Tourner un robinet. Ce geste du quotidien, d’une simplicité déconcertante, illustrerait à lui seul le rapport à l’eau de nos sociétés occidentales. Pourtant la réalité apparaît beaucoup plus alambiquée. Dilapidée, polluée, marchandée et gaspillée, ou à l’inverse évanouie, notre ressource vitale est en péril. Emmanuel Poilane, Directeur de France Libertés, Jean-Fabrice Mathieu, représentant de 1001 Fontaines Pour Demain, et Frédéric Naulet, Chargé de projets au Gret, ont offert leurs lumières à ce défi de demain. Suite à la projection de l’épisode 12 de la série documentaire « Artisans du changement II » consacré à l’eau, Sylvain Braun, le réalisateur de ces portraits d’acteurs du changement, a animé un débat placé sous le signe de la prise de conscience et de l’innovation. Car si l’eau semble omniprésente, elle reste pourtant une grande inconnue.
Difficile d’imaginer manquer de cette ressource vitale ! Pourtant, aussi rare qu’un métal précieux dans certaines régions du monde, l’eau fait défaut à 1,2 milliards d’individus. Les enfants sont les premiers laissés pour compte : 400 millions, soit un cinquième des enfants dans le monde, ne disposent pas du minimum vital en eau potable. L’eau manque et pire encore, elle tue. Les maladies hydriques sont la première cause de mortalité au monde : plus de 8 millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à sa consommation impropre, par manque d’éducation, d’accès et d’infrastructures d’assainissement. Devient-elle un luxe réservé aux seuls pays riches ? Un caprice certainement, une injustice évidemment. Les pays du Nord exercent une pression sans précédant sur elle, à cause d’une agriculture et d’une industrie conquérantes, d’un tourisme massif, d’une démographie et d’une urbanisation qui enflent, et de changements climatiques indomptables. La source se tarit, alors qu’en certains endroits elle n’est jamais apparue…
L’eau, une fatalité au Nord, comme au Sud ? Le documentaire de Sylvain Braun prouve qu’il est possible de dévier la trajectoire de son cours. A l’image du Péruvien Juan Carlos Calizaya Luna. Son invention ? Un système de toilettes écologiques. Parallèlement, il a permis l’établissement d’une chaîne de compétences au niveau local, la création de nouveaux emplois et la formation de maîtres d’œuvre au niveau local. Quant au français Thierry Jacquet, il fait de la nature sa meilleure alliée, une collaboratrice aux capacités régénérantes inépuisables. Ainsi, il pallie le coût du traitement des eaux usées grâce à sa société Phytorestore qui transforme les eaux usées en eau potable, dépollue l’air et change les boues d’épuration en compost, par le biais de jardins filtrants économiques, écologiques et esthétiques. Chaque jardin filtrant se compose de différents végétaux adaptés aux types de pollution. La Chine lui a fait les yeux doux en l’invitant à créer un quartier écologique dans la ville de Wuhan. Il espère devenir prophète en son pays et appliquer son invention aux pays en abondance hydrique. Enfin, Lo Chay a rendu l’eau potable accessible aux populations cambodgiennes, grâce à l’utilisation de lampes UV-C destructrices de bactéries. Il a également apporté la formation d’opérateurs dans chaque village et les outils nécessaires à l’établissement de centres de production et de distribution d’eau potable.
Jean-Fabrice Mathieu rappelle que le succès des solutions innovantes repose sur le business social, vecteur de responsabilisation et de motivation des populations, et par là-même garant de pérennité. Un cadre économique bien pensé et une accessibilité de l’eau aux points d’usage, garantissent également la réussite de tels projets. Le recyclage aussi se pratique beaucoup, comme l’explique Frédéric Naulet : « notre intervention est pragmatique. Nous travaillons le plus souvent au renfort des compétences locales, au niveau des opérateurs, des services d’eau, des pouvoirs publics et des consommateurs ». Une innovation surtout économique, financière et évidemment sociale.
Quant aux pouvoirs publics, ils semblent se noyer dans un verre d’eau. Pourtant Emmanuel Poilane rappelle la nécessité de faire émerger un champ politique en s’appuyant sur l’exemple français: « En France, l’eau est transformée en marchandise. Tout est fait pour qu’elle soit le plus cher possible et qu’elle rapporte le plus possible. La France, comme le Chili, privatisent ce qui devrait-être un bien public ». Un service public qui, selon lui, garantirait une bonne gouvernance sur le long terme de ce droit pour tous que représente cette ressource, et qui s’appliquerait au-delà de nos frontières grâce à une aide au développement. Pour Jean-Fabrice Mathieu, la situation française reste « excellente » : « l’eau en elle-même ne coûte que 3 euros par personne. Toutefois, notre pays mérite une politique sociale de l’eau en baissant le coût de l’accès et de l’assainissement pour les plus démunis ».
Combien connaissent le prix de l’eau ? Combien réalisent que certains Africains sont contraints à la marche pour accéder à un point d’eau ? De l’avis général, nos pays occidentaux ne doivent en aucun cas faire l’économie d’une prise de conscience de la valeur de l’eau. Elle ne se résume décidemment pas à tourner un robinet.