L’édito de Jean Viard, Sociologue, Directeur de recherche CNRS à Sciences-Po et éditeur
» Sur une terre où l’espérance de vie est passée en un demi-siècle de 48 à 68 ans, dans un pays où la durée de vie a cru de 40 % depuis 1900 et où nous gagnons encore trois heures de vie par jour, tout ne va pas si mal !
Et il est toujours curieux que ces bons indicateurs, absolument essentiels pour marquer le succès global de politiques publiques et des innovations scientifiques et technologiques, soient laissés de côté comme enjeux secondaires. Pire, on ne parle que des problèmes de financement des retraites ou des maladies des personnes très âgées! A désirer presque mourir jeune…
Certes, le but de la vie ce n’est pas seulement de rester vivant, et chacun connaît les malheurs de notre monde. Mais au-delà de cette part noire considérable, des inquiétudes sur le futur, ne pas savoir voir l’œuvre accomplie est une manière de ne pas savoir dire merci à ceux qui ont lutté, cherché, inventé, pacifié le monde dont ils avaient hérité. Or ne pas savoir dire merci, rend l’engagement impossible car tout paraît sans horizon ni effets.
Beaucoup des problèmes du présent viennent non pas du fait que les générations précédentes aient échoué mais du fait qu’elles aient réussi. Vies longues par réduction de la part du travail, progrès de la médecine et de la solidarité, automatisation des efforts… tout cela nous a fait atteindre les projets des générations passées.
Nous avons construit un modèle social incroyable. Certes, sans cesse à renouveler et démocratiser davantage, mais actif et efficace pour l’essentiel.
Toutefois quand on atteint son objectif… il faut savoir en évaluer les conséquences, puis en inventer un autre. C’est là où notre présent est pauvre. Car comment penser ensemble démocratie, réchauffement climatique, croissance démographique, nouveau rapport à la nature, renouvellement de la place des femmes, réunification de l’Humanité, gestion politique d’une Terre unique… Nous savons peu nous engager dans cette nouvelle bataille des idées et des projets et n’en saisissons souvent qu’un fragment. Alors que nous avons besoin d’utopie, de créatif, d’écoute, d’espérance, de débats d’idée.
Et pour conclure rendons hommage à Hubert Nyssen qui vient de nous quitter. Le premier en France, en 1978 seulement, il a cru que l’on pouvait éditer des écrivains du monde entier de sa bergerie près d’Arles. Il s’est fait éditeur, distribuant son premier livre édité avec sa Peugeot break. Aujourd’hui, l’entreprise (NDLR : Actes Sud) qu’il laisse publie un livre par jour et des dizaines d’autres maisons ont fleuri loin de Paris. Comme lui, ayez confiance dans vos intuitions et engagez-vous. »
Edito paru dans la Lettre d’information Reporters d’Espoirs, novembre 2011.