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Se forger une « culture climat »

« Il n’y a pas beaucoup de rédacteurs en chef qui aient une conscience environnementale authentique. Dans les séances de rédaction, j’avais souvent l’impression que ce qui était essentiel à mes yeux ne l’était pas à ceux des autres. »
Philippe Le Bé, journaliste indépendant, ayant œuvré au sein des principaux médias Suisses
francophones (ATS, Radio Suisse internationale, la Tribune de Genève, Bilan, la RTS, L’Hebdo, Le Temps)
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« Je ne pense pas qu’il y ait un manque d’intérêt pour ces sujets, mais plutôt un manque de connaissances. Le changement climatique s’impose à nous, il faut s’en occuper. On n’a pas le choix. »
Comme le remarque ici Yves Renard, directeur adjoint de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille2, être formé ou s’auto former à la science du climat va devenir une nécessité impérieuse pour un nombre toujours plus important de journalistes. Par son caractère transversal, le changement climatique influence en effet de nombreuses sphères de l’activité humaine. Que l’on traite d’économie, d’industrie, de science, d’automobile, de numérique, de cuisine, d’agriculture, d’énergie, de politique ou de mode, de fin du mois ou de fin du monde, du local du national ou de l’international… le climat s’impose (presque) partout !

I. Introduction

D’où part-on ?

« On peut estimer qu’il y a, en France, de l’ordre de 300 journalistes pour lesquels le changement climatique fait partie de « l’environnement habituel », soit 1% des journalistes travaillant dans le pays, et qu’en outre seule une fraction de ceux-ci a un accès direct à une information primaire, les autres citant leurs confrères » estime l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, spécialiste de l’énergie.

Où va-t-on ?

L’état des connaissances scientifiques, la demande des Français (pour qui le changement climatique constitue un motif d’inquiétude à 85%), la prise de conscience de l’urgence et du caractère multidisciplinaire des questions climatiques, va amener la communauté journalistique à s’intéresser bien davantage au sujet.

Et à le faire d’une manière à la fois documentée et constructive sachant que « pour 53% des Français, le réchauffement de la planète est réversible » et appelle donc des actions concrètes.

Sachant que les journalistes sont majoritairement de culture littéraire, de sciences humaines et sociales, plus que scientifique, la question de comment s’approprier le changement climatique va se poser pour un nombre croissant de professionnels de l’information.

II. S’intéresser au climat : d’où vient le déclic pour les journalistes ?

Pour les journalistes tout comme le public, l’intérêt pour les questions climatiques semble avant tout être lié aux grands évènements qui se tiennent autour de ce sujet. Quasiment tous les journalistes interrogés dans notre panel nous ont renvoyé vers une ou plusieurs COPs qu’ils avaient couvertes, parfois sans aucune expérience préalable dans l’écriture d’articles sur ce thème. L’agenda médiatique est donc souvent lié à celui de la politique internationale. Plus rarement, les publications scientifiques du GIEC ou encore des catastrophes naturelles peuvent également faire croître l’intérêt journalistique pour le climat.

Evolution sur le long-terme, de 1990 à 2018. Source : Climatoscope

Si l’on se penche de plus près sur une année dans la presse, on remarque également un certain parallélisme entre la couverture médiatique du climat et l’émergence de certaines « figures » ou mouvements, comme ce fut le cas de Greta Thunberg et des marches pour le climat en 2019. Cela pointe notamment vers une personnification du sujet.

Illustration avec l’étude Médias Climat :

Greta Thunberg lance la première grève scolaire pour le climat en août 2018. En France, le « phénomène médiatique Thunberg » prend de l’ampleur à partir de février, lorsque la jeune suédoise se joint à la marche du climat à Paris. On observe que sur l’année, de nombreux pics de couverture du climat coïncident avec ses prises de paroles publiques.

Enfin, le journaliste étant aussi un individu, le déclic peut provenir d’évènements ou de réflexions liées à leur vie personnelle, comme nous le racontent notamment Dorothée Moisan et Baptise Denis dans leurs témoignages.

