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Etats-Unis

« Paradoxalement, ce sont les médias britanniques et américains qui racontent le plus l’épopée européenne ! » – Marc Bassets, correspondant en France du quotidien espagnol El Pais

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Aujourd’hui correspondant en France pour le quotidien espagnol El Pais, Marc Bassets a couvert l’actualité de nombreux pays européens comme la France et l’Allemagne ainsi que celle des institutions européennes à Bruxelles. Il a passé près de dix ans à Washington, séjour qui lui a inspiré son livre Otoño americano. Marqué par ces expériences des deux parts de l’Atlantique, il nous raconte dans cette interview le métier de correspondant et journaliste tourné vers le monde.


Pour vous, qu’est-ce que l’Europe ?

Les définitions sont multiples, n’est-ce pas ? C’est là que réside tout l’enjeu, notamment pour les journalistes qui la décryptent. L’Europe, c’est tout d’abord une histoire traumatique, un espace géographique où certains des pires crimes du XXe siècle ont été commis. C’est également un projet politique défendant de grandes valeurs, comme la démocratie ou les droits de l’Homme. Enfin, à un niveau personnel, l’Europe est aussi ma terre, ma patrie. Né à Barcelone, je suis catalan et espagnol, et je me sens surtout européen.

Quel espoir portez-vous pour ce continent et sa cohésion ?

J’adhère assez à cette phrase de l’écrivain espagnol Xavier Cercas : « L’Europe est la seule utopie raisonnable qui nous reste ». En tant que citoyen et Européen, je souhaite une Europe plus forte, plus unie, plus fédéraliste. Mais je ne pense pas qu’aujourd’hui, les conditions soient réunies à cet effet : si les années Covid-19 nous ont peut-être rapproché sur le plan économique, et l’invasion de l’Ukraine sur le plan militaire, il me semble qu’à chaque crise, l’Europe fait deux pas en avant et un en arrière.

Existe-t-il un « journalisme européen » ?

Je n’aime pas trop coller de telles étiquettes au journalisme. Il existe des traditions journalistiques, un certain style anglo-saxon, allemand, français etc., davantage liées aux nations donc qu’au continent européen. D’expérience, je pense qu’il y a quelque chose à apprendre dans chaque tradition. Car ce qui compte finalement, c’est de faire du bon journalisme, avec des faits bien sourcés, expliqués et informatifs.

Vous avez étudié « l’euro-journalisme » au CUEJ, l’école de journalisme de Strasbourg. Cette formation a-t-elle d’autant plus influencé votre sensibilité ?

Ces années d’études m’ont certainement aidé à adopter une optique européenne dans la quasi-totalité des sujets que je traite. Elles m’ont appris que depuis longtemps déjà, la politique intérieure allemande ou espagnole s’inscrivent dans une entité plus large qui les dépassent. Il est très utile de penser en termes de continent, tout autant que d’institutions de l’Union Européenne. Voilà pourquoi il faut à mon avis appréhender les sujets y compris locaux avec une approche globale.

Comment raconter un pays lorsqu’on y est correspondant d’un média étranger ?

La France est si proche de l’Espagne qu’elle n’est pas très exotique pour mes compatriotes. Néanmoins, beaucoup de lieux communs ont été construits au fil de l’histoire, en raison du voisinage et du contact très étroit entre ces deux pays. Mon défi en tant que correspondant est de raconter un pays que l’on connaît déjà un peu, en allant au-delà de l’image, des préjugés et clichés. Je couvre bien sûr les actualités du jour, mais à travers ces évènements, j’essaie aussi et surtout de raconter « l’âme » d’un pays. Pas seulement à un public espagnol, car près de la moitié du lectorat en ligne de El Pais se trouve en Amérique Latine. Et cette audience, beaucoup plus éloignée de la France, en a encore d’autres images.

La décennie que vous avez passée aux Etats-Unis vous a-t-elle amené à changer le regard que vous portez sur notre continent ?

C’est aux Etats-Unis que j’ai découvert que je suis européen. Là-bas, on réalise que finalement, par comparaison, les différences entre Allemands, Français, Italiens etc. sont assez minces.

J’y ai également observé le phénomène du populisme radical qui se développait alors aussi en Europe, avec le Brexit ou encore la montée de l’extrême droite dans plusieurs pays, dont l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. Je suis arrivé en France en février 2017, juste après la victoire de Trump, et en plein milieu de la campagne d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Mon expérience américaine m’a permis d’appréhender cette élection française sous un autre angle, peut-être même de mieux la comprendre.

