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A Couthures-sur-Garonne, les journalistes prennent leur temps

By FDS en régions, Home, L'actu des médias, Partenaires médias, Sur la route du tourNo Comments

Audiovisuel public, soulèvements en Iran, intelligence artificielle… autant de thématiques mises à l’honneur lors de cette septième édition du Festival international du journalisme (FIJ) en juillet 2023, parrainé par le Groupe Le Monde à Couthures-sur-Garonne. On y pose notamment une question fondamentale, autour de laquelle s’organisent de nombreuses conférences : « informer sans déprimer, est-ce possible ? » De nouveau partenaire du festival, Reporters d’Espoirs a contribué à cette réflexion en parlant dialogue, audience et bien sûr, journalisme de solutions.

Des bottes de paille et les reflets du soleil sur la Garonne, qui coule le long d’un petit village de 370 habitants. C’est dans ce décor que se déroule presque chaque année depuis huit ans l’une des plus grandes réunions françaises de professionnels et passionnés de l’info. Loin du formalisme que l’on pourrait attendre d’un tel rassemblement, le Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne s’apparente à… un festival ! Ecocup, tables de pique-nique, baignade, concerts… Suivre un atelier, c’est s’exposer à en recroiser quelques heures plus tard les animateurs en maillot de bain. Mais cette ambiance légère n’empêche pas d’aborder des sujets sérieux, bien au contraire. Sous le parrainage de l’écrivain napolitain Roberto Saviano, menacé en raison de ses enquêtes à charge sur la mafia italienne, on parle conflits et liberté de la presse. De l’avenir de la démocratie aux révolutions initiées par l’intelligence artificielle, en passant par la santé mentale, le festival fait ainsi la part belle aux thématiques anxiogènes, autour desquelles invités et public échangent avec une grande liberté. Reporters d’Espoirs était convié à animer deux ateliers et à participer à une table ronde dans le cadre d’une des grandes questions du festival : peut-on encore informer sans déprimer ?

Ateliers : des citoyens sévères vis-à-vis des médias

Reporters d’Espoirs animait deux ateliers, l’un sur l’importance du dialogue dans les médias, l’autre sur le journalisme de solutions. Dans le premier, après avoir échangé sur des exemples de titres de presse écrite plus ou moins polémiques, les participants discutaient de la manière qu’ont les médias de confronter les points de vue. Une opposition binaire et frontale permet-elle véritablement à l’audience de se faire un avis plus éclairé ? Ou vaut-il mieux chercher la complexité, les convergences en favorisant, de fait, des contenus de fond ? Dans le second atelier, les échanges concernaient la méthode du journalisme de solutions ainsi que son potentiel pour résoudre – en partie – certains des problèmes auxquels les médias font face. Si les personnes qui se détournent de l’info prétendent le faire à cause de son ton dramatique, peut-être faut-il allumer une lueur d’espoir dans l’obscurité de l’actualité ?

Seuls des festivaliers non journalistes ont assisté à chacun des ateliers, et exprimé par leurs remarques un réel engagement dans leur rapport à l’information. Une chose ressort : les médias ont une vaste marge de progression. Questions et avis s’empilent à ce propos : on reproche les titres aguicheurs, la redondance des informations, l’opacité de leurs pratiques, la tonalité négative des fils d’actualité. Et, parfois à demi-mots, parfois franchement, on l’entend : « On a l’impression que les médias nous prennent pour des cons. » Le commentaire est en particulier ressorti lors de l’atelier sur le journalisme de solutions, quand une participante a critiqué l’habitude des JT de clore leur exposition de désastres par un reportage léger sur un sujet sans importance. Une pirouette qui, apparemment, peine à convaincre le public.

On pourrait regretter le côté peu contradictoire du débat : si certains festivaliers divergent sur les causes du problème, tous s’accordent à dire qu’ils ne font plus confiance aux médias. Et pas un journaliste à l’horizon pour nuancer les critiques en parlant des contraintes, structurelles et économiques, de la profession. Pour autant, mêmes unanimes, ces condamnations constituent une manifestation encourageante, puisque les citoyens qui les formulent ont après tout pris le temps de les formuler. Ils se sont déplacés, ils ont réfléchi, ils ont participé, ils ont critiqué parce qu’ils tiennent à l’information. Ils tiennent aux médias, et cet attachement justifie l’intransigeance avec laquelle ils commentent leur travail. Comme le dit le proverbe – tout à fait discutable dans le cadre de relations interpersonnelles : qui aime bien châtie bien.

Le journalisme de solutions, panacée universelle ?