Une prise de conscience soudaine liée à des événements personnels

« Des raisons personnelles m’ont sensibilisée aux enjeux climatiques et environnementaux. Je suis alors tombée des nues : comment durant toutes ces années avais-je pu ne pas voir, ne pas entendre ? Etait venu le temps d’apprendre. Apprendre pour être en mesure de vulgariser ces questions aussi sensibles que vitales. Apprendre pour faire bouger les lignes. Après 17 ans de carrière à l’AFP, le Master 2 ACCES est tombé à pic pour m’accompagner dans cette nouvelle aventure. Ses atouts : une approche transversale du changement climatique et un accès privilégié à des journalistes et scientifiques chevronnés. »
Dorothée Moisan, journaliste indépendante, ex-AFP, ayant travaillé pour la Fondation Goodplanet, diplômée du CFJ puis du Master ACCES de l’ESJ Lille.

En me posant la question de l’impact de mes voyages à travers le monde

« Fin 2017, en rentrant d’un voyage, je me suis rendu compte que je ne me souciais pas de mon impact. J’avais envie de poser mes interrogations par écrit. C’est ainsi qu’est né mon premier livre, Message pour la planète, soulevant 10 questions écologiques et sociétales, à travers des interviews avec climatologues, sociologues, politiques. Ça a été un moment charnière pour la construction de ma conscience écologique. »
Baptiste Denis, journaliste et veilleur. Entretien avec Reporters d’Espoirs, mars 2020.

Un jour, mon rédacteur en chef m’a demandé de faire un papier

Joël Cossardeaux, journaliste de presse écrite : « Je m’intéresse aux questions environnementales depuis dix ans. De facto, je me suis un peu retrouvé plongé dans le sujet du climat : lors de ma première immersion pendant la COP17 de Durban, j’ai mis les pieds dans le plat absolument sans aucune préparation. Je me suis aperçu que les négociations et puis même la matière en soir était terriblement compliqué à comprendre. Alors il faut apprendre et faire preuve de persévérance de la lecture des données de base et l’acquisition des nombreux concepts. »

Marc Cherki, journaliste au Figaro, service sciences, médecine et environnement : « Mon déclic fut après mon interview de Laurent Fabius pour la COP 2021 en 2015. Ce que j’ai dit à mes confrères après c’est que je suis journaliste depuis plus de 30 ans et que j’ai voyagé dans le monde entier, mais d’aller au Bourget pendant la COP21 figure parmi les reportages les plus intéressants que j’ai fait dans ma vie. »

Un événement médiatique suite à des événements internationaux

Anne-Cécile Bras, journaliste environnement sur RFI : « Il y a eu un enthousiasme fort en 2009, au moment de la Conférence de Copenhague, où il y a eu une émulation médiatique sur le sujet dans de nombreux pays.
Et puis je dirais que le sujet est massivement revenu à la Une lors de la Conférence de Paris en 2015. Un matin, j’allume la radio et entends que « comme tous les ans, le GIEC vient de publier son rapport » [ndlr : ces rapports, publiés en plusieurs volets, sortent plutôt tous les 7 ans]; c’est alors que je me suis dit qu’il y a véritable problème de formation des journalistes, notamment en interne. J’ai donc fait venir Laurence Tubiana, Valérie Masson-Delmotte et plusieurs autres personnes qui sont venues former les journalistes des tranches infos phare, les secrétaires de rédaction et deux journalistes par service.
Au moment où la conférence de Paris s’est ouverte, on avait ainsi un petit pool de journalistes qui savaient de quoi on parlait. Je pense qu’il y a beaucoup de journalistes qui ont découvert ce sujet en 2015 et qui y sont restés attentifs, et qui ont fait du lobbying au sein de leur propre média pour continuer à en parler par la suite. »

III. Se former aux questions climatiques

a. [Formation continue] Se former en école de journalisme, en 3 jours ou en un semestre

Des formations existent pour enrichir sa compréhension scientifique du changement climatique :

  • L’ESJ Pro (Paris, Lille, Montpellier) propose une formation continue « Au secours, le climat change ! » d’une durée de 3 jours pour « se familiariser avec les problématiques actuelles liées au climat : tempêtes, inondations, sécheresses, réchauffement… Mieux mesurer l’impact du changement climatique dans des domaines aussi variés que la biodiversité́, la santé, l’agriculture… ».
  • L’Ecole Supérieure de Journalisme de Lille et L’Université Versailles Saint Quentin en Yvelines (UVSQ) proposent depuis septembre 2017 un Master « Appréhender les changements climatiques, environnementaux, et sociétaux » (ACCES) en formation à distance. Très technique, il s’adresse aux étudiants en Master 1, comme aux journalistes français et francophones déjà en activité y compris en Afrique « pour créer des échanges ». Il comprend 200 heures de cours en vidéo en 9 modules, est certifiant, et finançable par le CPF.
    Parmi les étudiants figurent aussi bien des journalistes généralistes que spécialisés en Sciences –comme Sylvestre Huet qui traitait déjà depuis 30 ans des questions climatiques pour Libération et désormais sur son blog Sciences2 sur Le Monde.

