU AUX PROBLÉMATIQUES DU CLIMAT"

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Maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication, Jean-Baptiste Comby remarque que « l’entrée dans le ‘’journalisme environnemental’’ après le début des années 2000 s’apparente plus à une étape dans une ‘’carrière’’». Les journalistes n’ont que très rarement une formation scientifique et n’envisagent guère cette spécialisation durant leurs études. Aussi le caractère transversal de la problématique climatique permet aux journalistes polyvalents d’approcher le climat par un angle qu’ils maîtrisent ou affectionnent spécifiquement.

√  LA FORMATION SUR LE TAS DE JOURNALISTES NON SPÉCIALISTES

« Je n’avais pas du tout de connaissances sur l’environnement et il m’a fallu une période de remise à niveau […]. La formation se fait sur le terrain : il faut travailler, couvrir les sujets, échanger avec les spécialistes – de manière parfois informelle – et se constituer un réseau. Il faut lire aussi bien sûr […]. Et au bout de quatre mois, vous commencez à comprendre les grands enjeux, les grandes thématiques et ce qui se cache derrière. » Gilles van Kote

L’ancien directeur du Monde rejoint la spécialiste du climat chez Médiapart, elle aussi formée « sur le tas » :

« L’environnement – en termes de nature – ne m’intéressait pas. C’est par le climat, cette notion très politique qui mélange société-inégalité-économie, que j’en suis venue à m’intéresser à l’écologie. J’avais tout à apprendre. Je me suis formée en lisant des bouquins, en travaillant sur les sujets, en analysant les dossiers, en réalisant des interviews d’acteurs, de chercheurs… Une des personnes qui m’a beaucoup aidée, c’est Pierre Lascoumes — chercheur et co-auteur de l’ouvrage ‘’Agir dans un monde incertain’’. Grâce à lui, j’ai identifié les acteurs et leurs positions. » Jade Lindgaard

La formation au « journalisme climatique » est autodidacte. Jean-Baptiste Bouvet insiste sur l’importance de quelques références bibliographiques :

« Il faut lire Pascal Canfin, Gunter Pauli, Rifkin, il faut lire Le climat va-t-il changer le capitalisme, de Jacques Mistral. Il faut lire une synthèse du GIEC. Il faut lire, il faut lire… Par ailleurs, chaque année, il y a un palmarès européen des Green Tech les plus prometteuses. Je m’y intéresse personnellement. Mais c’est sûr, c’est un long chemin pour accumuler des repères, des connaissances, des certitudes. »
Jean-Baptiste Bouvet

√ RECOURIR AUX EXPERTS : UNE ÉTAPE INDISPENSABLE

« On le devient un peu, mais on n’est pas expert. J’ai travaillé sur les OGM, les biocarburants, les semences améliorées, les propriétés intellectuelles sur les végétaux, tout cela est extrêmement complexe. Il faut s’appuyer sur les experts. » Gilles van Kote

Malgré les connaissances accumulées, les journalistes spécialisés ne peuvent se passer des experts pour vérifier leurs sources et ajuster leurs propos. La complexité des enjeux face au climat est telle que chaque sujet nécessite une approche prudente et rigoureuse. Le « comité climat »,
dont s’est doté France Info, veut éviter les écueils :

« Tout sujet vendu comme ‘’bonne solution pour le climat‘’ doit passer par un filtre éditorial et scientifique. Les experts du Comité Climat peuvent ainsi s’opposer face à une solution qui manquerait de consensus, une initiative qui aurait des effets pervers ou ne serait, en réalité, que du greenwashing. » Anne-Laure Barral

Confronté aux experts, le journaliste est parfois amené à réévaluer les solutions qu’il souhaitait traiter. La problématique du changement climatique requiert une grande prudence journalistique mais aussi — comme le souligne Jean-Baptiste Bouvet — le sens et l’acceptation de la critique :

« C’est un énorme travail d’enquête, on glane par le biais des mails, on demande à l’ensemble des interlocuteurs de nous faire remonter les idées, les innovations, les solutions dont ils ont entendu parler. Après, il faut se référer aux experts. Certains peuvent me dire ‘’non, votre initiative n’est pas exactement comme vous la décrivez, il y a un truc qui vous a échappé’’. Dans ces cas-là, il faut accepter la remarque et faire preuve de beaucoup d’humilité. » Jean-Baptiste Bouvet

Faire preuve de vigilance face aux rapports de force et aux discours des acteurs

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Comment approcher et médiatiser les « solutions au climat » compte tenu des rapports de force, des conflits d’intérêt et de l’influence (économico-politico-médiatique) exercée par les différents acteurs ?

