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« J’ai simplement suivi le fil : d’agricultrice, je suis devenue industrielle textile », Myriam Joly, fondatrice et directrice de Missègle

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Alors que plus de 95% de nos vêtements sont importés, Myriam Joly, fondatrice de l’entreprise Missègle, a décidé de parier sur le savoir-faire hexagonal. Avec un chiffre d’affaires en croissance de 25% par an, des laines de haute qualité et une entreprise prônant le bien-être au travail, Myriam  témoigne que oui, le circuit court peut être compétitif ! Elle nous raconte son aventure.


 

Quel déclic vous a amené à vous lancer dans l’aventure du textile ?

J’ai eu envie de refaire ce que faisait ma grand-mère : vendre les produits que je fabrique. Aussi, en 1983 je suis allée chercher des chèvres Angora au Texas. Je confiais la laine, le mohair, à des industriels de ma région qui confectionnaient les chaussettes et pulls que je revendais par la suite sur ma ferme. En 2007, mon façonnier a fait faillite et j’ai décidé de racheter son entreprise. Par la suite j’ai repris une autre entreprise de la région. Aujourd’hui nous sommes près de 60 employés, et toute l’équipe en est très fière. J’ai simplement suivi le fil : d’agricultrice, je suis devenue industrielle textile.

Vos produits ont beau être un peu plus chers que ceux de la « fast-fashion », votre chiffre d’affaires a bondi de 25% l’année dernière. Comment expliquez-vous cet engouement, et quels produits contribuent à ce succès ?

Nous avons un socle solide de consommateurs fidèles : 80% de nos ventes se font en direct. Nos chaussettes sont les produits dont nous sommes les plus fiers. Ce sont les chaussettes les plus solides du monde. C’est cette qualité et cette longévité des produits que recherchent les consommateurs. Ils peuvent ainsi porter de beaux vêtements et réduire leur empreinte carbone en privilégiant des habits résistants au temps et à l’usure. Ils ont pris conscience qu’en achetant moins et mieux tout le monde était gagnant.

Le made in France est souvent corrélé à un prix (plus) élevé…  C’est la garantie de bonnes conditions de travail ?

Le made in France est à la fois une garantie de bonnes conditions de travail mais aussi de qualité. Les produits fabriqués en France peuvent être plus onéreux que ceux importés mais ce prix est révélateur de la valorisation du métier de chacun, de la valeur ajoutée qu’apporte chaque employé au produit. Nous tenons à payer nos salariés au minimum 20% au-dessus du SMIC. Prouver par ce biais que les métiers industriels sont nécessaires permettra de les revaloriser dans la société.

Comment comptez-vous conserver ce savoir-faire et ce lien direct tissé entre vos fournisseurs et vos clients tout en continuant d’accroitre votre production ? Y a-t-il des fibres, des matériaux, qui manquent et vous obligent à aller les chercher plus loin que prévu ?

Nous comptons développer notre activité en garantissant des conditions de travail optimales. Nous voulons proposer des emplois qui permettent à nos salariés de s’épanouir et d’être heureux. C’est cette recherche du bien-être au travail couplée à la qualité de notre production qui nous astreint à développer notre savoir-faire.

Pour ce faire nous utilisons des laines françaises mais nous aurons toujours besoin d’aller en chercher ailleurs. Le challenge est de tisser les relations les plus équitables possibles avec nos fournisseurs. Par exemple, nous ne pouvons pas élever nous-même des yacks mais nous pouvons nous fournir directement chez les éleveurs nomades de la steppe.

Comment jugez-vous la médiatisation du savoir-faire industriel français?

Les métiers manuels et industriels sont encore dénigrés notamment par la jeune génération mais  leur reconnaissance sociale grandit de jour en jour. La nécessité d’avoir un tissu industriel performant refait surface dans les débats publics et c’est une bonne chose.

Vous avez collaboré avec la designeuse Matali Crasset pour la construction de l’extension de votre atelier. Comment s’est faite cette rencontre ?

