Skip to main content
Revue de presse

Vitamine T dope la réinsertion

By 5 avril 2012janvier 13th, 2021No Comments

Quatorze sociétés, trois mille salariés, un bilan équilibré… le groupe lillois d’André Dupon remet sur les rails les laissés-pour-compte de l’économie de marché.

Drôle de chef d’entreprise, qui cite Jaurès et Malraux à tout bout de champ, tonne contre l’inefficacité des politiques antichômage et a décoré son bureau avec un patchwork africain. André Dupon, 54 ans, patron méconnu d’un étonnant groupe de trois mille salariés dans le Nord, incarne peut-être un nouveau type de dirigeants, de ces « idéalistes-réalistes » qui, en ces temps de remise en cause du capitalisme, tentent, vaille que vaille, de réconcilier le profit et le social.

A première vue, Vitamine T n’est qu’un banal holding chapeautant quatorze sociétés aux activités hétéroclites : intérim, maraîchage, recyclage des équipements électroniques, médiation dans les transports, nettoyage, boulangerie (voir encadré), restauration, entretien de vélos municipaux…L’extraordinaire, dans ce groupe ce sont ses salariés. « Beaucoup portent des bracelets électroniques», sourit André Dupon.  Anciens détenus, abonnés longue durée de Pôle Emploi, jeunes à la dérive, seniors  désœuvrés: les trois quarts reviennent de toutes sortes de galères.  Les autres sont des cadres techniques ou des travailleurs sociaux.

On vient bosser chez Vitamine T pour se remettre sur les rails. Avec un CDDI (CDD d’insertion)  de vingt-quatre mois.  Le temps de remettre sa vie à l’endroit, de retrouver un souffle professionnel.  Rongée par son illettrisme,  Hélène (pseudo) s’isolait du monde. Elle a remonté la pente, entre rhubarbe et tomates, aux Serres des Prés, filiale du groupe qui cultive et vend sur les marches fruits et légumes produits sur 3 hectares de maraîchage à Villeneuve-d’Ascq.  Aujourd’hui, elle cueille des haricots avec trois « collègues ». Bientôt, c’est elle qui proposera aux clients radis et carottes dans le chalet de vente directe à l’entrée du terrain. Un pas immense.  Elodie,  20 ans, serveuse au restaurant le Bec à Plumes, enfin sortie d’une timidité pathologique, se sent capable de travailler « malgré de gros soucis».  Elle va tenter une  première sortie d’une semaine dans un restaurant classique.

Bien sûr, il y a des échecs : des toxicos qui replongent, des jeunes qui laissent tomber.  Mais le groupe s’enorgueillit d’un taux de « sortie » vers un emploi ou un CDD oscillant entre 40 et 100 % suivant les sociétés. En trente-trois ans, ils sont ainsi 27 000 à avoir repris pied après un passage chez Vitamine T.

A ces entreprises dites  «d’insertion», l’Etat paie annuellement  9 681 euros pour un équivalent temps plein par salarié. André Dupon se défend de gérer des sociétés «assistées» :  «Nous recevons 13 % de notre chiffre d’affaires en aides.  Pas énorme, si l’on compte que, pour 1 euro de subvention, 2,30 sont reversés a la collectivité sous forme de fiscalité et contributions employeur. Sans compter les économies faites sur le chômage et les minima sociaux… » Dupon insiste : « Les comptes sont consolidés et donc équilibrés. Les sociétés déficitaires sont renflouées par celles qui gagnent de l’argent comme Envie 2E Nord, 10 millions de chiffre d’affaires, 600 000 euros de bénéfices. »

Envie 2E Nord, installée sur un ancien site de Thomson, est un peu le fleuron de Vitamine

T : sous un hangar de plusieurs milliers de mètres carrés, tels des monstres défaisant leur Lego, des machines géantes désossent des milliers d’ordinateurs,  téléviseurs ou appareils électriques pour récupérer leurs composants, jusqu’aux parcelles de métaux rares ou aux gaz contenus dans les mousses.

André Dupon est fier d’aller vendre en Chine ces métaux rares. Au départ, ce patron était… travailleur social. Pas très étonnant pour quelqu’un qui a grandi dans les orphelinats cathos.  Bébé, il a été soustrait à des parents maltraitants. Un éducateur, dit-il, l’a sauvé.  Beau cas de résilience. Logiquement, il a choisi le même métier.  Mais le job le laissait insatisfait. «La seule chose que réclament  les personnes en difficulté, c’est du boulot.  En les maintenant sous la protection de l’associatif, on ne les aide pas. » Dupon redoute l’excès de « compassionnel », à la longue contre-productif. Il veut fonctionner dans le système.  Pour lui, les structures spécialisées dans l’insertion ne doivent pas  «rester dans l’entre-soi ».  Ni redouter la confrontation avec le monde de l’entreprise.

«Sinon l’insertion devient un statut ».  Pour éviter cet écueil, « l’économie sociale et solidaire doit se décomplexer vis-à-vis du marché. On ne peut pas se développer uniquement avec des aides publiques.  Il faut une démarche économique pour atteindre un objectif social ».

Il n’a donc pas hésite lorsque Pierre de Saintignon, le bras droit de Martine Aubry à la mairie de Lille, ancien directeur de Darty, fondateur et président de Vitamine T, lui a demandé,  il y a dix ans,  d’intégrer le groupe.  Depuis, celui-ci a doublé son périmètre.  Il en est devenu le directeur,  puis il y a trois ans le président opérationnel.  Dupon a poursuivi dans la voie tracée par Saintignon : en continuant d’impliquer les entreprises  « classiques »  dans le développement du groupe.