PAROLES-A

√ ANALYSER ET DÉCONSTRUIRE LES DISCOURS DE CERTAINES ENTREPRISES

« On a du mal à percer le discours officiel des entreprises. Le nucléaire est un bel exemple de ces jolies histoires racontées par les communicants d’entreprises. On nous présente le nucléaire comme une énergie propre, sous prétexte qu’il émet moins de carbone que les énergies fossiles. Mon rôle est de déconstruire ce discours, admettre la faible émission en CO², mais soulever, par ailleurs, les problèmes que l’on tend à ignorer : le coût très élevé, le risque d’accidents, etc. » Coralie Schaub

 

√ PRENDRE DU RECUL SUR LES  DOGMES

« En général vous avez deux camps : le camp des industriels et le camp des « écolos ». Le premier voit les solutions dans les entreprises, le deuxième dans les individus, à des échelles beaucoup plus réduites. Et grosso modo, chacun tente d’utiliser le journaliste à son profit pour dénigrer l’autre camp. Très souvent, on s’aperçoit que ce sont deux dogmes qui s’opposent. Le journaliste ne doit être l’otage ni de l’un, ni de l’autre. Une solution est de faire appel à une panoplie d’experts : interroger des experts pour comprendre, dans un premier temps, une controverse scientifique. Puis, interroger d’autres experts sur l’antagonisme dogme/contre-dogme lui-même, c’est-à-dire sur la société : pourquoi est-ce qu’il y a cette controverse ? Pourquoi deux camps sont-ils prêts à dire tout et n’importe quoi (certains sont à la limite de l’honnêteté intellectuelle…) ? » Gilles van Kote

 

√ IDENTIFIER LES STRATÉGIES DE « GREENWASHING »

« Attention, il y a beaucoup de com’. Sans changer leurs façons de faire, certaines boîtes vont juste repeindre leurs actions en vert ».
Pour éviter de tomber dans cet écueil, France Info s’est doté d’un comité d’experts qui attribue le label #maplanète aux solutions jugées pertinentes :
« On les identifie à l’antenne pour montrer que ce n’est pas du greenwashing et que c’est quelque chose de plutôt consensuelle chez les experts. »
Anne-Laure Barral

 

√ PENSER EN TERMES DE RAPPORTS DE FORCE

« La politique de François Hollande, comme celle de Nicolas Sarkozy, est tellement désidéologisée que ce sont les rapports de force qui prennent le dessus. En 2007, l’UMP a fait une OPA sur l’écologie. A l’époque, j’y croyais. J’étais en désaccord avec les positions de Nicolas Sarkozy, mais je croyais réellement à un effet d’opportunité qui conduirait à de véritables réformes. Quelles en étaient les motivations ? Là n’était pas la question. L’annonce de la taxe carbone me paraissait crédible. Mais, dès 2010, je me suis progressivement rendue compte de mon erreur : c’est une question systémique dans laquelle je vois clairement apparaître la force des lobbies industriels, des entreprises, des groupes énergétiques. Ils sont sous-estimés par les ONG, pourtant ils pèsent énormément sur les réformes environnementales. Le problème, c’est que les partis politiques, les ONG ou les mouvements écolos méconnaissent le monde de l’entreprise. Tous construisent une discussion idéologique alors que la vraie bataille est celle des rapports de force. C’est sur cela que je concentre mon travail. »
Jade Lindgaard

RENDRE CONCRET ET ACCESSIBLE : LA VULGARISATION DES « SOLUTIONS AU CLIMAT »

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L’ invisibilité et le temps de réponse – très long – des écosystèmes aux dégradations qu’on leur inflige rendent le changement climatique peu « médiagénique ». Le travail du journaliste est de rendre ce sujet intéressant, concret et intelligible à son public. En relayant des initiatives concrètes entreprises partout dans le monde, des solutions qui contribuent à limiter les émissions, le sujet devient bien plus palpable et attrayant. Qu’en pensent les journalistes spécialisés ?