Vous avez déclaré que « plus on connaît les Etats-Unis, plus ils deviennent mystérieux ». Diriez-vous la même chose de l’Union Européenne ?

Les Etats-Unis m’étaient complètement étrangers et exotiques alors que l’Europe, du moins dans sa partie occidentale, ne l’était pas.

Un collègue m’a un jour glissé que pour réaliser un livre sur un pays étranger, il fallait soit y passer trois semaines, ou bien y vivre pendant trente ans. Dans le premier cas, on en ressort avec une image très superficielle, en s’en tenant aux premières impressions. Mais une fois qu’on y passe plus de temps, la réalité apparait bien plus complexe. Il faut beaucoup de temps pour comprendre un pays, et c’est vrai aussi pour la France : plus on s’y attarde, plus ce sont des questions plutôt que des réponses qui émergent.

Les médias doivent-ils se donner pour mission de parler d’Europe ?

Je suis très attaché à la pluralité des médias et je ne crois donc pas qu’il faut leur imposer une telle mission. Mais bien sûr, il faut informer sur l’Europe parce qu’en tant que continent et ensemble d’institutions, elle a un impact immense sur tous ses habitants. La Commission et le Parlement européen sont probablement plus influents sur la vie des Français que l’Assemblée Nationale. Ce n’est donc pas pour promouvoir des valeurs ou défendre le projet européen, mais simplement pour informer que les médias doivent s’emparer du sujet.

Que faudrait-il améliorer dans la manière dont les médias traitent de la question européenne ?

L’Europe a probablement besoin d’un peu plus d’émotions et d’épique. Si je compare Bruxelles à Washington, il y a un certain romantisme dans la politique américaine que l’on ne retrouve pas ici. Peut-être l’absence de mythologie européenne est-elle liée au fait qu’il n’y pas vraiment de nation européenne, mais bien 27 pays et autant de sentiments nationaux.

Et puis, il n’y pas non plus de journaux européens qui racontent l’Europe d’un point de vue européen. Paradoxalement, les quelques journaux les plus influents de ce point de vue nous viennent des Anglo-Saxons, comme le Financial Times ou Politico – un journal de Washington qui dispose d’une antenne bruxelloise. Ce sont les Britanniques et les Américains qui racontent l’épopée européenne !

Les médias espagnols vous paraissent-ils davantage preneurs d’histoires constructives que les médias français ?

En Espagne, il y a encore plus de tension informative qu’en France. Il y a d’autant plus de batailles médiatiques que la politique y est très déclarative, et les attaques contre l’autre très fréquentes. En cela l’Espagne est peut-être plus proche encore des Etats-Unis.

En même temps, j’observe qu’il y a beaucoup d’idées constructives relayées dans la presse. Cela n’entre peut-être pas exactement dans le champ du journalisme de solutions, mais pendant la pandémie, notre service scientifique a réalisé une excellente infographie sur la propagation du Covid-19 par les aérosols. C’était en octobre 2020, à un moment où régnait encore beaucoup d’incertitude autour de ce virus. Ce graphique a permis de sauver des vies. Ce service public qui consiste à donner des informations utiles, à ne pas seulement raconter les crises mais aussi comment l’on s’en sort, est à mon avis bien ancré en Espagne.

En quoi, d’après vous, le journalisme de solutions est-il porteur de sens ?

Je pense que tout journaliste se doit d’essayer d’expliquer le monde tel qu’il est. Or, le surplus d’informations anxiogènes auquel nous faisons face aujourd’hui ne reflète pas la réalité. Notre attention est automatiquement attirée par le conflit, mais cela crée une image déformée du réel. Steven Pinker, psychologue américain et ardent défenseur de l’optimisme, explique que même dans un futur utopique, s’il restait ne serait-ce qu’une personne souffrant de faim, les médias s’empareraient de la nouvelle.

J’espère simplement que lorsque les gens lisent des journaux de qualité, cela les incite à agir en tant que citoyen. Les chroniques sur la guerre en Ukraine amènent beaucoup de gens à s’engager. Je pense donc qu’un bon journalisme peut toujours être un journalisme de solutions, dès lors qu’il éveille la conscience du public.

Propos recueillis par Augustin Perraud et Morgane Anneix pour Reporters d’Espoirs