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Endémik, portrait d’un média itinérant

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Conférence médias et émotions, menée le 14 avril 2023 à la médiathèque La Boussole, Montigny-en-Gohelle (62), dans le cadre du Contrat Local d’Education Artistique d’Hénin Carvin 2022-2023

EN BREF

  • Type d’initiative : média co-construit par des journalistes et des citoyens
  • Problème auquel l’initiative répond : proximité médias-citoyens
  • Profil de la fondatrice : Déborah Adoh, journaliste, diplômée ESJ Lille 2019
  • Caractéristiques :
    • Date de création : 2020
    • Statut : micro-entreprise
    • Nombre de personnes impliquées : une dizaine

Endémik est un média indépendant, en ligne et gratuit, qui a vu le jour en 2020. L’objectif de Déborah Adoh, sa fondatrice, était de recréer du lien entre journalistes et citoyens. Pour ce faire, Endémik propose à des structures associatives des entreprises ou des collectivités d’éduquer leurs usagers aux médias. Les ateliers se composent d’une partie sensibilisation, suivie d’une conférence de rédaction participative durant laquelle les personnes intéressées s’accordent sur les sujets qu’elles souhaitent traiter et les supports qu’elles souhaitent utiliser. La réalisation des reportages repose ensuite entièrement entre les mains des participants, qui apprennent à utiliser le matériel d’enregistrement, mener des interviews, monter des vidéos. Endémik prend ainsi le contre-pied de la structure médiatique classique, en valorisant le processus de production davantage que le produit, la formation davantage que l’information.

On parle beaucoup de la défiance des citoyens envers les médias, perçus comme biaisés, sensationnalistes, clivants… Ayant commencé à exercer en 2018, durant le mouvement des gilets jaunes, Déborah Adoh, journaliste diplômée de l’ESJ Lille, expérimente cette réserve de plein fouet. « Pardon, t’es journaliste… mais les médias, ils sont trop anxiogènes, ils communiquent toujours sur les mêmes sujets », s’entend-elle dire. En presse quotidienne régionale (PQR), certaines personnes refusent de répondre à ses questions. De quoi refroidir les ardeurs d’une jeune diplômée avide de terrain et de rencontres. Arrive ensuite le premier confinement, avec son lot de questionnements mais aussi la nouvelle qu’un incubateur médias, YouM3dia, s’ouvre à EuraTechnologies à Lille, en partenariat avec l’ESJ Lille. Une opportunité que la journaliste spécialisée en sport ne manque pas de saisir. C’est ainsi qu’en 2020 naît Endémik, média local et participatif en ligne dans lequel journalistes et citoyens co-construisent des reportages accessibles gratuitement. Lors des Assises du Journalisme de Tours, Déborah Adoh a accepté de décrire à Reporters d’Espoirs le fonctionnement de ce qu’elle définit elle-même comme un « thermomètre social ».

Un média au contact des gens

En grec, le terme endemos renvoie à ce qui est local, indigène. L’idée d’Endémik est de rétablir un lien de confiance et de proximité avec les citoyens. En passant par des structures éducatives (lycées, collèges et écoles), associatives (centres sociaux) ou des collectivités.Déborah Adoh entre en contact avec des groupes d’habitants et leur propose de participer à des ateliers d’éducation aux médias. Ceux qui acceptent sont invités à choisir les sujets des reportages, et à participer à leur réalisation. Ils rédigent, filment, montent, proposent les questions à poser en interview et réalisent eux-mêmes par la suite les entretiens. Ils parlent des sujets qui les touchent avec leurs mots et leurs expériences. L’aspect professionnel du produit fini, en partie conçu par des gens dont ce n’est pas le métier, s’en ressent forcément. Qu’à cela ne tienne ? « Au début, explique Déborah, j’avais quand même ce côté journaliste professionnelle. Mais plus le temps avance, plus je vais au contact des habitants, plus je me rends compte qu’il y a ce besoin de s’exprimer de façon brute, quitte à ce que le résultat ne soit pas parfait. »

