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« Mettons la même ambition sur le sujet de l’impact que sur celui des ventes et du produit ! » – Kat Borlongan, directrice de l’impact chez Contentsquare, ancienne directrice générale de la FrenchTech

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Nommée directrice de la Mission French Tech en 2018, Kat Borlongan a contribué à façonner l’image startup de la France en lançant le French Tech Visa et French Tech Tremplin, deux programmes au service de l’égalité des chances. Décidée à faire évoluer les choses, elle vient de rejoindre l’une des plus belles licornes françaises en tant que directrice de l’Impact. Elle est l’une des rares, sinon la première, personne à occuper ce poste dans une entreprise du secteur de la technologie, rattachée au plus haut niveau de l’entreprise.


Vous avez dirigé la Mission French Tech pendant trois ans et demi. De quel programme êtes-vous la plus fière ?

J’ai sans aucun doute deux programmes favoris.

Le premier est le Visa French Tech : je suis naturalisée française depuis décembre 2021 et le drame de la carte de séjour, pour l’avoir vécu, est une expérience désagréable et blessante. Le fait de créer un visa pour dire « Vous êtes bienvenus en France, venez écrire l’histoire avec nous » me tient à cœur. En octobre 2018, je parlais pour la première fois publiquement en tant que Directrice Générale de la French Tech aux côtés du président de la République. Nous avons annoncé que nous mettrions en place ce programme d’ici mars. Cela me surprenait moi-même de penser qu’on arriverait à faire bouger le système de l’immigration mais on a réussi à le faire, avec même un peu d’avance !

Le deuxième, c’est Tremplin : un programme qui va chercher des personnes éloignées de la technologie –en raison d’obstacles culturels, économiques ou sociaux-, pour les amener dans cet univers et leur donner les mêmes chances qu’à des personnes de milieux plus privilégiés. Beaucoup d’expérimentations témoignent qu’injecter ainsi davantage de diversité dans l’écosystème peut le faire grandir.

Vous avez récemment rejoint Contentsquare, licorne française qui a réalisé une levée de fonds record l’année dernière : 408 millions d’euros. Pourquoi cette start-up spécialisée dans l’expérience utilisateur plutôt qu’une autre ?

Une fois ma mission achevée auprès de la French Tech, j’ai cherché à rejoindre une licorne européenne [entreprise valorisée à plus d’un milliard d’euros] prête à s’investir de manière ambitieuse dans l’impact social. J’ai échangé avec des investisseurs, des journalistes du Financial Times et de TechCrunch qui ont une vue globale dans ce domaine. Mais je n’ai pas trouvé mon bonheur parmi leurs recommandations.

Par hasard, Jonathan Cherki, le fondateur de Contentsquare, m’invite à échanger avec lui.

Il me présente son entreprise qu’il a créée alors qu’il était encore étudiant, devenue une société en hypercroissance en moins de 10 ans.  Je comprends au fil de la discussion qu’il se pose beaucoup de questions sur le sens de son entreprise. Au-delà des activités très rentables mises en avant sur le site web de l’entreprise, j’apprends qu’il a lancé une fondation dédiée à l’accessibilité numérique, et je comprends qu’il est prêt à aller plus loin. Le lendemain, je lui dis « si tu es prêt à aller aussi loin, on ne va pas se contenter de bâtir une politique RSE (Responsabilité sociale de l’entreprise), mais on va écrire les 10 prochaines années de l’entreprise. Si tu m’accordes un siège au comité exécutif et le budget qui va avec, alors on va positionner la démarche d’engagement au cœur de la stratégie de l’entreprise ».

Vous êtes « Chief Impact Officer » : en quoi cela consiste-t-il ?

Les entreprises comptent de plus en plus de responsables de l’impact et je m’en réjouis, mais peu ont un siège au comité exécutif. Nous sommes deux en France à avoir cette position dans les start-up de la tech, avec Jean-Gabriel Levon co-fondateur d’Ynsect [entreprise spécialisée dans l’élevage d’insectes et leur transformation en ingrédients].  

Mon rôle consiste à m’assurer que Contentsquare ne soit jamais en retard par rapport aux avancées, demandes et valeurs de la société. J’ai deux champs d’action. D’un côté l’impact, qui nous amène à redéfinir la norme de ce qu’est une bonne « expérience utilisateur » : pas seulement une question d’ergonomie, mais d’accessibilité, de protection de la vie privée et de respect de la planète.  D’un autre côté, la responsabilité tournée sur la diversité et l’inclusion car Contentsquare rachète des entreprises à travers le monde et il faut créer une culture commune ; sur l’engagement dans la démarche climatique ; et sur l’éthique des données. Contribuer ainsi à redéfinir ce qu’est la réussite d’une grande startup, c’est une mission rêvée pour moi.

