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Le 3e Prix européen jeunes Reporters d’Espoirs a été décerné à Paris, en février dernier, à sept jeunes originaires du Danemark, de Suisse, de France… et même du Sénégal ! L’équipe de Reporters d’Espoirs a embarqué les lauréats à la rencontre de journalistes de l’AFP et du « Figaro », et d’experts des enjeux européens. Retour sur ces deux journées. Paul Chambellant, 22 ans et futur étudiant en journalisme qui a contribué à l’organisation de ce Prix en tant que service civique, retrace ces deux journées. Quant à Angélica Tarnowska, globetrotteuse et journaliste correspondante de Reporters d’Espoirs au Royaume-Uni, elle revient sur la soirée organisée en leur honneur à la Gaîté Lyrique, à Paris.
Par Paul Chambellant et Angélica Tarnowska/Reporters d’Espoirs
Lundi 12 février 2024
Le rendez-vous est donné à 13 h au Caffe dei Fratelli, dans le 1er arrondissement de Paris.
C’est là que nous rencontrons Pierre Terraz, Amélie Reichmuth (venue de Suède), Emilie Andrieux et Sami Zaïbi (venu de Suisse), 4 des 7 lauréats décorés par ce Prix européen du jeune reporter, pour un déjeuner aux accents italiens. Alors, pâtes ou pizza ? Les choix diffèrent selon qu’ils soient pigistes, correspondants, data journalistes, photoreporters… ou professeurs, un ami de Sami nous ayant rejoints. Si lui est un profane du monde journalistique, les lauréats quant à eux y sont immergés : qu’ils soient issus d’une école ou formés sur le terrain, ils se destinent tous au journalisme. L’occasion de se découvrir des points communs insoupçonnés et de s’émerveiller devant des parcours d’ores-et-déjà inspirants. Amélie parle six langues, Pierre a appris le photojournalisme en autodidacte après une école de communication, Sami vient de s’installer au Caire pour y apprendre l’arabe et devenir correspondant, Emilie maîtrise déjà l’art des infographies… De vrais couteaux suisses !
14 h 30.
L’heure de rejoindre les locaux de Reporters d’Espoirs pour rencontrer les membres de L’Atelier Europe – Patrick d’Humières, Gabriela Martin, Aymeric Bourdin et Michaël Malherbe.
Au programme : une discussion sur l’état de l’Europe, les défis des élections et de la mandature à venir et le rôle de vulgarisation des journalistes. A la fois européens convaincus et analystes critiques des institutions, ils s’engagent dans la poursuite du projet européen à travers voyages d’étude et analyses des révolutions écologique et industrielle. Nous abordons des sujets aussi variés que le difficile arbitrage européen de l’intelligence artificielle après la « révolution manquée » d’Internet, la communication européenne en matière de politique environnementale, ou encore les enjeux posés par l’hypothèse d’un élargissement de l’Union Européenne en pleine guerre à ses frontières. Les lauréats ont su s’affranchir de l’aspect un peu académique de la rencontre, s’inspirant de leurs expériences de terrain pour interroger l’indépendance des journalistes européens et la pertinence d’un Pacte Vert à l’échelle européenne.
17 h.
Cap sur les imposants locaux de l’Agence-France Presse (AFP), place de la Bourse à Paris.
Septième étage, vue imprenable sur Paris. Nous rencontrons Guillaume Rollin, rédacteur en chef du service vidéo de l’AFP, Cécile Feuillatre, journaliste au service international, Kadir Demir, journaliste au service vidéo, et Coline Sallois, chargée de communication et de projets, pour une heure de questions-réponses sur les coulisses de leur métier, la couverture des terrains de conflits, le sort des journalistes palestiniens à Gaza, les choix éditoriaux d’une rédaction d’envergure internationale… Tous sont journalistes multi-tâches, tantôt en « desk » tantôt sur le terrain, et chez chacun résonne l’idée que le sigle AFP doit rester un gage d’indépendance et de qualité de l’information. Nous visitons ensuite la newsroom, clignotant de mille feux au rythme d’une actualité mondiale qui s’affiche sur une multitude d’écrans, avant de libérer les lauréats pour la soirée.
Voilà qui vient conclure cette première journée passée sur la route de l’info !
Mardi 14 février, 9 h 30.
Rendez-vous avec Renaud Girard, grand-reporter au « Figaro ».