Parfaits ou non, les objets journalistiques peu communs qui ressortent de cette collaboration attirent l’attention. C’est le cas de Leur Étouvie, documentaire participatif réalisé en 2022 par des habitants du quartier éponyme d’Amiens, avec l’aide d’Endémik. L’idée était de montrer la beauté et la vie associative de cette zone à la réputation « difficile », par-delà les représentations négatives qui lui collent à la peau. Leur Etouvie a été nommé parmi les finalistes du prix Éducation aux Médias des Assises de Tours. L’éducation constitue en effet le but premier du média comme de sa fondatrice. Endémik se veut ainsi « de contact », une sorte de roulotte professionnelle qui apporte le matériel et les méthodes du journalisme aux habitants, qui fournissent en retour les préoccupations, les regards et les mots, surtout les mots. Laisser les gens s’exprimer par eux-mêmes préserve l’authenticité des témoignages, en plus de montrer aux participants que le métier de journaliste ne se résume pas aux plateaux télé. « Et puis, ajoute la journaliste, utiliser un langage simple, c’est aussi être accessible à tout le monde. »

Modèle économique, nerf de la guerre

Pour le moment, Déborah incarne elle-même Endémik. Elle a créé une entreprise individuelle afin de développer le média. Son modèle économique, elle l’a choisi en tenant compte de la concurrence (le financement par abonnement semblait irréaliste), de l’éthique de la collecte des données, et de ses valeurs personnelles (pas de publicités ciblées). Par élimination, la fondatrice a décidé de proposer des ateliers avec les citoyens à des structures qu’elle démarche.

Atelier avec des élèves de CM2 de l’école Jean-Jacques Rousseau, mené dans le cadre du Contrat Local d’Education Artistique d’Hénin-Carvin 2022-2023

Déborah souhaiterait diversifier ses sources de revenus, afin de développer son média, et de pouvoir embaucher davantage de journalistes. À long terme, l’objectif serait de transformer Endémik en association, ou en société coopérative, afin d’associer plus étroitement les citoyens au fonctionnement du média, via un système d’adhésion ou de parts. Déborah explore également des pistes pour intégrer d’autres journalistes dans la rédaction. Pour le moment, les choses piétinent un peu : « On a beau faire un projet avec son cœur », sourit la journaliste, l’argent demeure le nerf de la guerre ».

Collaborations et galères

Gérer Endémik, au-delà des reportages et de la recherche de financements, c’est aussi gérer toute la logistique d’une entreprise, ainsi qu’un site internet. Que ce soit pour les montages ou la publication des reportages, la fondatrice a mis un point d’honneur à utiliser des logiciels libres. Des bénévoles de Te Domum, une association d’hébergement numérique, l’aident à administrer son site. Un partenariat avec l’académie de l’ESJ Lille lui permet de collaborer avec des étudiants qui se destinent au journalisme. Intéressés par les médias alternatifs, ceux-ci rédigent des articles, sur des sujets évoqués avec les citoyens, ou bien sur des thèmes qui leur tiennent à cœur – par exemple la relation entre sport et écologie, thème approfondi en juin 2022.

Pour tout le reste – veille, prospection des structures avec lesquelles Endémik va travailler, aspects éditorial et logistique des projets, préparation des ateliers, éléments de postproduction dont les citoyens ne s’occupent pas, facturation – l’unique journaliste à temps plein du média se débrouille seule. Est-ce compliqué à gérer ? « Oui. Mais on prend notre temps, répond Déborah. Endémik n’est pas un média qui va publier une vidéo du tac-au-tac. Notre mentalité, c’est de privilégier la rencontre à la publication finale. »

Un média qui n’informe pas ?

Le verdict sur l’offre médiatique actuelle demeure relativement consensuel : il y a trop d’informations, trop de sensationnel, trop de redondances. Or, souvent, la solution proposée consiste à créer un nouveau média, qui proposera une information plus neutre, plus lente, bref, meilleure. Soigner la profusion de contenus par davantage de contenus. Ne s’agit-il pas d’un paradoxe ? Peut-être, mais lors de son passage en PQR, Déborah a pu constater que les rédactions avaient elles aussi leurs contraintes, leur impératifs, leurs supérieurs. « Une grosse structure, c’est difficile à faire bouger, donc l’alternative, c’était un média indépendant. » Un de plus, dans la forêt dense qui existe déjà et au sein de laquelle il est difficile de percer. « En termes d’audimat et de fréquentation, on n’est pas connu », admet la fondatrice.