Au sein de la FrenchTech, vous avez créé l’indice Next40 pour promouvoir 40 jeunes entreprises françaises considérées comme prometteuses et susceptibles de devenir des leaders technologiques. A propos de redéfinition de ce qu’est la réussite pour une entreprise : pensez-vous qu’il y ait une place pour un indice Next40 « pour le bien commun » qui ne soit pas seulement basé sur les levées de fonds mais aussi sur l’impact positif sur la société ?

C’est évidemment nécessaire ! Nous y avons réfléchi dans le cadre de la FrenchTech. Je soutenais l’idée d’avoir un indice ou d’indexer les startups à impact positif mais il était difficile de trouver des critères objectifs : l’entreprise doit-elle être labellisée BCorp ? Faut-il être dans une verticale « for good » ? Doit-il y avoir une certaine distribution des richesses en interne ? Etc. Alors nous nous sommes focalisés sur des critères objectifs de performance économique, tout en décernant des Impact Awards.

J’ai travaillé en parallèle sur un « Board Impact » : mettre en place un indice fondé sur les critères de l’inclusion, l’égalité des genres et la planète. Le projet a été interrompu avec mon départ.

Vous voulez lutter contre « l’impact washing ». De quelle manière ?

Depuis toujours, j’ai un fort engagement associatif. À la French Tech, l’obsession pour les « licornes » (26 licornes à ce jour) a tendance à mettre de côté les startups « for good » qui sont considérées comme méritantes mais sans perspective d’une hypercroissance qui permettrait à ses fondateurs une exit favorable [opération de sortie d’un ou plusieurs actionnaires du capital d’une société, moyennant un retour financier élevé].

En regardant de plus près, j’ai compris que si les projets à impact ne fonctionnaient pas, c’était dû au fait que les entreprises sous-investissaient dans l’impact. Elles pensent que c’est quelque chose de simple. Alors elles engagent des profils de communicants pour gérer ces projets-là, qui sont en réalité très complexes et ne peuvent pas relever uniquement de la com mais bien de la stratégie. Il faut reconnaitre que ce n’est pas évident : faire tourner une startup, c’est comme construire un avion en plein vol. Mais si on mettait la même ambition, le même investissement et les mêmes profils sur le sujet de l’impact que sur celui des ventes, du produit, etc., alors on pourrait potentiellement réussir à faire de grandes avancées concrètes en la matière.

Une interview réalisée par Gilles Vanderpooten et Joshua Tabakhoff

« Permettre aux réfugiés d’être reconnus pour leur savoir-faire professionnel est un formidable levier d’intégration » – Inès Mesmar, fondatrice de La Fabrique nomade

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Inès Mesmar, fondatrice de la Fabrique Nomade à la France des solutions 2021

Convaincue qu’une nouvelle voie d’intégration centrée autour de la créativité est possible, Inès Mesmar, fondatrice de La Fabrique nomade, accompagne les réfugiés dans leur insertion en leur permettant d’exercer leur métier en France. Elle revient sur son parcours, la genèse de son association et sa conception de la richesse de l’immigration.


Quel a été le point de départ de votre association ?

L’histoire de ma mère a été un déclic. En 2015, j’ai trouvé des broderies dans son armoire. C’est comme ça, que j’ai découvert que ma mère avait un métier. Elle m’a alors appris qu’avant de s’installer en France, où je l’ai toujours connue comme mère au foyer, elle était brodeuse en Tunisie. Elle possédait, comme d’autres réfugiés et migrants, un savoir-faire qu’elle avait oublié… et qu’elle a mis 35 ans à dévoiler à ses enfants ! J’ai alors enquêté dans les centres d’hébergement et identifié les freins auxquels ils sont confrontés : barrière de la langue, absence de réseau, méconnaissance du marché… l’absence d’un accompagnement adapté et l’urgence de leur situation les conduit à exercer des emplois dans les secteurs en tension comme le bâtiment, le ménage ou la sécurité, les obligeant à délaisser leur véritable métier qui est souvent aussi leur passion.

J’avais l’intime conviction que si on permettait à ces personnes de développer leurs compétences et d’être reconnues pour leur savoir-faire, cela pouvait être un formidable levier d’intégration.