Une lauréate est arrivée avant les autres : Cristina Coellen, étudiante autrichienne en école de journalisme à Paris. Bientôt rejoints par les autres lauréats, nous découvrons ensemble les bâtiments somptueux du Figaro, s’étendant sur une dizaine d’étages. C’est un Renaud Girard souriant et pensif qui nous y accueille, grand reporter au Figaro et spécialiste des crises et conflits mondiaux. Kosovo, Israël, Afghanistan, Ukraine, Irak… Lui qui a couvert toutes les guerres depuis 1984 s’en souvient avec vivacité, avec silence aussi parfois. C’est que le « souffle de l’histoire » qu’il a senti passer à de multiples reprises semble toujours l’habiter aujourd’hui, l’invitant à la contemplation. Il fait l’éloge de la lenteur sur les terrains en conflit, comparant les journalistes à des « historiens de l’instant ». Prendre le temps de la compréhension, choisir une histoire à raconter qui parle des gens et aux gens pour mieux rendre compte de la réalité : il faut montrer qu’on a été sur place, qu’on peut apporter de la valeur ajoutée. Inspirés par le personnage, son érudition et son parcours, nous prenons une photo de groupe pour immortaliser ce moment hors du temps, butte Montmartre en arrière plan. Et quittons le journal, nous prêtant à rêver nous aussi de pouvoir sentir le souffle de la grande histoire sur le terrain d’un reportage.
Mardi, 19h.
Soirée de remise des Prix et conférence de rédaction « Médias : donnez-nous envie d’Europe », à la Gaîté Lyrique, à Paris.
C’est donc à la Gaîté Lyrique que s’est tenu le final, mardi 13 février au soir, avec la 3e édition du Prix européen jeunes Reporters d’Espoirs. Dans une effervescence positive, tous se sont retrouvés pour découvrir les sept lauréats sélectionnés parmi 140 candidats. L’objet du concours ? Réaliser un reportage sur des réponses concrètes apportées à un problème économique, social ou environnemental, avec une dimension européenne. Le défi ? Nous donner envie d’Europe ! Alexia Kefalas, correspondante de France24 et du Figaro, venue tout spécialement d’Athènes, menait la danse avec brio. Une soirée ponctuée des croquis plein d’humour signés Serge Bloch.
Le Best-of des Jurés
Chacun des jurés présents a évoqué le sujet qui l’a le plus enthousiasmé : Nicole Gnesotto, vice-Présidente de l’Institut Jacques Delors, a salué le reportage de Pierre Terraz, « Morts sous X », pour son originalité, la dignité et la délicatesse de son traitement. Étienne Pflimlin, à la tête de la Fondation du Crédit Mutuel pour la lecture, a retenu le sujet d’Émilie Andrieux, « Étudiants secouristes en santé mentale à l’Université de Bordeaux ». Patrick d’Humières, pionnier de la réflexion sur les médias et l’Europe, a été touché par le sujet d’Amélie Reichmuth, « Danemark : Grâce à Elderlearn, l’intégration devient un vecteur de lien social ». « Dans une société divisée, repliée sur soi et avec la peur des autres, ce projet valorise une Europe intergénérationnelle, où au contact des anciens, des réfugiés peuvent resocialiser, revivre, c’est un beau signe d’espoir », partage-t-il. Christophe Leclerc, fondateur d’Europe Média Lab, a lui aimé le sujet de Sami Zaïbi, « Samsø et l’énergie renouvelable, l’utopie devenue réalité ». Enfin, Dorothée Merville, Directrice générale de la Fondation Hippocrène, a choisi l’article de la journaliste autrichienne Cristina Coellen, « Extraire la chaleur des eaux usées, une technique de chauffage durable à la conquête des villes européennes ». « On y voit comment les solutions locales peuvent être répliquées partout et ce sujet donne envie d’Europe ! », commente-t-elle. Un vrai bon point car l’Union Européenne est assez dépréciée.
L’Europe mal-aimée et ses institutions méconnues : une image à redorer !
« L’Europe est devenue un bouc émissaire. Brisons ce cercle vicieux, ayons l’honnêteté de reconnaître les conquêtes nées d’une impulsion européenne et arrêtons de pointer les technocrates ! Car ces derniers, moins nombreux que les fonctionnaires de l’Île-de-France par exemple, sont souvent des jeunes, qui gèrent de Bruxelles une administration qui concerne 450 millions d’Européens », explique Paolo Levi, correspondant italien de « La Stampa » et de l’Agenzia Nazionale Stampa Associata (Ansa). « L’Europe n’est pas un projet accompli mais une construction en cours ! », renchérit Bernard Guetta, Député européen Renew et journaliste. « Pour beaucoup, l’Europe reste une entité approximative et un pouvoir quasi-martien : Bruxelles est la capitale de la Belgique, mais accueille aussi les trois institutions de l’Europe, Conseil, Parlement et Commission. Or la place qui leur est consacrée dans les médias reste faible. On commence à peine à évoquer les débats au Conseil ou au Parlement européens… En défendant l’Europe, c’est un cri de besoin et de nécessité que je lance ! », conclut Bernard Guetta. Pour François Vey, rédacteur en chef des revues « Zadig » et « Légende », l’Europe des nations existe déjà : « La majorité du pouvoir est détenue par le Conseil européen, c’est lui qui tranche car il tient les cordons de la bourse ». Reste à faire découvrir la réalité de l’Union européenne, « trop souvent perçue comme ennuyeuse », explique Éléonore Gay, qui lui donne corps justement avec son émission « Nous les Européens », sur France 2. Elle ajoute : « Mais les cartes ont été rebattues par la guerre en Ukraine. Les gens manifestent une curiosité nouvelle pour les équilibres géopolitiques. Des valeurs communes comme la paix resserrent les liens. À nous journalistes de faire aimer l’Europe ! ».