Le peu de visibilité des reportages d’Endémik ne semble cependant pas chagriner Déborah outre-mesure. Tout d’abord, les revenus de son média ne dépendent ni des abonnements, ni de la publicité : nul besoin d’appâter les lecteurs pour survivre. Ensuite, la publication de contenu ne constitue pas l’essence de son travail. « Je ne veux pas d’un énième média qui apporte de l’information », dit-elle. Et de rappeler qu’Endémik cherche à recréer du lien : il n’apporte pas, il se déplace, il reçoit, il accueille. Un véritable média itinérant, qui fournit une « information directe », c’est-à-dire que les participants apprennent davantage en traitant les sujets, en utilisant le matériel, en discutant entre eux, en rencontrant les intervenants, plutôt qu’en lisant ce qu’ils auront publié. Pour reprendre les mots de la fondatrice : « l’amont importe plus que l’aval ». Le processus de production collaborative constitue une fin en soi, si bien que la publication des reportages est presque anecdotique.

3 questions à Déborah Adoh, fondatrice d’Endémik

Pour des questions de critères de revenus, vous n’avez pas renouvelé la carte de presse dont vous disposiez lorsque vous travailliez en PQR. Pensez-vous que cette carte soit nécessaire pour être journaliste ?

Ma vision des choses a évolué avec le temps. Au début, pour moi, un journaliste c’était quelqu’un qui allait au contact des gens et transmettait de l’information. Puis, je suis passée par l’ESJ Lille, où l’on valorise l’aspect plus solennel de la carte de presse, et où l’on considère qu’un journaliste est soit pigiste, soit rédacteur pour un média. Avec Endémik, ma perception a changé, forcément, puisque je suis à présent journaliste indépendante avec mon entreprise individuelle. Mais il y a aussi la question de la nécessité pratique de la carte de presse. Effectivement, pour faire des conférences de presse, quand on va couvrir un match de foot de Ligue 1 ou un déplacement ministériel, on en a besoin. Mais l’idée avec Endémik, c’est que les journalistes aillent au contact des habitants. Il n’y a pas de cérémonie, ni de limitations ni de quotas pour accueillir des journalistes. Donc aujourd’hui, la carte de presse, je n’y pense plus.

Vous avez suivi une formation en journalisme sportif avant de lancer Endémik, média qui couvre une grande variété de sujets. Un « grand écart » facile à gérer ?

Laisser la parole aux citoyens laisse forcément place à de nombreux sujets, dont certains sur lesquels je n’étais pas forcément à l’aise – par exemple, faire une enquête sur des sujets sensibles financiers ou écologiques. Donc c’était difficile d’imaginer comment j’allais m’y prendre. Mais finalement, au quotidien, je me rends compte qu’on traite de sujets très simples avec les habitants. Endémik montre l’angle de vue du citoyen, avec les capacités du citoyen et son vocabulaire, ce qui fait que je ne me confronte pas aux difficultés techniques que j’imaginais au début. Ce sont les habitants qui apportent le contenu et la manière de faire, au final.

Endémik est un média avec un ancrage local très fort. Pensez-vous que son modèle puisse se développer au sein de rédactions plus importantes, au niveau régional, par exemple ?

Il existe déjà pas mal de médias qui font du participatif, notamment depuis la crise du COVID-19. C’est le cas de Nice-Matin, par exemple, qui publie des réponses aux questions que les lecteurs posent dans le tchat. C’est une bonne démarche, facile à mettre en place. Médiacités ou le Monde diplomatique présentent aussi certains de leurs articles durant des soirées où ils convient leurs lecteurs. On a comme ça de petites bribes de participation dans de nombreuses rédactions. Mais avec Endémik, je pousse la participation à fond. Contrairement aux grosses rédactions, je peux me permettre de co-construire et de prendre mon temps avec les habitants, parce que mes revenus ne dépendent pas de mon lectorat. Je n’ai pas le souci de la rentabilité des reportages. Et puis, tous les journalistes n’ont pas pour objectif d’éduquer aux médias. Mon but, ce serait de créer un réseau régional ou national avec des journalistes qui travaillent là où ils vivent et vont au contact des habitants ; de faire d’Endémik une plateforme où on rassemblerait l’ensemble des travaux participatifs. Il y a beaucoup de journalistes qui se questionnent sur la manière dont ils travaillent et sont intéressés par ce que je fais. Mais ils ne sont pas forcément prêts à sauter le pas. Il faudrait que je puisse les embaucher. Ou que je mutualise avec d’autres journalistes indépendants.

Par Louise Jouveshomme.

