Benoît Raphaël est journaliste, expert en transition numérique des médias et entrepreneur. Il a notamment cofondé Flint en 2016, un explorateur d’informations, basé sur l’intelligence artificielle et collective, pour s’informer de façon rapide et pertinente et présent sur notre nouvelle plateforme LaFranceDesSolutions.fr.
Cette plateforme, créée par Reporters d’Espoirs est à destination des journalistes et des professionnels des médias. Son objectif : faciliter leur veille de contenus de solutions et d’initiatives pour les aider à enrichir leurs reportages, identifier de nouveaux angles, sujets, des projets concrets et pérennes. À l’occasion du lancement de cette plateforme de mise en relation des acteurs de solutions et des médias, nous mettons en lumière nos partenaires techniques, acteurs de la FrenchTech. |
Vous travaillez dans le secteur des médias depuis de nombreuses années. Votre parcours en quelques mots ?
Je viens de la presse quotidienne régionale (PQR), donc du local et du populaire. Cette logique de proximité, je l’ai petit à petit exportée à des médias nationaux, notamment avec Le Monde, en co-créant LePost.fr (ancêtre du HuffPost), puis en créant Le Plus de L’Obs et le Lab d’Europe 1.
Plus tard, je me suis intéressé au journalisme de solutions : comment faire en sorte que les journalistes ne parlent pas seulement des problèmes mais qu’ils aillent chercher aussi des solutions ? On a donc monté une offre d’abonnement dédiée au sein de Nice-Matin en 2015. Par la suite, je me suis attaqué au problème de la surinformation, de l’infobésité et de la polarisation des débats, du fait qu’on ait du mal à débattre sans se battre. On a alors créé Flint.
Flint développe l’intelligence artificielle pour trier et extraire une information “qualifiée et de qualité” parmi tous les contenus existants, afin de remédier au risque d’infobésité… Quelles fonctionnalités offre Flint à ses utilisateurs ?
Flint permet à chacun de s’informer de façon pertinente et personnalisée. Il est basé sur l’intelligence artificielle et l’intelligence collective, qui est humaine, interactive et transparente, car les algorithmes ne suffisent pas.
Aujourd’hui, Flint est un journal dont on est le propre rédacteur en chef et dans lequel il y a des algorithmes de recommandations vertueux qui permettent d’explorer l’info sans nous enfermer. Il y a des rubriques auxquelles on peut s’abonner, qui sont faites par des journalistes ou des partenaires.
Vous reconnaissez-vous dans le mouvement de la Tech4Good ?
Flint est un acteur de l’information, plus précisément un acteur technologique de l’information puisqu’on est une “machine contre les machines” (les algorithmes des réseaux sociaux et des moteurs de recherche qui nous enferment).
On peut qualifier ça de Tech4Good… mais ce n’est pas pour autant que Facebook est Tech4Bad ! Les robots définissent leurs propres règles en fonction des objectifs qu’on leur a donnés. Dans le cas de Facebook, les objectifs étant uniquement la croissance de l’audience et de l’engagement pour favoriser la publicité, ils ont abouti à un système qui est devenu incontrôlable, tout comme ça l’a été précédemment, pour faire une analogie, dans l’agroalimentaire quand le marketing aveugle l’a emporté sur la qualité nutritive.
Il existe un risque de biais introduit par les algorithmes et les développeurs. Comment faites-vous pour offrir à vos utilisateurs une curation de contenus la plus neutre possible ?
Le modèle n’est pas tant créé par le développeur que par l’algorithme lui-même. Le biais algorithmique est normal puisqu’un algorithme est par définition une simplification de la réalité. Le plus important est de mettre les bons points de contrôle et les bons objectifs pour faire en sorte que ce biais ne nous éloigne pas trop de la réalité et, par effet d’entraînement, ne finisse pas par avoir des effets extrêmement pervers.
Notre modèle se veut vertueux : nos utilisateurs doivent être mieux informés, et non pas plus addict. Le seul biais que nous pourrions avoir est la personnalisation qui pourrait contribuer à enfermer les gens dans une bulle. Pour l’éviter, nous avons introduit de nouveaux modèles dans nos algorithmes : celui du hasard, qui consiste à ramener de nouveaux contenus dont l’utilisateur n’a pas l’habitude, et celui de la diversité des sources, pour avoir plusieurs approches du même sujet. Cependant, qui dit diversité dit également risque de désinformation. On a donc aussi travaillé des contre-algorithmes qui permettent de se protéger des contenus extrêmes.
L’intelligence artificielle est un domaine où bien des français sont pionniers et se démarquent – pensons par exemple à Yann Le Cun ou Luc Julia. Etes-vous confiant dans le génie technologique français ?
Oui mais le problème est qu’ils travaillent pour l’étranger, la fameuse fuite des cerveaux… En France, nous sommes très bons en mathématiques, donc en algorithmique mais il nous manque la puissance.
Je pense que les Français ont un rôle à jouer sur la qualité. Peut-être coûte-t-elle plus cher, ne produit pas des effets aussi massifs que les géants américains, mais peut donner lieu à une multiplicité d’initiatives. Je ne suis pas certain que la production de masse soit le seul avenir de notre société.