Pitch des lauréats et conférence de rédaction
Venus d’Europe et même d’Égypte, il est temps pour les cinq lauréats [deux lauréates n’ont pu être présentes : Ndeye Fatou Toure (Sénégal) et Marie Dougnac (Bordeaux] de pitcher leur reportage afin de déterminer le sommaire idéal d’un journal dédié à l’Europe. Émilie démarre : « un étudiant sur six a une santé mentale dégradée. Depuis 2019, une formation australienne en secourisme psychologique se propage. À Bordeaux, 1 000 étudiants de fac la suivent, plus de 80 % sont prêts à aider leurs pairs, un franc succès pour des gestes qui peuvent sauver des vies ». Pour Mémona Hintermann, grand reporter, « voilà un grand sujet de société, car face aux 200 000 tentatives de suicides par an, il manque plus de 1 000 psychiatres en France ». Amélie a elle suivi l’association Elderlearn, qui a déjà créé au Danemark 1 600 binômes d’anciens, souvent trop seuls, avec des immigrés, qui veulent apprendre, avec 80 % de retours positifs ! Une idée lumineuse qui a tout pour s’exporter, pour une société inclusive et résiliente. Christina pitche : « L’eau peut avoir une seconde vie grâce à l’aquathermie, une technique réplicable partout ». Et Sami raconte Samsø, la première île autonome en énergie. « Les Danois sont ultra-pragmatiques, note Éléonore Gay, ils se sont organisés, ont confiance en l’autre, sont actionnaires de l’éolien, c’est un modèle visité par des groupes du monde entier ». Mémona Hintermann souligne : « là, c’est l’Europe qui marche ! ». Bernard Guetta note : « Européens, constructifs, passionnants, ces reportages sont parfaits pour l’ouverture des pages société, ils feront des émules ». Le sujet retenu par la majorité pour trôner en Une sera celui de Pierre Terraz qui a voulu savoir où était enterré « son » SDF, et a découvert le cimetière des Jardins de la Fraternité et ses tombes « sous X », à Thiais (94), où, avec, les collectifs de citoyens qui recherchent les familles de ces milliers de morts de la rue sans identité (migrants, vieux, corps retrouvés dans une rivière, bébés abandonnés… ». Bernard Guetta ponctue : « si je parle comme le directeur de rédaction que j’ai été à « L’Obs » et à « L’Expansion », alors le sujet sur les morts sous X, on achète, c’est intriguant, c’est forcément le sujet retenu pour faire la Une ».
Qu’ont pensé les lauréats de leur séjour parisien ?
Amélie Reichmuth et Sami Zaïbi témoignent.
Avec deux Erasmus à Sciences Po, Amélie Reichmuth, franco-allemande basée en Suède et mariée à un Danois, est résolument européenne. Elle se passionne très tôt pour le journalisme de solutions et avait déjà postulé au Prix européen du jeune reporter les années précédentes, une persévérance payante ! « Les visites organisées par Reporters d’Espoirs la veille étaient formidables, une occasion d’échanger avec des reporters de renom comme Renaud Girard, de voir comment pitcher un sujet, et aussi de tisser des liens entre lauréats aux profils très variés, autodidactes comme moi ou sortis d’écoles de journalisme. Débats à bâtons rompus, avis engagés… la soirée était formidable ! Seul petit regret, on aurait aimé que le public aussi participe par vote à la conférence de rédaction. »
Sami Zaïbi, lui, a particulièrement aimé la visite à l’AFP : « on utilise tous les jours leurs dépêches, découvrir la mécanique et le nombre de journalistes dédiés à l’info était fascinant ». Curiosité, amour de l’écriture et de la transmission, le Tuniso-Suisse a étudié à l’Académie du Journalisme à Neuchâtel, « avec Serge Michel, Prix Albert Londres, le journalisme constructif y était évoqué plus que vraiment enseigné ». Journaliste chez « Le Temps », il a pris une année sabbatique pour apprendre l’arabe en Égypte, mais continue de rédiger une newsletter hebdomadaire sur le Moyen-Orient: « Elle s’intitule « Le Point du Jour » et comporte une rubrique Une Raison d’Espérer… Pas toujours simple à alimenter ! »