Nous nous sommes rencontrées dans le cadre des Académies des Savoir-faire de la Fondation Hermès : je faisais partie des stagiaires et Matali était la responsable pédagogique.

C’est une designeuse talentueuse qui pose au fondement de son métier les logiques d’altérité et d’identité. Pour elle, un lieu doit générer un imaginaire commun et favoriser le vivre-ensemble. C’est parce que nous partageons les mêmes valeurs que je lui ai confié la rénovation de notre atelier. Pour cela, nous avons collaboré avec plusieurs artisans locaux comme Baticos qui propose des bâtiments faits uniquement de bois.

 

Myriam Joly, La France des solutions 2021

 

Pensez-vous que le journalisme de solutions peut inciter les individus à changer les choses, ne serait-ce que leurs pratiques de consommation ?

Les médias ont un rôle fondamental dans l’éveil de la conscience collective. Malheureusement certains deviennent des addictions pour de mauvaises raisons et peuvent être néfastes pour notre société. Il est donc important que d’autres médias d’information apportent un vent nouveau, des réponses aux enjeux auxquels nous sommes confrontés.

Il est nécessaire de montrer le progrès et les acteurs qui influent ce mouvement et c’est ce que fait La France des solutions. J’ai été ravie et très fière que mon entreprise Missègle ait été retenue.

 

Propos recueillis par Louise Darrieu pour Reporters d’Espoirs

 

Myriam Joly était sur la scène de « La France des solutions » le 15 décembre dernier. Nous avons voulu l’interviewer pour compléter son pitch de 5 minutes, que vous pouvez voir et revoir ici :

Pour en savoir plus sur Missègle, l’entreprise de Myriam Joly, et pourquoi pas passer commande : https://missegle.com/

« Pour tout article nous devons vérifier et recouper nos sources : l’investigation commence ici. »

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Noëmie Leclercq est journaliste société pour ELLE.fr et la revue trimestrielle Zadig. Nommée pour le Prix Presse Écrite 2021 de Reporters d’Espoirs pour son article « Made in Vosges, l’industrie textile vosgienne renaîtrait-elle de ses cendres ? » paru dans Elle, elle revient dans cet entretien sur l’élaboration de son article et sa vision du journalisme.


 

Votre reportage porte sur la réindustrialisation, pourquoi avoir choisi ce sujet ?

A l’époque, j’étais pigiste spécialisée dans la mode pour Elle et j’avais remarqué que le grand-public avait une vision restrictive de la mode et du journalisme qui la traite. De l’extérieur, on peut voir la mode comme quelque chose de futile, qui ne fait que polluer. Mais c’est aussi une industrie très puissante et créatrice d’emplois. J’ai voulu montrer les coulisses, mais pas ceux des Fashion weeks : j’ai pris le parti d’aller du côté des personnes qui, littéralement, fabriquent la mode. Aller voir les ateliers et interroger les personnes qui les animent me paraissait intéressant, d’autant plus à une période où le made in France est en plein essor.

Vous avez opté pour un format relativement long. Combien de temps nécessite la réalisation d’un tel reportage ?

Je suis restée quatre jours sur place, dans les Vosges, pour la réalisation du reportage en tant que tel. Quatre jours auxquels il faut ajouter le travail de préparation en amont : faire des recherches générales, identifier les interlocuteurs sur place, organiser les interviews et rencontres. C’est selon moi aussi important que le reportage en lui-même. Ensuite, j’ai consacré une journée à l’écriture du papier à mon retour, puis je l’ai relu le lendemain, à tête reposée, avant de l’envoyer à ma rédaction en chef et aux relecteurs.

Par Emma Burlet

Il y a quelques années, nous nous intéressions au bio dans l’alimentation. Je pense qu’aujourd’hui, la problématique environnementale passe aussi par nos placards : nous prenons conscience de l’impact de notre consommation de vêtements. Il y a un ras-le-bol de surconsommation en général, qui s’est renforcé avec le Covid. Naturellement, je ne critique pas les personnes qui n’ont pas les moyens de se vêtir de manière éthique : la fast fashion a été une petite révolution en soi, permettant à tout le monde de s’habiller “à la mode” à moindre prix – on sait à quel point cela peut être un facteur d’intégration sociale, notamment chez les ados. Mais ceux qui le peuvent doivent être vigilants quant à leur consommation de vêtements.