L’info est déprimante, de nombreuses personnes s’en détournent. Autour de ces constats, confortés par de multiples études, cinq tables rondes durant lesquelles journalistes et citoyens ont discuté des leviers dont disposent les médias pour relever ces défis – ou corriger leur propre trajectoire. Augustin Perraud, coordinateur des programmes à Reporters d’Espoirs, a participé à la conférence sur le journalisme de solutions aux côtés de trois représentants du Monde, Françoise Tovo, responsable des abonnements, Syrielle Mejias, journaliste vidéo et Simon Roger, chef du service Planète. Étaient également présents Jon Henley, correspondant Europe du Guardian, Lucas Scaltritti, auteur du podcast Super Green Me et Luce Julien, directrice générale de l’information de Radio-Canada. Tous ont échangé sur leur pratique du journalisme de solutions, qu’ils n’avaient d’ailleurs pas forcément conscience de pratiquer, et sur l’accueil favorable de leurs audiences respectives.

Le public de la conférence s’est montré réactif. Hommage aux émissions qui parlent solutions de longue date, remarques sceptiques – le journalisme de solutions, n’est-ce pas au final du bon journalisme ? – questions pratiques. Comment contacter les journalistes, quand on est porteur de solutions ? Comment faire en sorte que son initiative soit médiatisée ? Les médias ne devraient-ils pas soutenir les solutions dans leur démarche, au lieu de se contenter de les rendre visibles quand la démarche a porté ses fruits ? Une réflexion qui fait écho aux remarques des participants de notre atelier sur le dialogue : au-delà de mettre en regard des opinions nuancées, les médias n’auraient-ils pas vocation à devenir eux-mêmes médiateurs ? Rassembler des gens d’opinions diverses non plus pour rendre compte de la dissension mais pour chercher avec eux le compromis ? On touche là au rôle des médias dans la démocratie. Certains les voudraient entrepreneurs et proactifs, d’autres au contraire en retrait et réflexifs. Peut-être existe-t-il une variété de médias telle que chacun puisse, en réalité, déjà y trouver son compte ?

Qu’on soit ou non pour des médias « entrepreneurs », la question demeure : comment contacter les journalistes ? Participer aux festivals de journalisme semble être un bon moyen, puisque le citoyen qui a fait cette remarque est reparti avec plusieurs contacts de grandes rédactions. Mais la méthode ne fonctionne pas pour tous. Ainsi, M. Moreau, maire de Couthures-sur-Garonne, bataille depuis deux ans pour que son appel aux dons soit relayé dans des médias nationaux. L’église St-Léger, qui accueillait jusqu’en 2021 nombre d’activités, nécessite en effet des réparations dont le montant s’élève à plus d’un million d’euros sur trois ans. Or en dehors d’un article de Sud-Ouest et d’une publication sur le site du FIJ, le besoin de préserver l’édifice n’a pas été beaucoup médiatisé. Le maire s’en afflige et s’en amuse à la fois. Curieux, pour un village qui accueille un festival de journalisme, de ne pas parvenir à faire les gros titres ! Mais rien ne sert d’en vouloir aux médias, dit-il. Il y a toujours tellement de choses à couvrir, tellement de projets à financer. Au-delà de l’intérêt, c’est peut-être tout simplement le temps qui manque aux journalistes.

Louise Jouveshomme, chargée d’études au Lab Reporters d’Espoirs.

Françoise Tovo, directrice déléguée au développement des services abonnés chez Le Monde

Françoise Tovo : « Avec le Fil Good, on veut montrer par des bulles d’espoir que tout n’est pas négatif dans l’actualité. »

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Françoise Tovo, directrice déléguée au développement des services abonnés chez Le Monde

À sa sortie d’école de journalisme, Françoise Tovo fait ses premiers pas au Monde en 1988. Secrétaire de rédaction chargée de la publication mensuelle Le Monde de l’éducation pour son premier poste,elle occupe différentes fonctions comme adjointe à la direction artistique, cheffe d’édition, puis rédactrice en chef. Trente-cinq ans après son arrivée, elle y officie toujours avec un profond enthousiasme comme directrice déléguée au développement des services abonnés. À son actif : l’accompagnement de la mutation numérique du journal, la supervision des newsletters, la recherche de sources de diversification éditoriales. Dont la newsletter Le Fil Good, adoptée par 78 000 lecteurs, et à laquelle Reporters d’Espoirs n’est pas resté insensible…

Comment l’idée de la newsletter « Le Fil Good » vous est-elle venue, et de quoi s’agit-il ?

Avec le Fil Good, on veut montrer par des bulles d’espoir que tout n’est pas négatif dans l’actualité. 

Cette newsletter est née de façon prosaïque, à la rentrée de septembre 2020. Après le premier confinement, le moral n’était pas haut. Au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, notre directeur de la rédaction de l’époque, Luc Bronner, nous partageait son sentiment de découragement : « C’est terrible, tout va mal, on va mourir de désespoir. On continue de raconter des histoires positives, de rencontrer des gens formidables, mais ça ne se voit pas ». Il fallait trouver un moyen d’y remédier.