Pour Olivier Aballain, directeur du master journalisme scientifique à l’ESJ Lille, la force de ce cursus réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une « formation pure en journalisme. Plutôt, elle allie science et journalisme : des journalistes peuvent ainsi se spécialiser sur des enjeux climatiques et environnementaux, tandis que des scientifiques peuvent acquérir davantage de compétence dans le champ de la communication médiatique. De la même manière, un étudiant qui est dans une structure de type collectivité territoriale ou une entreprise va lui aussi acquérir des compétences qui lui permettront de se saisir des enjeux climatiques en interne. Et chacun peut par la suite devenir un relai dans sa structure. Chacun des dix modules est copiloté à la fois par un ou une scientifique et un ou une journaliste. Les questions abordées vont du droit à la justice climatique jusqu’à la compréhension de la mécanique scientifique, et sont toutes abordées par le double prisme de la science et des médias. C’est un dialogue entre le scientifique et le journaliste qui nous nourrit aussi nous-même. »

L’un des enjeux majeurs traversant le cursus est également de rendre concernant le sujet climatique pour une large audience, poursuit Olivier Abellain. «  Nous donnons toutes les clés en début d’année sur les erreurs à ne pas commettre pour voir son message reçu. Nous faisons en sorte que tous les travaux de nos étudiants, y compris les stages et projets de fin d’année, soient traversés par cette question. Nous avons des choses à leur apporter mais eux-mêmes, par leurs expériences, de rédaction de mémoires, de contacts noués, doivent permettre de nous enrichir réciproquement. On se rend également compte que dès lors qu’on s’intéresse au journalisme de solutions, on parle naturellement des thématiques environnementales. Je travaillais il y a trois ans sur une formation sur le journalisme de proximité et, à la propre initiative des étudiant portait sur les solutions à mettre en place au niveau local pour régler les problèmes qui se posent. La moitié du magazine produit portait sur l’environnement ! Nous sommes donc également en train de bâtir quelque chose au niveau du journalisme de solutions : cependant, il faut réussir à être concernant sans pour autant créer de déceptions parce qu’on aurait publié sans filtres une initiative qui n’était que du greenwashing.. »

b. [Formation initiale] Une seule école formant les aspirants journalistes au climat ?

Maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication, Jean-Baptiste Comby remarque que « l’entrée dans le ‘’journalisme environnemental’’ après le début des années 2000 s’apparente plus à une étape dans une carrière ». Les journalistes n’ont que très rarement une formation scientifique et n’envisagent guère cette spécialisation durant leurs études. Aussi le caractère transversal de la problématique climatique permet aux journalistes polyvalents d’approcher le climat par un angle qu’ils maîtrisent ou affectionnent spécifiquement.

Mais la dysmétrie de maitrise du sujet peut créer « un manque de cohérence dans certains médias, comme le déplore un directeur d’école de journalisme : « Dans le même journal, on peut s’alarmer de notre incapacité à respecter nos objectifs climatiques dans la section société, puis se féliciter du regain de l’industrie automobile à travers la vente exceptionnelle de SUV cette année dans la section automobile » » cite The Shift Project en mars 2019. Ce think-tank créé par Jean-Marc Jancovici, ingénieur et professeur à Mines Paris Tech, a analysé en mars 2019 les contenus d’enseignements de 34 établissements – comprenant une seule école de journalisme, l’ESJ Lille. Il dénombre que 24% des formations abordent les enjeux climat-énergie.

Sept mois plus tard, en réponse aux mobilisations des jeunes pour le climat, 80 chefs d’établissements et 1000 enseignants et chercheurs signent une tribune11 appelant l’Etat à initier « une stratégie de transition de l’enseignement supérieur positionnant le climat comme l’urgence première », soulignant leur « responsabilité de conférer à nos étudiants le socle de connaissances nécessaire au développement d’un esprit critique. » Si cette intention est vraie pour tout étudiant d’école de commerce, d’ingénieur ou d’université, on conçoit qu’elle l’est plus encore pour les futurs informateurs. Pourtant, on ne dénombre qu’un seul signataire dirigeant d’école de journalisme, à savoir Pierre Savary, directeur général de l’ESJ Lille.