Vous avez accompagné un certain nombre de médias dans leur transition numérique et leur recherche de business model. Quels sont les projets auxquels vous êtes particulièrement heureux d’avoir contribué ?
Tous ! LePost.fr créé pour le groupe Le Monde était un média populaire très différent, qui s’appuyait sur l’énergie du web et n’avait jamais été fait de cette façon-là. Nous avons fait des erreurs, appris beaucoup de choses, et l’idée reposait vraiment sur une forme de générosité d’un média qui s’appuie sur une participation populaire. Il a été un succès d’audience.
Le Lab d’Europe1, pour sa part, avait un ton très qualitatif et vraiment différent.
Quant à Nice-Matin, c’est la plus jolie expérience pour moi en termes de sens et de création d’une mécanique nouvelle.
Comment faites-vous pour identifier ces nouveaux créneaux, ces voies d’innovation ?
Pour trouver des solutions dans un monde complexe et interconnecté, il faut diversifier l’offre. On a besoin d’une diversité de voix, de genres, de cultures, mais aussi une diversité sociale. Le monde évoluant, on identifie de nouvelles problématiques : au départ, il fallait ouvrir davantage la parole, ensuite il fallait aller chercher cette parole, puis travailler sur les solutions pour changer la manière dont on abordait l’information – ce que Reporters d’Espoirs avait déjà anticipé.
Maintenant, on a besoin de créer des machines pour venir équilibrer les machines de recommandations d’articles qui finissent par nous enfermer et déstabiliser la démocratie.
Ce que l’on disait en 2017 à propos de la crise informationnelle à venir a été renforcé par la crise sanitaire. Elle a révélé cette crise et éveillé beaucoup de gens, suscitant un malaise profond, massif, populaire qui pose un problème pour la démocratie. Comme le démontre notre sondage IFOP/Flint sur le rapport des Français à l’information, la surinformation nous submerge (73% des Français), crée la confusion, et demande ainsi beaucoup de temps de cerveau. Médias, comme citoyens et chefs d’entreprise doivent trouver des solutions pour sortir de la crise, ce qui demande un temps précieux pour redevenir visionnaire et pas simplement réagir sans réfléchir. Nous allons avoir besoin de créativité et de diversité d’approches dans les prochaines années !
Quel est votre propre rapport à l’information ?
L’infofatigue qui s’ajoute à la surinformation et à la désinformation. 3% à 7% des français ne consomment plus d’information parce qu’ils n’en peuvent plus. Parce qu’ils ont besoin de temps pour soi, parce qu’une information perçue comme peu utile, déprimante, voire contradictoire et obligeant à consacrer des heures à démêler le vrai du faux, stresse, fatigue ou génère une démission. Je suis un peu dans cette configuration-là, aussi je suis l’actualité à travers Flint car il répond à un vrai problème qui se posait à moi. On a besoin d’avoir quelque part des contre-médias, des contre-approches, qui nous permettent d’aborder les problèmes en s’inspirant de choses qui fonctionnent.
La méthode du journalisme de solutions n’est pas facilement modélisable mathématiquement. Comment fait Flint pour identifier des contenus « à impact » ou à « tonalité positive » ?
L’approche de Flint est essentiellement psychosociale. Nous avons référencé 20 000 profils Twitter experts dont on analyse le comportement par rapport à plusieurs milliers d’articles. Le robot établit ses modèles mathématiques psychosociaux à partir de cela, à la manière d’un institut de sondage à partir d’une panélisation qualitative. Parler de solutions correspond à une certaine façon d’aborder l’information, à un profil psychosocial que le robot parvient à repérer.
Pour aller plus loin, nous avons besoin, à la manière de Yuka (application qui permet de scanner les produits alimentaires), d’étiqueter l’information, d’identifier l’opinion d’un article, d’apprécier sa valeur scientifique et technique. C’est ce que permet la troisième génération de robots que nous avons initiée.
LaFranceDesSolutions.fr est un outil à destination des professionnels des médias qui agrège le meilleur des contenus médias solutions ainsi que des initiatives partout en France pour étayer les reportages. Étant vous-même journaliste, quelle utilité y voyez-vous ?
D’abord, l’approche, positive et non naïve, est intéressante puisqu’on se rend compte que la problématique du journalisme de solutions est validée par tous les indicateurs – éditoriaux, citoyens, économiques. LaFranceDesSolutions.fr montre la richesse de ce journalisme, c’est une belle vitrine.
Je pense qu’elle permet aussi d’aider à faire le tri, ce qui constitue notre problématique commune. Il existe une richesse incroyable d’informations, mais elle est difficile à trier. Concernant les solutions, on voit bien la difficulté à trier : ce n’est pas un hashtag et il ne suffit pas de taper “solution” dans un moteur de recherche pour trouver des reportages de solutions.
Grâce à la technologie Flint, la plateforme LaFranceDesSolutions.fr a donc l’avantage de mettre en avant ce type de contenus. Elle donne l’exemple, met en avant des initiatives que les médias ont tendance à esquiver, donc je pense qu’il y a une vraie valeur ajoutée à mettre en avant.
Propos recueillis par Joshua Tabakhoff