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louise jouveshomme

QuotaClimat à l’Assemblée nationale : faut-il légiférer sur la place du climat dans les médias ?

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Le 19 juillet 2023, le député « socialistes et apparentés » Stéphane Delautrette annonçait, au milieu des fresques de l’Hôtel de Lassay, le lancement d’un groupe de travail transpartisan sur le traitement médiatique de l’urgence climatique. À l’origine de ce projet, l’association QuotaClimat qui, depuis 2022, plaide pour une représentation plus visible et plus pertinente du changement climatique dans les médias. « [D]e nombreux médias français favorisent la fabrique du doute en ne distinguant pas les faits des opinions », peut-on lire dans l’exposé des motifs de la proposition de loi qui figure sur leur site. Et plus bas : « Tout en saluant les récents engagements des journalistes en faveur d’un traitement médiatique plus sérieux de la crise écologique, la réponse à cet enjeu ne peut reposer que sur le seul volontariat. » Reporters d’Espoirs a assisté à l’après-midi de conférences et débats qui a contextualisé l’initiative parlementaire. Voici un bref résumé des réflexions qui ont pris place.

Un consensus général sur les lacunes des médias

Deux tables rondes sur le sujet de l’environnement et la liberté de la presse ont précédé les prises de parole des députés prenant part au groupe de travail. Parmi les intervenants, des journalistes (Le Monde, AFP, France Télévisions), des institutionnels (Arcom, Fondation Descartes) et des représentants de la société civile (collectif Pour un réveil écologique, QuotaClimat, Expertises Climat). Si les avis sur la nécessité législative de contraindre les médias varient, tous s’accordent à dire que leur traitement du climat laisse à désirer, à la fois en termes de volume et de qualité. C’est d’ailleurs sur ce constat, lors des présidentielles de 2022, que s’est constituée QuotaClimat afin de replacer l’écologie, considérée comme la grande invisible des campagnes, au cœur du débat public. La situation s’est un peu améliorée depuis, les initiatives sur lesquelles communiquent certains grands groupes laissant à penser que les lignes bougent, mais il reste du chemin à parcourir. Au sein de l’audience, on critique notamment le manque de cohérence des contenus, entre reportages sur l’augmentation des événements météorologiques extrêmes et articles dithyrambiques sur le salon du Bourget. La dissonance ne passe pas. Mais la question de la cohérence en amène une autre, particulièrement fâcheuse pour les médias en cette période de crise : la publicité. Peut-on parler sérieusement de climat tout en diffusant les annonces de grands pollueurs qui, par la force des choses, sont également de grands financeurs ? Ou, pour le dire plus crument, tous les médias ont-ils les moyens de bouder l’argent de TotalEnergie, à la manière du Guardian ? Face à cette question, les journalistes renvoient la balle à leur audience. Il est facile de jeter la pierre aux rédactions, mais les médias sont, pour la plupart, des entreprises avec un impératif de rentabilité. Donc si les citoyens désirent vraiment une information cohérente dépourvue d’annonces de SUV, ils doivent se résoudre à payer pour.

Journalisme de solutions : vouloir, c’est pouvoir ?