Le Monde est avant tout un média généraliste : l’actualité, avec tout ce qu’elle a de terrible, sera toujours privilégiée. Bien que le positif soit présent, il est difficile à repérer dans nos formats journalistiques et le rouleau-compresseur de la grosse actualité. Aussi une newsletter recensant nos articles positifs, à laquelle les abonnés souscrivent librement, nous a semblé être le meilleur compromis.

L’existence même du Fil Good a-t-elle incité les journalistes à rédiger des articles plus positifs ?

Durant les six premiers mois, en effet, il y a eu plus de papiers à tendance positive, par effet d’entraînement. Puis l’actualité « dure » a repris le dessus, mais on déniche encore malgré tout une demi-douzaine d’article « Fil Good » par jour. Ces contenus viennent de rubriques variées – économie, société, international, ou encore du cahier L’Epoque, consacré aux petits changements et grandes mutations de nos vies quotidiennes.

Par exemple, un article qui met en avant la baisse du chômage et qui relativise la récession en Europe : c’est Fil Good. Un autre article sur une biotech française qui va tester aux Etats-Unis une molécule prometteuse contre le diabète : c’est Fil Good. 

Comment faites-vous pour susciter des reportages ?

Il n’y a pas d’articles commandés spécifiquement pour le Fil Good. Les journalistes pensent à nous envoyer leurs papiers quand ils les considèrent en phase avec la newsletter, ou bien ils les taguent directement de façon à les faire remonter dans la page Fil Good du site, ou bien encore nous allons à la pêche aux contenus dans l’ensemble de la production réalisée. La sélection est faite par des êtres humains orientés par leur subjectivité, et c’est assumé. On met en avant les contenus que nous avons eu plaisir à lire, qui rendent heureux, qui pétillent et nous surprennent.

Vous avez interrompu Le Fil Good… avant de le relancer ! À la demande de vos lecteurs ?

Lors de sa création, une partie de la rédaction se sentait désœuvrée. De nombreux journalistes s’étaient réorientés sur la couverture du Covid, et d’autres ont participé à Fil Good. En mars 2022, le noyau dur de la newsletter a été absorbé par d’autres projets, chronophages, comme ce fut mon cas avec la préparation et le lancement du Monde en anglais, site miroir en anglais du Monde.fr. Il était donc compliqué de continuer. Cette décision a été prise la mort dans l’âme : il a fallu expliquer à nos soixante-cinq mille lecteurs qu’au bout de dix-huit mois on passait à autre chose, même si ça marchait très bien.

Ce qui est malheureux, c’est que le Fil Good s’est arrêté au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. Il y a eu une multiplication de nouvelles très plombantes, et des gens ont pu se détourner de l’information. Ils avaient le sentiment qu’elles ne décrivaient que du noir. La newsletter a alors été relancée en octobre 2022 et a retrouvé son public, et même dépassé les attentes : 78 000 inscrits à ce jour !

Quels sont les retours de vos lecteurs ?

La mise sur pause de la newsletter s’est accompagnée d’une avalanche de messages de personnes éplorées, qui nous demandaient de ne pas nous arrêter, de rester. Ce qui revient le plus dans tout ça, c’est la fatigue informationnelle. Il arrive que des lecteurs envisagent de se désabonner car ils se sentent submergés par le flot de nouvelles négatives et déprimantes : c’est alors le Fil Good qui peut les faire rester lecteurs ou abonnés au Monde. La newsletter leur offre des informations plus rassurantes. Certains nous ont même suggéré d’établir des systèmes de signalétique avec des pastilles vertes, pour mettre en avant l’actualité positive au sein de la masse d’informations effrayantes.

De plus, le Fil Good est un levier de fidélisation : plus les abonnés s’y inscrivent, plus ils sont amenés à rester. Une fois informés et accrochés, ils ne partent plus. C’est également une manière originale de valoriser des papiers passés sous le radar, car peu exposés en Une du site, ou n’ayant pas encore trouvé leur public.

Ce choix d’un format newsletter est-il une évidence ?

Ce qu’il y a de bien avec une newsletter, c’est que l’information qu’elle contient n’est pas imposée. En y souscrivant, les lecteurs donnent leur consentement pour la recevoir, et ils disposent de la liberté de l’ouvrir, de la lire ou non. Cela permet de développer une relation de confiance : s’ils le souhaitent, nous les acheminons vers quelque chose de positif. 

On teste également dans ces formats jusqu’à quel niveau de familiarité positive on peut aller. C’est le cas avec la newsletter Darons, Daronnes, dirigée par Clara Georges.  Elle y fait usage d’un véritable franc-parler pour raconter et partager son expérience et ses questionnements de mère. Cette manière de s’adresser aux gens ne fonctionne pas partout, nos articles se doivent d’adopter une certaine neutralité journalistique. Dans une newsletter, c’est différent : on parle à l’oreille du lecteur. Pour nos rédacteurs, c’est un nouveau terrain de jeu.

Propos recueillis par Sixtine Guellec et Gilles Vanderpooten.