Même si je suis malheureusement loin d’être un exemple, en constatant la difficulté du travail des employés de l’industrie textile en France, j’ai pris conscience de ce que représentait vraiment le coût d’un vêtement : nous ne pouvons qu’imaginer l’atrocité des conditions de travail dans les pays où le Droit est moins protecteur. C’est en cela, je pense et j’espère en tout cas, que les reportages qui montrent cette réalité peuvent faire changer les choses.

Votre article relève d’une pratique du journalisme de solutions. Que pensez-vous de la place de ce « genre » journalistique dans le métier ?

Le journalisme de solutions n’est pas valorisé dans notre profession parce que nous avons tendance à restreindre notre rôle à la dénonciation des problèmes de société. Dans la presse féminine, c’est la double peine : cette difficulté s’ajoute à la mauvaise image de l’omniprésence des annonceurs. Qualifier mon travail de « publireportage », comme ça a été le cas lors de la remise des prix Reporters d’Espoirs, est d’ailleurs révélateur de ce jugement dépréciatif que peuvent émettre certains confrères et consœurs sur la presse féminine, et par extension le journalisme positif, dont fait partie le journalisme de solution.

Voyez-vous le journalisme de solutions se développer au sein des écoles de journalisme ?

Le journalisme de solutions n’est pas véritablement mis en avant. A l’ESJ Lille, où j’étais étudiante, nous devions ancrer nos sujets dans l’économie locale – c’est l’avantage d’être situé en dehors de Paris. Je pense que ça nous a permis, en tout cas pour moi, de développer une certaine appétence pour les sujets de ce genre. Mais ce n’est pas le cas de toutes les écoles. Mais globalement, je pense que quand des étudiants arrivent en école de journalisme, ils ne rêvent pas de journalisme de solution – leur définition du métier se retrouve davantage dans le « grand reportage » ou le « hard news », qui, globalement, a plutôt tendance à être plombant. Mais c’est un genre journalistique qui, je pense, mérite d’être réhabilité : cela ne veut pas dire que l’on est à la botte d’un acteur économique, ou que l’on est complaisant. Mettre en avant des solutions n’empêche pas d’être critique et honnête.

J’ai l’impression que nous opposons souvent le journalisme d’investigation et le journalisme de solutions ; est-il selon vous possible de faire converger les deux approches au sein d’un même sujet ?

Je ne trouve pas juste d’opposer le journalisme d’investigation au journalisme en général. L’investigation, ce n’est pas simplement pointer du doigt les problèmes. Pour tout article, il est nécessaire de vérifier et de recouper nos sources : l’investigation commence ici. Il faut toujours faire une enquête pour produire un article sérieux et fiable. En cela, le journalisme d’investigation et le journalisme de solutions sont tout à fait compatibles. Le magazine Zadig, par exemple, mêle très bien les deux : il donne à la fois la place au journalisme de long court et aux initiatives porteuses de réponses.

Vous avez travaillé pour des médias très variés –Zadig, France TV, Le Monde et Elle. En quoi cela nécessite-t-il de vous adapter – le type de sujet, leur traitement, l’écriture, sont-ils différents ?

Ce sont tous de beaux médias qui permettent des reportages longs. C’est important pour Elle comme ça l’aurait été pour Le Monde de parler de mode sous un prisme économique avec du fond. J’ai d’ailleurs fait un sujet sur le retour de l’industrie textile dans les Hauts-de-France pour Zadig ! En cela je pense qu’il y a de la place pour traiter de sujets semblables dans tous ces médias.

Propos recueillis par Louise Darrieu

 

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dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/signataires/noemie-leclercq/ Son reportage nommé au Prix Reporters d’Espoirs 2021 : https://www.elle.fr/Mode/Les-news-mode/La-mode-se-fabrique-dans-les-Vosges-3923556