Un autre point sur lequel une grande partie des intervenants comme du public se retrouve, c’est aussi le besoin d’aborder le climat sous un angle constructif. Rapports du Reuters Institute sur la fatigue informationnelle, étude académique pointant l’incapacité du traitement médiatique actuel à promouvoir l’engagement citoyen vis-à-vis du climat… tout le monde s’accorde sur le fait que le ton général de l’info rebute les audiences. À plus forte raison sur un sujet aussi écrasant que le changement climatique. Il faut donc plus de solutions, déclarent les intervenants. C’est bien beau ces déclarations, répondent des membres de l’audience, mais que faire lorsqu’on est porteur d’une solution et que les médias, pourtant contactés, ne répondent pas ? Ou bien lorsqu’on est une grosse entreprise qui tente de mettre en œuvre des circuits vertueux et que les journalistes arrivent sur le terrain avec la certitude de trouver du greenwashing ? Des interrogations qui ne sont pas sans rappeler celles des festivaliers de Couthures-sur-Garonne, lors du Festival international du journalisme qui s’est tenu du 14 au 16 juillet. Car si de multiples rapports soulignent que les audiences à travers le monde ont soif de nouvelles constructives, si l’on discute beaucoup du journalisme de solutions lors des grands rassemblements de l’info, le volume des contenus effectivement « solutions » croît toujours avec la même lenteur. Il faut dire qu’un reportage constructif, qui interroge les limites et les potentialités de l’initiative dont il traite, réclame du temps et des moyens, deux ressources souvent rares au sein des rédactions. Dès lors, on est en droit de se demander si une couverture médiatique véritablement à la hauteur de l’urgence climatique peut encore s’accommoder du modèle économique des médias. En d’autres termes, le retard enregistré par la plupart des rédactions en la matière relève-t-il de la mauvaise volonté des journalistes ou bien de contraintes plus systémiques ?

Une loi peut-elle faire plus de bien que de mal ?

Il est toujours difficile de contraindre les médias par voie législative. La liberté de la presse constitue en effet un principe fondamental de notre système politique, inscrit dès 1789 dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, puis réaffirmé dans de multiples lois, dont celle de 1881. Le spectre de la censure provoque des levées de bouclier sitôt que l’État s’intéresse d’un peu trop près aux publications des médias. Pour autant, l’imposition d’un contrôle au sein des rédactions sur la question du climat ne serait pas une première. L’Arcom, chargée par un amendement de 2011 de garantir le « respect des droits des femmes dans le domaine de la communication audiovisuelle », surveille déjà la représentation des femmes dans les médias audiovisuels. Le précédent existe. Mais pour certains intervenants, l’initiative parlementaire constitue tout de même un pari risqué, le changement climatique représentant déjà un sujet politique clivant, en passe de devenir un marqueur identitaire. Pour Laurent Cordonnier, directeur de la recherche à la Fondation Descartes, l’urgence est surtout d’éviter que ne se cristallise en France une polarisation binaire telle que l’on peut en voir aux Etats-Unis. Au-delà de vulgarisateurs compétents, les médias doivent aussi, peut-être surtout, revêtir le rôle de médiateurs. Tout cela sans tomber dans le piège du débat contradictoire qui a longtemps poussé les journalistes à opposer discours scientifiques et climatosceptiques. Autant dire que la tâche semble ardue. Mais il y a de l’espoir. De plus en plus de médias s’emparent des sujets environnementaux, la société civile s’organise afin d’accompagner et de renseigner au mieux les journalistes, les scientifiques se mobilisent pour lutter contre la désinformation. Peut-être s’agit-il du message le plus encourageant transmis lors du lancement de ce groupe parlementaire. Par-delà les divergences politiques, les désaccords de fond et les parcours divergents, les gens sont encore capables de se rassembler et de réfléchir ensemble aux moyens de résoudre des problèmes.

Quelles réactions de la part des médias ?

Parmi les rares médias ayant évoqué l’initiative à fin juillet 2023 :

  • « Est-ce bien aux élus d’imposer une ligne éditoriale aux journalistes ? » s’interroge Marianne (Un quota de sujets climat dans les médias ? « Peut-être qu’il y aurait des sanctions, rien n’est décidé », Margot Brunet, 27/7/2023) dans une interview du député Stéphane Delautrette (PS). Celui-ci affirme : « il me paraît important de fixer un seuil minimum de médiatisation au moment de l’élection présidentielle afin de s’assurer que ces sujets soient traités dans tous les médias avant l’élection. Nous allons démarrer le travail à la rentrée, la première réunion se tiendra le 27 septembre. Nous ne pouvons même pas encore assurer qu’elle aboutira à une proposition de loi. Notre objectif est d’avoir un texte fin décembre, au plus tard en janvier. D’ici là, nous allons mener un cycle d’auditions. » Et de rassurer : « Évidemment que nous n’irons pas à l’encontre de la liberté de la presse ! »