Comment faciliter la réception d’un sujet si complexe en vulgarisant les enjeux sans les simplifier ?

PAROLES-A

√ FAIRE PREUVE DE PÉDAGOGIE

« Il ne faut jamais se dire ‘’ça a déjà été expliqué’’. Les auditeurs n’ont pas forcément la mémoire de tout ça. Ma double mission est, 1) ne pas perdre un auditeur qui n’y connait rien, 2) en apprendre davantage à ceux qui sont dans le secteur. Pour les premiers, il faut utiliser des images. Il faut faire attention aussi aux phrases prononcées par les experts lors des interviews : il faut qu’elles restent compréhensibles en évitant les sigles. » Anne-Laure Barral

√ ILLUSTRER PAR DES EXEMPLES SIMPLES ET CONCRETS

« Le changement climatique se voit sur l’agriculture, sur les arbres fruitiers, sur la façon dont les espèces migrent, etc. Ce sont des papiers très tangibles. Si la science est une matière aride pour certaines personnes, nous devons rendre les choses plus concrètes. Les détails techniques peuvent être incompréhensibles. Avec les exemples, c’est plus clair. » Marielle Court

√ REDONNER LA PAROLE AUX CITOYENS

« Notre projet ‘’Le climat change et vous ?’’, sur Médiapart, est le fruit d’une rencontre avec les organisateurs du Festival du livre et de la presse d’écologie. Ils souhaitaient proposer un espace de parole non monopolisé par les experts du climat. Il s’agissait de sortir du discours savant pour le redistribuer plus démocratiquement. Nous avons fait un appel à contribution large pour nous adresser au grand public. L’hypothèse de départ était la suivante : les gens sont de plus en plus sensibles à la question climatique, ils sentent que quelque chose se passe et impacte leur vie. Mais tout ceci reste diffus. Notre pari est de faire émerger leur ressenti, d’aider nos lecteurs à l’exprimer, de montrer que le climat n’est pas l’apanage des experts, militants, ONG ou entreprises. C’est aussi une préoccupation qui monte dans la société. » Jade Lindgaard

√ MÉDIATISER LES INITIATIVES ET LES HISTOIRES D’HOMMES ET DE FEMMES

«  J’aime ce qui est concret. Bien sûr, il faut s’intéresser aux conférences internationales, à ce qui peut en sortir, etc., mais ce sont des sujets lourds et lents qui débouchent sur des papiers compliqués. Le sujet n’est pas toujours très excitant. On se doit d’aborder aussi des choses plus pratiques, plus précises, de terrain.

Par exemple ?

Sur la sécurité alimentaire, la culture des légumineuses en Afrique est un bon sujet. Ces plantes captent l’azote des sols et les fertilisent sans recours à des engrais minéraux. Un tel sujet raconte une histoire : des pays d’Afrique redécouvrent les vertus du haricot. Non seulement, des traditions locales sont réhabilitées, mais en plus, ce sont des pratiques agricoles exemplaires, susceptibles d’apporter une solution pour lutter contre la famine. Cette réalité est peut-être lointaine mais elle reste concrète. Sans nier le fait que 800 millions de personnes sont malnutries dans le monde (au contraire, chaque année, on va rappeler ce chiffre désespérant), on souligne, aussi, que des réactions existent dans ces pays : les communautés paysannes ne sont pas totalement démunies et n’attendent pas la prochaine famine sans rien faire. Les histoires d’hommes et de femmes intéressent le lecteur – bien plus que les affaires institutionnelles. Il faut aller à la rencontre de ces gens et raconter ce qu’ils font. Il n’y a, d’ailleurs, rien de plus excitant ! » Gilles van Kote