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Julie Manoukian : « Le journaliste écrit des histoires qu’il lance comme des bouteilles à la mer. À nous d’en faire bon usage. »

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Julie Manoukian, scénariste et réalisatrice de « Fille de paysan », un film à découvrir ce soir à 21h10 sur France 2

Diffusé ce mercredi soir sur France 2, le nouveau long-métrage de Julie Manoukian, Fille de paysan, est une ode à la solidarité. Il retrace l’aventure d’une famille d’agriculteurs, les Pécourneau, sauvés de la faillite grâce à la médiatisation d’une cagnotte solidaire lancée par leur fille Émilie, alors âgée de quinze ans. Résurgence des problématiques rurales au cinéma, pouvoir des médias et engagement pour l’environnement, autant de thématiques que nous avons pu aborder avec la réalisatrice du film.

Fille de paysan, tout comme votre premier film Les Vétos, touche au monde rural. Pourquoi ce choix récurrent ?

Le monde rural est loin de m’être familier : je suis une vraie citadine. Au fil du temps, je me suis prise d’affection pour la campagne. J’ai été happée par les problématiques de cet univers, par ses préoccupations écologiques, sa quête d’amélioration des conditions de vie. C’est un milieu auquel je me suis familiarisée puis attachée.

Les Vétos fut un heureux hasard, une idée qui m’a été soufflée par le producteur Yves Marmion. Cette expérience cinématographique m’a ouvert les portes du monde rural et d’une multitude de sujets passionnants. Tout y est plus ou moins lié : des vétérinaires de campagne aux agriculteurs, il n’y a eu qu’un pas.

Quelles ont été vos inspirations cinématographiques ?

Pendant la préparation des Vétos, je me suis éprise de Seule la terre, film du scénariste Francis Lee. Il conte l’histoire d’un fils unique, Johnny, contraint de reprendre la ferme de son père malade. Il subit son quotidien, jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un saisonnier roumain qui rêve de mener cette vie. Son appréhension de la vie paysanne  va s’en trouver complètement bouleversée.

Le scénario se construit dans une démarche naturaliste. La recherche d’esthétisation, entre nature et émotions, engendre une harmonie à laquelle j’aspire.

Il semble y avoir une résurgence de la ruralité au cinéma, comment l’expliquez-vous ?

À l’image du journalisme, le cinéma possède ses marronniers, des sujets qui reviennent tous les ans à l’écran. Ils touchent aussi bien les habitués qu’un un public avide de nouvelles réalités.

La ruralité appelle des histoires qui permettent une prise de conscience, et cette dernière augmente désormais. Il y a quelques décennies, on ne parlait pas spécialement de l’avenir du monde rural ni de ses répercussions sur l’alimentation et l’inflation. Aujourd’hui, ces thématiques sont à traiter en urgence.

Par ailleurs, lors de mes premiers contacts avec des gens du milieu, j’ai été frappée par cet écueil des représentations entre le monde urbain et rural. J’ai la sensation inexplicable qu’on cherche à nous dresser les uns contre les autres. Les citadins sont perçus comme des consommateurs ignorants de la réalité de la campagne, tandis que les agriculteurs seraient des éleveurs pollueurs sans scrupules. La réalité est toute autre. Les agriculteurs traversent des difficultés immenses au quotidien. Ils veulent le meilleur pour l’environnement et leurs bêtes, dont ils s’occupent avec tendresse. La mauvaise médiation qui est faite entre la ville et la campagne crée un profond clivage. Il faut y remédier, et le cinéma peut y contribuer.

Ce film est l’adaptation d‘une histoire vraie, celle de la famille Pécourneau. Racontez-nous sa médiatisation.

Il y a quatre ans, Émilie Pécourneau, fille d’agriculteurs, a lancé une cagnotte pour tenter d’extirper sa famille d’un gouffre financier. Au bout de quelques semaines, sa démarche a commencé à être médiatisée. Lorsque Jean-Pierre Pernaut s’en est emparé au cours d’un de ses JT, il y a eu un effet boule de neige. Un puissant système de solidarité s’est mis en place.