Pionnière en la matière, l’école propose en effet depuis 25 ans une formation intensive des journalistes à la science, a créé en 2016 un MOOC sur l’adaptation à la montée du niveau des mers, en lien avec le changement climatique et même en 2017 le cursus « Appréhender les changements climatiques, environnementaux, et sociétaux » (ACCES) abordé plus haut.
L’ESJ dit ainsi inclure les enjeux climat-énergie dans 57% des formations qu’elle délivre.

c. [Formation autodidacte] Se forger soi-même sa culture (scientifique) du climat

« Le dossier du changement climatique est-il simple ? Bien sûr que non ! » 
Jean-Marc Jancovici 

Qui pour faire passer l’information, être un relai sociétal entre quelques centaines de scientifiques (à l’échelle du pays) et plusieurs millions de Français ? Des ONG peuvent avoir un rôle de catalyseur, les politiques le pourraient mais ne sont en général pas très bien informés, des think-tanks font œuvre de pédagogie orientée… Les journalistes, donc, assurément !

Reste que la question du climat comporte souvent un volet technique important à maitriser, ce qui n’est pas le cas lorsque des papiers réalisés en urgence se retrouvent « truffés d’approximations voire d’erreurs » selon l’avis d’experts.

Lire la synthèse du GIEC en 30 pages

Face à la complexité du sujet, les scientifiques que nous avons interrogés recommandent unanimement ce qui constitue selon eux « la base » : le travail du GIEC. Pas nécessairement le rapport complet de près de 2000 pages très techniques ! Mais en particulier la synthèse en 30 pages du rapport « Réchauffement planétaire de 1,5 °C ». Le GIEC travaille actuellement sur son 6e rapport, dont les deux premiers volets « Changements climatiques 2021, les éléments scientifiques » et « Changement climatique 2022, impacts, adaptation et vulnérabilités » ont été récemment publiés; le troisième volet concernant les solutions a été rendu public en avril 2022.

Le travail du GIEC a le mérite, outre d’être élaboré par des climatologues patentés avec un effort de vulgarisation, de s’intéresser tout autant aux effets du changement climatique qu’à ses causes, et qu’à des scénarios d’adaptation, de transition, de réduction des gaz à effet de serre.

[Bonne pratique] Arrêt sur images : « Rapport GIEC : nous avons lu la page 108 conseillée par Thunberg »

« Climat : et si on parlait du fond, plutôt que des nattes / de la bouille / de la taille / de la santé mentale… de Greta Thunberg ? La jeune écolo a conseillé mardi aux députés français de se pencher sur la page 108 du chapitre 2 du dernier rapport du GIEC. ASI a pris son conseil au pied de la lettre. »

Exemples d’articles pédagogiques sur le GIEC et son travail : 

Au-delà du GIEC, qui se penche sur le climat, il ne faut toutefois pas en oublier d’autres enjeux environnementaux, tout aussi vitaux. Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI, conseille notamment de lire en complément la synthèse du rapport de l’IPBES, un groupe d’experts internationaux travaillant sur le sujet de la biodiversité et de son déclin alarmant.

À cet égard, les scientifiques parlent en effet des 9 limites planétaires à ne pas dépasser, schématisées ci-dessous. La biodiversité se retrouve ainsi représentée sous le volet « biosphere integrity », qui se répartit en deux sous-catégories : la biodiversité génétique (E/MSY), limite déjà largement dépassée, ainsi que la diversité fonctionnelle (BII), limite encore non quantifiée.

Se former par la pratique, les échanges, les lectures

Lire, regarder des documentaires, écouter des podcasts sur le sujet, mais aussi interroger des acteurs impliqués et experts du sujet climatique – c’est le conseil numéro 1 que nous ont donné de nombreux journalistes sur la question.

