Sujet très en vogue, tantôt pointé d’un doigt accusateur, tantôt divinisé, le microcrédit déchaîne les passions et soulève les foules. Et foule il y avait au Comptoir Général, en ce mardi 18 janvier, pour la première conférence consacrée au thème de « L’argent et l’autonomie ». Jean-Luc Perron, délégué général de la Fondation Grameen Crédit Agricole, Arnaud Poissonnier, fondateur du site Babyloan.org, Frédéric Tailler, secrétaire général de Crédit@People et François Dechy, directeur délégué de France Active Financement, ont tenté de faire la lumière sur le bien-fondé et les enjeux de cet outil révolutionnaire.
Nos quatre invités ont choisi de répondre en premier lieu aux inquiétudes que le microcrédit soulève et aux amalgames qui s’y mêlent. A la question : la crise financière a-t-elle affecté la sphère de la microfinance ?, nos spécialistes rappellent que les institutions de micro finance (IMF), subventionnées aux 3/4 par le système local, et agissant régionalement dans l’économie rurale, sont protégées des pressions extérieures. Pas d’effet domino, de contagions des dysfonctionnements d’un pays à un autre, puisque chaque marché de la microfinance se fonde sur l’autonomie. Le spectre des subprimes se retrouve quant à lui bel et bien écarté par la nature même du microcrédit qui prône une connexion entre financeurs et bénéficiaires.
Cependant, tout n’est pas rose et replacer l’outil dans sa réalité géographique permet d’appréhender les difficultés auquel il se heurte. François Dechy insiste : « c’est une technologie du Sud reprise au Nord ». Les dérives Indiennes, teintées d’introduction en bourse, de détournement en crédit à la consommation, de surendettement et de suicides en série ne pourraient se produire dans nos pays du Nord. Tout simplement parce qu’à des banques peu présentes, voire inexistantes pour les catégories sociales les plus fragiles, s’oppose une économie du Nord, dépendante d’un système bancaire très puissant. À l’emploi plus ou moins informel s’oppose l’emploi salarié des pays occidentaux. La concurrence se fait donc féroce pour les IMF du Sud et tend à dénaturer l’objectif initial du micro-crédit, pensé il y a plus de 30 ans par l’économiste bangladais et prix Nobel de la paix Muhammad Yunus: prêter aux plus démunis pour concrétiser des microprojets et favoriser la création de richesse.
Mais comment expliquer que les plus démunis voient leurs taux d’intérêts atteindre en moyenne 25% alors que ceux des pays développés ne dépassent pas, bien souvent, les 3% ? Nos quatre experts parlent de « composition en mille feuille », de « raisonnement en termes de supportabilité et non en valeur absolue ». La constitution même du microcrédit varie entre le Nord et le Sud. Les taux élevés des pays du Sud s’expliquent par le coût de refinancement des institutions, renforcés par des taux d’inflation importants, le coût de la main d’œuvre (suivi des clients vivant dans des zones parfois éloignées), et les coûts de fonctionnement (biens et besoins matériels souvent importés).
Comment panser le microcrédit d’aujourd’hui et penser celui de demain ? Tendre à une réponse complète, qui passe à la fois par le crédit et à la fois par la microépargne et la microassurance, limiteraient les dérives. Le microcrédit ne peut se faire appeler comme tel sans connaissance et accompagnement de l’emprunteur. L’approche sociale sera au cœur des débats des prochaines années, alors que des formes ingénieuses de microprêt s’épanouiront, à l’image des «peer-to-peer lending», tel le français Babyloan.org.
Aude Serra (Alter Mardis – Parlons solutions)