« J’ai beaucoup d’admiration pour les reporters, pour ceux qui vont sur le terrain et qui nous donnent à voir ce qu’il se passe véritablement à travers le monde. »
En 2021, le Prix Reporters d’Espoirs se déploie au-delà des frontières, avec un prix spécial dédié aux jeunes de 18 à 30 ans, qui marque l’ambition européenne de l’association. Il est doté de 10 000 euros, grâce au concours de la Fondation du Crédit Mutuel et du Fonds jeunes et innovants. Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 15 avril et les modalités pour postuler détaillées ici. A cette occasion, nous rassemblons des personnalités de la culture et des médias, qui nous livrent leurs espoirs en l’Europe, le journalisme et la langue française. Premier épisode avec Leïla Slimani.
Journaliste et femme de lettres franco-marocaine, Leïla Slimani a reçu le prix Goncourt pour son deuxième roman, Chanson douce, adapté au cinéma. Eduquée dans la langue de Molière, élève du lycée français Descartes de Rabat, elle a rejoint la France il y a une vingtaine d’années pour y poursuivre des études littéraires puis en sciences politiques, théâtre, et médias. Elle travaille cinq années durant comme journaliste à Jeune Afrique, avant de se consacrer pleinement à la littérature. Choisie par ailleurs comme conseillère du président de la République sur les questions de francophonie, elle se fait l’ambassadrice de la langue française en Europe et dans le monde.
Gilles Vanderpooten – Merci Leïla de nous faire le plaisir et l’honneur de rejoindre le jury de cette première édition du Prix européen du jeune reporter ! En quoi partagez-vous la démarche qui anime Reporters d’Espoirs ?
Leïla Slimani – J’ai beaucoup d’admiration pour les reporters, pour ceux qui vont sur le terrain et qui nous donnent à voir ce qu’il se passe véritablement à travers le monde. Ils nous montrent la façon dont les gens essayent de vivre, de se battre et de protéger leur dignité au quotidien. Je suis assez admirative de l’exercice même du reportage d’un point de vue technique. C’est sûrement ce qui se rapproche le plus de ma pratique de l’écriture.
C’est d’ailleurs dans le journalisme que vous avez fait vos débuts.
Absolument. J’ai d’abord été journaliste à Jeune Afrique. J’ai toujours préféré le reportage, autrement dit le fait d’aller au contact du terrain, au contact des gens. C’est un exercice qui me plaisait beaucoup. Puis, à travers l’écriture, j’ai apprécié restituer non seulement une parole mais également une atmosphère.
Travailler à Jeune Afrique, était-ce un moyen de maintenir un lien avec le continent avec lequel vous aviez géographiquement pris vos distances en rejoignant la France ?
Ce n’était pas vraiment pour maintenir le lien mais plutôt pour le créer. J’avais le sentiment d’avoir grandi au Maroc mais dans une bulle. Je n’avais pas de contact avec ce pays, pas connu de manière profonde les grandes problématiques qui le traversaient. En réalité, c’était une manière de créer ce lien qui n’existait pas.
Avez-vous pu explorer ce lien à travers des initiatives porteuses d’espoirs ?
Bien sûr. Je vous dirai même que, parfois, ce ne sont pas forcément les initiatives mais surtout les gens qui sont porteurs d’espoirs. Tout au long de votre vie, vous rencontrez des personnes qui vivent des moments douloureux, vous avez l’impression que cela relève d’une grande injustice et pourtant elles restent optimistes, d’une grande dignité et réussissent à se concentrer sur le côté positif de leur situation. A mon sens, c’est cette capacité à croire en l’avenir qui est porteuse d’espoirs.
L’Europe est-elle une entité qui vous importe d’un point de vue culturel, littéraire, ou politique ?
Je fais partie de l’une des dernières générations qui a vraiment cru en l’Europe et qui y plaçait beaucoup d’espoirs. Cette génération qui voyait ERASMUS et la construction européenne comme quelque chose d’extraordinaire, comme une victoire sur la guerre. Il est vrai que, lorsque j’étais à Sciences Po, nous étions très nombreux à rêver de devenir fonctionnaire européen, de travailler pour cette entité qui, malheureusement aujourd’hui, a perdu sa capacité de séduction auprès des jeunes. A mes yeux, l’idée européenne demeure extraordinaire. Etant allée vivre en Hongrie en 2004, au moment de l’adhésion des pays d’Europe de l’Est à l’Union européenne, je reste influencée par les écrivains européens, surtout les écrivains d’Europe centrale.
L’Europe peut-elle tout de même encore susciter une appétence ?
