Au jeu des pouvoirs et des forces dominantes, la petite dernière, la Justice, s’essouffle. Le 44ème « Alter-Mardis : Parlons Solutions » a décidé de redonner de l’ambition au 3ème pouvoir en France, en présentant le rapport de Terra Nova « La justice, un pouvoir de la démocratie ». Ses signataires, Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, et Daniel Ludet, magistrat et conseiller à la Cour de cassation, ont plaidé pour une rupture fondamentale : la reconstruction totale d’un système judiciaire affranchi de l’exécutif. Mais plus encore, la série de réformes constitutionnelles proposée s’inscrit dans une réflexion globale sur la démocratie. Captivant et innovant, le débat a ouvert des pistes pour garantir l’indépendance de notre système judiciaire, repositionner le juge au cœur du jeu démocratique, et associer les citoyens à l’exercice de la justice. Garante de notre liberté, l’avenir de l’autorité judicaire nous vise tous.
La Constitution de la Vème République ne fait pas la part belle à la justice. Elle la définit comme une autorité, non comme un pouvoir, et sa légitimité n’étant pas conférée par le suffrage universel, elle se trouve reléguée au bas de l’échelle démocratique… D’autre part, l’institution souffre des secousses des réformes gouvernementales, d’un manque de lisibilité et d’une faiblesse budgétaire, alors que le XXIème siècle, inondé d’affaires judiciaires, se présente comme le siècle du juge. Repenser et imaginer une justice à l’image de notre société, à l’opposé de celle prônée par Michel Debré à l’image de l’Etat, s’impose pour Dominique Rousseau et Daniel Ludet :« nous considérons la justice comme le signe de civilisation de la société, la garantie des citoyens, et une institution d’équilibre ». La justice devient un instrument laïc de civilisation indispensable face au déclin de l’Etat, dont l’indépendance protège la liberté de chaque citoyen et qui par sa présence stabilise les pouvoirs et les émotions. Dans une société de vitesse et de précipitation, l’institution serait un lieu de réflexion et de respiration, à l’heure où les débordements d’émotions permettent à chaque crime d’accoucher d’une loi.
Pas de rafistolage incertain, ni d’une énième réforme judiciaire ponctuelle. Les magistrats, avocats et universitaires du groupe de travail « Justice et pouvoirs » de Terra Nova ont planché pendant 2 ans pour asseoir la justice au cœur de notre démocratie. Le rapport final préconise de faire de la justice un vrai pouvoir indépendant. Comment ? Grâce à la création d’un Conseil supérieur de la justice indépendant (CSJ) et d’un Procureur général de la République dirigeant l’action publique. Il suggère également d’asseoir la légitimité du pouvoir judiciaire sur des nominations parlementaires transpartisanes, de resserrer les liens entre la justice et les citoyens à travers l’échevinage et d’assurer la pleine responsabilité des magistrats (sanction, prévention, transparence).
Gardien de l’indépendance de la justice, le CSJ, autorité constitutionnelle indépendante composée de magistrats élus et d’éminences aux qualités reconnues par la société, se verrait transférer l’intégralité des compétences de nomination et de gestion de la carrière des magistrats, du siège comme du parquet, et serait également compétent en matière de gestion du budget. D’autre part, afin d’échapper à une justice à plusieurs vitesses et aux risques d’influences, le ministre de la Justice ne devrait plus être en mesure de donner des instructions individuelles aux magistrats du parquet, ni rester le chef de l’action publique. Ces fonctions seraient transférées à un Procureur général, magistrat choisi pour son indépendance, sa compétence et son intégrité, et dont le statut serait reconnu constitutionnellement. Un principe d’impartialité des investigations serait introduit : les enquêtes et les instructions seraient menées à charge et à décharge. Ainsi, le ministère se recentrerait sur la définition de la politique pénale, à travers les circulaires générales qui continueraient d’être élaborées par le Garde des Sceaux, et demeurerait pleinement compétent sur ses autres fonctions actuelles. Enfin, pour être légitime, la Justice doit créer un pacte de confiance avec les citoyens en réintroduisant la collégialité dans l’action de juger. L’introduction de l’échevinage aboutirait à un modèle de justice mixte où des juges citoyens, non professionnel, rendraient la justice aux côtés des juges professionnels. Cette proposition phare rapprocherait la sphère de la justice du monde des justiciables, favorisant ainsi l’accès à la justice et le contrôle de son bon fonctionnement.
En ces temps de révoltes et de crises de confiance, ces propositions innovantes ont le mérite de positionner l’intérêt des citoyens au cœur de la réflexion démocratique qu’elles soulèvent. La légitimité électorale ne suffisant plus, qu’est ce qui peut restaurer la confiance des citoyens en leurs institutions? Trois conditions doivent être réunies, assure Dominique Rousseau: « que l’institution soit impartiale, proche d’eux et source de réflexion ».
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