Mintee Studio a repéré le potentiel d’adaptation de l’histoire à l’écran, et c’est aux côtés de la scénariste Monica Rattazzi que le film s’est écrit. J’ai rejoint l’aventure en août 2021. J’avais pour mission la réalisation de cette fiction qui s’inspire de la force du vécu.  Le réalisme y joue un rôle important. Il s’agit d’un rouage émotionnel indispensable pour les spectateurs. Il leur permet d’être plus enclins au sensible. Dans Fille de paysan, c’est la vie de la famille Pécourneau qui sert de point de départ pour aborder les difficultés que vivent les agriculteurs. Ma démarche était donc de créer une fiction à partir de leur réalité.

Que pensez-vous du pouvoir des médias ?

Les médias sont des outils humains, ils ne sont ni bons ni mauvais. À l’instar de Fille de paysan, ils peuvent être à l’origine d’une grande solidarité. Les pouvoirs publics ont leurs limites. Le journalisme peut contribuer à les pallier en usant de la puissance de la médiatisation. Le journaliste écrit des histoires qu’il lance comme des bouteilles à la mer. À nous d’en faire bon usage.

Tous les matins, j’ai le réflexe d’effectuer une revue de presse. Elle me permet de rester à l’affût de ce qui se passe autour de moi. Je suis abonnée à plusieurs journaux – Libération, Le Monde, The Guardian et le New York Times. Je consomme aussi de nombreux podcasts, notamment ceux d’Arte Radio. Ils me sont d’une grande utilité lorsqu’il s’agit d’écrire de la fiction. Je suis inquiète du sort que l’on réserve aux journalistes car nous avons besoin d’eux.

Un contenu médiatique a-t-il déjà influencé chez vous un engagement ?

Avant que je ne quitte les réseaux sociaux, j’étais ancrée dans ces algorithmes qui nous proposent en boucle des recommandations selon nos centres d’intérêts. Ils m’ont notamment conduite à une vidéo de Greta Thunberg, tournée avec un smartphone. On la voit prendre la parole au cours d’un déjeuner, debout sur une estrade. A regarder cette jeune fille de quatorze ans s’adresser aux adultes avec une telle éloquence, j’ai perçu quelque chose de fictionnel, qui relève de « l’enfant empereur ». Tandis qu’ils l’applaudissent tous, elle leur rappelle qu’ils sont coupables de l’état actuel de la planète.  Sans tomber dans la moralisation écologique, ceci a provoqué en moi une sorte d’électrochoc. J’ai alors cherché à placer la nature, l’environnement et l’écologie au cœur de bon nombre de mes démarches.

« Information » et « solutions » peuvent parfois paraître antinomiques. Est-ce que le « journalisme de solutions » ça vous parle ?

J’aime cette idée qu’on puisse soulever les questions angoissantes provoquées par l’écosystème, afin d’y apporter des réponses. La presse anglo-saxonne en est férue. The Guardian par exemple donne souvent à ses lecteurs des pistes de réflexion positives à explorer. Je trouve cette démarche chouette, et humainement essentielle. Bien qu’il ne s’agisse pas du travail du journaliste à la base, il serait intéressant de démocratiser la recherche de positif et de solutions dans le traitement de l’information.

Quelle place accordez-vous à l’espoir dans votre nouveau film ?

Dans ce cas précis, le scénario est un exemple idéal de réalité qui dépasse la fiction. Il y a un véritable paradoxe : on n’aurait jamais écrit un récit comme celui-ci, on aurait trouvé ça trop gros. Le pouvoir du collectif a permis de rendre cette histoire évidente à raconter. On n’en parle pas assez, mais l’espoir peut être rallumé très vite. Je ne parle pas de techniques comme le greenwashing, qui endort la conscience des gens pour les rassurer, mais de vérités inspirantes comme celle véhiculée par l’histoire des Pécourneau. Durant le visionnage de Fille de Paysan, on accède à ses émotions et on se sent moins seul. C’est un moment de partage hors du temps, après lequel on repart au combat, empli d’espoir.

Fille de paysan, disponible gratuitement en replay sur la plateforme France.tv durant les sept prochains jours.

Propos recueillis par Sixtine Guellec.