Elle stigmatise les peurs, focalise les clichés, ne laisse personne indifférent et pourtant elle demeure une grande inconnue, incomprise et malmenée par les médias et l’inconscient collectif. La banlieue n’a pas dit son dernier mot et s’est invitée mardi 1er mars au 32ème « Alter Mardis : Parlons solutions ». François Durpaire, historien spécialiste de la diversité et fondateur du Mouvement Pluricitoyen, Christophe Nick, journaliste et réalisateur de la série documentaire remarquée « Chroniques de la violence ordinaire », Bams, artiste, chanteuse Hip-hop, Erwan Ruty, fondateur de Ressources Urbaines et Mabrouck Rachedi, écrivain, co-auteur en 2010 de « La petite Malika ». Tous se sont interrogés sans tabou sur le concept même de « culture-banlieue », son exploitation par le prisme médiatique et sur la réalité sociale, raciale et culturelle des quartiers populaires. Animé par Marc Cheb, le rédacteur en chef de Respect Mag, le débat a offert à chacun l’opportunité d’apporter sa contribution dans un souci de mieux appréhender la richesse et les dysfonctionnements qu’elle présente. La banlieue n’est pas toujours là où on l’attend et n’est jamais celle que l’on croit !
Allumez votre poste de télévision, ouvrez les pages fait-divers et société d’un grand quotidien. Un constat éclair s’impose :la banlieue prend toute la place et répond injustement aux « doux » noms de violence, misère, discrimination, insécurité et émeutes. Comment ne pas se sentir conditionné par un discours préfabriqué et simplifié qui, par déformation professionnelle et manque de professionnalisme, tend à matérialiser et « ghettoïser » les problèmes de notre société ? La question n’est définitivement pas de savoir s’il faut ou non parler de banlieue dans les médias, mais de savoir comment le faire.
Le terme « culture banlieue » est lâché pour la première fois par Arlette Chabot au cours de l’émission politique « A vous de juger » qu’elle anime. Employer cette formule hasardeuse revient à définir un espace de vie par comparaison, par exclusion par rapport à la ville. L’exemple de la banlieue parisienne démontre que tout est banlieue hors Paris ! Plus de 90% de Franciliens s’y côtoient avec une diversité colossale et une richesse en termes d’habitat, d’activités, de population, de moyens de communication et de sociologie. La localisation géographique des personnes ne devrait en aucun cas caractériser les individus, mais plutôt ce qu’ils font.
L’enquête de Pierre Péan et Christophe Nick sur le plus puissant médium d’Europe a révélé un certain acharnement à l’encontre des quartiers populaires dans le traitement de l’information, qui ne sont recouverts qu’en termes de menaces. Erwan Ruty rappelle que les JT ont fabriqué la banlieue « ANPE » puis la « banlieue Police/justice ». Une certaine paranoïa semblerait toucher le milieu journalistique qui éprouve des difficultés à aller chercher l’information, à prendre un certain recul. Si le fondateur de Ressources Urbaines évoque aussi une certaine « lepénisation des médias », par la déferlante médiatique s’abattant sur les banlieues dès qu’il s’agit d’aborder des problèmes de violence et d’insécurité, il se félicite en revanche de constater que les thèmes des violences faites aux femmes et des discriminations squattent les débats. Les fictions, les émissions, les journaux télévisés et la sphère politique font la part belle aux origines diverses, mais pour François Durpaire, « ça n’est pas tant la représentation qui compte mais plutôt le discours. Ca n’est pas la personne de couleur lisant un prompteur qui importe, mais celle qui l’écrit.».
Les dénommées banlieues se révèlent être un vivier culturel extrêmement riche. Musiciens écrivains, artistes, tous se sentent malheureusement étiquetés. Leur art demeure réduit à leur zone géographique, comme cloisonné et le terme banlieusard ou l’expression « black, blanc, beur » les attend au tournant. Mabrouck Rachedi déplore que les médias tombent dans le cliché catastrophiste ou dans la représentation hyper positive, quant ils ne se trompent pas d’angle : « on parle souvent de l’action sociale réalisée dans les quartiers difficiles et trop peu des œuvres culturelles réalisées ». L’artiste et chanteuse Bams a souffert de l’étiquette banlieue. Les médias qui la présentent comme « l’intelligente », par la richesse des textes de ses chansons, l’ont coupée d’une partie de son public. Pas assez « ghetto » pour les gens du quartier et trop rap pour les autres, sa musique multi inspirations, pluri courants, aux influences très métissées, ne rentre pas dans un catalogue prédéfini et imposé. « En France, les gens veulent bien de notre culture, si on reste à notre place ! », conclue Bams.
Pour contrer les non-sens, les clichés et les non dits et/ou mal dits, les médias alternatifs s’imposent en montrant sans peur ni faux semblant la réalité et le quotidien des quartiers populaires, à l’image de Ressources Urbaines, agence de presse des quartiers fondée par Erwan Ruty. Le changement des mentalités passera par l’ouverture du traitement de l’information des banlieues aux banlieues.