Gilles van Kote, journaliste et directeur délégué du journal Le Monde, se souvient notamment : « Je n’avais pas du tout de connaissances sur l’environnement et il m’a fallu une période de remise à niveau […]. La formation se fait sur le terrain : il faut travailler, couvrir les sujets, échanger avec les spécialistes – de manière parfois informelle – et se constituer un réseau. Il faut lire aussi bien sûr […]. Et au bout de quatre mois, vous commencez à comprendre les grands enjeux, les grandes thématiques et ce qui se cache derrière. » 

L’ancien directeur du Monde rejoint la spécialiste du climat chez Médiapart, Jade Lindgaard, elle aussi formée sur le tas : « L’environnement – en termes de nature – ne m’intéressait pas. C’est par le climat, cette notion très politique qui mélange société-inégalité-économie, que j’en suis venue à m’intéresser à l’écologie. J’avais tout à apprendre. Je me suis formée en lisant des bouquins, en travaillant sur les sujets, en analysant les dossiers, en réalisant des interviews d’acteurs, de chercheurs… Une des personnes qui m’a beaucoup aidée, c’est Pierre Lascoumes — chercheur et co-auteur de l’ouvrage Agir dans un monde incertain. Grâce à lui, j’ai identifié les acteurs et leurs positions. »

La formation au « journalisme climatique » est également autodidacte pour Jean-Baptiste Bouvet, journaliste à TF1, qui insiste sur l’importance de quelques références bibliographiques : « Il faut lire Pascal Canfin, Gunter Pauli, Jeremy Rifkin, il faut lire Le climat va-t-il changer le capitalisme, de Jacques Mistral. Il faut lire une synthèse du GIEC. Il faut lire, lire… Par ailleurs, chaque année, il y a un palmarès européen des Green Tech les plus prometteuses. Je m’y intéresse personnellement. Mais c’est sûr, c’est un long chemin pour accumuler des repères, des connaissances, des certitudes. » 

Se former au contact du terrain

« Il faut aller sur le terrain à la rencontre des gens qui subissent de plein fouet la crise climatique. C’est en étant témoin de ces expériences et au contact de ces personnes que vous allez en apprendre plus sur le sujet et bien parler du climat. Il faut être les vecteurs de l’histoire vécue par ces gens. Il faut le ressentir pour bien parler du changement climatique. Si l’on reste dans ces bouquins, dans ces bureaux, on n’a pas les “tripes”, la réalité. Il faut rencontrer et donner la parole. », Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI.

IV. S’appuyer sur les scientifiques du climat

« Pour que les faits sur le climat soient audibles pour le plus grand monde il faut vulgariser la science. Les scientifiques n’ont plus besoin de media-training comme il y a 10 ans, ils savent très bien vulgariser leurs connaissances pour les rendre accessibles. Il est très simple pour nous de faire des interviews avec ces experts qui savent parler aux journalistes et donc derrière d’intéresser les gens. »
Anne-Cécile Bras, journaliste à RFI

A. Recourir aux climatologues et aux chercheurs locaux

Bien qu’ils n’aient pas toujours bonne presse, « les experts » en l’occurrence sur cette question très scientifique du climat, apparaissent comme les interlocuteurs indispensables des journalistes. En premier lieu les climatologues, qui ont l’avantage de faire de la recherche, d’être multi-compétents (chimie, biologie, mathématiques, métrologie, physique, informatique), d’avoir réalisé des études longues, et d’étudier l’évolution du climat sur le long terme.

Au même titre qu’ils ne sont pas avares de partage de leurs travaux de recherches, beaucoup de scientifiques se tiennent volontiers à disposition des journalistes pour partager une expertise, voire relire à leur demande des papiers vulgarisant une dimension technique.

Parmi eux citons :

  • Les experts du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (CEA-CNRS) dont font partie les réputés Jean Jouzel (joignable ici) et Valérie Masson-Delmotte (qui donne volontiers accès à son téléphone portable ici)
  • Les groupes d’experts sur le climat en régions, comme AcclimaTerra en Nouvelle Aquitaine présidé par Hervé Le Treut, Grec Sud en PACA, Reco en Occitanie, Climbio en Hauts-de-France, Ouranos en Auvergne Rhône Alpes.
  • Les groupes de recherche établis par les universités locales. Cette source peut se révéler particulièrement intéressante pour les médias régionaux qui veulent délivrer une information et une expertise de proximité, et valoriser les travaux menés par l’écosystème local.

