Interview de Serge Tisseron*, psychiatre et psychanalyste.
Pourquoi avons-nous besoin d’informations « positives » ?
Lorsque nous voyons des personnes qui vivent ou éprouvent des émotions intenses, nous avons tendance à nous identifier à elles. C’est-à-dire à imaginer pouvoir ressentir les mêmes émotions. Une aptitude humaine désignée sous le nom d’empathie. Mais en fait, il n’y en pas une, mais plusieurs. On parle « des » empathies.
La première est à la fois émotionnelle (être capable de s’imaginer à la place de l’autre) et cognitive (essayer de se représenter ce qui se passe). La seconde consiste à reconnaître à autrui les mêmes droits qu’à soi-même. Et dans ce cas, on ne parle plus d’empathie identificatoire, mais de reconnaissance réciproque.
Et le propre des informations, le plus souvent dramatiques, c’est de trop solliciter la capacité empathique : une surexcitation, qui produit finalement l’effet contraire de celui recherché. A trop éprouver par procuration, cela conduit à l’épuisement de l’empathie.
L’omniprésence des informations « catastrophes n’est pourtant pas une nouveauté… ?
Ce qui est différent d’hier, ce sont les technologies numériques :
– Aujourd’hui, tout le monde a un appareil enregistreur sur soi, comme son téléphone mobile. Les images et les témoignages sont donc pris au cœur-même du drame.
– Leur transmission se fait également en temps réel, lorsque l’événement est toujours en cours, lorsque le blessé n’a pas encore été soigné.
– La miniaturisation des récepteurs permet aussi à tout un chacun d’accéder à ce qui se passe. De n’importe où. D’où une irruption de l’intimité du monde dans sa propre intimité.
Pour ces trois raisons « technologiques », les événements « pénibles » nous apparaissent encore plus pénibles. D’où un risque accru de saturation et donc d’endurcissement par rapport à soi-même. Qui peut conduire à un repli communautariste, où l’on ne s’occupe plus que des malheurs de sa communauté. C’est contre ça que nous avons besoin de vous, Reporters d’Espoirs et que les chaînes de télévision doivent travailler avec vous.
Quel pouvoir structurant, voire thérapeutique ont les images, les actes, les faits, les initiatives constructives ?
En offrant des pistes d’action, pour soi et les autres, on donne à ceux qui le désirent la possibilité de reprendre le pouvoir sur des événements qui leur sont pénibles ou sur les images qu’ils reçoivent, de reprendre confiance en eux-mêmes et en les autres. Reporters d’Espoirs remplit une mission essentielle aujourd’hui. Vous permettez de ne pas subir le monde de façon passive.
On devrait donner la possibilité de « cliquer » sur « Reporters d’Espoirs », en même temps que l’actualité défile, pour pouvoir intervenir sur les grands problèmes. Sinon, les chaînes vont nous rendre malades. Les informations montrent souvent des événements, sans donner les moyens de les comprendre, ni les moyens d’agir. Or, c’est la condition pour continuer à rester curieux. C’est pour ça que je soutiens Reporters d’Espoirs.
* Auteur d’une trentaine d’essais depuis 1985, dont L’Empathie au cœur du jeu social (Albin Michel ; 2010) et Y-a-t-il un pilote dans l’image ? (Aubier ; 1998).
Propos recueillis par Olympia Nemet.