Yani Khezzar, journaliste et responsable de l’innovation pour l’information à TF1
Yani Khezzar est journaliste responsable de l’innovation au sein de la rédaction de TF1. Son rôle : participer à l’enrichissement des reportages diffusés dans le journal télévisé, en les agrémentant de 3D, réalité augmentée ou en traitant des données nouvelles grâce à l’intelligence artificielle. Nominé au Prix Reporters d’Espoirs 2021 dans la catégorie innovation, Yani Khezzar était également présent sur notre espace au salon Vivatech pour un tour d’horizon des innovations éditoriales et numériques au service du journalisme de solutions, aux côtés de François Saltiel (Arte, France Culture) et d’Alice Pouillier (Ulule, SoGood).
Votre travail d’innovation participe-t-il à une volonté de montrer autre chose que « les trains qui déraillent » et le monde qui va mal ?
On a encore plus besoin aujourd’hui, durant cette pandémie, de messages d’optimisme. Le journal de TF1 a à cœur de mettre en avant des initiatives, notamment pour équilibrer des JT lorsqu’ils sont anxiogènes en raison d’actualités graves. Notre raison d’être est d’inspirer positivement la société, en témoigne le slogan de TF1, “partageons des ondes positives.
Nous tachons de l’illustrer par des portraits de personnalités inspirantes, ou par des opérations comme SOS Villages lancée par Jean-Pierre Pernaut pour mettre en relation des repreneurs et commerçants des villages de France. Les formats innovants, la technologie
comme la 3D et la réalité augmentée, nous permettent également de montrer à l’écran ce qui n’est pas filmable, pour alerter tout en donnant à voir des solutions ou en projetant un futur souhaitable. C’est ce que nous avons fait en offrant dans plusieurs reportages une vision en 3D de ce que pourrait donner la montée des eaux en France, ou de l’impact du changement climatique sur nos cultures agricoles d’ici 2050. [Reportages visionnables sur ce lien]
Tout téléspectateur peut constater ce que donne l’intégration de la 3D ou de la réalité augmentée dans vos reportages. La technologie modifie-t-elle aussi votre manière de travailler, en coulisses ?
Dans notre démarche d’innovation, il y a en effet aussi des choses qui ne se voient pas à l’écran mais modifient, et améliorent, la façon dont les journalistes travaillent. L’intelligence artificielle nous permet par exemple de faciliter le dérushage de nos interviews (dans le processus de montage des sujets), ou encore de surveiller nos réseaux sociaux et de vérifier les informations qui y circulent. Souvent, lorsqu’une information prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux, l’intelligence artificielle va la repérer en amont. Ces nouveaux outils nous permettent d’accroître notre efficacité.
Finalement, votre démarche s’inscrit-elle dans une problématique bien connue de tous : la captation de l’attention !
TF1 est un média télé qui produit avant tout de l’information visuelle, tout en tâchant de ne jamais céder à l’information-spectacle. Le danger lorsque l’on utilise ces outils, c’est de vouloir trop s’amuser avec. Si l’on souhaite se divertir avec des effets spéciaux, le cinéma ou les jeux vidéo sont bien plus appropriés. La technologie utilisée dans le JT est toujours au service du contenu. Par exemple, pour le reportage sur la fonte des glaciers à l’horizon 2050,
son but est d’illustrer en images que la montée des eaux va transformer le littoral français. Les images parleront toujours mieux que les mots. Afin de mobiliser la population sur ces sujets et de trouver des solutions, il n’y a rien de tel que de faire un peu de prospective pour montrer ce qu’il risque de se produire. Ainsi nous avons projeté une simulation de l’Université de Caen enrichie par les données du GIEC régional, sur une rue d’Etretat qui sera probablement inondée en cas d’orage.
Quid des solutions à envisager une fois que l’on a mis en lumière ce risque ? Des logements flottants construits sur l’eau par exemple.
Le côté spectaculaire de la réalité augmentée est indéniable mais il sert le sujet. Un public qui aurait tendance à zapper facilement ou à se renseigner sur les réseaux sociaux peut finalement s’intéresser au reportage grâce aux outils technologiques. Ce pouvoir d’attraction doit être utilisé à bon escient et toujours au service de l’information. Notre mot d’ordre est également d’utiliser la technologie uniquement lorsque l’information n’est pas filmable.
Comment voyez-vous « l’automatisation » de l’information dans 5 ans ?
Il va être intéressant d’accompagner le développement de l’innovation dans l’information. Il faut aborder la journée d’un journaliste comme étant un ensemble de tâches. Certaines sont des tâches proprement journalistiques comme la définition d’un sujet, l’enquête et la vérification des informations. Il va falloir y accorder de plus en plus de temps, notamment en raison de la concurrence des plateformes qui ne sont pas proprement journalistiques, comme les réseaux sociaux ou des citoyens. La valeur ajoutée des médias journalistiques sera précisément de mettre un point d’honneur à la vérification de l’information. Sachant qu’une journée ne dure que 24h, il faut réduire le temps sur certaines tâches des journalistes afin qu’ils se consacrent à l’essentiel. L’intelligence artificielle peut nous apporter ce bénéfice. L’automatisation de tâches à faible valeur ajoutée, comme l’abattage de dépêches, le phoning ou encore la retranscription manuscrite des interviews va permettre de soulager le travail des journalistes. Pour reprendre la pensée d’Einstein, un ordinateur est forcément incroyablement rapide, précis et idiot et les humains sont forcément lents, répétitifs et intelligents. C’est la combinaison des deux qui va permettre de créer quelque chose de puissant et d’utile.
Retrouvez la retransmission vidéo du débat dont est extraite cette interview sur :
Propos recueillis par François Saltiel, animateur du débat, et retranscrits par Léa Sombret.