J’ai alors lancé La Fabrique nomade dans le but de les accompagner  dans leur insertion professionnelle en France. Luthier, couturière, bijoutier, céramiste… notre association défend un nouveau modèle d’intégration, qui montre que l’immigration est une richesse et la diversité une force pour la France.

De quelle manière accompagnez-vous les réfugiés pour les aider à renouer avec leur métier artisanal ?

Nous travaillons en collaboration avec des structures d’hébergements et l’Office français de l’immigration et intégration (Ofii). Les stagiaires retenus suivent une formation certifiante de neuf mois. Neuf mois, c’est le temps d’une renaissance pour nos artisans. Ils suivent des cours de français, découvrent l’environnement économique et culturel de leur secteur d’activité, animent des ateliers de pratique artisanale et font un stage en entreprise. A travers ce programme, ils développent également une collaboration professionnelle : chaque artisan forme un binôme avec un designer et ensemble ils vont co-créer un objet d’art et de design. La collection ainsi créée fait l’objet d’un vernissage où toutes les créations sont mises en vente.

Quels résultats obtenez-vous, et comment se développe votre association ?

Aujourd’hui nous comptons 8 salariés dans notre équipe. En 5 ans, nous avons soutenu plus de 50 artisans, qui représentent 20 savoir-faire différents, venus de 28 pays du monde. C’est dire la richesse de l’immigration quand on veut bien la regarder. 76% d’entre eux se sont insérés sur le marché du travail et ces savoir-faire enrichissent notre patrimoine commun. Le groupe LVMH a compris l’apport que représentent ces personnes pour notre pays. C’est pourquoi ils ont décidé de soutenir notre action : aujourd’hui, nos artisans collaborent avec des créateurs, des artisans des maisons comme Chaumet, Céline et Repossi.

« La reconnaissance par la création » c’est votre crédo.

Notre action ne vise pas seulement à trouver un emploi, mais bien de construire un véritable projet de vie, en permettant à ces artisans exilés de trouver leur juste place dans la société. La reconnaissance de ce qu’ils sont et ce qu’ils apportent à la société est une étape essentielle pour leur intégration et devenir des citoyens et acteurs à part entière de notre pays. Cela permet d’ailleurs de développer un sentiment d’appartenance qu’ils transmettront à leurs enfants.

La force de La Fabrique nomade réside dans notre capacité à rendre compte, valoriser, et insérer ces profils spécialisés sur le marché du travail en même temps que dans la société. Notre action apporte une solution concrète pour éviter le processus de déqualification et de déclassement professionnel systématique, tout en apportant une nouvelle approche du processus d’intégration.

Vous mettez en valeur la spécificité de chaque individu ; cette perception de la valeur de chacun est-elle assez reconnue dans notre société ?

J’ai eu la chance de grandir dans un quartier monde, la Cité des 4000 à la Courneuve, où se mêlent différentes nationalités et cultures. Pourtant, je me suis construite dans l’effacement de ma différence qui n’était pas perçue comme une richesse. C’est encore le cas aujourd’hui en France. C’est aussi contre cette uniformisation des individus que j’ai voulu lutter en créant La Fabrique nomade. J’ai pris conscience de la force de la reconnaissance, de son pouvoir d’ intégration dans la société. Créer ces chemins de la reconnaissance c’est essentiel pour vivre ensemble grâce au « faire ensemble ».

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la construction de votre association ?

Trouver un modèle économique viable est un challenge que nous avons à relever tous les jours. Aujourd’hui nous dépendons des subventions publiques qui sont des fonds variables d’année en année et restent liées au contexte politique. Ces contraintes financières limitent le développement des solutions que nous déployons. Nous devons donc faire preuve de créativité pour diversifier nos sources de financement. Créer des collaborations inédites entre associations et entreprises me semble être l’une des clefs.

Comment concevez-vous le rôle des médias face aux difficultés d’intégration des réfugiés ?

Les médias ont un rôle primordial dans la perception des réfugiés, d’autant plus que la migration est un sujet sensible. Certains organismes participent à mettre en exergue des solutions, comme le fait Reporters d’Espoirs avec La France des solutions. La Fabrique nomade a bénéficié d’une belle visibilité médiatique, de nombreux médias ont mis en avant nos actions, ce qui a permis de développer la notoriété de l’association. Mettre en avant les acteurs qui agissent et trouvent des solutions permet d’inciter d’autres personnes à agir. C’est un cercle vertueux où tout le monde a son rôle à jouer, et celui des médias compte beaucoup.

Louise Darrieu, avec Caline Jacono et Gilles Vanderpooten pour Reporters d’Espoirs