Le célèbre linguiste, lexicographe et écrivain français Alain Rey (décédé en 2020), avait prononcé à l’occasion de l’événement de remise des Prix Reporters d’Espoirs auquel il été associé en 2014, le texte suivant dans lequel il propose une définition de l’espoir.
« L’espoir est un sentiment lié à la vitalité qui se dresse contre les obligations, contre les duretés, et d’une manière générale contre le destin.
L’espoir prend la forme d’une lutte contre la condition humaine, avec son achèvement inéluctable qu’est la mort, mais avec ce passage plein d’espérance qui est que chaque vie individuelle aboutit à l’espérance de vie après elle. « Après moi le déluge » : voilà une formule particulièrement déplaisante que nous devons je crois rayer du vocabulaire français. Car non ! Au contraire : après moi la récolte, le développement, la réaction contre tout ce qui va mal, contre tout ce qui tend à détruire l’humain en nous !
L’Humanité porte en elle ce paradoxe qu’elle tend à s’autodétruire constamment. Sans espoir, on risque la déshumanisation totale. Pour ré-humaniser, que faut-il faire ? Il faut combattre le destin. Or, que dit Malraux -l’un de mes inspirateurs : l’art en général, et je dirais plus largement la culture, est toujours un anti-destin. C’est une lutte perpétuelle, c’est une révolte, c’est une révolution positive. C’est dans cette lutte qu’il nous faut combattre la fatalité de l’autodestruction. Précisément en transmettant ce sentiment qu’est l’espoir et qui ne s’éteint jamais.
« L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable. » Ce très beau vers de Verlaine témoigne que l’espoir est quelque chose de parfois minuscule, presque invisible, mais toujours très puissant, et qui doit rester éternellement présent. Evidemment il s’agit d’une allusion à la naissance de Jésus. Sans partager la conversion religieuse du poète, on peut généraliser à d’autres références, qu’elles soient religieuses ou athées. C’est l’étable où l’Humanité risque de croupir si elle ne réagit pas. Réagir, c’est ça l’espoir. L’espoir est donc une lutte.
En tant que représentant de ceux qui cherchent à sauver, à préserver et à répandre le message de la langue, le message des mots, je suis désespéré quand je vois disparaître ou s’abîmer une langue. Malheureusement, il en disparaît beaucoup.
La langue française, langue universelle, n’y échappe pas : il faut lutter perpétuellement pour qu’elle ne soit pas trop abîmée. Face à cela surgit un espoir extraordinairement puissant, qui se manifeste dans des choses très simples, notamment celle-ci : la grande littérature française est très souvent représentée par des personnes pour qui le français n’est pas une obligation de naissance, mais un choix.
Voilà un message d’espoir que le français doit partager avec toutes les autres langues.
Toute situation négative a son pendant, l’envers de la médaille. Lorsque l’Homme renonce à rester dans le revers, et va chercher les avers, il rejoint cette idée fondamentale de survie qu’est l’espoir. »
Photo : Alain Rey et le calligraphe Lassaâd Metoui, le 13 octobre 2014 au Prix Reporters d’Espoirs, Palais d’Iéna, Paris.