Au conseil d’administration de Vitamine T,  on retrouve,  aux côtes de personnes issues du social, la fine fleur du patronat local : Maxime Holder  (boulangeries Paul),  Vianney Mulliez (Auchan), Yves Claude (Decathlon),  Bruno Bonduelle…Mais comment s’assurer de n’être pas un simple alibi à l’heure où toute entreprise -vertueuse ou pas- fait sa « com » en mettant en avant ses bonnes œuvres?  « Nous avons des exigences.  Les entreprises doivent signer des pactes d’actionnaires acceptant la non-rémunération du capital investi et le réinvestissement des bénéfices dans le développement du groupe. »

Les boulangeries Paul avaient du mal à recruter?  Elles sont devenues actionnaires de La Part du Pain, boulangerie du sud de Lille, filiale de Vitamine T. Mais à une condition : s’engager à prendre en CDI tous les jeunes présentés par cette structure d’insertion.  De même,  le groupe Adecco est entré dans l’actionnariat de Janus, filiale d’intérim du groupe.  Les marchés ne manquent pas. Ainsi, les salariés de Janus travaillent pour Veolia, quand ce groupe doit respecter un cahier des charges prévoyant des actions d’insertion.  Un effet domino qui insère un peu plus Vitamine T dans le tissu économique.

D’autres projets sont en cours.  Au rez-de-chaussée du siège, on croise un représentant d’Air France : considérant le succès de la récupération du matériel électronique, le patron de Vitamine T s’intéresse au démantèlement des avions.  Autre ambition : relocaliser du textile à Roubaix. En créant une société dans la banlieue lilloise, avec Suez Environnement, qui fabriquera des vêtements de travail actuellement produits au Bangladesh mais avec une qualité jugée insuffisante.

André Dupon se voit comme le patron normal d’une entreprise où les salaires vont de 1 à 8 fois le smic (sa rémunération).  Il ne doute pas du pouvoir d’attraction de son groupe pour des jeunes cadres bien formés. Son chargé de mission, Antoine Huchet,  33 ans,  est un brillant Sciences-Po, venu de Paris après avoir travaillé dans des agences pour le luxe et une grande marque de soda. « Je vais continuer d’embaucher des diplômés de grandes écoles, dit Dupon.  On ne nous regarde plus comme des ovnis.»  Son rêve?  Que l’économie sociale et solidaire finisse par être banalisée.  Sans pour autant perdre son âme.

 

Marie-Christine, au four et au social

Odeur de pain chaud, appétissantes viennoiseries : La Part du Pain, boulangerie près de la rue de

La Poste à Lille, est réputée pour la qualité de ses sandwiches. Mais la souriante patronne, Marie-Christine Tremblay, ne met pas les mains dans la farine. Bien trop occupée à soutenir ses employés, dégoter un toit à l’un, tenter de retarder le passage d’un huissier pour un autre, trouver une consultation médicale pour un troisième. Mais aussi former aux contraintes de la vie au travail, rappeler les consignes du maître boulanger.

Entreprise d’insertion, La Part du Pain compte plusieurs salariés envoyés par Pôle Emploi ou par les missions locales.  Marie-Christine, ancienne préparatrice en pharmacie, est aujourd’hui tout à la fois travailleuse sociale, patronne de boulangerie et aussi de restaurant. Car, à l’heure du déjeuner, on la retrouve derrière le comptoir du Bec à Plumes, autre entreprise d’insertion, un restaurant aux murs couleur citron et orange près de la fac de droit.

Ici aussi, Marie encourage, coache, forme. Deux commerces comme les autres, sinon qu’ils se sont engagés à embaucher en CDD d’insertion de deux ans des personnes en difficulté. « Nous avons réussi quand, au bout du parcours, ils entrent en CDI dans une entreprise classique », dit

Marie-Christine. Deux jeunes de la boulangerie démarrent bientôt dans une des fameuses boulangeries Paul, qui est partenaire. Pour La Part du Pam, c’est mission accomplie.

 

 

Vitamine T

2 918 salariés en 201 0

 

  • Maraîchage, entretien                     Médiation dans les                           Propreté, multiservices,

             d’espaces verts                               transports en commun                      rénovation de bâtiments….

 

-Les Serres des Prés                        -Médiapole                                        -Solutis

(60 salariés)                                  (193 salariés)                                      (855 salariés)

-La Ferme des Jésuites                                                                               -Vitavert

(61 salariés)                                                                                             (30 salariés)

-Solubat                                                                                                                                                                         (12 salariés)

 

  • Restauration,                                 Recyclage                                           Travail temporaire,

             Boulangerie                                  (électroménager, véhicules…)            placement, accompagnement

 

-Le Bec à Plumes                         -Envie Nord                                         -Janus

(7 salariés)                                  (110 salariés)                                              (1045 salariés)

-La Part du Pain                          -Envie 2e Nord                                    -L’Ucie Intérim

(10 salariés)                                (10 salariés)                                         (248 salariés)

 

  • Gestion municipale de vélos et parking

 

-Mobil’Lille

(40 salariés)

(En création)

 

Lauréat du Prix Reporters d’Espoirs 2012, catégorie Presse-Economie.

Paru dans le nouvel Observateur, le 16/06/2011, journaliste Jacqueline de Linares.