Malheureusement, très peu s’intéressent de manière profonde et au-delà des apparences à l’idée même de l’Europe. Souvent manipulés par la consécration du retour à la souveraineté, la plupart des gens ne possèdent pas un rapport profond avec le passé. Notre société ainsi que notre époque valorisent essentiellement le présent et se méfient de plus en plus des discours sur le passé, ces derniers étant considérés comme nostalgiques voire conservateurs. Or, il faut dire que nous ne pouvons pas comprendre notre présent sans nous plonger dans notre passé. C’est une vision qui manque aujourd’hui.
« Aux jeunes reporters, je dis : prenez avant tout du plaisir à écrire ! Le fond comme la forme jouent un rôle dans le lien que vous allez établir avec votre lecteur et dans l’intérêt que votre reportage va susciter. Développez et travaillez votre style littéraire ! Car apporter sa touche personnelle à travers son écriture, c’est ce qui rend les reportages si beaux et agréables à lire. »
Le journaliste a-t-il un rôle à jouer pour rétablir ce lien manquant entre histoire, présent, et même avenir, que vous considérez nécessaire pour nous aider à nous projeter de manière constructive ?
Le journaliste doit mettre en lumière les perspectives en se plongeant d’emblée dans les racines des évènements. Il doit nous offrir un éclairage sur le passé, sur les origines tout en permettant une projection vers l’avenir. Il est essentiel que le journaliste ait cet intérêt pour l’Histoire. Je ne vois pas le journalisme comme une simple photographie du présent, cela resterait très incomplet.
En tant que Représentante du Président de la République pour la Francophonie, êtes-vous confiante dans le français comme langue d’avenir, notamment sur le plan européen alors même que nos amis britanniques ont quitté l’Union?
Je suis tout à fait confiante à cet égard. Je ne peux évidemment pas me réjouir du Brexit puisque le Royaume-Uni est un pays que j’apprécie énormément, un pays qui a apporté beaucoup à l’Europe. Toutefois, quitter l’Union européenne a été un choix de la population et doit donc être respecté. Cela va ainsi créer une opportunité, dont la Francophonie va se saisir, de défendre et promouvoir l’usage du français dans les institutions européennes. Le français est d’ailleurs une langue des institutions internationales qui a tendance à être « écrasée » par l’anglais lors de la rédaction des rapports.
Y a-t-il des reportages « porteurs d’espoirs » que vous auriez réalisés à l’époque où vous étiez journaliste ou qui vous ont touché récemment ?
J’ai été très touchée par l’ensemble des reportages portant sur les initiatives permettant aux migrants de vivre dans une plus grande dignité. Tous les reportages qui mettent en avant l’avenir commun de ces migrants qui arrivent et des personnes qui les accueillent en Méditerranée notamment sur les îles grecques, en Italie ou encore en France dans la Vallée de la Roya. Je suis généralement très touchée par ce genre de reportages qui prônent une autre image de la solidarité européenne.
Avez-vous un conseil à adresser aux jeunes et apprentis-reporters qui participent au Prix européen Reporters d’espoirs ?
En tant qu’écrivaine, je souhaite que ces jeunes reporters prennent avant tout du plaisir à écrire. Le fond mais également la forme jouent un rôle dans le lien que vous allez établir avec votre lecteur et dans l’intérêt que votre reportage va susciter. N’hésitez donc pas à développer et à travailler votre style littéraire. Dans le magazine en ligne intitulé Les Jours que je lis assez souvent, chaque reporter apporte sa touche personnelle à travers son écriture, c’est ce qui rend les reportages si beaux et agréables à lire.
Enfin, je conseille aux jeunes de lire les romans mais aussi les reportages de grands reporters littéraires qui demeurent intemporels, comme Joseph Kessel. Une plume singulière et reconnaissable constitue souvent la marque des plus beaux reportages. ■
Propos recueillis par Gilles Vanderpooten, directeur général de l’ONG Reporters d’Espoirs et retranscrits par Inès Barbe.
Et si vous rejoigniez vous aussi le Prix européen du jeune reporter ?
> Invitez les belles plumes de 18 à 30 ans de votre connaissance, journalistes ou non, étudiants ou non, à postuler !
A propos de Reporters d’Espoirs & du Prix
Le Prix Reporters d’Espoirs met à l’honneur depuis 2004 les journalistes, innovateurs des médias, et étudiants-futurs professionnels des médias, pour leurs sujets traités sous l’angle « problème + solution ». Il a distingué plus de 100 lauréats depuis sa création, et célèbrera en 2021 sa 11e édition. Le Prix a permis à des journalistes de défendre leur travail au sein de leur rédaction, de gagner en notoriété auprès du public, de maintenir ou développer leurs rubriques, ou encore de convaincre leur média de la pertinence du journalisme de solutions. Le Prix s’inscrit dans la mission de Reporters d’Espoirs « pour une info et des médias qui donnent envie d’agir ». Pour en savoir plus : www.reportersdespoirs.org