A Couthures-sur-Garonne, les journalistes prennent leur temps

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Audiovisuel public, soulèvements en Iran, intelligence artificielle… autant de thématiques mises à l’honneur lors de cette septième édition du Festival international du journalisme (FIJ) en juillet 2023, parrainé par le Groupe Le Monde à Couthures-sur-Garonne. On y pose notamment une question fondamentale, autour de laquelle s’organisent de nombreuses conférences : « informer sans déprimer, est-ce possible ? » De nouveau partenaire du festival, Reporters d’Espoirs a contribué à cette réflexion en parlant dialogue, audience et bien sûr, journalisme de solutions.

Des bottes de paille et les reflets du soleil sur la Garonne, qui coule le long d’un petit village de 370 habitants. C’est dans ce décor que se déroule presque chaque année depuis huit ans l’une des plus grandes réunions françaises de professionnels et passionnés de l’info. Loin du formalisme que l’on pourrait attendre d’un tel rassemblement, le Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne s’apparente à… un festival ! Ecocup, tables de pique-nique, baignade, concerts… Suivre un atelier, c’est s’exposer à en recroiser quelques heures plus tard les animateurs en maillot de bain. Mais cette ambiance légère n’empêche pas d’aborder des sujets sérieux, bien au contraire. Sous le parrainage de l’écrivain napolitain Roberto Saviano, menacé en raison de ses enquêtes à charge sur la mafia italienne, on parle conflits et liberté de la presse. De l’avenir de la démocratie aux révolutions initiées par l’intelligence artificielle, en passant par la santé mentale, le festival fait ainsi la part belle aux thématiques anxiogènes, autour desquelles invités et public échangent avec une grande liberté. Reporters d’Espoirs était convié à animer deux ateliers et à participer à une table ronde dans le cadre d’une des grandes questions du festival : peut-on encore informer sans déprimer ?

Ateliers : des citoyens sévères vis-à-vis des médias

Reporters d’Espoirs animait deux ateliers, l’un sur l’importance du dialogue dans les médias, l’autre sur le journalisme de solutions. Dans le premier, après avoir échangé sur des exemples de titres de presse écrite plus ou moins polémiques, les participants discutaient de la manière qu’ont les médias de confronter les points de vue. Une opposition binaire et frontale permet-elle véritablement à l’audience de se faire un avis plus éclairé ? Ou vaut-il mieux chercher la complexité, les convergences en favorisant, de fait, des contenus de fond ? Dans le second atelier, les échanges concernaient la méthode du journalisme de solutions ainsi que son potentiel pour résoudre – en partie – certains des problèmes auxquels les médias font face. Si les personnes qui se détournent de l’info prétendent le faire à cause de son ton dramatique, peut-être faut-il allumer une lueur d’espoir dans l’obscurité de l’actualité ?

Seuls des festivaliers non journalistes ont assisté à chacun des ateliers, et exprimé par leurs remarques un réel engagement dans leur rapport à l’information. Une chose ressort : les médias ont une vaste marge de progression. Questions et avis s’empilent à ce propos : on reproche les titres aguicheurs, la redondance des informations, l’opacité de leurs pratiques, la tonalité négative des fils d’actualité. Et, parfois à demi-mots, parfois franchement, on l’entend : « On a l’impression que les médias nous prennent pour des cons. » Le commentaire est en particulier ressorti lors de l’atelier sur le journalisme de solutions, quand une participante a critiqué l’habitude des JT de clore leur exposition de désastres par un reportage léger sur un sujet sans importance. Une pirouette qui, apparemment, peine à convaincre le public.