Retour sur la soirée du Prix européen du jeune reporter 2022

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Mardi 28 juin, Reporters d’Espoirs avait le plaisir d’accueillir une centaine d’invités pour une soirée placée sous le signe d’une Europe porteuse de solutions. Comment écrire cette Europe, souvent négligée par les journalistes ? Une question posée à nos conférenciers professionnels des médias, écrivains-voyageurs, mais aussi et surtout aux 6 lauréates du Prix européen du jeune reporter 2022.


18h30. A Europa Expérience, place de la Madeleine, les invités commencent à affluer. Tous sont venus découvrir ce nouveau lieu interactif dédié à l’Union Européenne au cœur de Paris, mais aussi et surtout écouter la dizaine d’intervenants de la soirée. Des personnes, munies de tablettes équipées d’un dispositif de réalité virtuelle, déambulent sur une immense carte du continent au sol. Régulièrement, des fenêtres s’ouvrent pour mettre en lumière des initiatives portées par l’Union Européenne dans ces régions et pays. De l’autre côté, on tapote des écrans tactiles afin d’explorer les relations entre les institutions, en savoir plus sur l’activité parlementaire ou bien prendre un selfie pour le mur photo interactif…

19h, la soirée est lancée ! A l’animation, Eléonore Gay, présentatrice de l’émission « Nous, les Européens » sur France TV, ouvre la première conférence sur le thème de l’Europe et des jeunes. Comment leur donner envie de s’impliquer dans le projet européen ? Ségolène Allemandou, rédactrice en chef d’ENTR, explique comment ce nouveau média plurilingue, fruit de la collaboration entre une dizaine de médias à travers l’Europe (France Médias Monde, Deutsche Welle…), s’adresse aux jeunes de 18-34 ans en misant sur une stratégie 100% numérique, notamment via les formats vidéo et la présence sur les réseaux sociaux. Puis, Gaëlle Rolland, fondatrice de Graines d’Europe, relate l’approche culturelle et artistique de son association pour favoriser le vivre-ensemble et le lien entre Européens : spectacles, expositions, mais aussi des productions comme « L’Europe, c’est pas sorcier » (avec Fred et Jamy !) en sont quelques exemples phares.

19h30. Pendant que le public rejoint les trois salles de pitch, en coulisses, le stress commence à se faire sentir. C’est le moment de présenter leurs sujets pour les lauréates ! Face à un public enthousiaste, elles racontent leur reportages sur des communautés religieuses qui prêtent leurs terres à des projets agricoles biologiques ; une médecin néerlandaise engagée pour le droit de l’avortement partout dans le monde ; un service d’écoute constitué en réseau à travers l’Europe pour répondre à la détresse mentale des jeunes ; une association qui rénove des logements insalubres au Portugal ; ou encore, un projet de coopération transfrontalier visant à revaloriser la laine locale.

Après chaque pitch, les questions fusent : pourquoi s’être intéressé à cette initiative, des nouvelles des projets suivis… ? Des échanges passionnants entre public et lauréates qui se poursuivront jusque lors du cocktail.

Mais avant ce moment convivial, place à la deuxième conférence de la soirée. Une fois tout le monde à nouveau réuni au forum, nos deux écrivains-voyageurs, Gaspard Koenig (Notre vagabonde liberté: À cheval sur les traces de Montaigne, L’Observatoire) et François Reynaert (Voyage en Europe: De Charlemagne à nos jours, Fayard) nous racontent leur périple européen. A dos de cheval pour le premier, à travers l’histoire pour le deuxième, ils en profitent pour revenir sur leur vision de l’Europe, mais aussi du journalisme. Avec un conseil répété en boucle : aller sur le terrain, à la rencontre des personnes et acteurs de son sujet.

Un principe déjà bien compris par nos 6 lauréates, pour lesquelles vient enfin le moment sûrement le plus attendu de la soirée : la remise des prix, avec le dévoilement du classement du Prix européen du jeune reporter 2022 !

Catégorie Pays francophones (France, Belgique)

Catégorie Pays non-francophones

De gauche à droite: Anne-Dominique Correa, Julie Bourdin, Valentina Mustafa, Camille Jourdan, Theresa Bolte et Hélène Coutard, les 6 lauréates du Prix européen 2022

Félicitations encore aux 6 lauréates, sélectionnées parmi les plus de 130 candidatures en provenance de 18 pays qui nous étaient parvenues cette année !