B. Faire preuve d’humilité face au regard critique des experts

Confronté aux experts, le journaliste est parfois amené à réévaluer les solutions qu’il souhaitait traiter. La problématique du changement climatique requiert une grande prudence journalistique mais aussi — comme le souligne Jean-Baptiste Bouvet de TF1 — le sens et l’acceptation de la critique : « C’est un énorme travail d’enquête, on glane par le biais des mails, on demande à l’ensemble des interlocuteurs de nous faire remonter les idées, les innovations, les solutions dont ils ont entendu parler. Après, il faut se référer aux experts. Certains peuvent me dire ‘’non, votre initiative n’est pas exactement comme vous la décrivez, il y a un truc qui vous a échappé’’. Dans ces cas-là, il faut accepter la remarque et faire preuve de beaucoup d’humilité. »

C. Se doter d’un « comité climat »

Recourir aux experts apparait comme une étape indispensable à tous les praticiens. Pour Gilles van Kote, « on le devient un peu, mais on n’est pas expert. J’ai travaillé sur les OGM, les biocarburants, les semences améliorées, les propriétés intellectuelles sur les végétaux, tout cela est extrêmement complexe. Il faut s’appuyer sur les experts. » Malgré les connaissances accumulées, les journalistes spécialisés ne peuvent se passer des experts pour vérifier leurs sources et ajuster leurs propos. La complexité des enjeux face au climat est telle que chaque sujet nécessite une approche prudente et rigoureuse.

Le « comité climat », dont s’était doté Anne-Laure Barral, journaliste à France Info, durant la Cop21 voulait éviter les écueils : « Tout sujet vendu comme ‘’bonne solution pour le climat‘’ doit passer par un filtre éditorial et scientifique. Les experts du Comité Climat peuvent ainsi s’opposer face à une solution qui manquerait de consensus, une initiative qui aurait des effets pervers ou ne serait, en réalité, que du greenwashing. »

De même la Columbia Journalism Review recommande aux médias, en particulier régionaux, de se « créer un consortium de journalistes et de scientifiques réputés, dignes de confiance et pédagogues, mobilisables notamment à l’occasion d’évènements climatiques notables » afin de diffuser la compréhension de la science du climat « dans tout le pays et pas seulement dans les grandes villes ».

V. Participer à des événements animés par des experts du sujet

  • De 2006 à 2013, les Entretiens de Combloux réunissaient chaque année au mois de mars en Haute-Savoie une trentaine de journalistes « afin de leur fournir des clés de lecture objectives des enjeux cruciaux de la transition énergétique ». Organisés par Jean-Louis Caffier, journaliste, et Jean-Marc Jancovici, ingénieur expert des enjeux climat-énergie. La Revue de l’INA revient dans un article publié en janvier 2023 sur ces Entretiens.
  • L’association Météo et Climat présidée par Jean Jouzel (ex Société Météorologique de France fondée en 1852), organise chaque année le Forum International de la Météo et du Climat (FIM), rendez-vous d’éducation et de mobilisation sur les enjeux du climat.
  • Depuis 2015, l’association Climate Chance organise chaque année un sommet international réunissant de multiples acteurs non-étatiques investis dans la lutte contre le dérèglement climatique. L’objectif est notamment de mettre en relation, créer des réseaux et appuyer les initiatives partant des territoires et à l’approche ascendante (bottom up). La précédente édition s’est tenue à Nantes et portait sur les engagements de l’Europe (Pacte vert, package Fit for 55 etc.) concernant l’enjeu climatique.
  • En 3 heures (ou moins), la Fresques du Climat et ses déclinaisons thématiques (Fresque de la Biodiversité, du Numérique, de l’Océan etc) vous propose d’acquérir les connaissances de base sur le sujet à travers ses ateliers ludiques et interactifs.
    De nombreux experts se réunissent également autour d’assises thématiques (Assises de la transition énergétique, des déchets etc.) reliées au thème de l’environnement et donc in extenso à celui du climat. Une Fresque du climat appliquée au secteur des médias est proposée par Open Landes.
  • Enfin, les Assises sur le journalisme portent également parfois sur le sujet climatique, et notamment sur son traitement médiatique !

Notes :
[1] Propos extraits de l’article de Caroline Christinaz, Les médias réveil tardif  ?, paru dans Le Temps, hors série spécial climat, 9 mai 2019, page 22.
[2] Cité par Usbek&Rica, Une école de journalisme lance une formation sur le changement climatique, septembre 2018