On pourrait regretter le côté peu contradictoire du débat : si certains festivaliers divergent sur les causes du problème, tous s’accordent à dire qu’ils ne font plus confiance aux médias. Et pas un journaliste à l’horizon pour nuancer les critiques en parlant des contraintes, structurelles et économiques, de la profession. Pour autant, mêmes unanimes, ces condamnations constituent une manifestation encourageante, puisque les citoyens qui les formulent ont après tout pris le temps de les formuler. Ils se sont déplacés, ils ont réfléchi, ils ont participé, ils ont critiqué parce qu’ils tiennent à l’information. Ils tiennent aux médias, et cet attachement justifie l’intransigeance avec laquelle ils commentent leur travail. Comme le dit le proverbe – tout à fait discutable dans le cadre de relations interpersonnelles : qui aime bien châtie bien.

Le journalisme de solutions, panacée universelle ?

L’info est déprimante, de nombreuses personnes s’en détournent. Autour de ces constats, confortés par de multiples études, cinq tables rondes durant lesquelles journalistes et citoyens ont discuté des leviers dont disposent les médias pour relever ces défis – ou corriger leur propre trajectoire. Augustin Perraud, coordinateur des programmes à Reporters d’Espoirs, a participé à la conférence sur le journalisme de solutions aux côtés de trois représentants du Monde, Françoise Tovo, responsable des abonnements, Syrielle Mejias, journaliste vidéo et Simon Roger, chef du service Planète. Étaient également présents Jon Henley, correspondant Europe du Guardian, Lucas Scaltritti, auteur du podcast Super Green Me et Luce Julien, directrice générale de l’information de Radio-Canada. Tous ont échangé sur leur pratique du journalisme de solutions, qu’ils n’avaient d’ailleurs pas forcément conscience de pratiquer, et sur l’accueil favorable de leurs audiences respectives.

Le public de la conférence s’est montré réactif. Hommage aux émissions qui parlent solutions de longue date, remarques sceptiques – le journalisme de solutions, n’est-ce pas au final du bon journalisme ? – questions pratiques. Comment contacter les journalistes, quand on est porteur de solutions ? Comment faire en sorte que son initiative soit médiatisée ? Les médias ne devraient-ils pas soutenir les solutions dans leur démarche, au lieu de se contenter de les rendre visibles quand la démarche a porté ses fruits ? Une réflexion qui fait écho aux remarques des participants de notre atelier sur le dialogue : au-delà de mettre en regard des opinions nuancées, les médias n’auraient-ils pas vocation à devenir eux-mêmes médiateurs ? Rassembler des gens d’opinions diverses non plus pour rendre compte de la dissension mais pour chercher avec eux le compromis ? On touche là au rôle des médias dans la démocratie. Certains les voudraient entrepreneurs et proactifs, d’autres au contraire en retrait et réflexifs. Peut-être existe-t-il une variété de médias telle que chacun puisse, en réalité, déjà y trouver son compte ?

Qu’on soit ou non pour des médias « entrepreneurs », la question demeure : comment contacter les journalistes ? Participer aux festivals de journalisme semble être un bon moyen, puisque le citoyen qui a fait cette remarque est reparti avec plusieurs contacts de grandes rédactions. Mais la méthode ne fonctionne pas pour tous. Ainsi, M. Moreau, maire de Couthures-sur-Garonne, bataille depuis deux ans pour que son appel aux dons soit relayé dans des médias nationaux. L’église St-Léger, qui accueillait jusqu’en 2021 nombre d’activités, nécessite en effet des réparations dont le montant s’élève à plus d’un million d’euros sur trois ans. Or en dehors d’un article de Sud-Ouest et d’une publication sur le site du FIJ, le besoin de préserver l’édifice n’a pas été beaucoup médiatisé. Le maire s’en afflige et s’en amuse à la fois. Curieux, pour un village qui accueille un festival de journalisme, de ne pas parvenir à faire les gros titres ! Mais rien ne sert d’en vouloir aux médias, dit-il. Il y a toujours tellement de choses à couvrir, tellement de projets à financer. Au-delà de l’intérêt, c’est peut-être tout simplement le temps qui manque aux journalistes.

Louise Jouveshomme, chargée d’études au Lab Reporters d’Espoirs.